Zoubida HAGANI
Université
d'Oran
THEORIE ET
CRITIQUE EN DEFAUT
DANS LE CHAMP
LITTERAIRE
MAGHREBIN
Suggérer que le discours
littéraire maghrébin met en défaut l'opérationnalité de certains discours critiques
renvoie à la question de savoir ce qui, des principes mêmes que l'oeuvre se donne à
sa construction, est retenu ou non en vue d'une élaboration descriptive, rigoureuse et
adéquate à l'objet littéraire maghrébin de langue française. De nombreuses
nébuleuses critiques se sont en effet formées autour de cet espace littéraire, soit
dans un rapport de débat idéologique et historique, soit dans une mise à
l'"épreuve" du sens par différentes théories de l'écriture. Tenter
aujourd'hui d'en circonscrire quelques-unes et de les nommer pour évaluer leur projet de
lecture et les béances qu'elles laissent à combler, correspond en premier lieu à un
moment de cette critique, qui, suffisamment constituée, permet, à partir d'elle-même,
une lecture décentrée des problématiques qu'elle a instituées.
Cette interrogation devrait
impliquer une modification, aussi légère soit-elle, de la saisie de cet objet par la
mise au jour du principe qui gère cette inadéquation objet-méthode. Elle le fera en
désignant le lieu d'énonciation idéologique de ces discours critiques, et surtout en
indiquant le recouvrement de sens qu'opère l'énonciateur dans le champ littéraire
maghrébin par le discours critique qu'il manipule. Constat qui nous amène à dégager ce
qui pourrait être repris dans la perspective, sinon d'une construction de cet objet, du
moins d'une description d'un objet littéraire maghrébin polysystémique, où la
maîtrise orale esthétique et cognitive cons truit avec la logosphère scripturaire un
espace translittéraire aventurier et fécond où se joue souverainement sa
MAGHREBINITE.
Tout discours esthétique, faut-il
le rappeler, est un acte de mémoire énonciatif, évaluatif et affectif. Supérieurement
liée à cette "intelligence mémoriale", l'aventure littéraire maghrébine
semble se jouer en un lieu discursif complexe et irréductible, singulier et neuf,
référencié et transculturel par la relativisation qu'il opère des langues et des
cultures qu'il met en sens. Et parmi celles-ci, en premier lieu sa langue et sa culture
nationales. "C'est à l'intérieur
de notre
propre culture,
écrit Barthes à propos des "têtes composées" du peintre Arcimboldo, qu'elles suscitent
le sens
affectif que
l'on devrait
appeler en
bonne étymologie
le sens
pathétique, car on ne peut trouver certaines
de ces
têtes méchantes
et bêtes,
sans se
référer à un dressage du
corps, du
langage, à
toute une
socialité"[1].
Cette définition du sens
esthétique en fait un marqueur obligé du sens social, cependant qu'il déplace dans le
même temps le fondement historique et social qu'implique la conception historiciste de
l'objet littéraire. S'il est vrai qu'une identité artistique évolue avec l'histoire,
elle subira tout au long de la réflexion théorique un déplacement que lui imprime la
théorie du sujet, notamment celle du sujet inconscient. Sujet que l'on peut d'ores et
déjà formuler en littérature et avec la psychanalyse comme étant un non-sujet, en ce
sens qu'il ne cesse de se défaire en fracturant au fil de ses productions le sujet
phylogénétique qui le suture. Cette première évaluation du sujet ruine en ce qui
concerne notre champ d'investigation la conception positiviste du Même au Même, laquelle
renvoie souvent à l'échec de l'évaluation et de la formulation de l'héritage culturel.
Ou encore à celui de la problématique du Même et de l'Autre comme simple opération
structurante et authentifiante du sujet national. Par ailleurs, au point de jonction du
sujet ontogénétique et du sujet phylogénétique s'inscrit un deuxième questionnement
de ce qui lie cette déliaison : le mythe comme espace conceptuel d'une liaison historique
possible, comme processus d'esthétisation induisant deux démarches critiques, l'une
anthropologique, l'autre poétique. La première de ces démarches critiques a recouvert
dans le champ de la critique littéraire maghrébine,
par son espace théorique déjà constitué, celui d'une poétique du discours
mythique qui reste à élaborer, notamment par les catégories anthropologiques que met
en place Lacan (langue, histoire, psyschanalyse) et que systématise J. Kristeva au niveau
de la sémanalyse.
