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LE MONDE DES LIVRES | 27.09.02 | 11h04
Emile Zola, solitaire et solidaire
Les dernières années de l'auteur des "Rougon-Macquart" racontées par son biographe passionné, Henri Mitterand
Emile Zola meurt le 29 septembre 1902. Quelques jours plus tard, une foule importante accompagne sa dépouille au cimetière Montmartre. Puis, ses cendres seront transférées au Panthéon en 1908. Mais cette gloire ne doit pas faire illusion. Henri Mitterand, dans le troisième et dernier volume de sa somme biographique, montre que la puissance créatrice de Zola et son courage politique ne furent pas toujours bien jugés. Jean Bedel développe même l'hypothèse de son assassinat...

ZOLA Tome III : L'Honneur, 1893-1902 d'Henri Mitterand. Fayard, 860 p., 37 €.

Au sortir de ce monument en trois volumes, trois mille pages en tout, consacré à cet homme siècle que fut aussi Emile Zola, le lecteur partage presque également son admiration entre l'auteur du portrait et son sujet.
   
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On a déjà dit ici l'excellence de l'entreprise, lors de la parution, l'année dernière, du deuxième volume (1). Connaissance exhaustive de la carrière littéraire de Zola, vive pénétration de l'œuvre jusque dans les soutes de ses plans, scénarios, manuscrits, hauteur de vues à la fois esthétique, politique et morale, le Mitterand prend place dans les grands classiques de la biographie et unit, peut-être pour la première fois, la saisie de l'historien et celle du critique littéraire. L'auteur doit à son modèle un sens du récit, de la mise en perspective, de la vaste entreprise, et aussi de la performance. N'a-t-il pas écrit en moins d'un an les 860 pages de ce troisième volume pour être présent au rendez-vous du centième anniversaire avec la biographie achevée, plus un album iconographique de très belle facture et d'efficace commentaire, plus encore l'édition de manuscrits intéressant la genèse des Rougon-Macquart ?

Le deuxième volume s'achevait sur la rédaction, la publication et la réception de l'épilogue des Rougon-Macquart, le vingtième livre de cette "histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire", Le Docteur Pascal. Zola s'identifiait pour une bonne part à son personnage, Pascal Rougon, qui poursuit ses recherches sur l'hérédité en prenant pour exemple sa propre famille, et tombe amoureux de la jeune nièce qu'il a recueillie. Malgré leur différence d'âge, ils vivent une passion consentie, et la jeune femme donne naissance à leur enfant après la mort du docteur. C'était évidemment une transposition de la passion qui a lié Zola jusqu'à la fin de ses jours à Jeanne Rozerot, la lingère de son épouse Alexandrine, restée sans enfant, alors que Jeanne donne à Zola deux enfants qui feront son bonheur d'homme installé dans deux foyers. Nous suivons le développement de cette histoire intime tout au long des années de combat politique et littéraire qui font l'objet du troisième tome, justement intitulé L'Honneur.

Car il y aurait beaucoup de bassesse à reprocher à Zola d'avoir mené cette double vie, gardé Jeanne dans une quasi-clandestinité, avec l'accord de sa femme. Alexandrine, après la violente crise qui suit la révélation de son "infortune", finit par sagement comprendre qu'elle garde la place prééminente de l'épouse, de l'alliée publique. Sa vie de femme est brisée, elle le rappellera chaque fois qu'il le faut à son mari, et Mitterand ne sait jusqu'à quel point elle joue inconsciemment de sa souffrance pour interdire à Zola de donner une place plus grande à son deuxième ménage dans l'emploi rigoureux de son temps. Elle accepte Jeanne, à condition qu'elle et les enfants restent dans l'ombre, et Jeanne se résigne, d'abord parce qu'elle jouit à demeure du bonheur d'être mère et de son bonheur d'amante. Les féministes se récrieront. Qu'aurait dû faire Zola ? Braver l'interdit victorien ? Quitter son épouse ? Revendiquer sa double vie ? Dans ce cas, il y aurait bien eu une affaire Dreyfus, mais pas de "J'Accuse" et pas de victoire finale pour l'innocent injustement dégradé et envoyé au bagne. Le Docteur Pascal, où Zola évacue des flots de culpabilité intérieure, s'achève sur l'image de la jeune femme donnant le sein au bébé qui vient de naître. Triomphe de la vie. Que célébrera encore Zola dans le premier de ses Quatre Evangiles, Fécondité, à la fois hymne à la natalité, à la femme nourricière contre la vierge décadente, et réflexion sur la nécessaire repopulation de la France (qui, il s'en doute, aura besoin de forces pour un affrontement avec l'Allemagne !). "Que de lait, que de lait !" Mitterand ne peut s'empêcher de citer Flaubert devant ces débordements. On lui en sait gré, lui qui partage l'optimisme vitaliste de Zola.

