« L’exil est un fauteuil en simili-cuir... une parole qui n’a jamais vu le jour » : Formes et figures de l’écriture migratoire dans l’œuvre de Habib Tengour

(Extrait des Actes du colloque « Paroles déplacées », Lyon, mars 2003, en cours de publication)

 

Regina KEIL-SAGAWE
Heidelberg

En guise d’introduction : Une parole, une vie … en dérive

I. 1. « … Le poème compose, recompose, décompose … »

L'exil un fauteuil en simili-cuir ? Une parole n'ayant jamais vu le jour ? Image tirée de Traverser, long poème tengourien retravaillé sans cesse, d'édition en édition – ce qui nous permet d'illustrer, en guise d'entrée en matière, une première forme de parole migratoire chez Tengour, une mouvance pour ainsi dire intratextuelle, un déplacement perpétuel dans et à travers la diachronie du corpus [1] :

1985 [2] :

« étranger en amnésie/ en insertion incrusté dans l'exil fauteuil/ atavique différence gêne transmise/

une fiche indolore puis déluge jamais envisagé ».

1992 [3] :

« Étranger en amnésie/ en insertion incrusté dans l'absence/ l'exil est un fauteuil en simili-cuir/ c'est une parole qui n'a jamais vu le jour/ la différence atavique/ une gêne/ une transmission de pensée/ une fiche indolore/ puis/ tout ce que tu n'as jamais envisagé dans ta distraction/ te tombe dessus/ déluge ».

2002 [4] :

« Étranger en amnésie/ en insertion incrustée dans l'absence/ l'exil est un fauteuil en simili-cuir/ c'est une parole qui n’a jamais vu le jour/ mutilation rituelle/ la différence atavique/ une gêne/ une transmission de pensée/ une fiche indolore/ puis/ tout ce que tu n'as jamais envisagé dans ta distraction/ (préoccupé d'avoir une maison là-bas)/ te tombe dessus/ déluge ».

Il s'agit là d'une première particularité de l'écriture tengourienne : de cette « méfiance instinctive à l'égard du premier jet » que lui-même attribue au peintre Mohamed Khadda. [5] Elle affecte une bonne partie de ses textes, surtout les poèmes, qui, au fil des publications successives, se verront soumis à des modifications tantôt importantes, tantôt minimes, mais toujours significatives. Si, dans les années 80/90, cette réécriture va plutôt dans le sens d'une condensation [6], vers une simplicité extrême qui ne facilite guère l'accès, qui traduit « un long travail d'évidences reniées » [7], on peut observer, ces dernières années, une tendance à l'expansion du texte, la comparaison des variantes plus récentes démontrant que l'auteur devient plus explicite, explicatif. [8] Une analyse détaillée du pourquoi et comment serait un vaste, trop vaste sujet ici [9]. Ce qui nous importe de retenir, c'est le refus tengourien d'une fixation définitive du texte. Refus qui s'avère, en fin de compte, comme principe générateur d'une esthétique que nous aimerions appeler, avec Pierre Joris, « nomade » (nous y reviendrons) : Une esthétique – voire poétique – « où le poème compose, recompose, décompose devant vos yeux ». [10]

Devant nos yeux donc, sous une forme ou une autre : l'exil-fauteuil en simili-cuir. Image de prime abord surréaliste, un de ces flashs fulgurants caractéristiques de l'inspiration tengourienne, mais qui, contemplée dans la vaste synchronie du corpus maghrébin, se trouve dans une même ligne de mire avec deux images charriant le même sémantisme, mais en extension romanesque : ce fameux « strapontin » auquel Driss Chraïbi compare l'Occident, dans Le Passé simple, en 1954 [11], et ce siège mou en « skaï rouge » du métro parisien qui, en 1975, chez Boudjedra, dans Topographie idéale pour une agression caractérisée, symbolise et préfigure les promesses traîtresses de l'exil... [12] Pareille image, pareille ambiguïté, chez Tengour : ce fauteuil en simili-cuir, il est promesse et menace à la fois : promesse d'aisance matérielle, menace de perte d'identité/d'authenticité (« simili » = « pseudo »).