* *
*
Ces quelques préalables indiquent
bien que la littérature, par l'acte mortifère qu'elle institue sur le réel, ruine
l'action, non parce que
l'écrivain "dispose de l'irréel
(l'imaginaire) mais parce
qu'il met
à notre
disposition toute la réalité" (M. Blanchot). C'est donc cette
signifiance totale, ce par-delà de la signification que la langage vrai prétend
accomplir. Ainsi se trouve d'emblée ruiné le rapport de la littérature au seul débat
historique ou idéologique et de son institution en tant que reflet strict des
contradictions du réel. Le réel devient lui-même un objet ambigu et contradictoire
pouvant se révéler à l'analyse comme une sémiosis
du second degré. L'encodage qu'en fait la littérature en général transforme cette
première symbolique en une symbolique surcodée et instaure un réseau de sens des plus
complexes. Complexification encore accrue en littérature maghrébine de langue
française par l'encodage de deux cultures différentes alors même qu'elles se
rencontrent à certains niveaux pour dire le même universel.
Cette différence, cet entre-deux
(espace sien et autre) que le sujet maghrébin introduit dans la littérature universelle
par la violence d'un dire particulier dirigé contre le discours colonial mais aussi
contre les discours nationalitaires, institue un langage poétique nouveau dont il reste
à décrire dans sa structure-même les systèmes oraux et écrits mis en relation. S'il
est vrai que l'analyse thématique connaît un investissement important et continu de la
part des critiques et sature et le texte maghrébin et l'espace critique de ce champ
littéraire, il reste que l'encodage et le décodage qu'opère le sujet maghrébin de ses
différentes langues et cultures originaires reste au plan d'une anthropologie
sémiotique encore balbutiante car elle exige du critique une connaissance de deux langues
maternelles de l'écrivain : le berbère et l'arabe.
* *
*
La deuxième raison de cette
éclipse des règles mêmes que se donne l'objet littéraire maghrébin pour sa propre
construction, et du recouvrement du sens qui en découle, procède de l'urgence pour
certains critiques algériens à affirmer une identité intellectuelle face aux
"discours étrangers". Dans ce cas les recherches cibleront en premier lieu ce
qui dans le texte algérien répond, conforte l'idéologie nationaliste face au discours
colonial. Elles traqueront dans le réalisme suturant de certains écrivains
l'aliénation aux modèles d'écriture et culturel français. Paradoxalement cette
dichotomie se révèle être à l'analyse la projection même des présupposés
idéologiques et théoriques de cette critique.
L'application des catégories
marxistes et structuralistes (A.I.E., notion de reflet, de miroir, séquences, pôles
actantiels, typologie des acteurs ...) révèle, il est vrai, que l'une des fonctions du
texte est de référer aux conflits idéologiques qui l'engendrent. Il reste cependant que
la production du texte comme travail et transformation du réel résorbe le sens
antinomique littérature/histoire, du fait même qu'entre le réel et le sujet
s'interpose un écran qu'il est impossible de faire disparaître, puisqu'il constitue la
structure même du souvenir, du temps passé, de la représentation des figures
mytiques.
Aussi, rechercher par exemple au
seul niveau discursif "réaliste" la notion d'aliénation culturelle et
politique des premiers écrivains algériens de langue française sans analyser le
discours d'escorte ironique qui ruine le discours central, est-il manquer l'analyse d'une
algérianité que déplace l'écrivain soumis à la contrainte coloniale. Ce déplacement
s'opère notamment à travers une surréférenciation de la culture médersienne. Cet
aspect de la question identitaire repris dans les travaux sur ces textes, pour montrer
comment les manifestes politiques de l'époque définissaient le statut du sujet
algérien, marque la problématisation qu'en fait l'auteur dans son oeuvre, notamment dans
l'expression d'une résistance implicite que prend en charge le codage à différents
niveaux hiérarchiques de l'oeuvre. Le code de la langue se transforme ici, par traduction
ou transcription, en idiolecte fortement structuré par les sociolectes algériens. Le
code formulaire, ensemble de proverbes, ma'ani,
sentences, aphorismes, légendes qui s'organisent en véritable écriture identitaire par
l'expression des traces mnésiques et du familier que l'écrivain introduit dans le code
idéologique.
Ainsi les catégories du roman à
thèse ou la lecture des manifestes politiques dans l'oeuvre de Hadj Hamou, ou encore
Ould-Cheikh... utilisées pour instituer le sens stéréotypique de ces textes, ou le
fonctionnement de l'assimilation, perdent de leur opérationnalité lorsqu'elles ont à
analyser le fonctionnement identitaire de l'algérianité que ces écrivains
hiérarchisent dans la non-réciprocité avec l'Autre (défense de son islamité et de son
patrimoine). En ce lieu de l'origine s'instaure chez les écrivains la stabilité d'une
configuration de l'identité, même si elle ne remet pas en cause le formalisme de
l'histoire et son rapport au sujet. L'affirmation du statut identitaire socialisé par
l'islamité et le code culturel reste, de ce fait, nettement différenciée du statut
politique revendiqué à travers l'assimilation.
