HOMMAGES
A
JACQUELINE
ARNAUD
M'hamed ALAOUI
ABDALLAOUI
Université de
Rabat
JACQUELINE,
SOEUR FRATERNELLE
L'itinéraire
de Jacqueline Arnaud en terre maghrébine commence au Maroc, en 1961: "C'est à Casablanca, dit-elle, que j'ai commencé à lire avec des lycéennes
marocaines, les textes de Sefrioui et de Feraoun, qui leur faisaient découvrir avec
étonnement ravi que dans les cours de français, on pouvait aborder des sujets qui les
touchaient directement." Plus tard, c'était la Tunisie et l'algérien.
Notre amitié née à Paris au
deuxième lustre des années soixante-dix, allait être porteuse d'échanges entre nos
deux universités. Sur l'initiative de Jacqueline Arnaud, je fus chargé de missions
d'enseignement à Paris-13, au sein du programme des Etudes littéraires maghrébines qu'elle
dirigeait, et des échanges entre elle et des étudiants et universitaires marocains
allaient naître lors de missions d'enseignement qu'elle assura, à mon invitation, dans
le cadre de séminaires que j'animais à l'Université
de Rabat sur les littératures du Maghreb.
Le domaine des études
maghrébines peut parfois être choisi, de ce côté ou de l'autre de la Méditerranée,
avec l'intention inavouée d'arborer une étape du parcours universitaire, ou celle
--souvent risquée-- de faire oeuvre utile, de plaire. Avec Jacqueline Arnaud, rarement
oeuvre d'universitaire et de chercheur aura été aussi liée , et dès le départ, à un
itinéraire personnel, et vécu comme une nécessité irrépressible: "Ce qui m'a (...) attirée vers le Maghreb, c'est
cet "Oedipe colonial" qu'analyse si bien Jacques Berque dans Dépossession du Monde, et aussi la curiosité d'une civilisation autre. Les
hommes, les coutumes, les paysages m'ont, dans cette disposition d'esprit, profondément
touchée, peut-être aussi à cause d'une ascendance méditerranéenne qui fait que je
me retrouve au Maghreb, même atlantique, en
pays presque plus familier qu'au Nord de la Loire."
Toute jeune, elle découvre un
"Maghreb en flammes", un Maghreb convulsé, et dans la période décisive qui
allait aboutir à la configuration actuelle, elle se sent emportée par la durée
maghrébine. Evoquant l'hiver 1954-55, elle écrit: "Mes amis étudiants et moi suivions l'actualité dans
les journaux, participions aux réunions d'information, bientôt aux manifestations contre
la guerre. Au nom de ce qui était encore pour moi antiracisme abstrait, de principe,
anticolonialisme fondé sur le récit de faits vécus ou de choix par des gens que
j'admirais. Un soir de cet hiver donc, des amis m'entraînaient au Collège Philosophique
où se tenait une conférence-débat rassemblant plusieurs écrivains maghrébins: Albert
Memmi, Driss Chraïbi, Kateb Yacine. Ce dernier, inconnu hors d'un petit cercle, parlait
avec fougue du roman qu'il finissait d'écrire, Nedjma,
et en particulier du personnage du petit colon M. Ricard, qu'il montrait victime du
système qui le faisait exploiter. En écoutant Kateb, on avait l'impression, malgré la
guerre commencée, que rien n'était perdu."."Un an plus tard, ajoutera
Jacqueline Arnaud, je dévorai, le jour même de sa
parution, Nedjma."
Nous sommes loin, vous en
conviendrez, de la course à cette vie de sybarite qu'elle aurait pu convoiter, sous la
couverture de participation à la vaste entreprise de dévoilement identitaire de pays au
lendemain de la "nuit coloniale". Les études littéraires maghrébines --mais
aussi celles de l'homme et de la Société maghrébins-- n'ont été à aucun moment pour
elle une occupation adventice, mais bien sa
préoccupation. Si nous assistons aujourd'hui --au Maghreb comme en Occident-- à un
pullulement d'écrits se voulant scientifiques à quoi donne le jour davantage le désir
d'être lu rapidement que la sincérité et les assises d'une quête, Jacqueline Arnaud
qui eût pu --beaucoup plus tôt qu'elle ne
l'a fait-- nous livrer son travail Recherches sur
la littérature maghrébine, a préféré donner progressivement à son oeuvre la
mâturité qu'atteignait sa pratique de la terre maghrébine, à mesure que les visites
répétées à la tribu --où la chaleur le disputait à la perspicacité-- donnaient
assise à une oeuvre et crédibilité à un propos.
C'est que la sympathie, voire
l'affection, ont toujours été chez elle antonymes de la complaisance. Si elle
considérait que la lecture du texte n'excluait pas "la participation à l'univers
de l'autre", cette participation se faisait toujours sous l'oeil vigilant de la
distanciation. Distanciation également à l'égard d'un discours aussi jargonnant que
suffisant qui inonde les universités intra et
extra-muros, et dont les billevesées
prétendument définitoires et conceptuelles masquent souvent l'impuissance de leurs
auteurs à atteindre les fibres du texte et se trouvent, de ce fait, maintenues à sa
lisière.
* *
*
Jacqueline Arnaud n'est plus. Que
nous laisse-t-elle? Un travail aussi tenace qu'original, inlassable quête pour déjouer
les multiples nodosités et réduire les résistances d'un texte qui lui devenait chaque
jour plus familier, armée qu'elle était de sa rigueur universitaire, et assistée de la
culture d'une terre qu'elle avait faite sienne.
Il y a quelques années, dans un
congrès international qui nous avait réunis à Paris, elle disait: "C'est d'abord à Paris que se sont rencontrés les
écrivains maghrébins des trois pays (...), que se réunissent les écrivains de la
nouvelle génération". A ce moment-là, ceux qui la connaissaient ne pouvaient
s'empêcher de penser que Jacqueline Arnaud avait fait de sa maison un haut lieu
d'écoute, où convergeaient les voix multiples du Maghreb, un sémaphore familier
d'Ulysse comme de Sindibad. Son encouragement et son aide étaient appréciés par les
étudiants surpris par le dédale du métropolitain, mais surtout par celui de la
recherche. Son amitié --toujours présente-- a vu nombre de plumes hésitantes,
timides, acquérir confiance et donner corps à des textes dont certains sont devenus
aujourd'hui des classiques des multiples anthologies, quand ils ne sont pas des espaces
de torture, surtout pour des lecteurs mal
avertis et des chercheurs trop confiants.
* *
*
Jacqueline, fille du "pays de
rafales et de gerçures, de sécheresse et de frugalité", tu quittas un jour la
France pour "un long chemin d'initiation parmi les rebelles aux civilisateurs"
qu'incarnait justement ton père. Tu as su dans ce fol "arrachement" à
toi-même "en un ailleurs", garder l'image du grand-père lisant la Revue des deux mondes, en même temps que tu
t'asseyais au milieu des femmes du douar "à même la natte posée sur la terre
battue"; "apprendre à se taire, à écouter", en présence de cet autre
ancêtre en "gandoura et guennour blancs" et au sourire "silencieux".
Tu étais celle dont le Leucate
nous est restitué avec ses senteurs de "bois impregné de moût", mais aussi
celle qui a su remonter patiemment et tenacement les noeuds de la tribu jusqu'à son
"point d'origine", sur la montagne de ses hôtes, pour écouter Si Abderrahmane
lisant le Coran, en même temps que se présente l'image du grand-père Clovis. Comme si
ton lieu de naissance, tout proche de la Narbonne "gallo-romaine" mais aussi
arabe, te prédestinait à être une résonnance fidèle autant qu'assidue de voix
sarrasines.
* *
*
Jacqueline,
soeur fraternelle
Aujourd'hui, tu
reposes en terre française, au Nord de la Loire
Mais ton corps
n'aura pas froid
Ton frère
Kateb nous a tendu ce voile qui t'est familier
Et nous t'en
recouvrons
Le vieux, notre
père, ton père ne paraît guère triste
Pourtant, il
lève ses yeux vers le ciel
Des yeux trop
usés pour soutenir cette lumière que tu as tant aimée
Et aussitôt
une cicatrice s'imprime sur notre soleil.
Tahar BEKRI
Paris
ADIEU,
JACQUELINE
Mercredi 14
janvier, Jacqueline Arnaud est décédée brutalement d'un arrêt du coeur à Paris. Un
hasard, et non des moins symboliques, voulut qu'elle fût enterrée au cimetière du
Père-Lachaise à côté de la tombe du jeune étudiant algéro-français Malik Oussekine,
tué à Paris lors des manifestations estudiantines de l'hiver 1986.
Ce fut en 1971 que j'ai connu
Jacqueline Arnaud. J'étais alors étudiant à l'université de Tunis. Jacqueline Arnaud
venait de bouleverser les études de Lettres françaises. Elle avait introduit dans les
programmes d'enseignement des auteurs maghrébins: Kateb Yacine, Driss Chraïbi, Mohammed
Dib, Mouloud Feraoun, etc.... L'Université de Tunis était alors en ébullition. Des
grèves interminables secouaient la vie universitaire; les étudiants réclamaient de
quitter le conformisme régnant et de donner une place plus large aux enseignements qui
répondaient aux questions posées à la Société tunisienne. Introduire des auteurs
maghrébins, à côté de Boileau, Bossuet, Racine, Corneille, etc... n'était pas sans
soulever, paradoxalement, le courroux des autorités universitaires et officielles du
pays. Nous considérions, quant à nous, ces auteurs comme les nôtres et leur accordions
une grande importance dans nos revendications. La littérature devenait ainsi un champ de
lutte, une voie vers le progrès et le questionnement du monde. C'était notre mai 68 à
nous. Cette contestation, à côté d'autres sur le plan syndical et
universitaire,,créait en nous une sympathie certaine envers Jacqueline Arnaud. Elle
était l'amie du Maghreb, sans ambages ni détours. Inconditionnelle de nos causes,
solidaire de nos jeunes voix. Ce sera une permanence dans les positions de Jacqueline
Arnaud. Peu de temps après, elle devra, avec d'autres enseignants coopérants, quitter
la Tunisie en 1973. Le conformisme était de rigueur et la littérature maghrébine
était si jeune et avait besoin de confirmer ses talents. Je me souviens toujours de ce
Doyen de l'Université qui ne comprenait pas comment les étudiants préféraient l'étude
de Kateb Yacine à celle de Corneille... En vérité, il fallait repousser une
littérature de la colère et de la désillusion. Les indépendances étaient si
fragiles et, officiellement, on acceptait mal toute critique, fût-elle par le biais de la
littérature. Or, la littérature maghrébine se distinguait par sa contestation et ses
prises de position souvent directes et vives.
