Khatibi, lecteur de Barthes. Ecriture de la marge dans Amour bilingue et Le Plaisir du texte, Figures de l'étranger et S/Z et La Mémoire tatouée et Roland Barthes par Roland Barthes - Thèses - Limag
Recherche en cours
Veuillez patienter
Thèse

BEN AOUN, Tahar
Khatibi, lecteur de Barthes. Ecriture de la marge dans Amour bilingue et Le Plaisir du texte, Figures de l'étranger et S/Z et La Mémoire tatouée et Roland Barthes par Roland Barthes
 
Lieu : Université de La Manouba de Tunis, Faculté des Let
Directeur de thèse : M. Habib Salha.
Année : 2012
Type : Thèse - 3ème cycle
Première inscription pour les thèses : ,
Langue : Français
Notations :

Khatibi, lecteur de Barthes. Ecriture de la marge dans : Amour bilingue et Le Plaisir du texte, Figures de l’’étranger et S/Z Et La Mémoire tatouée et Roland Barthes par Roland Barthes.
Problématique :
En nous référant aux différentes théories de la réception, nous pourrions nous interroger sur le profil de Khatibi, lecteur de Barthes. Khatibi est-il ce « lecteur implicite » que Wolfgang Iser définit comme celui « qui incorpore l’ensemble des orientations internes du texte de fiction pour que ce dernier soit tout simplement reçu. ». Ou est-il ce « lecteur modèle » dont parle Umberto Eco et qui serait « capable de coopérer à l’actualisation textuelle de la façon dont lui, l’auteur, le pensait et aussi capable d’agir interprétativement comme lui a agi générativement. ».
Serait-il ce « lecteur abstrait » qui, aux yeux de Jaap Lintvelt, « fonctionne d’une part comme image du destinataire présupposé et postulé par l’œuvre littéraire, et d’autre part comme image du récepteur idéal capable d’en concrétiser le sens total dans une lecture active. ». N’est-il pas, plutôt, ce « lecteur réel » dont parle Picard et qui s’opposerait à tous « les lecteurs théoriques (… [qui]) représentent certes une avancée scientifique ; mais leur caractère abstrait, narrataire pris dans le texte ou lecteur « inscrit », archi-lecteur ou lecteur modèle, lecteur historico-sociologique ou consommateur ciblé, tout en eux semble ascétiquement, cagotement finir devant cette obscénité : le vrai lecteur a un corps, il lit avec. »?
Il est évident, en l’occurrence, que Khatibi en tant que lecteur réagit en tant que philosophe, poète, romancier maghrébin ou pour emprunter sa propre expression en tant qu’intellectuel « décolonisé » qui lit et écrit pour dire sa différence. Mieux encore, Khatibi est, aux yeux d’Alfonso de Toro, l’un des fondateurs si ce n’est le maître, du « système épistémologique » maghrébin et a été, avec ses ouvrages : L’Amour bilingue (1983), Maghreb Pluriel (1983), Penser le Maghreb (1993), parmi « les premiers à formuler des théories et des concepts devenus, quelques années plus tard, main stream dans la théorie de la culture internationale. ». Ayant pour ambition de se défaire de tout impérialisme culturel ou linguistique, ce système épistémologique se situe, rappelle de Toro, au confluent des épistémès de l’Islam et du Christianisme, de l’Orient et de l’Occident » et a donné à la théorie de la culture internationale des outils précieux d’analyse, comme les notions, aujourd’hui capitales, d’hybridité, de passage, de transversalité qui permettent de déconstruire la représentation hégémonique de la culture, de la francophonie, de l’identité, de la nation au profit d’une « société aux multiples identités et références culturelles. ». C’est Abdelkébir Khatibi, écrivain des différences, des passages, des interfaces et des marges qui demeure le « fondateur des stratégies planétaires culturelles, littéraires et politiques » et le promoteur d’une « pensée autre », décolonisée, se pensant en dehors « de tous les concepts traditionnels de nation, d’identité, de culture, ainsi que des stéréotypes concernant l’Occident et l’Orient. ». Cet élan d’altruisme, de compréhension et de communication avec l’Autre explique, en grande part et à nos yeux, les rapports étroits entre Khatibi et Barthes et l’hommage laudatif que celui-ci lui a rendu. De son côté, c’est en homme de culture, ouvert et affranchi de toute idée préconçue que Barthes interagit avec Khatibi et / ou les autres.
C’est dans cet esprit de lecteurs empiriques qu’ils présentent, exempts de tous complexes et de tous préjugés que nous percevons l’interaction Barthes – Khatibi et proposons d’approcher leurs œuvres. Il va sans dire que, depuis longtemps, tout ce qui n’émanait pas d’un français de souche était mésestimé et pris pour mineur. A notre grande surprise, Raymond Queneau proposait, en 1958, au troisième tome de L’Encyclopédie de la Pléiade (Gallimard) le titre de : Littératures françaises connexes et marginales* ! Le suisse Dominique Combe se plaignait encore, en 1995, que le regard franco centrique n’a pas beaucoup évolué et que les seuls écrivains francophones à figurer au programme des agrégations de Lettres étaient Senghor et Ionesco!