Relevons, pour conclure sur ce point, la même ambiguïté dans le deuxième volet : « une parole qui n'a jamais vu le jour », c'est une parole de nuit, douloureuse [13], mais aussi une parole en gestation, en devenir, en déplacement perpétuels – à l'instar de l'écriture de Tengour, qui suit le mouvement de sa vie, entre deux rives, ou, pour le dire une fois de plus avec Joris, dans son manifeste de la poétique nomade, « [d]ans & de la dérive ». Car :

« L'erreur serait de penser à la langue comme à un chez soi tandis que 'tout le reste' dérive, parce que pour la langue être accordé avec précision à la condition de nomade, c'est aussi être en dérive, être ‘sur le chemin’, comme Celan le dit. » [14]

2. « J’ai grandi, je suis venu en France … »

Il paraît donc utile de rappeler quelques stations du parcours biographique mouvementé de Tengour – mawqifs [15] ou bivouacs, comme dirait Yelles [16] –, pour mieux capter l'émergence et les transformations de son écriture migratoire, écriture toujours « sur le chemin ».

Né en 1947 à Mostaganem, Tengour vit en navette, depuis 45 ans, entre l’Algérie et la France, Constantine et Paris, où il enseigne aujourd'hui l’ethnologie et la sociologie. Son vécu fertilise une écriture qui se conçoit comme va-et-vient vertigineux entre des imaginaires moins opposés que complémentaires : les mémoires culturelles d'Orient et d'Occident, ce qui fait de Tengour un « exemple représentatif » de la jeune génération d’écrivains des années 70/80 grâce à qui « la littérature algérienne de langue française » se serait « approprié, aussi insolemment que peuvent le faire des enfants des biens de leurs parents, les attributs d’une double généalogie » [17].

Décisifs, de prime abord, les souvenirs d’une enfance (1947-1958) toute en contes et légendes, sous la tutelle du grand-père, marchand de quatre saisons, grand amateur de cinéma hollywoodien, grand narrateur aussi des récits épiques arabes. S'y greffent les images du Mostaganem des années 50, l’ambiance du port, l’appel de la mer, « l’univers enchanté des femmes de Mosta et de sa région » [18] ainsi que le petit monde de Tigditt, vieux quartier arabe de la ville. Tout cela marquera à jamais l‘écriture de Tengour, nourrissant son « imaginaire [...] de réminiscences auréolées d'une vertu magique » [19] :

« J'ai grandi dans le soufisme, surtout dans une ville comme Mostaganem. [...] C'est un soufisme populaire. [...] J'ai tout de même entendu les poèmes mystiques dans les mosquées ou dans les rencontres des confréries. La poésie traditionnelle de Mostaganem qui est chantée est une poésie mystique : ce sont les éloges du prophète, c'est aussi une poésie amoureuse qui parle toujours d'un amour mystique... Ensuite, on oublie toujours. J'ai grandi, je suis venu en France... » [20]

C'était en 1958. Grand est le choc de cette première rupture, en témoigne « L’Ancêtre Cinéphile » [21], long poème en hommage au grand-père qui capte les instantanés d’une enfance qui « se déploie en fripes de surplus américains/.../ nostalgie à sombrer en fragments » (26), ainsi que les émotions de la première traversée :

« La Ville d’Oran voguait poussif vieille roulure/ (vogue la galère)/.../ Saisir la barre/ Affoler les cadrans/ Tenir tête à l’équipage dans mon français d’indigène » (p. 27).

Suivent les premières impressions du sol français, et commencent la dés-orientation, la (con)fusion, surimpression et superposition si caractéristiques de l'écriture tengourienne :

« Du train, c’était comme si on traversait la région de Mostaganem./ L‘enfance a la vue leste./ La longue-vue qui permet l’initiative de l’abordage./ Au réveil, nous étions arrivés à Paris./ Le compartiment était âcre à vomir./ Dans le couloir, le contrôleur criait à tue-tête : ‘Gare de Lyon !’/ Je demandais : ‘Paris ?’/ ‘Oui, c’est la gare de Lyon !’/ Je ne comprenais pas. » (Traverser, 2002 : p. 17).