Plus tard, en 1977, en exil à
Paris, je revis Jacqueline Arnaud, toujours fidèle et attentive aux auteurs maghrébins.
Elle soutint sa thèse de Doctorat d'Etat sur Kateb Yacine (principalement) en 1978.
Jacqueline Arnaud était ouverte à toutes les catégories d'analyse de la littérature
maghrébine de langue française. Essentiellement humaniste, au sens plein du terme, sa
lecture est avant tout une manière d'aborder et aimer les peuples du Maghreb. "Avant
la littérature, il y a les hommes", me disait-elle souvent, en se référant à son
ancien professeur René Etiemble dont elle appréciait l'ouverture et le savoir. Elle me
parla souvent de ce professeur et intellectuel, de sa générosité et de sa rigueur, sa
tolérance et sa méthode. Pour elle, les textes ne pouvaient être dissociés de leurs
auteurs. Ce qui ne manquait pas, à mon sens, de rendre l'analyse délicate et risquée.
Nous étions alors en période de bouillonnement théorique et il s'agissait surtout de
"dépassionner" l'approche littéraire... Or, justement, Jacqueline Arnaud
était une femme passionnée. Originaire de Beziers, elle était attachée à son
Occitanie natale et y voyait de nombreux points communs avec le Maghreb, notamment sur la
question de la langue. La littérature, c'est aussi le moyen d'aimer un peuple. Les
méthodes d'analyse sont des supports pour mieux réussir cet amour.
Nommée Professeur de Littérature
maghrébine à l'Université de Paris-XIII-Villetaneuse, Jacqueline Arnaud était une
infatigable militante du Maghreb au sein de l'espace francophone. Mais elle n'en était
pas moins attentive à sa situation par rapport aux circuits linguistiques: arabe
dialectal, arabe littéral, berbère, français. Elle avait commencé des études d'arabe,
malgré ses nombreuses préoccupations. Sa volonté était réelle de comprendre
pleinement le Maghreb, sa gestation , sa mutation. Un de ses voeux était de former un
groupe de recherches où seraient rassemblés des chercheurs sur les différentes
littératures du Maghreb.
A dix-neuf ans, me disait-elle,
elle avait commencé à découvrir les auteurs maghrébins. Convaincue de son
anti-colonialisme, elle sera l'amie de toujours de l'Algérie, pays où elle se rendra
plusieurs fois, en parcourant les différentes régions, malgré une santé fragile. Elle
verra fréquemment Kateb Yacine, en France puis en Algérie, et le filmera parmi les
siens. Jacqueline Arnaud était toujours émerveillée par la simplicité de Kateb et
considérait son oeuvre comme fondatrice. Souvent, elle pouvait me réciter des passages
entiers de l'oeuvre de Kateb. Une de ses grandes joies était de venir à bout de L'oeuvre en fragments, qui sera publié chez
Sindbad peu avant sa mort, et pour laquelle Kateb recevra le Grand Prix national des
Lettres en France en 1987.
A Paris, l'appartement de
Jacqueline Arnaud rue de la Chine ne désemplissait jamais. C'était la maison ouverte à
tous les amis: écrivains, collègues, étudiants. De nombreuses réunions se tenaient à
son domicile: il y avait tant de projets, de textes, de notes, de correspondances, de
travaux à diriger, de livres dédicacés à lire, de manuscrits à découvrir et à
juger, de thèses à examiner, de cours à préparer. Elle aura souvent besoin d'aide.
Kateb Yacine, qui résidant chez elle, peu avant sa mort, disait récemment en lui rendant
hommage lors d'une émission radiophonique à Paris, que Jacqueline Arnaud était morte
attelée à la tâche.
L'amour que portait Jacqueline
Arnaud aux auteurs maghrébins, et sa connaissance précise et approfondie de leurs
oeuvres me surprenaient toujours. Attentive aux jeunes auteurs, ses remarques étaient
de précieux conseils. L'avenir confirmera beaucoup d'entre eux. Plus qu'une universitaire
qui rayonnait par son savoir et sa modestie, Jacqueline Arnaud était une amie, une
soeur (comme aime le répéter Kateb) des peuples du Maghreb. Son oeuvre foisonnait de
réalisations mais aussi de projets. Voici quelques-uns de ses projets formulés avant son
départ brutal:
- Créer une
bibliothèque sonore et filmée des auteurs maghrébins.
- Consacrer un
numéro spécial de la revue Itinéraires et
contacts de cultures aux Amrouche.
- Organiser un
colloque international sur l'état de la recherche sur la littérature maghrébine.
- Mettre à jour
son Répertoire mondial des travaux et recherches
sur la littérature maghrébine de langue française.
- Faire un état
des traductions.
- Présenter
l'exposition Littératures du Maghreb,
actuellement réalisée par le CLEF.
- Diriger et
introduire quelques articles sur le mythe dans la littérature maghrébine de langue
française dans le Dictionnaire mondial des mythes
littéraires coordonné par Pierre Brunel
- Enfin, achever
l'écriture d'un livre autobiographique.
Puisse son oeuvre être poursuivie
afin de prolonger la volonté qu'elle a toujours eue.
Rabah BELAMRI
Paris
A LA MEMOIRE
DE JACQUELINE
ARNAUD
une feuille
tombe du ciel
touche le coeur
stupeur de la
pierre
panique de
l'oeil
et rien
n'arrête notre ronde
autour de la
nuit
Dimanche 18
janvier 1987
Hedi BOURAOUI
York
University, TORONTO (Canada)
LE NON-DIT DE
JACQUELINE ARNAUD
(Extrait)
Nul ne met en doute aujourd'hui,
hier ou demain, la passion de Jacqueline Arnaud pour le Maghreb, sa culture et ses
écrivains. Nantie d'une érudition classique, profonde et solide, elle a consacré toute
sa vie à la recherche sur la littérature maghrébine d'expression française et à la
découverte de nouveaux talents. Nous ne pouvons pas parler aujourd'hui, lorsque nous
faisons un bilan de son oeuvre critique, d'une approche systématique, d'une grille
méthodologique inébranlable, ou d'une méthode scientifique sans faille. Il s'agit
plutôt dans le cas de Jacqueline Arnaud d'une évolution intérieure qui lui a permis de
varier les approches et les perspectives, suivant l'inclination de son imaginaire ou la
nécessité des circonstances à un moment donné de sa vie.
Jacqueline Arnaud ne s'est jamais
leurrée dans sa démarche, puisqu'elle considérait que sa quête n'était point une
recherche scientifique, mais plutôt une quête "où, je l'avoue, et aujourd'hui ce n'est pas loin
d'être un crime aux yeux de certains, je me suis autant cherchée que je cherchais à
comprendre l'algérien, le Maghreb."[1]. C'est cet
aspect personnel, cet investissement de soi, ce dévouement et cette foi en l'autre qui
donnent à son oeuvre l'impact intellectuel et émotionnel caractéristique de toute
contribution originale.
Il existe dans la pensée de
Jacqueline Arnaud une lucidité souvent effrayante, car elle ne retient aucune illusion ni
dans le champ critique empirique ou normatif, ni dans le champ interprétatif, ou tout
simplement personnel. Cette tendance subvertit donc toute critique impressionniste pour
mettre en relief un certain éclectisme fluctuant entre imaginaire et réalité,
mimétisme et distanciation, en modifiant les perspectives dans les différentes étapes
de son travail. Jacqueline Arnaud est toujours consciente que ses conclusions peuvent
contenir ses préjugés ou ses partis-pris. Ses partis-pris sont souvent avoués et mis en
avant de son discours lorsqu'elle déchiffre la mythologie maghrébine, la tribu des
Keblouti chez Kateb Yacine, l'onirisme chez Khaïr-Eddine ou le romanesque et le
symbolisme chez Mohammed Dib. Et si nous retrouvons dans ses analyses judicieuses des
échos psycho-critiques à la Charles Mauron, historiques à la Lanson, mythologiques à
la Lévi-Strauss, ethnologiques ou linguistiques, ou autres, il n'en reste pas moins que
Jacqueline Arnaud s'attache toujours à la genèse de l'oeuvre, à l'équilibre judicieux
entre sources maghrébines, apport de l'Occident et processus créateur. Elle suit en
même temps l'archéologie de l'imaginaire et du savoir maghrébin tout en faisant un
travail d'archiviste pour mettre en lumière les richesses proliférantes des oeuvres
analysées.