Parler de marge, dans ce contexte, suppose de ne pas perdre de vue les frontières géographiques ( Occident / Orient ; Orient / Maghreb ; Europe / Maghreb…) ; culturelles ( occidentales / arabo-musulmanes ; occidentales / africaines ; africaines / maghrébines) ; disciplinaires ( littérature / sociologie / philosophie/ psychanalyse…) ; linguistiques (quel usage du français ? puis, français / arabe ou toute autre langue vernaculaire ) ; littéraires ( les différentes tendances de la critique littéraire : formalisme, néo-formalisme, structuralisme, sémiotique textuelle, sémanalyse, etc. et les divers courants : réalisme, symbolisme etc.). Mais Khatibi et Barthes sont-ils favorables à ces cloisonnements étanches ? N’œuvrent-ils pas pour une certaine transversalité présentée, souvent, comme salutaire ? En quoi leurs approches se distinguent-elles d’autres expériences comme celle d’Edward Glissant dont le projet vise à favoriser la manifestation du Divers et son épanouissement en relations multiples et croisées ? Son rêve, utopique diront certains, du Tout-Monde, en 1997, recoupe avec ce souci de transversalité perceptible chez nos auteurs du corpus. Plusieurs notions peuvent être, d’ailleurs, associées à ce concept de marge. Citons, à titre d’exemple, carrefour, l’entre-deux, passage, transition, synapse, seuils, confins, lisières, frontières, lesquelles notions montrent que c’est par cette propension à la marge que s’opère la transition vers l’Autre, vers l’Ailleurs. C’est la quête de la marge qui permet d’échapper au confinement dans le local. On est, ainsi, avec cette problématique de la marge, dans la dialectique de la clôture et de l’ouverture. Evoquant Michel Foucault, Michel de Certeau souligne qu’ « être classé, prisonnier d’un lieu ou d’une compétence*, galonné de l’autorité que procure aux fidèles leur agrégation à une discipline, casé dans une hiérarchie des savoirs et des places, donc enfin « établi », c’était pour Foucault la figure même de la mort. Non, non. L’idée fige le geste de penser. Elle rend hommage à un ordre. Penser*, au contraire, c’est passer*, c’est interroger cet ordre, s’étonner qu’il soit là… ». Démarche qui rappelle celle de Montaigne quand il proclamait : « nous pensons toujours ailleurs » et qui remonte à Socrate, lequel se présentait comme citoyen du monde, donc, par refus de tout égocentrisme, de nulle part !
Présentation succincte des œuvres du corpus :
• Le récit, Amour bilingue, d’Abdelkébir Khatibi, publié, en 1983, par Fata Morgana à Montpellier, ne se plie pas aisément aux critères traditionnels d’analyse et de classification des œuvres littéraires puisqu’il se distingue par l’absence d’intrigue et que les personnages, trop faiblement caractérisés, s’y réduisent à des simples personnes grammaticales : la langue y est, en fait, le corps et l’esprit. « La question du bilinguisme, récurrente dans l’œuvre de Khatibi, note Abdelilah Elkhalifi, n’a vraiment trouvé sa dimension poétique profonde que dans Amour bilingue (1983) avant de voir asseoir ses bases théoriques dans Maghreb pluriel. » Le Plaisir du texte de Barthes, publié, en 1973, dans la collection « Points », chez Seuil, à Paris, est, en somme, le journal du plaisir projeté dans la généralité. « Comment, s’interrogeait Barthes dans une note manuscrite, parler du plaisir autrement que sans ordre, par notes ? » Comment s’opère, dans ces deux œuvres et chez ces deux penseurs, le rapport à la langue et au texte, indépendamment de la doxa ? C’est ce que nous tenterons de voir dans ce travail.
• Avec Figures de l’étranger dans la littérature française, essai publié, en 1987, à Paris, par Denoël, Khatibi nous introduit, souligne, avec euphorie, Abdelkader Mana, dans une « critique maghrébine de la littérature française. L’Occident n’a plus le monopole d’être le « juge » de l’Afrique ; l’Afrique observe l’Occident ». En fait, Khatibi ne s’y prend pas, aveuglement, à l’Occident mais choisit des auteurs positifs comme Aragon, Segalen, Barthes, Duras, Genet, pour mettre en valeur, dans leurs œuvres, cette perception plus humaine, plus valorisante de l’Autre qui rompt avec la perception coloniale ou néocoloniale. S/Z de Barthes demeure l’essai le plus célèbre des ouvrages critiques contemporains. Publié dans la collection « Tel Quel » en 1970 et « Points » en 1976 chez Seuil, il a le mérite de présenter Barthes, l’innovateur, le franc-tireur dans le champ de la recherche littéraire. Par opposition à ceux qui cherchaient à souligner les structures communes (entendre entre autres Structuralistes et Formalistes russes), Barthes y affirme l’importance de la différence des textes et y précise, avant L’Ecole de Constance, que l’enjeu du travail littéraire est de faire du lecteur, non plus un consommateur mais un producteur du texte. Il l’illustrera par son hommage à Abdelkébir Khatibi : Ce que je dois à Khatibi.