S’ouvre alors le deuxième volet de sa formation littéraire (1958-1972), qui l'amènera à constater : « Les Champs-Élysées me faisaient vomir mes merguez » (Tapapakitaques, p. 32). Dorénavant, Tengour évolue dans les milieux d’intellectuels marxistes et nationalistes algériens, parmi les amis de son père, un ouvrier militant familier des prisons ayant pris le chemin de l’exil en 1955 déjà. Et il subira l'influence, décisive, du lycée français :

« Ma première culture, c’était le cinéma et les bandes dessinées. J’ai commencé à lire à partir de l’âge de 15 ans, j’ai commencé à lire et à écrire en même temps... à partir du cessez-le-feu, en printemps 1962. » [22]

Le vrai déclic, pour écrire, ce sera l’avènement de l’Indépendance de l’Algérie qui survient au moment où, en classe de troisième au lycée, Tengour découvre le romantisme et les poèmes de Victor Hugo :

« Je me suis dit, il faut que je sois le poète de la Révolution. [...] La France avait des écrivains qui ont chanté la France et nous, on n’avait rien en dehors de la tradition orale, on est tout de suite mis devant une situation de complexe. [...]. Le 14 juillet 1962, [...] juste quelques jours après notre Indépendance, [...] je suis allé à la Comédie Française et je voyais une femme habillée bleu-blanc-rouge [...]. Elle déclame la Marseillaise avec cette théâtralité qui impressionne beaucoup, quand on est gamin. Je me suis dit, il faut qu’on leur montre qu’on est encore mieux, donc il faut que j’écrive mieux que Victor Hugo !.. Ce sont des rêves d’enfant, et après, on se laisse prendre. On ne peut plus revenir en arrière. » [23]

Et en effet, Tengour deviendra le poète de la révolution : guère celui, vite désabusé, de la Révolution algérienne qui mettra « les poètes à la pointeuse des besoins de la production » (Tapapakitaques, p. 93) – mais celui de la révolution de Mai 1968 sur fond de révolution surréaliste :

« Ce qui m'a alors poussé vers le surréalisme, c'était justement le rapport à l'amour fou, la quête, le hasard objectif, la parole instantanée, les paroles à décoder. En fouillant davantage dans le surréalisme, je me suis rendu compte qu'il me renvoyait à mon enfance. Ce qui est drôle, c'est que c'est la culture française, le rapport à la grande littérature française qui m'a fait retrouver ma propre culture. Que ce soit le romantisme ou le surréalisme. Les Romantiques ont été les premiers à remettre au goût du jour Les Mille et Une nuits. Baudelaire fait un éloge du vin et du hachisch. [...] Par ces auteurs j'ai vu une image de l'Orient qui ne correspondait pas à la mienne. C'est un double ou triple regard. J'ai travaillé des auteurs qui travaillent l'Orient et à travers eux j'ai travaillé l'Orient et l'Occident… » [24]

Ce va-et-vient entre Orient et Occident, ce regard fractionné, ce chevauchement de perspectives baptisé par Hédi Abdeljaouad « soufialisme » [25] tengourien, correspond assez bien à cet « inter-stice (between-ness) » considéré par Joris « comme la condition nomade essentielle, étant toujours un mouvement vers l’avant, une jonction, un ‘tendre vers’ […] & une absence de repos, toujours un devenir, une ‘ligne-de-fuite’ » [26].

Nous allons dorénavant voir comment Tengour construit son univers littéraire où s’entrecroisent plusieurs de ces lignes-de-fuite. Tendues vers des espaces identitaires différents et complémentaires, et dont le seul dénominateur commun est qu’il s’agit de cas de figure de cet « ailleurs » qui traverse, tel un leitmotiv, les textes tengouriens. A l’instar de ce qu’il note dans son manifeste « Le Surréalisme maghrébin [27] : « Il existe en effet un espace divisé appelé Maghreb mais le Maghrébin est toujours ailleurs. Et c’est là qu’il se réalise » [28].