* *
*
Voyons d'abord comment Jacqueline
Arnaud s'est totalement investie dans la culture maghrébine en général et dans la
cellule familiale et tribale de Kateb Yacine en particulier. Dans l'introduction à sa
thèse aussi bien que dans son écriture personnelle, elle avoue sans ambages qu'elle
fut adoptée par la tribu et la culture maghrébine. Cette adoption s'est faite le plus
naturellement possible: elle était prédisposée. Cela lui a permis, sur le plan de la
pensée, de retrouver des échos d'un passé sarrasin dans son propre héritage culturel
français. Dans ce beau texte poétique, l'ancêtre français et l'ancêtre Keblout
semblent être interchangeables du fait de leur similitude, mais ils gardent quand même
une zone d'ambiguïté dont Jacqueline Arnaud est pertinemment consciente:
"Leurre exotique de se passionner pour l'autre et ses
ancêtres, en une quête de l'inaccessible origine. Pour fuir mon père, j'ai quitté la
France, comme si elle ne pouvait plus rien m'apprendre, en un mouvement de détestation
pour la famille, l'institution, l'hégémonie imposée par la guerre et la torture. J'ai
fait un long chemin d'initiation parmi les rebelles aux civilisateurs qu'incarnait mon
père, officiant du savoir de la Troisième République. J'ai voulu rompre le lien
paternel. Séduction subtile du patriarcat! L'homme au guennour me lance en plein coeur: "Va dire à ton père
français que je suis ton père algérien." Adoption de l'étrangère."[2]
Le rapport passionnel qu'avait
Jacqueline Arnaud pour Kateb Yacine et son oeuvre l'impose comme l'autorité incontestée
sur cette oeuvre qu'elle ne cesse de révéler, d'analyser et de promouvoir. Mais cela ne
l'empêche pas de commettre parfois quelques distorsions analytiques par excès de zèle
ou de dévotion. Je citerai en exemple son article "Kateb le fondateur", publié dans la revue Dérives[3]. Là,
Jacqueline Arnaud insiste sur le fait que presque tous les auteurs maghrébins, et
particulièrement Boudjedra, n'ont fait qu'imiter Kateb, n'ont fait que lui emprunter
ses thèmes.
Mais Jacqueline Arnaud, la
critique, n'est point dupe. Elle reconnaît ses faiblesses et ses hésitations qui vont
jusqu'au reniement total. Dans une lettre qu'elle m'a envoyée le 19 décembre 1981 elle
me parle de Kateb et m'écrit: "D'où la grande
lassitude sur lui (Kateb Yacine), d'avoir à redire ce que j'ai déjà écrit sur lui, et
le côté elliptique de l'article que je t'ai envoyé. Je ne peux plus écrire sur lui,
sur une oeuvre qui ne se continue pas --ou pas comme je le voudrais. Le dialogue
lecteur-auteur est bloqué quand l'oeuvre se bloque. Je n'ai plus la fraîcheur ni
l'enthousiasme de jadis, même si j'arrive encore à faire des cours sur Nedjma (devant
un auditoire, je peux encore, parce qu'il y a une attente sensible)". Dans cette
même lettre, Jacqueline est tellement fatiguée et, disons-le, dégoûtée des
"piques empoisonnées", qu'elle termine en disant: "J'ai envie de faire du Thibétain et d'oublier le
Maghreb."
Ces fluctuations entre amour et
haine représentent bien les traits caractéristiques de la passionnée qui ne rate
aucun moment pour venir au secours de l'être aimé, de l'oeuvre admirée. Depuis 1972,
elle travaillait à acquérir la permission de rassembler les textes perdus, inédits ou
introuvables de Kateb. Non point qu'elle ait voulu se substituer à lui ou écrire à sa
place, mais parcequ'elle était trop éprise de cette oeuvre qu'elle n'aurait pas voulu
voir disparaître dans l'oubli. Jacqueline Arnaud a de nouveau réussi à décentrer le
temps pour faire "bourgeonner" les fragments de Kateb dans le "jeu incessant de dispersion et de rassemblement"[4].
* *
*
Il existe un autre aspect de la
personnalité de Jacqueline Arnaud qui n'est pas souvent très connu, et c'est son désir
profond d'écriture. Le texte que nous avons cité, Echo
des voix sarrasines, est un parfait exemple qui nous révèle une poétesse aux images
percutantes alliées au don de la critique, rigoureuse dans sa quête de l'origine.
J'ai connu Jacqueline Arnaud au
début des années 70, et elle m'a souvent parlé de son désir d'écriture. Elle m'a
même montré un manuscrit journal-roman autobiographique que j'ai lu et trouvé
fascinant, mais qu'elle n'a jamais voulu publier (par modestie? par intransigeance?).
J'espère que je n'offenserai pas sa mémoire en extrayant de ce texte deux poèmes:
MEDUSE
Claquement vif
des toiles et frisson des feuillages.
A travers les
courants d'ombres et de chaleurs,
Je gravis les
degrés du temple de la Peur,
Enivrante et
glacée, délicieux ravage.
L'insecte
adorateur du mâle avec carnage,
Immobile se
dresse en sacrificateur,
Et je suis cette
idole ivre de mon ardeur,
Statue
pétrifiée de religieuse rage.
Je suis Méduse,
ô Roi, mon Regard est la Mort.
-Quelle est cette
douceur qui coule dans mes veines?
Insolite langueur
lascive qui me tord!
Sans détendre en
ma main le geste de la haine,
Accolant l'acier
froid aux tiédeurs de son corps,
Mon glaive
tranchera la tête d'Holopherne.
LA REINE DE
SABA AUPRES DE SALOMON
Aux pieds de
Salomon sur le mont des acanthes,
La reine
s'abattit en ce soir de Sabbat
Sur l'ennui de
l'arène aux pieds du Roi des Rois,
Chancelant de ce
poids qui sans cesse la hante.
"Ecarte
les miroirs. Qui suis-je, Salomon?
Roi des Rois,
pour toi seul je déroule l'énigme
De mon attrait
vers toi à travers les déserts,
Plus secrète à
jamais de tant me découvrir.
Toi vers qui
j'ai marché écartant les mirages
Plus nue de
partager ta douleur sans orgueil,
Une angoisse sans
nom en cet ultime seuil
M'arrête
suspendue au bord de tes abîmes.
Roi mal encor
guéri des ans de ta jeunesse,
La mienne
t'interroge au seuil de cette mort,
Toujours plus en
secret incertain de ton sort,
Distrait de ton
empire, et lassé de toi-même.
Déchire la
douceur de ces pièges de sel,
O veilleur sur le
roc! Empoigne le trident,
Dissipant les
vertiges et les rêves du sang,
Arrache de la mer
le monstre du soleil!
Denise BRAHIMI
Université
Paris-7
KYRA / NEDJMA,
OU
LE LIVRE DE LA
SOEUR
Pour tout ce dont
nous aurions encore parlé,
longuement, au téléphone
De quel amour est-il question dans
Nedjma?
Ce n'est pas ainsi que je t'aurais
posé la question, je crois, mais peut-être aurais-je eu recours pour le faire à Kyra Kyralina.
Car tu aimais bien parler de
Panaït Istrati quand je te racontais comment je l'avais lu, au Caire, à l'hôtel du Khan
El Khalili.
L'inceste est un mot ennuyeux,
pour débutants au cours du soir freudien. Mais pas l'amour de Stavro pour sa soeur Kyra.
Car tout semble dit, ou plutôt clair, sans explication ni exégèse.
Les deux enfants ont ri ensemble,
chanté, dansé, avec leur folle de mère et ses prétendants. Ils ont eu peur ensemble
des apparitions terrifiantes du père accompagné du méchant frère. Ils ont pleuré
ensemble sur leur mère battue, enfermée, à jamais perdue.
Ils ont vécu ensemble leur
solitude d'orphelins faussement protégés par leur richesse, convoités et trahis par la
perversité de faux-amis. Stavro enfin a vécu la douleur d'être séparé de Kyra, que
jamais plus il ne retrouve, sans cesser pour autant sa quête, doublée de désespoir.
Comment ne pas penser à cette
autre recherche d'une étoile perdue, qui est au coeur du roman Nedjma?
Soeur-amante elle est aussi ravie,
pour un enfermement mystérieux et sans trace, qui voue le frère esseulé à l'errance,
à la dérive, aux tentatives misérables d'un impossible oubli.
Reste-t-il un amour possible,
sinon compensatoire et de substitution, après la perte de la soeur aimée?
Dans Nedjma comme dans Kyra, ce vide essentiel ouvre à la fois sur le tragique comme sentiment et sur le
picaresque comme genre romanesque au moins apparent, cafés, bouges, travaux dégradants
qui semblent recherchés autant que subis.
Dans l'un et l'autre encore, cette
dispersion de l'être (car on peut être à soi seul dispersé, sans qu'il faille être
plusieurs pour cela), cette dispersion du frère orphelin vient après la génération
des oncles encore héroïques, voire mythiques, bien que déjà déchus. C'est après la
défaite au moins partielle des oncles que Kyra et Stavro sont jetés dans le malheur. Les
deux temps ne sont séparés que par une pause d'inconscience qui dans le rythme du livre
est ressentie comme une ruse de leur destin.
Leur histoire, comme celle de
Nedjma, de Rachid et des autres, se joue au sein d'une histoire plus longue et collective
qui est celle de la tribu. Et leur inceste, si l'on veut le dire ainsi, n'est que la
réponse bouleversante de leur impuissance individuelle à lutter contre le fait
historique qui les englobe dans son tourbillon et les y noie.
La mère des deux enfants, comme
celle de Nedjma, et comme la cohorte de leurs amants ou prétendants, ont choisi de
sombrer dans l'éclat des fêtes et dans la débauche qui transmue leur agonie en feu de
joie. Reste que Nedjma, Rachid, Kyra, Stavro sont des survivants, blottis frileusement
entre frère et soeur pour se chauffer aux dernières braises du bûcher noirci. Pour
Rachid et Stavro privés de l'étoile-soeur, ne reste bientôt que la très petite chaleur
rougeoyante de la cigarette ou de la pipe qui les accompagne dans la nuit.