C'est donc dans la mise en scène
du sujet logique et grammatical, du sujet d'une biographie chargée d'événements
diversement datés et localisés, qu'il faut chercher la singularité d'une identité
individuelle et collective. Subjectivité totale que l'histoire en tant que description
chronologique des faits humains, pétrification du temps, saisie de toute la vérité,
n'a suscité qu'en apparence si l'on admet avec Freud que la réalité historique dans
la biographie du sujet est inaccessible.
LA LANGUE DU
"TERRITOIRE MATERNEL"
Il faut également rappeler que
les langues maternelles des écrivains maghrébins sont porteuses de leur culture
nationale. Ce sont les langues du théâtre, de la poésie, des contes et légendes, de la
musique. Si l'on retient de la réflexion lacanienne sur la culture que celle-ci est un
système de signes qu'un individu trouve à sa naissance et qu'elle est déterminante
dans le symbolique, le symbolique est alors pour lui l'ordre auquel il ne peut
échapper. En outre, cet ordre "prend des figures" qui, dans la démarche
freudienne, ont une fonction mythique, c'est-à-dire : identification, loi, religion,
interdits à transgresser... On comprend bien dès lors comment le symbolique devient par
essence le lieu où se rejoignent langue et histoire ; où l'imaginaire , reflet instable
puisque lieu du désir, et le symbolique, cadre obligé du langage, se rejoignent pour
créer un lieu identitaire à chaque fois inédit. Le texte littéraire apparaît donc
dans sa structuration profonde comme un lieu double qu'engendre une formalisation du
symbolique, processus par lequel le langage accède à son ordre propre et à
l'idéologique à la fois : l'imaginaire dans son historicité.
En conséquence, ce n'est pas dans
le degré d'aliénation aux appareils idéologiques d'Etat qu'il faut chercher la clé
de la lecture des conflits idéologiques qu'instaure la littérature, mais au niveau de
l'imaginaire historicisé. Le premier lieu critique ne tient compte que du sujet
historié tandis que le second, au contraire, introduit une théorie du sujet historien
producteur d'une dynamique de cet imaginaire historicisé. La notion de syncrétisme
comme absorption ou rejet des cultures autres semble elle ausi insuffisante à définir ce
processus à travers une analyse structurale et idéologique du texte. Car cette notion
même de syncrétisme convoie, à partir de son sens étymologique, une perception globale
et indifférenciée du réel. Or, par l'introduction des objets sémiotiques de la culture
originelle, l'écrivain maghrébin va créer le flou, l'errance dans le sens institué
de l'une et l'autre cultures, au détriment des contraintes, esthétiques et prédicatives
(Kristeva). Ce n'est donc pas la conscience jugeante qui fait sens dans une oeuvre, mais
ce qui, au contraire, la trouble et relève du sémiotique, donc du maternel, et constitue
pour J. Kristeva le fondement du langage poétique.
La question qui doit donc être
prise en charge à partir de cette formulation du langage poétique est celle de savoir
comment la langue et la culture originaires du sujet maghrébin, "aussi archaïques,
aussi balbutiantes,
sonores ou
chuchotées, éclatées ou
construites"[2], s'ordonnent
dans le texte écrit et comment elles ordonnent à leur tour l'écrit. Nous avons pu voir
plus haut que tout encodage d'un patrimoine culturel exige en littérature une
organisation esthétique de l'appareil référentiel lui-même ouvert et ambigu. Cette
dialectique entre le réel, déjà lieu de sémantisation contradictoire, et
l'organisation esthétique qui en est faite, ruine la clôture du signifiant.