COMBAT

Sans cet optimisme, sans la conviction d'une victoire possible de la raison, de la justice, de la laïcité, de la société civile sur l'obscurantisme, l'injustifiable raison d'Etat, la mainmise de l'Eglise et de l'Armée sur la société dans son ensemble, Zola se serait-il lancé dans le combat pour faire reconnaître l'innocence de Dreyfus, combat où il risquait sa vie, sa liberté, ses revenus ? Qui d'autre avait l'autorité nécessaire, la puissance du verbe pour défier ainsi les pouvoirs ? Victor Hugo était mort en 1885, Flaubert en 1880 – et le pessimisme de l'ermite de Croisset l'avait depuis longtemps entraîné à tourner le dos aux malheurs des autres. Quant aux écrivains, ils se passionnent pour leurs écoles littéraires. Le naturalisme dont Zola s'est fait le théoricien domine, des dissidences se dessinent ; le symbolisme plane. Que les politiques se débrouillent.

Zola seul donc. Se voulant seul. Mais solidaire. On le sait, il ne s'est pas mobilisé dès la condamnation d'Alfred Dreyfus, en décembre 1894, pour clamer son innocence. Cette condamnation n'entre pas vraiment dans son champ de vision. Pourtant, le 16 mai 1896, révolté par la campagne antisémite d'Edouard Drumont et de La Libre Parole, il écrit dans Le Figaro "Pour les Juifs", un article où Dreyfus n'est pas mentionné, mais où, pour nous, s'annonce évidemment l'engagement fulgurant de Zola en sa faveur.

A vrai dire, toute son œuvre antérieure l'annonçait, l'appelait. Les Rougon-Macquart déroulent une immense fresque qui est forcément un plaidoyer pour la justice sociale, puisque c'est la misère qui engendre les iniquités et la violence. Après avoir accompli cette œuvre, Zola entreprend de l'élargir dans le temps et l'espace par une radiographie des pouvoirs. Lourdes d'abord, vaste enquête, tableau de la foi vécue dans l'irrationalité totale, la souffrance des corps et le refus de la science. Rome ensuite, la mise à nu du pouvoir temporel de l'Eglise catholique, sur les ruines de l'empire romain et reprenant son ambition de conquête du monde. Paris, enfin, la grande ville, celle des années 1892-1894, au présent de l'écriture, où coexistent encore, sous le risque permanent de l'explosion, tous les milieux sociaux, de la grande bourgoisie financière et possédante aux bas-fonds misérables et dépravés. Dans ces Trois villes, qui sont aussi une forme nouvelle du roman où il ne craint pas l'anticipation, la dénonciation des tares de la société se fait de plus en plus radicale. Zola républicain se dirige vers le socialisme, avec beaucoup de nuances et d'inflexions personnelles. Dans Les Quatre Evangiles (Fécondité, Travail, Vérité, Justice – ce dernier resté à l'état de projet), on le verra traverser de façon critique les théories de l'anarchisme, du marxisme tendance guesdiste, de l'utopie fouriériste, pour se diriger vers une conception socialiste proche de Jean Jaurès, avec un combat mûrement réfléchi pour l'instruction laïque. A ces œuvres, mais aussi aux tentatives de Zola au théâtre et à l'opéra, Mitterand consacre à chaque fois des chapitres qui sont de véritables études socio-critiques autant que littéraires. C'est l'œuvre même qui prend le devant dans cette biographie, puisque aussi bien la vie de Zola est vouée à plein temps à l'enquête et à l'écriture, à l'invention d'un monde qui devait régénérer le monde réel par la mise à nu de ses mécanismes, mais aussi par le dessin d'un avenir possible de réconciliation.

UN ENGAGEMENT TOTAL

La part éclatante de ce volume est évidemment constituée par le récit de l'intervention de Zola dans l'affaire Dreyfus, cet engagement total qui en fait réellement une affaire nationale, laquelle mène le pays au bord de la guerre civile, par la faute d'un état-major imbécile, d'un clergé obscurantiste et d'un gouvernement républicain lâche et maladroit. Sous la plume de Mitterand, la décision d'écrire "J'Accuse", en janvier 1897, le procès de Zola, sa condamnation, son exil volontaire à Londres, son retour un an après, ses tentatives d'obtenir un deuxième procès pour éviter à Dreyfus le déshonneur d'une grâce et aux coupables l'échappatoire d'une amnistie, sa victoire finalement, aux yeux de l'Histoire (la revanche des antidreyfusards, ce sera l'Etat vichyssois, qui n'a eu qu'un temps), deviennent un roman historique passionnant, parce que formidablement vrai et exemplaire. Il existe sur l'Affaire de fort bons livres, en tout premier lieu celui de Jean-Denis Bredin, mais, pour qui se préoccupe de savoir comment les idées et les formes agissent dans l'histoire, Zola : L'Honneur est une lecture indispensable.

Michel Contat

(1) Voir "Le Monde des livres" du 21 décembre 2001.

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 27.09.02

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