L'un et l'autre semblent savoir et
disent parfois que la perte de la soeur est le prix à payer pour les fautes passées plus
que pour l'espoir d'un avenir. Qui peut croire en effet que le Nadhor renaîtra? Le prix
pour devenir adulte? Il n'est pas sûr alors que le prix suffise, ni que l'échéance en
vaille la peine.
Le roman de Kateb Yacine ne permet
pas de connaître Rachid ni les autres vingt ans après.
On peut cependant admettre,
puisque le récit de Stavro est celui du vieil homme qu'il est devenu, une sorte
d'équivalence: si le jeune Stavro est à l'image de Rachid (ou l'inverse), le vieux
Stavro est comparable à Si Mokhtar; dans ce qu'il appelle sa malhonnêteté, son
insolence, son indifférence aux valeurs sociales, autant que par sa grande et cynique
intelligence du monde comme il est, c'est bien l'équivalent du vieux brigand; et à ce
titre il peut servir de père-initiateur à Panaït, comme Si Mokhtar à Rachid.
L'apprentissage cynique et l'amour
pour la soeur perdue sont les deux pôles dont l'écart violent crée le courant
romanesque à haute tension qui traverse Nedjma
/ Kyra, les deux livres de la soeur. leur
paradoxe est d'être si totalement lyriques par l'effet d'un amour exclu plutôt
qu'inclus. mais l'exclusion n'est qu'apparente. Car l'amour implose sous les mots même
qui ne semblent pas parler de lui.
Majid EL HOUSSI
Université de
PADOUE
A LA MEMOIRE DE
JACQUELINE,
MA SOEUR
Comment parler d'une femme morte
sans être inconsolé moi qui ai toujours porté le manteau bleu de la séparation
Comment dire la mémoire le
partage et la trace à l'oeil verni de berges grises qui écoute même de loin le silence
sec et friable
Jour noir et noires les pleureuses
jusqu'à l'opposé du jour - vert le cimetière où je l'appelle depuis la rue de Chine à
tue-tête - grandissent naufragés dans le cri
Noirs les hommes du dhikr transperçant de leurs impatientes larmes
l'averse du mot
Tant d'amis me touchent la main et
d'elle le regret nous rapproche et dresse tables et chemins pour que la vie se dise en
destin
Mais si la caravane se lève à la
suprême marche - ô fille du Sud et de ma tribu! - le voyage dans l'insoutenable silence
de nos pas ne me fait-il pas encore visiter d'autres ruptures?
Le vautour-roi s'est retrouvé à
l'heure promise dans l'aire de nos ombres et même au-delà avec toutes ses impasses
Il vole après les cimes exactes
où règnent l'orage et la vague là où fleurit le jujubier en fièvre du Nadhor
Haut il vola aux confins des jours
qui diffèrent le retour
Captif d'une rose ocre où le
poème fait une boue de notre sang
Une rose effeuillée depuis la
lumière d'hiver jour après jour pour vêtir de couleur rouge les flancs d'un peuple
assailli de deuils et au bout de l'élan tel un bouc épuisé reposant sur le dur silence
de sa voix
La langue se perd livrée ou
délivrée qu'importe!
Puisque les roses ne sont plus que
des ombres et que la scène est vide de fleurs
Et le torrent court encore à
l'embouchure et le nuage à la source
Mais le deuil d'un extrême à
l'autre contraire tarit les voix et tisse les crépuscules
Je séjourne encore dans les
cités où l'être décline où les nuits ne s'allument qu'à la mort des étoiles et où
les hommes se déchirent par les années de l'exil
Elle est passée comme ça devant
ma porte
Et puis elle est entrée dans le
pacte de mes yeux et dans la laine noire de mon coeur
Elle est entrée comme ça entre
deux fuites à Venise
Deux songes
Une joie têtue sous les fresques
de Giotto
Chez moi à Padoue
Pour vaincre le temps bousculé du
rêve nous avons lu les mêmes planches des jours sans rives et cherché la clé
triomphale de nos pas à ruelles et palais qui rendent aujourd'hui leur rougeur à
l'étoile qui saigne
Fragile et soutenue de tendresse
et d'audace
De moi à moi je te dirai qu'elle
était une syllabe d'été
Pour elle l' heure est peut-être
venue de vivre
Kamel GAHA
Université de
TUNIS
à Jacqueline
Arnaud
CHEMINS VERS
Si tu ne sais pas
chanter ton silence,
Tu n'es pas mûr
pour t'asseoir face à ta peur.
Les mots se
tiennent la main, amicalement, pour t'habiller, te réchauffer,
Te donner
l'espoir, t'inviter à l'éloge et à l'abdication, te remettre entre les mains des dieux.
Je te plains
d'être dans ton silence comme en pays d'iniquité.
Qu'y faire!
Sinon glorifier
le silence pour apprivoiser les mots?
J'entends sourdre
la rumeur qui monte en toi,
Irrépressible,
Et je te plains
d'être ainsi livrée à toi-même comme à une face incommensurable et étrange.
Etranger à
toi-même par la force du désir.
Mendiant sur des
sentiers déserts les bribes d'un rêve indicible.
Et de porter
ainsi la mort à bout de bras qui te donne la démarche
Ample et
incertaine de la houle battue,
Et de porter
ainsi la mort à bout de bras fait germer dans ta tête
Une herbe plus
douce que le renoncement,
Et de porter la
mort à bout de bras fait de ta cage le lieu du remous et du ressac.
Mais quelle
superbe, à l'affiche de la mort, se coupe ainsi des bruits de la vie?
Cet homme, cet
inconnu, est perdu pour les hommes.
Homme écho,
Homme de la
conciliation au sourire plus doux que le miel des orangers,
Homme de la fin
des temps,
Des accents de
pythie et des intonations de pleureuses tremblent dans ta voix.
Et d'être ainsi
abandonné à ton regard donne le regret du thym, de la lavande et du pain bis.
Mais.
Mais toujours ce
froncement des sourcils auquel la politesse imprime un air d'embellie naïve.
Et la naissance
de cette ride désabusée.
Et la démesure
qui bat le temps.
Mais quelle
hâte!
Quelle hâte sur
les traces du rêve!
Mais celle du
corps en qui lève le vent aveugle du désir.
Car "le vent
se lève"...
Et quel plus beau
cortège pour le troubadour pris au piège de sa parole
Que les corbeaux
et les buses!
Quelle tristesse
soudain assaillit le troubadour!
Et le regret le
prend au ventre comme le feu doux
Et soudain le
corps qui se souvient se rappelle au chant de tout son poids de contentement.
L'amertume a le
goût du fruit cueilli à l'aube.
Et c'est ta voix
homme écho.
Mais quel plus
grand contentement que d'être la voix d'un autre désir?
Mais la mort?
Mais le désir?
Quel silence
soudain
Cette qualité du
silence chez les êtres chez qui la mémoire est superfétation
Pure
Créatures
souterraines
Créatures
stellaires et artificielles
La mémoire est
toujours d'un manque
Il faut tuer la
mémoire pour faire l'homme.
Que la mer
inonde la conscience de l'homme!
Que son esprit
alcalin dissolve les décantations des joies faciles et la glu de l'abdication
Mer!
Imprègne-moi de
ta réserve!
Ta démesure
Tombe la hâte
stérile
Un blanc
vieillard au seuil de la nuit me fait signe de ses yeux déserts.
Pour habiter le
silence il faut faire provision de mots et de couleurs.
Jeanne-Lydie
GORE
Université
Paris-4
JACQUELINE
ARNAUD
J'ai rencontré Jacqueline Arnaud
à l'Université de Dakar en mars 1963 lors d'un colloque sur l'enseignement des
littératures africaines, organisé sous le patronage du Président Senghor. C'est à la
suite de ces journées et de leur corollaire à Fourah Bay College en Sierra Leone en
avril de la même année, que le voeu avait été retenu d'inclure des textes d'écrivains
africains dans le cursus des premiers et seconds cycles des Universités de langue
française et anglaise.
Jacqueline Arnaud est donc liée
dans ma mémoire à la naissance même de ce vaste mouvement de curiosité intellectuelle
pour les littératures et civilisations extra-européennes qui dans le contexte
français, et pour une simplification que certains ont pu juger abusive, a pris le nom de
Francophonie. Au demeurant, la communication de Jacqueline Arnaud manifestait combien
ses recherches se situaient déjà à un carrefour d'influences: elle portait sur "L'influence des traditions littéraires européennes
et des techniques nouvelles sur les écrivains nord-africains".
* *
*
Il était toutefois évident que
ce qui la fascinait dès lors c'étaient surtout les sources proprement maghrébines de
ces écrivains - sujet neuf à cette date et où elle fut initiatrice au sens à la fois
scientifique et magique du terme.
Agrégée des Lettres classiques,
profondément marquée par la tradition gréco-latine, elle avait alors déjà étudié
aux Langues Orientales et sur le terrain les trois dialectes d'arabe maghrébin et suivait
à l'Ecole des Hautes Etudes le séminaire d'Albert Memmi. C'est ainsi qu'elle devait
participer successivement à l'Anthologie des
écrivains maghrébins d'expression française, puis à l'Anthologie des écrivains français du Maghreb
et à la Bibliographie de la littérature
nord-africaine d'expression française 1945-1962.
Après trois ans de Maroc, en
pleine guerre d'Algérie, elle "passa" en Tunisie où elle devait enseigner cinq
ans à l'Université. C'est là que je devais la retrouver quelques années plus tard au
cours d'une mission. Bernard Leibrich, Jean Bernabé, tous ses collègues d'alors
témoigneraient mieux que moi de l'exigence de son enseignement, de sa passion à
analyser avec ses étudiants un texte de Nerval ou d'un écrivain contemporain. Je me
rappelle notre visite à la Bibliothèque de Tunis, nos promenades à Carthage, à Dougga.