Une géographie du déplacement : Trois figures de l’ « ailleurs » dans l'écriture migratoire de Tengour

Chez Tengour, cet « ailleurs » se déploiera en trois dimensions : l’ailleurs-ici, l’ailleurs-exil (voire émigration), l’ailleurs-évasion (lire : errance/fugue/aventure/voyage). Autant de pistes (de lecture) dans la géographie du déplacement de la parole tengourienne, qui se conjuguent, en distribution complémentaire, dans une géographie du désir, de la douleur voire de la dénonciation…

1. L’Ailleurs-ici ou La Géographie de la dénonciation : Tapapakitaques, Sultan Galièv, Le Vieux de la Montagne

Et ceci dès son premier texte, Tapapakitaques – La poésie-île (1976), déclenché par le choc du coup d’État de Boumediene, en 1965, qui décline, dans un jeu de reflets entre l’Algérie moderne et la Grèce antique, toute une gamme de problèmes algériens : l’exil et la révolution, la prise de pouvoir et le rôle du poète. Le tout sur fond du mythe d'Ulysse, mythe qui deviendra vite son mythe de référence par excellence [29] et sous-tendra un parcours littéraire qui englobe poèmes [30] et recueils poétiques [31], nouvelles [32] et romans [33].

Pourquoi ce retour au mythe ? Et surtout au mythe d'Ulysse, archétype mythologique du voyage, de la dissidence, de la souffrance ? Sans doute, globalement, parce que, dans la vie des humains, de nos jours comme toujours :

« [...] la malédiction originelle, les souffrances d'exode hébraïque, les odyssées gréco-romaines d'Ulysse et d'Ovide, se réactualisent tout au long de l'Histoire, sur une carte du monde qui ne cesse de noircir sous la pression de l'urgence socio-politique : dissidence, émigration, dictatures, en Europe, en Amérique du Sud, en Asie, en Afrique. » [34]

Ceci dit, dans les écrits de Tengour, le recours à Ulysse, fonctionnant comme « alter ego » de l'auteur, comme « Je » poétique, paraît normal, la fusion entre « Ithaques » et Al-Djazaïr (= « Les Iles ») naturelle, Tengour étant originaire d'une ville marine, méditerranéenne, et Ulysse le voisin du port d'à côté… à contempler attentivement les mosaïques antiques d'une ville comme Cherchell, l'antique Caesarea, par exemple, évoquées récemment encore par Assia Djebar, avec beaucoup de mélancolie, dans La femme sans sépulture (2002). Dans le cas de Tengour, la « réactualisation » du mythe se fait sous forme de persiflage, de travestissement et de parodie. Ceci lui permet d'aborder son sujet avec beaucoup d’aisance et une certaine distance : « Je m’appelle ULYSSE j’ai vingt-deux ans je fais de la sociologie parce que j’ai échoué en Droit » (Tapapakitaques, p. 9).

Bien qu’autobiographique, le texte est loin de refléter le vécu, mais le capte sous forme de fragments d’inspiration surréaliste, où écriture automatique et rapprochements insolites sont au rendez-vous autour d’une trame vite résumée : Ulysse le poète, marxiste militant et amoureux fou, évolue au Quartier Latin dans une ambiance soixante-huitarde (« Cogito argo boum », p. 43), ne rentre au pays que pour les vacances, s’interroge, en vue d’un retour possible, sur l’avenir de l‘Algérie et son rôle dans le mouvement révolutionnaire mondial. L’expérience amère d’un exil mal assumé (« Je suis fils d’ouvrier et de paysanne analphabète un arabe paumé en exil », p. 16), marqué par un certain désarroi biculturel (« j’errais comme un fou perdu dans une serre de banlieue parisienne », p. 32), préfigure, avec une décennie d’avance, le phénomène de la littérature beur. Tengour pourrait ainsi être considéré, selon une heureuse trouvaille d'Hédi Abdeljaouad, en marge du colloque de Lyon, comme « proto-beur ».