Est-ce à dire pour autant que
seule l'écriture est en mesure de produire une dynamique du sens, une resémantisation
esthétique du réel ? S'il est vrai que l'oralité apparaît comme un langage formulaire
porteur de vérités axiologiques et répétitives, il faut cependant noter que les
différents genres qui l'ont constituée se sont construits en fonction d'un appareil
référentiel qu'ils travaillent et reformulent et qui constitue ainsi un véritable
système cognitif et esthétique. Aussi est-il difficile d'admettre les conclusions du
répertoriage des syntagmes verbaux ou nominaux de l'arabe dans le texte littéraire
algérien les représentant comme étant un
simple émaillage et une contamination du sens français
et qui suppose également par euphémisme que l'écrivain maghrébin postule un lecteur de
l'exotisme à l'instar des écrivains coloniaux. Cette hypothèse est insoutenable du
fait même que de nombreux passages, par exemple dans La grande
maison de M. Dib, se trouvent être des lieux
forts de l'émergence, de l'affleurement du sémiotique, sans que l'explication soit
donnée sous forme de notes en bas de page. Ainsi l'écrivain maghrébin part de sa
culture originaire pour appliquer sur la culture d'emprunt "une position
de lecture
et de
réécriture
culturellement déterminée et soumise
à variation"
(M.M Pelletier). Par ailleurs, il faut souligner que les modèles rythmiques introduits
dans la syntaxe prosodique de la langue française et l'interaction des deux systèmes
morphosyntaxiques ne produisent pas une simple réactivation de la langue cible, mais une
autre langue, un autre ordre rythmique, si l'on considère avec J. Kristeva que c'est par
l'hétérogène sémiotique, par le présymbolique, intonation et rythme de la pulsion qui
"remontent aux archaïsmes du corps sémiotique", que s'instaure le langage
poétique.
D'autre part si l'on admet
également que ce sémiotique (connoté maternel) est condition du symbolique mais aussi
l'élément qui le détruit et le restructure, la production poétique maghrébine se
révèle être alors un objet totalement autonomisé en tant que pratique d'écriture :
déviation par rapport au parallélisme de la langue française, destruction de la chaîne
signifiante par une pratique de la prose, (nous sommes loin de la paternité réaliste
même dans les premières oeuvres des écrivains consacrés), nouvelle "musicalité
dans les lettres" (Saussure), retour du refoulé, (ici politique ou psychique) qui
déborde le signifié communicable. Le fléchage du sens se trouve donc autrement
redistribué. Cette polysémie active qu'organise l'interaction des deux faces de l'un et
de l'autre langages peut être représentée ainsi :
Sé<--------------->Sa I.Système
de l'oralité
Sa<--------------->Sé II.
Système de l'écrit
Ainsi orientée, la présente
lecture, déterminée elle aussi culturellement, tentera de montrer que lire le texte
maghrébin c'est le lire dans deux langues qui, par leur nature et leur fonction
travaillent différemment le langage poétique maghrébin. L'une est maternelle, orale,
vernaculaire, référenciaire puisqu'elle opère une recollection et une reconstruction
du passé et par conséquent fonctionne comme une langue nationale et culturelle, mythique
aussi puisqu'elle renvoie à une terre spirituelle, religieuse ou magique. En somme, la
langue maternelle fonctionne en même temps comme une langue de communion, de
communication, comme langage technoludique, comme langage magique puisqu'il commande, et
comme langage référenciaire qui, s'il ne permet pas une reconstruction conceptuelle du
passé, peut opérer une recollection du patrimoine culturel. La langue cible, ici le
français, ne fonctionne pas strictement comme simple langue véhiculaire au Maghreb. Elle
est aussi référenciaire au sens où elle opère sur l'expression comme sur les
métadiscours.
Un schéma pourrait figurer
l'organisation linguistique de cet objet littéraire et montrer comment l'image, la
métaphore en tant qu'impertinence aux deux langues, émerge comme produit culturel et
émotionnel complexe et différencié:
Interlangue :
lieu du langage poétique maghrébin
L.O.A
L.F.E
Vernaculaire
O
Mythique
O
SPHERE I.
Technoludique
O SPHERE
II
Référenciaire
+
Véhiculaire
+
Légende : L.O.A : langue orale algérienne (langue non écrite).
L.F.E : Langue française
écrite.
Ceci posé, on peut induire
aisément la force d'intervention des différentes fonctions de la langue orale
maternelle dans la structuration de la fiction littéraire maghrébine. Cette littérature
est le produit, serait-on tenté d'affirmer, d'une parole cachée et d'une écriture
prononcée. On reprend ainsi à l'inverse la formule de C. Ségal qui considère que le
théâtre est une écriture cachée d'une parole prononcée. Deux systèmes élaborés
vont donc établir des rapports de significations complexes:
1- L'un
fonctionne comme validation de l'ensemble des valeurs reconnues se référant aux codes
structurels et mettant l'action sur le collectif plutôt que sur l'idiosyncratique, dans
une écriture qui, par son statut même d'acte individuel, obligera le sujet à une mise
en procès de soi.