Ouverte au présent, elle aimait aussi d'instinct les traces des antiques cultures qui
avaient marqué cette terre.
* *
*
Les vicissitudes universitaires
devaient conduire Jacqueline Arnaud à Libreville avant de la ramener définitivement à
Paris où nous avons collaboré pendant plus de dix ans tant à Paris-13 qu'à la
Sorbonne. C'est au Gabon je crois qu'elle mesura tout l'intérêt que pouvait présenter
pour des africains - fussent-ils de la zone sub-saharienne - l'ouverture à la
littérature maghrébine, parallèlement à un enseignement de la littérature française
proprement dite.
* *
*
En fait, le Maghreb n'avait cessé
de polariser tous ses efforts de recherche, comme allait en témoigner sa thèse de
doctorat d'Etat, présentée à l'Université de Paris-3 sous la présidence d'Etiemble le
7 décembre 1978. Un dossier photographique était joint au texte lui-même et
témoignait du point auquel ses recherches sur la littérature maghrébine l'avaient
impliquée personnellement.
Ainsi qu'elle l'a exprimé
elle-même dans son Introduction, ce qui l'a
attirée vers le Maghreb c'est cet "Oedipe
colonial" analysé par Jacques Berque dans Dépossession du monde et aussi la curiosité
d'une civilisation autre. L'élan était affectif qui poussait vers des hommes, des
coutumes, des paysages cette méditerranéenne qui se sentait au Maghreb "en pays presque plus familier qu'au Nord de la Loire".
Surtout, éblouie par Nedjma dont elle avait
suivi la genèse, elle avait voulu "comprendre", comprendre le monde intérieur
algérien ou arabe: "Ces impressions furent
le début d'une"quête" et non d'une "recherche scientifique". Une quête, dit-elle, où je l'avoue, je me suis autant cherchée que je
cherchais à comprendre l'algérien, le Maghreb: Maghreb, algérien fantômes pour parler
comme Michel Leiris. Mais comment prétendre qu'il est possible d'éviter totalement
illusions et mirages, parcequ'on est parti armé de raison raisonnante ou
dialectique?..."
En fait cette helléniste,
passionnée de tragédie grecque, en visitant familles et tribus, se proposait de
pénétrer un mythe, voulait le vivre de l'intérieur, en comprendre le fonctionnement:
les Keblouti en lieu et place d'Atrides. Mais le risque est là: "De cette plongée on ne remonte pas indemne". Elle-même l'a avoué, tous ses amis l'ont
éprouvé, le mystère même du mythe l'avait marquée et c'est ce qui en elle fascinait.
Au-delà du chercheur scientifique à qui l'on devait la plus puissante étude réalisée
et inégalée jusqu'à ce jour sur l'ensemble de la littérature maghrébine et sur Kateb
Yacine en particulier, il y avait la revenante d'un autre monde, celle qui avait survécu
à une expérience de dépossession de son univers premier. D'où parfois cette allure un
peu timide et même gauche, cette franchise exigeante, cette lucidité prophétique et en
même temps, et alors même qu'autour d'elle les deuils s'abattaient tragiquement, une
absence totale de retour sur elle-même, une lucidité indulgente à autrui, une bonté
très douce à l'égard de tous ceux en qui elle discernait une promesse d'avenir et à
qui, elle-même si fragile et souvent épuisée, elle souhaitait de tout coeur un destin
heureux.
A y bien réfléchir, la mort de
Jacqueline Arnaud le 14 janvier 1987, si elle nous prive d'elle cruellement, la restitue
me semble-t-il à sa vraie patrie, à la source même de ces mythes où elle ne cesse
d'étancher sa soif d'absolu et de tendresse, et de fortifier son grand courage à vivre.
Au nom de la Sorbonne et du Centre
international d'études francophones,
En mon nom personnel,
J'exprime à Madame Bernard avec
la gratitude de nos étudiants pour le don qu'elle leur a fait de la bibliothèque de sa
soeur, l'assurance de la fidélité avec laquelle nous conserverons le souvenir de
Jacqueline Arnaud.
Jean-Louis
JOUBERT
Université
PARIS-NORD
QUELQUES MOTS
POUR JACQUELINE
ARNAUD
C'est en 1963 que j'ai rencontré
Jacqueline Arnaud pour la première fois. Nous avions été invités à l'Université de
Dakar pour un colloque consacré aux littératures négro-africaines et à leur
introduction dans l'enseignement. Colloque inaugural et fondateur, d'où a procédé
l'immense travail accompli depuis lors pour légitimer et promouvoir les littératures qui
s'écrivent en français hors de France.
Nous étions jeunes sans doute et,
dans l'émerveillement de la découverte (les odeurs poivrées de Dakar, les ruelles
amicales de Gorée, l'horreur aussi, à la maison des esclaves, d'où l'on chargeait
autrefois le ventre des bateaux négriers...), nous ne savions pas que nous étions
embarqués pour un long voyage parallèle à la rencontre des cultures de l'Afrique et de
ses environs.
En 1973, j'ai été nommé à
Villetaneuse et, peu après, Jacqueline Arnaud y arriva à son tour: Madame Jeanne-Lydie
Goré souhaitait développer le Centre d'Etudes francophones et, inlassablement, elle
avait su aplanir toutes les difficultés pour que nous y fussions accueillis dans les
meilleures conditions. Jacqueline arrivait du Gabon, et elle apportait à notre Centre
sa connaissance chaleureuse de la littérature maghrébine, son rayonnement aussi qui
attirait déjà beaucoup d'étudiants souhaitant préparer une thèse sous sa direction.
Sans dresser un bilan exhaustif de
son activité à Paris-13, je souhaiterais souligner la marque qu'elle a laissée sur
quelques-unes de nos réalisations. Des colloques, bien sûr, ou des séminaires, des
journées d'études, comme ceux qui furent organisés en collaboration avec l'Université
Paris-4: sur les littératures insulaires, sur l'écrit et l'oral, sur les littératures
du Maghreb. Celui qui nous réunit aujourd'hui devait être, dans son dessein, le plus
ambitieux, comme un point d'orgue consacrant la maturité de l'activité littéraire
moderne au Maghreb.
Nous avons aussi réalisé le
projet d'une revue culturelle consacrée aux littératures francophones: Itinéraires, devenue pour raison d'homonymie
avec une revue déjà existante Itinéraires et
contacts de cultures (le projet d'ailleurs venait de nos étudiants, en particulier
Michel Guerrero et Bernard Magnier, et les bons maîtres n'ont fait que mettre leurs pas
dans ceux de leurs élèves: il y a là une ironie pédagogique que je trouve assez
heureuse). Toujours est-il qu'Itinéraires... demeure
aujourd'hui la seule publication universitaire entièrement dédiée aux littératures
francophones.
Tout ce travail avec Jacqueline
doit beaucoup à l'automobile. Comme je suis décidément piéton de banlieue et voyageur
en commun, j'ai souvent profité d'une place dans sa voiture pour rentrer, le soir, vers
Paris. Et dans les embouteillages de Saint-Denis, le long de la Seine, nous avons tenu de
longues séances de travail: pour régler nos petites affaires universitaires ou le
sommaire d'un numéro d'Itinéraires....
Souvent, elle me racontait la littérature maghrébine: un jeune poète de Tunisie, un
roman nouveau particulièrement excitant, un texte retrouvé de Kateb Yacine. J'ai
beaucoup appris, dans ces conversations à bâtons rompus et automobile arrêtée.
Dans des réunions plus formelles,
nous savions que son tempérament un peu abrupt (disons plutôt rocailleux), sa passion
aussi pour l'objet de sa quête intellectuelle, pouvaient l'entraîner parfois à
quelques expressions d'humeur devant les obstacles rencontrés: simples péripéties, qui
faisaient sourire ceux qui la connaissaient bien, -sauf dans les cas (c'est arrivé une
ou deux fois) où son sens de l'honneur avait été blessé par la mauvaise foi qu'on lui
opposait. Sans ranimer des querelles anciennes, je dois dire que j'ai bien aimé cette
intransigeante honnêteté: les flamboyantes inimitiés qu'elle laissait parfois
transparaître attestaient d'une belle fidélité à l'engagement de toute une vie.
Je terminerai en évoquant le
rayonnement de sa présence ici, dans une université à laquelle elle a beaucoup
apporté, par le bouillonnement de ses multiples projets. L'un des tout derniers, brisé
net par sa disparition, aurait été de travailler en étroite liaison avec les radios
locales. Ouverture sur le monde extérieur, qu'elle avait manifestée en faisant venir
beaucoup d'écrivains (Tahar Ben Jelloun fut l'un des premiers) pour les faire dialoguer
avec les étudiants. Elle rêvait aussi d'un film, d'une série de films sur les
littératures francophones... Elle a, pendant plusieurs années, animé des stages de
formation continue sur les relations des personnels communaux avec les travailleurs
immigrés. Dans ces stages, elle avait toujours insisté pour que priorité fût donnée
aux aspects culturels des problèmes de l'immigration, et donc que la littérature tînt
une place primordiale dans les interventions. Ce qui fut fait, à la grande satisfaction
des stagiaires.
Que ce soit de la part de ces
travailleurs sociaux ou des étudiants de ses cours habituels, j'ai toujours été frappé
de l'admiration affectueuse qu'on lui portait. Tant elle savait partager simplement le
pain et le sel de ses connaissances.
A nous tous, ses étudiants, ses
collègues, elle a beaucoup appris.
Merci, Jacqueline...