• Enfin, La Mémoire tatouée, publiée chez Denoël, en 1970, est, comme l’indique le sous-titre, l’ « autobiographie d’un décolonisé ». « Comment, s’interroge Khatibi, ai-je délimité le champ autobiographique ? En démobilisant l’anecdote et le fait divers en soi, tout en dirigeant mon regard vers les thèmes (philosophiques) de ma prédilection : identité et différence quant à l’Etre et au Désert simulacre de l’origine, blessure destinale entre l’Orient et L’Occident. » Roland Barthes par Roland Barthes est, aussi, une autobiographie originale qui s’organise, à l’instar d’un dictionnaire, en séquences brèves précédées d’un titre. C’est le récit fragmentaire agrémenté d’iconographie, laquelle remplit la même valeur informative que le texte. Comment se fait, dans ces œuvres, le tracé autobiographique ? Comment s’y effectue le mariage récit/essai/image ? Comment s’y traduit l’écriture de la marge, telles sont nos grandes préoccupations dans cette modeste recherche.
Orientations :
Les orientations que prendrait notre recherche seraient de passer en revue, dans un premier temps (id est dans la première grande partie), les différentes théories de la réception pour mettre en valeur le rôle qu’assignent Barthes et Khatibi au lecteur et montrer, parallèlement, quels lecteurs ils étaient eux-mêmes. Dans un deuxième temps, nous essaierons de cerner comment ces lecteurs qu’ils étaient se traduisaient dans leurs productions ; en d’autres termes, comment fonctionne l’écriture de la marge dans les œuvres du corpus. Nous aurions, à titre d’exemple, à confronter La Mémoire tatouée et Roland Barthes par Roland Barthes, œuvres dites autobiographiques, aux travaux théoriques de l’écriture du moi : de Ph. Lejeune à Jacques Lecarme en passant par Serge Dobrovsky et voir comment s’y opère, pour reprendre une expression chère à Driss Chraïbi « la mixture de l’essai et du roman ». Tout en nous arrêtant sur la nature de cette marge (de quelle marge il retourne ? N’ya-t-il pas, surtout avec le développement de la francophonie et l’éclosion de ses foyers, une marge de la marge ?), nous tenterons, en dernier lieu, de mettre en lumière la modernité de ce choix esthétique, l’écriture de la marge, et de cette posture idéologique, la transversalité ; ce qui n’exclut pas d’en voir les limites. Il est évident qu’une telle démarche requiert de nous une lecture distanciée à même de formuler des griefs, le moment idoine. Quel bonheur, par exemple, cette transversalité pourrait-elle procurer quand on sait que Khatibi se plaint, dans La Mémoire tatouée, d’être « un trait d’union entre l’Occident et l’Orient, le Christianisme et l’Islam, l’Afrique et l’Asie, et, ajoute-t-il, que sais-je encore ! Pauvre Arabe, où étais-tu, réduit à une série de traits d’union » ? Certains auteurs francophones ont eu recours, dans leurs œuvres, à un français mâtiné d’idiomes locaux, entreprise qu’Edward Saïd qualifie d’ « expériences discordantes » car sujettes à une « francophonie résiduelle et [à un] abandon du français comme langue littéraire ».
Dans quelle mesure Barthes et, en particulier, Khatibi ont-ils su contourner cet écueil ? Ce sont là des orientations qui demeurent susceptibles de modifications en fonction de l’avancement de nos recherches.

Mots-clés : Ecole de Constance, théories de la réception (Jauss, Iser, Umberto Eco, Jaap Lintvelt, Riffaterre, Michel Picard…), théorie du Texte, lecture plurielle, indécidabilité, dissémination mort de l’auteur, autobiographie, autofiction, frontières, hybridité, passage, seuils, confins, lisières, transition, synapse, transversalité, interfaces, différence, contre-discours, marge, marge et centre, marge et périphérie, marge des marges, marge et marginalité, Butor et le goût de la marge, identité, altérité, métissage, androgynie, l’exote, extranéité, l’intercontinental, l’interlinguistique, polyglossie ( Bakhtine), hétérolinguisme, l’intergenre, stéréotype, littérature mineure, littérature de l’exigüité et de la déterritorialité ou du décentrement, l’étranger professionnel, « Freud, cet étranger professionnel » (A. Khatibi), jouissance, plaisir et désir d’écrire…