2 -Ainsi
pourrait-on induire dans un second temps qu'à partir du moment où une mise en écriture
d'un sujet s'instaure, une première rupture d'avec les voies traditionnelles de recherche
de vérité s'impose. Les valeurs exemplaires s'estompent ou sont discréditées.
L'écriture fera basculer le créateur du monde familier traditionnel au monde de
l'inconnu, du non-traditionnel, du non-formulaire, par l'abstraction même que lui
imposent les lois de l'écrit et l'investigation individuelle.
Ce travail du sujet maghrébin
montre bien les rapports qu'il établit entre Histoire collective et Histoire
individuelle. Le texte qu'il construit devient une "scène historique,
présente, vêtue des
oripeaux légendaires,
qui cache
et met
en scène
une vérité
déformée mais accessible
par ses
seules déformations
; la structure de
la méconnaissance
conjoint ici
l'idéologique et l'imaginaire
" (B. Clément). Ce qui n'est donc pas
représentable dans la "scène historique", c'est la situation du sujet dans
les rapports de production, son regard même sur le monde. Ainsi peut-on conclure à ce
premier niveau que, si le matérialisme historique ne peut analyser "les processus
qui engendrent la structure de la représentation de l'imaginaire et de l'idéologique
pour un sujet donné", il peut difficilement être opérationnel sur les textes
maghrébins investis exclusivement par ces catégories.
* *
*
Quelle théorie retenir donc qui
"tienne compte de
la position
du sujet
dans l'histoire
et des
interférences entre les
idéologiques et l'imaginaire,
de la position très
spécifique du fantasme
dans le
rapport du
sujet à
son monde
qui, par
sa fonction
de cache,
par le
rapport entre
le texte
qui s'y
formule et
la scène
qu'il évoque,
distribue précisément les rôles
respectifs du passé
historique, de la biographie de
l'imaginaire et du présent réel"(B.
Clément) ?
Dans tous les cas et contrairement
au rejet que font certains critiques ou théoriciens de la pluridisciplinarité, seule
une théorie de l'histoire, celle de la biographie de l'imaginaire et celle de l'écriture
peut répondre à une opérationnalité plus efficace sur le texte littéraire en
général.
La sémanalyse est cette tentative
pour trouver une théorie adéquate à la production du texte comme "corpus idéologique
mythique qui
sature chaque
bloc de
l'histoire monumentale" (Kristeva). Mais la formule
n'est pas la cause d'un sens qu'elle donnerait à la chaîne signifiante, elle est
apposée à la "germination" et se trouve ainsi placée dans une indication
infinie du sens. La sémanalyse semble donc bien être pour l'instant cette anthropologie
sémiotique où viennent se conjoindre la théorie du sujet linguistique, celle du sujet
inconscient, la théorie de l'idéologique mythique, et enfin celle de l'engendrement du
sens. Reste le problème, pour la littérature maghrébine, de l'écriture diglossique du
monde, de "l'infection de l'imaginaire" par les langues et les cultures qui le
formulent. Si la praxématique répond à la question théorique du sujet conscient,
linguistique, diglossique, elle ne prend pas en charge la théorie du sujet
"imaginaire diglossique", s'il en fut.
Dans tous les cas, il est
manifeste que seul le croisement des théories que nous venons de rappeler nous permet
de dépasser une sémiotique élémentaire et un matérialisme historique insuffisant
pour rendre compte de la théorie du sujet en représentation idéologique et imaginaire
à la fois, et pour nous faire éviter l'écueil de l'application mécaniste de
certaines catégories inadéquates à la nature de l'objet littéraire maghrébin.
Ainsi donc, doit-on chercher dans
l'objet textuel maghrébin le rapport au monde de l'écrivain. Non pas dans l'acte
transitif, mais dans le lyrisme que déploie par exemple un M. Dib, non seulement dans
les poèmes qu'il incise dans la trilogie et qui, par la focalisation interne qu'impose la
nature même de la poésie, prennent en charge la conscience pathétique et tragique du
narrateur et de l'allocutaire, mais aussi dans la prose poétique qu'engendre le rapport
de sens entre les deux. C'est donc dans l'intransitivité que se trouve infiniment joué
le sens politique et social du texte maghrébin, à l'instar de toute littérature et dans
son imaginarisation par l'écrivain qui s'interpose entre le récit et son scripteur
comme entre l'objet textuel et le critique.
Extrait de la revue Itinéraires et contacts de cultures, Paris, L'Harmattan et Université Paris 13, n° 10, 1° semestre 1990. | |
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