KATEB Yacine
JACQUELINE, MA
SOEUR
Elle est tombée devant moi un
matin, en me demandant: "où vas-tu?", car j'allais sortir, et c'est ainsi
qu'elle est partie, apaisée, presque souriante, emportée comme une feuille morte, après
les douleurs de l'opération, les heures passées dans une ambulance glaciale, en ce
triste hiver à Paris, elle, la méridionale! J'aimais tant son accent, fidèle aux
origines... C'était une fille du soleil, au coeur chaud et si attentive, subtile, d'un
tel courage, d'une telle générosité, d'un optimisme à toute épreuve, malgré
l'infirmité d'une enfance marquée par la poliomyélite. C'était une souffrance de la
voir marcher, monter des escaliers, risquant toujours la chute, l'arrêt du coeur qui
l'emporta, et bourrée de médicaments dont elle transportait une pleine corbeille, sans
jamais perdre son sourire, son ardeur au travail, sa merveilleuse force d'âme, toujours
prête à l'échange.
Nous nous sommes rencontrés à
Paris, en 1963, après une représentation de La
femme sauvage. La sympathie fut immédiate. Elle avait lu mon oeuvre. Elle l'avait non
seulement lue, mais littéralement habitée. Je me sentis souvent compris à demi-mot,
au-delà de toute espérance. Ce fut le début d'une longue amitié, au point que sa
thèse récemment parue porte cette dédicace: "A
Kateb, mon frère"... Je la revis souvent, et de plus en plus attentive. Elle
vint plus d'une fois en Algérie, seule ou avec moi. D'abord à Constantine, puis au
douar, où elle fit la conquête de toute la tribu, femmes et hommes, grands et petits,
car elle était allée, pour leur parler, jusqu'à apprendre l'arabe populaire...
A Constantine, pour mieux
pénétrer l'univers de Nedjma, elle rendit visite à un orchestre féminin. J'ai
retrouvé après sa mort ces quelques notes, mêlées à mes notes:
"La maison des fqirat[5] se trouve place
Sidi Djliss, non loin de la maison des nègres (dar
el wafan) auxquels les rites d'exorcisme les associent. On pénètre par un couloir en
chicane jusqu'à une cour, sur laquelle donnent deux étages de galeries à arcades
curieusement irrégulières, chaulées en bleu, comme c'est souvent le cas à Constantine.
Dans la cour, des femmes accroupies lavent dans une cuvette posée à terre, font cuire la
galette sur le kanoun, bavardent. Des couvertures de couleurs vives s'aèrent aux galeries
de tous les étages. Beaucoup d'animation, des appels dans tous les sens.
Les musiciennes se tiennent au
premier étage, dans une assez grande pièce ouverte sur la galerie par une porte que
voile un rideau. Le sol est couvert de linoléum, un tapis placé au centre. Une
banquette en équerre, pour les musiciennes, occupe le milieu de la pièce. A droite,
elle est continuée par des coussins posés à terre le long du mur, jusqu'à la porte:
les visiteuses s'y installent. Derrière les coussins, le mur de droite est caché par une
armoire. A gauche, par-delà la banquette, se trouve une alcôve, cachée par des rideaux.
Sur le mur qui fait face à la porte, des photos dans des cadres, une horloge styles
Lévitan 1930. C'est une pièce d'habitation ordinaire, mais habitée par qui? Les
musiciennes sont six femmes. L'une, qui a l'air de diriger, peut-être la maîtresse des
lieux, a une figure longue et blanche, l'air poli d'une vieille institutrice à lunettes,
elle porte un dentier, ses cheveux sont couverts d'un filet et entortillés en queue dans
un foulard. Je reconnais une noire déjà vue chez les nègres. Elle porte un foulard sur
ses cheveux courts. Une autre a une coiffure d'Aurésienne, construite en forme de
turban, avec plusieurs foulards. Sa figure édentée, camuse, lui donne un aspect de
sorcière; elle porte un collier d'ambre. Les trois autres aussi sont un peu goyesques,
vieilles rabougries, sans doute de bonnes grand-mères, proprement vêtues de gandouras
claires, bleu délavé, rose passé, blanc crème.
Elles s'installent sur la
banquette. On apporte un kanoun, sur la braise duquel on jette un peu de benjoin (jawi). Il s'agit surtout de tendre la peau des bendirs, que l'on passe et repasse au-dessus des
braises: cinq grands tambourins, plus un tar,
petit tambourin muni de rondelles de cuivre qui tintent quand on le frappe. Les
musiciennes essaient du doigt les tambourins, puis, ensemble, se mettent à jouer et à
chanter à pleine voix: je pense aux vieilles dévotes de l'église de mon village,
entonnant de toutes leurs forces et avec un terrible accent méridional les cantiques de
la messe ou des vêpres.
La femme pour qui a lieu la
cérémonie se lève. Elle est jeune, maigre et pâle, ses sourcils sont épilés et
redessinés d'un gros trait noir. Elle porte une robe bleue imprimée de plumes de paon.
Une musicienne lui pose une sorte d'étole rose sur les épaules, et la femme danse, de
façon saccadée, en secouant les épaules, la tête, comme pour se désarticuler, se
déhanchant à droite, à gauche, s'excitant, criant, provoquant l'hystérie. Une femme
plus jeune, sa soeur probablement, se lève pour la soutenir tandis qu'elle danse. Mais
elle titube et tombe. Le tam-tam cesse, les musiciennes s'arrêtent de chanter. On lui
donne à boire quelques gouttes d'eau de fleur d'oranger, à même l'aspersoir, on lui
verse du parfum sur le visage et elle se relève, le tam-tam et la danse reprennent. Une
troisième femme, plus âgée, assez lourde, paupières et visage bouffis, se lève à son
tour pour danser: c'est la mère ou la belle-mère. Elle est vêtue de rouge, coiffée
d'un foulard vert. on lui passe une écharpe rose, et elle danse avec la jeune, en
secouant les épaules; leurs visages sont désespérés, fanatiques, elles ferment les
yeux. La jeune femme s'écroule à sept ou huit reprises, et recommence, ses cheveux
dénoués balaient son visage, de droite à gauche, de haut en bas. On pousse des you-you,
la femme crie comme pour expulser d'elle tous les démons. Elle appelle à son secours
Kh.[6], l'invite à
danser pour seconder ses efforts. Celle-ci se lève, lourde, majestueuse, se met à
danser d'un pied sur l'autres en balançant ses jupes, souriante; elle dénoue ses
cheveux, pousse des cris saccadés d'encouragement. On lui passe une écharpe blanche, et
elle chante. La poudre de benjoin est renouvelée, une bouffée de parfum chaud s'élève
du kanoun, on verse des parfums sur les visages, les chevelures.
La femme qui danse est stérile,
et craint la répudiation, d'où cette cérémonie d'exorcisme, pour que les démons lui
sortent du corps. Cela coûte cher: cent dinars aux musiciennes et autant aux nègres chez
lesquels elle ira danser le lundi suivant. Elle est épuisée, mais réconfortée par les
encouragements des femmes, leur participation à son angoisse. Kh. lui prédit qu'elle
aura un fils qu'il faudra appeler Noureddine. le malheur est qu'il ne suffit pas de
danser pour guérir une stérilité qui est peut-être celle du mari..."
Jacqueline se passionnait pour le
Maghreb, qu'elle connaissait en profondeur, pour y avoir vécu et enseigné, sur le
conseil d'Etiemble. Elle se passionnait aussi pour l'Afrique noire. Elle m'envoya du
Gabon, son dernier poste à l'étranger, de longues lettres, des livres, des disques, des
photos. Même de loin, elle suivait mon travail, et lorsque je cessai d'écrire en langue
française pour fonder un théâtre algérien en arabe populaire, elle vint voir la
troupe à plusieurs reprises, et nous la retrouvions jusque dans nos tournées à
travers l'Algérie. Durant cette expérience, pendant plus de quinze ans, elle ne cessait
pas de me harceler pour que je me remette aussi à la littérature en langue française.
Mon dernier livre, L'oeuvre en fragments, n'aurait pas paru sans
elle, qui prit la peine de rassembler des textes oubliés, perdus et retrouvés uniquement
par ses soins, grâce à elle. C'est ainsi qu'elle entra dans mon oeuvre et ma vie,
parfois plus que moi-même... Qu'elle soit morte est pour moi chose inconcevable. A
présent, j'ai conscience de ne pouvoir lui rendre hommage qu'en achevant une oeuvre qui
est aussi la sienne.
Mouloud MAMMERI
Alger
LA REDEMPTION
DE CHAM[7]
"Les fils de
Noé étaient Sem, Cham et Japhet.
Cham fut le père
de Canaan...
Lorsque Noé
s'éveilla de son vin, il dit:
Maudit soit
Canaan!..
Que Dieu étende
les possessions de Japhet,
Qu'Il habite dans
les tentes de Sem,
Et que Canaan
soit leur esclave!"
(Genèse, 9)
"Le
royaume de Dieu ne vient pas de manière
à frapper les
regards...
On ne dira
point: Il est ici, ou bien: Il est là!
Car voici, le
royaume de Dieu est au milieu de vous!
(Luc, 17)
Cham abîmé,
as-tu su la
Bonne Nouvelle?...
Les temps son
révolus et le terme est venu -
De ta malédiction!
Cham libéré,
crie, hurle à tous les vents
Tes chaînes brisées.
Car le temps est venu,
Cette ère est celle des bris des
malédictions
Bientôt l'ange à la trompette
viendra:
Il ira
Du pôle au pôle
Et de l'Est au Couchant
Et dans tous les coins de la terre
sa trompette
Sonnera.
A mesure
Tomberont les murailles
Qui dessinent
En pierres dures
En pierres sûres
Les prisons des captifs assez
vains pour voir dans leurs geôles des paravents.
