Ecriture et métalangage chez Abdelwahab Meddeb - Thèses - Limag
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Thèse

EL ALAMI, Abdellatif
Ecriture et métalangage chez Abdelwahab Meddeb
 
Lieu : Fès,
Directeur de thèse : Bernoussi SALTANI,
Année : 1997
Type : Thèse - TDE

Notations :

Thèse initialement inscrite à Bruxelles, sous la direction de Jacques Marx. Résumé de la thèse:<BR>Dès le départ, et après une mise au point terminologique qui a permis de montrer la complexité et la richesse de la notion de métalangage, la problématique a été réduite à ceci : le langage parle du monde, et le métalangage parle du langage. Abstraction faite de son paratexte auctoriel, incontestablement l'un des plus prolixes de toute la littérature maghrébine, l'écriture de Meddeb, qu'elle soit romanesque, poétique, théâtrale ou même théorique, présente ceci de particulier qu'elle est constamment génératrice de commentaire.<BR>Cette propension à la glose stipule le préalable d'une exploitation de la référence qui, le plus souvent, prend l'aspect d'une véritable obsession philologique.<BR>Avant de centrer l'analyse sur les textes de Meddeb, il a d'abord fallu situer la problématique dans son contexte général. Deux questions se sont posées : <BR>1) Quel type de rapport la pratique de l'écriture tend-elle à instaurer avec son propre matériau ?<BR>2) Dans quelle mesure la réflexivité de l'écriture caractérise-t-elle la littérature maghrébine de langue française de manière générale ? L'importance de cette question n'échappe à personne, puisque cette fois-ci le jeu spéculaire de l'écriture doit compter avec un autre paramètre, celui du dédoublement linguistique, lequel rend l'interrogation sur la langue encore plus aiguë.<BR>Ainsi, le point de départ de l'analyse a consisté en un relevé de toutes les marques du bilinguisme visible dans les deux romans, Talismano et Phantasia. Cela concerne tous les énoncés interlinguistiques, essentiellement arabes, mais aussi italiens, latins, chinois, hébreux, hiéroglyphiques etc., qui, après avoir été quantifiés, ont fait l'objet d'un classement et répertoriés selon le type d'opération métalinguistique auquel ils ont été soumis. A l'observation, il s'est avéré que le recours au polyglottisme chez un écrivain arabe qui, comme Meddeb, écrit en français, ne se réduit pas à une application mécanique de la théorie jakobsonienne selon laquelle le langage crée ses propres conditions pour une communication optimale entre énonciateur et destinataire en développant cette fonction métalinguistique qui permet d'élucider le message par un discours transcendant. Le métalangage, tel qu'il est incorporé à l'écriture des deux romans, finit par prendre les formes imprévisibles d'un véritable procédé d'écriture, et en tant que tel, il doit relever d'une stylistique. Un fait d'importance majeure pour l'ensemble des écrits de Meddeb est à signaler : en recourant au polyglottisme et au babélisme, l'écrivain provoque une perturbation de la lecture. En quoi consiste cette perturbation ?<BR>Pour commercer, l'énoncé interlinguistique rend l'écriture opaque, illisible. De ce fait, il devient un facteur d'hermétisme. Pour conjurer cet hermétisme ou l'atténuer, l'écrivain a le choix entre deux solutions : l'élucidation totale, obtenue au moyen de la traduction ou d'une extension explicative ou commentative, ou alors l'élucidation partielle, et dans ce cas le sens n'est que suggéré par le contexte, ce qui contraint le lecteur à une lecture participtive et laborieuse. Le jeu est cependant plus complexe, puisque souvent l'énoncé étranger n'est accompagné d'aucune opération métalinguistique et demeure une énigme aux yeux du lecteur.<BR>Il arrive aussi que la manipulation métalinguistique soit pervertie, et l'écrivain s'amuse à donner au lecteur non arabophone l'illusion d'une opposition traductive. Parfois cette perversion donne lieu à une mise en relief poétique, provoquant ainsi ce que Josette Rey-Debove appelle "la surperformance métalinguistique" (Le Métalangage, 1978). De tels procédés sont l'illustration avant terme de ce qui dans la deuxième partie de la thèse sera appelé la philologie extatique, pratique qui procède par émulation avec le grand maître soufi Ibn Arabi. Cependant, le cas limite de ce polyglottime est celui de l'énoncé étranger que l'écrivain actualise dans sa graphie originelle, provoquant une transformation du paysage typographique. Ne pouvant être comprise, l'écriture devient alors un pur spectacle, et la lettre redevient image. Or c'est là que réside véritablement tout l'enjeu théorique et esthétique de l'écriture de Meddeb, qu'il serait possible de formuler dans ces questions ayant trait au fonctionnement sémiotique du signe : <BR>1) Quel type de rapport le signifiant (forme graphique, phonique, iconique, diégétique même) entretient-il avec le signifié ?<BR>2) Y a-t-il un rapport d'inférence entre le signe et son référent ?<BR>Ainsi, l'écriture tend à se présenter sur le mode cryptique, stimulant chez le lecteur une sorte de fascination du sens caché, donc la disposition herméneutique. Or cette situation reste profondément tributaire à la fois d'une certaine conception du langage et des rapports entre les langues, et d'une vision du monde, dont les principes essentiels sont : <BR>1) L'écriture cryptique postule comme préalable l'existence d'un sens. Ce sens est par définition perdu, oublié, mort.<BR>2) Le sens n'étant pas donné, il est donc à découvrir, à restaurer comme trace, d'où le caractère salutaire de la philologie.<BR>3) Le babélisme, qui donne à voir la séparation et la confusion des langues et des hommes, génère en même temps cette faculté salutaire qui permet d'ouvrir une langue sur ceux qui ne la pratiquent pas, à savoir la traduction.<BR>4) Le postulat du sens caché induit la dichotomie sens ésotérique, mystique et sens exotérique, apparent, littéral.<BR>5) Cette dichotomie est elle-même une résurgence hiératique du Moyen-Age, et c'est en l'intégrant comme principe esthétique que Meddeb se fait l'héritier du soufisme.<BR>C'est donc fondé sur ces principes théoriques et esthétiques qu'à été élaborée la deuxième partie de la thèse, dont l'essentiel a été consacré au rapport d'émulation entre l'écrivain et le maître soufi Ibn Arabi. D'où le titre "Pour une philologie extatique", qui suggère une continuité naturelle avec celui de la première partie "Babel". En effet, si la première partie met en évidence surtout les marques scripturales de l'altérité et de l'hétérogène, la seconde partie suit le travail de dépassement de ce constat de la confusion et de la séparation linguistique vers une certaine utopie de la proximité et de la continuité. D'où l'importance de la métaphore amoureuse qui, à l'instar de ce qu'on trouve chez Ibn Arabi et dans la poésie courtoise et romantique en général, va investir la femme d'une fonction sotériologique et rédemptrice. L'axiome ibnarabien d'Aya, l'amante du protagoniste meddebien, introduit à une profonde discipline : "Le monde est un livre".<BR>