Aux éclats de la trompette
éclateront
Toutes les malédictions:
Celle des Peaux Noires
Celle du Travail Forcé
Celle des Femelles accoucheuses
Celle des minorités exilées des autres et...
d'elles-mêmes
Celle des
groupuscules...
Qui sont le sel de la terre.
Cham mémorieux, souviens-toi:
Il avait fait...
("Il",
c'est Lui...l'Irréfragable, les textes disent: l'Eternel)
Il avait fait des partages selon
Sa vieille manière:
Princière
Altière
Superbe
Et gratuite...
Le geste large du semeur!
Pourtant, Cham oublié,
Tu n'avais rien demandé
Pas demandé à naître
Demandé à être.
Non...Mais au Divin Maître Sa
solitude...
Pesait et...
Il te condamna...à Vie!
Avec Lui,
Cham désespéré, tu le sais,
C'est toujours comme ça:
A vie et...à mort!
L'Eternel ne fait pas dans le
détail et puis...
Ca ne Lui coûtait rien:
Il est aussi le Tout-Puissant.
A Sa Toute-Puissance il suffit
d'un mot,
Une syllabe!...
Fiat lux!...
Et la lumière fut!
La lumière cet immense cadeau
(Immense parceque tu le sais, Cham ébloui,
Ses dons sont comme Ses malédictions:
Ecrasants...
Sans mesure!)
La lumière l'Irréfragable la
donna aux autres:
Aux hommes
Aux chiens
Aux poissons de la mer
Aux pierres du chemin
Aux libellules
Aux mondes qu'un Verbe de Lui faisait germer
Dans l'Espace
Pour rien
Pour emplir le Vide
Parceque le Vide L'irritait
Pour que dans ce Vide il y eût quelque chose
Qui chantât Sa puissance
Qui fît écho à Sa gloire
Aux autres Il donna les troupeaux,
Les tentes mobiles
Les demeures fixes
Chaudes comme un sein chaud de mère.
Il leur envoya des anges pour leur annoncer la
Bonne Nouvelle
Il leur parla dans des buissons ardents
Il signa des pactes avec eux,
Mais...
Cham élu pour servir de pâture
au Destin,
L'Eternel est un grand artiste:
Il a horreur du sirupeux,
Des bonheurs plats.
Avec Lui ce n'est jamais: Ils furent heureux et ils eurent beaucoup d'enfants
La mer étale le jette dans d'insondables spleens
A Sa joie il faut la tempête
Les grands bouleversements
Il aime les éclairs,
Le tonnerre,
Les nuages de feu
Il trompe Ses états d'âme avec des déluges
Sa dextre venait de prodiguer le
bonheur sans histoire
Dans la boîte aux divins lots il
ne restait plus que...
La Malédiction:
Tu l'eus!
Dans le tas épars Sa gauche
préleva et...
Vlan!
Elle te colla la Nuit au fer rouge
sur la peau!
Noirs tous les deux!
(L'Eternel est un grand artiste:
Il ne souffre pas que les couleurs jurent!)
A tes pieds Il mit les entraves de
La servitude
A ton cou le collier rond
Des larmes
De la sueur
Et du sang...
Un seul monosyllabe,
Le même,
A peine amodié:
Fiat nox!
Et...
Tu en eus pour une éternité de
Nuit!
Car avec Lui,
Tu le sais, Cham disgracié,
C'est toujours comme ça:
Toujours pour les siècles des siècles!
Mais, Cham,
L'heure est venue et
Quand l'heure vient,
Rien ni personne ne peut en
arrêter l'explosion,
Pas même ton Divin Maître.
Ta malédiction, vieux père
endolori,
A les griffes sur le cou
Elle va rendre gorge
Tes poumons vont respirer
Et la prochaine aube
Se lèvera
Rouge
Pour toi
Vois comme le monde est beau
Aux yeux désasservis
Suce comme le lait est bon
Et fraîche l'aube
De qui ne s'y
lèvera plus pour chercher l'eau des autres
Entre...
Ou sors...
C'est comme tu veux, Cham
désenchaîné,
Car la tente est au maître
Et le maître c'est toi,
Enfin toi,
Cham sauvé!
Ou bien non!
Vieux père, non!
Ne te laisse pas
prendre au piège éventé de
La bénédiction
Les oripeaux,
Les troupeaux,
Les pipeaux,
Jette-les au vent
Et que le vent les prenne!
Ouvre la tente aux vents
Aux hôtes de vent
Aux gazelles frêles
Aux amants fascinés
Aux fleurs.
Cham allégé,
Les tentes n'ont plus de maîtres
Et les gazelles plus de chasseurs...
Nous les avons exilés dans le désert et la race...
S'en est perdue depuis.
Ils ne subsistent plus
Que dans les
récits de nos mères-grands
Quand elles
veulent effrayer les enfants
Les tentes
Les gazelles
Les amants
Et les fleurs
Ont ressoudé la joie des jours
Réconcilié la terre des hommes
Le marteau a brisé tous les fers
Où que tes pas te portent
Tes pas sont libres
Le bois des barrières a brûlé
Au feu que nos
mains libres ont allumé
Pour qu'au vent
s'envole la cendre de la
Vieille malédiction
On a lavé tes yeux de leurs
larmes,
Car à quoi te
servirait désormais le sel de tes larmes?
Cham rédimé
Lève la tête
Et vois:
Plus rien ne subjugue ton cou vers
la terre
Lève tes paupières lavées de
leurs larmes,
Lève et...
Au ciel qui rit
Ouvre le rire de
tes yeux, car...
Après tant de
jours perdus
Et tant de
siècles engeôlés,
Cham maudit,
Cham sauvé
Pour toi aussi...
Enfin...
Cham...
Enfin...
Fiat lux!
Abdallah
MDARHRI-ALAOUI
Université
Mohammed V, RABAT
A Jacqueline
Arnaud
J'ai connu notre
regrettée Jacqueline Arnaud d'abord en tant qu'étudiant (ses travaux sur la littérature
algérienne, et en particulier sur Kateb Yacine, m'ont beaucoup aidé dans la
recherche), puis en tant que collègue (lors de discussions que nous avons eues de 1980 à
1986 à Rabat puis à Paris pour oeuvrer au développement des relations entre nos deux
universités). Jacqueline Arnaud était, pour nous, exemplaire pour ses diverses qualités
intellectuelles. Je n'en retiendrai ici que deux: celles qui cadrent le plus avec l'esprit
de cette rencontre.
1°/ L'ouverture à la culture de
l'autre, en l'occurrence celle du Maghreb, dans ses différentes expressions: arabe,
berbère et française; orale et écrite.
2°/ La persévérance dans la
recherche universitaire pour faire connaître et reconnaître la valeur de la
littérature maghrébine d'expression française.
Aussi peut-on dire que notre
collègue a contribué largement à la consécration récente de cette littérature:
celle-ci vient d'être honorée en la personne de l'écrivain Tahar Ben Jelloun. Cette
consécration est l'aboutissement d'un travail de longue haleine que les écrivains
maghrébins n'ont cessé de déployer. mais chacun sait combien l'Université a
contribué à faire connaître cette littérature; combien, à travers des démarches
intellectuelles diverses, elle a mis en évidence sa richesse et ses spécificités.
Jacqueline Arnaud fut l'une des
rares parmi les universitaires français à consacrer la majeure partie de ses travaux au
Maghreb, et plus spécialement à la littérature maghrébine d'expression française. Ni
les difficultés rencontrées ni les blessures de l'Histoire n'ont entamé sa conviction
essentielle: le dialogue des cultures.
C'est à ce dialogue des cultures
que nous sommes aujourd'hui conviés, c'est ce dialogue que nous souhaitons poursuivre.
Pour sa part, le Groupe d'études
maghrébines de l'Université Mohammed V de Rabat (G.E.M.), fidèle à l'esprit de
Jacqueline Arnaud, a l'intention d'organiser un colloque international consacré aux
études littéraires maghrébines d'expression française. Forts des résultats de
l'actuel colloque, qui seront importants, nous en sommes convaincus, nous voudrions en
approfondir les domaines de recherche les plus féconds.
Nous souhaitons un grand succès
au colloque Jacqueline Arnaud.
Mansour M'HENNI
Faculté des
Lettres de KAIROUAN
LA LECON
Travailler sur la littérature
maghrébine de langue française est un choix scientifique; se passionner pour elle est
une philosophie. Dans un cas, cette littérature est considérée comme un corpus, une matière à partir de laquelle on peut
réfléchir à des techniques esthétiques ou à des expériences humaines; dans l'autre
elle est une expérience existentielle à laquelle on demanderait de changer la vie en
changeant les rapports entre les hommes. La relation de Jacqueline Arnaud à cette
littérature me semble relever du second ordre; c'est la vraie leçon que je me sens en
devoir de tirer de la vie et de la mort de celle qui avait, la première, excité mon
intérêt littéraire par des textes d'auteurs maghrébins de langue française.
Dix-huit ans durant, Jacqueline
(elle voulait que je l'appelle ainsi) a "appris à vivre au milieu" des
maghrébins, surtout les Keblouti, pour rendre compte des rapports esthétiques et
philosophiques que la littérature maghrébine avait avec l'imaginaire des autochtones.
Ainsi, cherchant à mieux connaître leur littérature, Jacqueline a fini par connaître
convenablement les Maghrébins - les connaître dans le sens où la connaissance est le
premier pas vers l'amour. Et de fait, elle les aima du fond de son coeur. Je n'ai pas à
citer ici tous ceux qui ont pu trouver auprès d'elle l'hospitalité et les soutiens
moraux et financiers et qui ont, par conséquent, réussi à s'ouvrir un chemin dans la
vie après que les portes leur en avaient semblé fermées. Je me contenterai de cette
relation singulière qui liait Jacqueline à Kateb Yacine. Le hasard a d'ailleurs voulu
que sa mort soit la consécration de cette relation puisqu'elle est morte devant lui,
"un matin de janvier, d'un brusque arrêt du coeur" (Lettre
de Kateb).
Là, je me souviens qu'un
après-midi de juin elle m'avoua ne pas réussir à interviewer Kateb, me demandant de
faire ce travail pour elle; car elle avait l'intention de publier dans un volume
l'ensemble de ses articles et des interviews qu'elle avait réalisées avec des auteurs
maghrébins de langue française. Pourtant, elle avait consacré à l'auteur de Nedjma la majeure partie d'une thèse dont la
valeur scientifique n'est plus à prouver. C'est dire combien cette femme était capable
de faire la part des choses et de travailler au-dessus de ses sentiments les plus forts.
Il faut avoir du coeur pour cela, et souvent c'est cela qui fait flancher le coeur.
En fait il me semble qu'au-delà
de l'amitié -vraie- entre Kateb et Jacqueline, celle-ci avait trouvé en celui-là le
symbole de la littérature maghrébine de langue française et son digne représentant.
Hérétique indomptable, Kateb crachait le feu des siens, "ajoutant au flux masculin le reflux pluriel".
Poète génial et esprit fondateur, il traçait devant ses semblables les plans futurs de
l'action politique et de la création littéraire. Bref, Kateb était cet alchimiste qui
transcendait le langage populaire dans le royaume du divin: une façon comme une autre
-sans doute mieux que d'autres- de niveler les individus entre eux ainsi que les peuples.
Cela me semble être l'objectif de l'écriture katébienne en particulier et de la
littérature maghrébine de langue française en général, et cela me semble être le
port d'attache de Jacqueline dans cette littérature.
La philosophie de Jacqueline
concernant la littérature maghrébine de langue française est donc que cette
littérature est l'espace où doit germer un nouvel humanisme fondé sur la tolérance,
plus même sur la communion avec l'Autre sur les
bases d'une communication sincère et d'un échange franc et respectueux; l'espace où
s'écrouleront tous les systèmes totalitaires et tous les ethnocentrismes en vue d'une
conception nouvelle des rapports entre les êtres et les civilisations pour fabriquer
l'Homme universel: non plus conçu conformément à un modèle préalablement choisi, mais
rendu capable d'accepter tous les hommes malgré leurs différences, je dirais même pour
leurs différences; car dans ce monde nouveau les différences ne seraient plus une source
de discorde mais d'enrichissement mutuel.
C'est sans doute pour mieux porter
la voix de cette philosophie que Jacqueline aurait aimé voir Kateb revenir à l'écriture
et éviter "le dépérissement de l'écrivain". Lui, doit entendre sa cause
autrement puisqu'il continue de lutter contre "un autre colonialisme". Quant à
moi, je n'en finis pas de me demander qui, de Jacqueline ou de Kateb , est resté à la
fin plus poète que l'autre.
Lucienne SAADA
CNRS, Paris
GOUTTE D'EAU
BRULEE PAR L'ECLAIR
Malte, Hammamet, Amalfi, Djerba
cachée, Djerba gâchée, étapes d'un questionnement en compagnie d'aînés et de
cadets prestigieux; l'esprit de la Méditerranée draînait nos enthousiasmes et nos
énergies creusées par un espoir lancinant, le dialogue, la communication, et cheminait
comme affriandé vers un lieu de pèlerinage aux sources pures.
C'est par là que je rencontrais
pour la première fois une collègue tellement réservée: oasis de silences quelquefois
brûlants, sourire distingué, visage au dessin fascinant à bout de doigts retrouvé par
un artiste gigantesque, érudition talentueuse; voici un peu Jacqueline Arnaud, une femme
forte s'il en fut.
Son amitié, il fallait l'imaginer
par touches, pas à pas; mais son rayonnement était gratuit; depuis les salles de
congrès ou d'Ecoles réputées jusqu'aux cafés modestes, toujours un ton serein
assurait la pérennité des échanges scientifiques et barrait la route, en secret, aux
zélés, amateurs de choix bornés quelquefois dévastateurs.
Après ce dîner fastueux, en sa
maison, Amalfi fut notre dernière rencontre avant celle du mois de décembre 1986 dans la
petite librairie parisienne autour de Kateb Yacine où Jacqueline me parut plus lasse
qu'à l'accoutumée.
Jadis.... tributaires d'avions,
métros et trains aux trajets mal précisés un jour de grève, nous décidâmes après ce
congrès d'aller ensemble revoir les ruines de Pompéï et surtout découvrir les
nouvelles salles ouvertes au public. Un soleil frileux, puis tiède puis
"ruisselé" fut de la partie; et toute la beauté et toute la tristesse du monde
s'étaient coulées dans l'ombre de la cité antique consumée; pourtant elles ne
parvenaient pas à investir l'immense champ de fouilles où flottait quelque enivrante
odeur de terre, où la surprise esthétique était lovée à chaque détour de ruelle,
somptueuse parfois. D'un émerveillement à l'autre, une tension née du regarder
ensemble, religieusement, silencieusement, nous tint lieu de toutes les nourritures et
donnait des ailes à nos jambes lors de ces parcours d'ordinaire exténuants. Comme en un
rêve! Moment privilégié. Qualité d'un temps en nuances, déroulé; léger, allégé,
scintillant; là, ses ailes au bord du chemin nous effleurent. Grille immémoriale,
évasion de soi vers soi.
Faste fut la visite du Colisée et
du Forum de la capitale italienne, le lendemain. Arrivée et halte sous l'arche de Titus.
L'une contemple, à droite, le magnifique cheval sculpté; elle en repaît son regard;
l'autre revoit, en face, la procession des juifs palestiniens vaincus, portant le
chandelier à sept branches, derrière la monture du général romain.
Dire sans mots, nuire;
Blasphème, injonction
douloureuse, épreuve,
Zeste de croyance infondée,
Relent du passé sans
miséricorde;
Sérénité relâchée, avortée
face à la pierre...
après quoi nous
nous séparâmes....
Personne ne voit mourir les
papillons.
Taïeb SBOUAI
Paris
A Jacqueline
Arnaud
Jacqueline Arnaud nous a quittés,
c'est effroyable et j'ose à peine y croire! Je la revois encore, la veille de son
décès, attablée dans sa cuisine pour le petit déjeûner, et, bien que convalescente,
un sourire aux lèvres, elle m'accueille avec un: "Alors, l'homme aux livres?",
façon de railler ma vocation tardive pour le métier de libraire. Et à Kateb Yacine
d'ajouter: "Puisque c'est ton métier, essaie de me procurer L'Affaire Jésus." C'était entendu, je
faisais, en me transformant en libraire, des ordalies un métier; nous en avons beaucoup
ri. C'est qu'avec Jacqueline Arnaud dont je fus le voisin de quartier tout en étant
tour à tour l'auditeur libre de son séminaire de la rue d'Ulm et le jeune collègue de
l'Université de Villetaneuse Nous avons toujours ri de situations cocasses lues,
vécues ou racontées: les "gags" montés ou racontés par Kateb Yacine et
Jean-Marie Serreau étaient l'une des sources que nous fréquentions. J'entends encore
Jacqueline rire aux éclats en racontant comment Jean-Marie Serreau se débarrassait des
visiteurs importuns en jouant de son oeil de verre: exhibant un globe blanc à l'endroit
de l'oeil à tel visiteur au moment où il s'y attend le mois, ou présentant son oeil au
creux de la main à tel autre...
En perdant Jacqueline Arnaud, je
perds une complice, une soeur et un soutien, sans savoir expliquer à mes enfants où
était passé l'être familier de toutes les fêtes.
Mais s'il me faut lui rendre
hommage, je dirai que l'Université française a perdu un pionnier, et la littérature
francophone un critique profond et averti.
Habib TENGOUR
Université de
Constantine
PIERRE 1.
Jacqueline
m'ouvrait souvent la porte
aujourd'hui je
m'étonne qu'elle soit morte
celle qui
savait dire voyante n'est plus
qu'un rêve
dans la nuit d'un coeur meurtri
unie à la
pierre l'âme guette encore
encerclée
comme le frère bien-aimé
loin les jours
s'en vont gerçures d'hiver
indicible la
peine elle demeure
nouée là où
nul ne peut la voir
étoile
vacillante silencieuse
entre dans le
jardin
sereine ô
réjouie
tu es vivante
morte je ne
crains pas cette mort
onde pure mon
sommeil sans fin
retour calme au
vertige
très ancien de
ma vie
enveloppe usée
Extrait de la revue Itinéraires et contacts de cultures, Paris, L'Harmattan et Université Paris 13, n° 10, 1° semestre 1990. | |
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[1]/ ARNAUD (Jacqueline). La littérature maghrébine de langue
française. 1) Origines et perspectives. Paris, Publisud, 1986, p.11.
[2]/ ARNAUD (Jacqueline). Echos de voix sarrasines. Peuples
méditerranéens (Paris), n° 30, Janvier-mars 1985, p. 79.
[3]/ N° 31-32, pp. 101-115.
[4]/ KATEB (Yacine). L'oeuvre en fragments. Textes rassemblés
et présentés par Jacqueline ARNAUD. Paris, Sindbad, 1986, p. 13.
[5]/ Faqir signifie
à la fois pauvre et religieux, mais aussi magicien.
[6]/ Khadoudja, vieille tante aujourd'hui décédée. C'était
une veuve inconsolée depuis l'assassinat de son mari, un des personnages de Nedjma.
[7]/ Texte envoyé par Mouloud Mammeri pour les Actes du Colloque Jacqueline Arnaud le 16 février 1988, peu
de temps donc avant sa mort accidentelle.