Pris de malaise dans son exil parisien, Ulysse rêve du retour en Algérie-Ithaques qu’il devine, déjà, corrompue. Idéaliste incurable, il rentre pourtant : « Je veux vivre à Ithaques travailler lutter [...] Je suis responsable » (p. 112). Mais il n’arrive pas à s’adapter. Rien ne lui reste des trois idéaux surréalistes : l’Amour raté, la Révolution avortée, la Poésie attelée au char d’un « socialisme rouillé » (p. 50), Ulysse, désespéré, s’enlise dans l’exil intérieur (« L’Exil est mon métier et il est dur d’en changer », p. 112), tout en fonctionnant apparemment bien en surface : « J’étais un étranger au milieu des Grecs Un reporter en quelque sorte Je pouvais faire du bon travail [...] Je posais des questions Je faisais mon enquête [...] décryptais la marche quotidienne » (p. 131). La chronique se termine sur une note lugubre, et remarquablement perspicace : « il fut pendu l’ethnologue-espion. En ce temps-là nous étions un peu sauvages » (p. 131)...

Malgré ces prémonitions, Tengour rentre au pays, en 1972, pour devenir, dans le cadre de son service national, le premier directeur du nouvel Institut de Sociologie de l’Université de Constantine – futur fief des islamistes. C’est ici que sera assassiné, vingt ans plus tard, en septembre 1992, Abderrahmane Benlazhar, première victime de cette folie meurtrière qui va faire des ravages parmi l’élite intellectuelle algérienne des années suivantes. Le poème-hommage que Tengour dédiera à son collègue et ami dans le journal Alger Républicain [35] est, à ma connaissance, le premier témoignage de ce deuil littéraire – « toi le défunt/ hier encore/ accoudé au rêve » – qui, plus tard, chez la majorité des autres auteurs algériens, empruntera des formes bien plus directes, plus bruyantes, tandis que Tengour optera toujours pour cette « couverture mythologique » qu’il avait admirée, en 1980, chez le poète grec Georges Séféris, puisque’elle « atténue le choc, sublime les épreuves et permet une « libération du regard » [36]. Couverture mythologique qui viendra, chez Tengour, soit du Coran, « La mort de Abderrahman » tissant un jeu intertextuel avec la sourate du même nom (la sourate 55), soit de l'Odyssée, ainsi dans le poème : « Au pays des morts » [37] : « nous faudra-t-il encore une hécatombe/ et des larmes/ et la cendre muette du poème/ pour que la route sous la terre nous soit tracée ».

Dorénavant, le vécu de Tengour, son désillusionnement progressif et ses pressentiments lugubres ne cessent de nourrir ses textes, toujours sous couverture historico-mythologique, une des constantes de son écriture consistant précisément à voir « comment une histoire, un patrimoine est toujours remis au goût du jour. » [38] Formule non dépourvue d’ironie, puisque Tengour s’empare des moments les plus noirs du passé pour y faire miroiter le présent algérien : que ce soit Sultan Galièv ou La rupture des stocks (1981/85) qui anticipe l'écroulement des empires socialistes, en URSS et en Algérie, en plein boom révolutionnaire, ou bien ce Vieux de la Montagne (1983) qui devance la menace intégriste sur toile de fond de l’obscurantisme islamiste dans la Perse médiévale – avec, en exergue, un mot de Novalis : « La poésie est le réel absolu. Plus une chose est poétique, plus elle est vraie ».

Retenons, en guise de conclusion ponctuelle, que dans les trois premiers « romans » de Tengour, l’« Ailleurs » vise l’« Ici » : le déplacement spatio-temporel (vers des espaces mythiques ou légendaires) doit se lire comme une forme de projection identitaire, une sorte de « Lettres persanes » à l’algérienne… Et c’est grâce à cette technique de recyclage, de zapping [39] à travers les époques et espaces, civilisations et continents, que Tengour gagne deux paris : le premier, c’est que ses textes ne vieillissent pas mais permettent, à la lumière des événements qui passent, de multiples lectures et relectures ; le deuxième, intimement lié au premier, c’est que Tengour, tout en critiquant (ou)vertement – pour qui sait lire entre les lignes – la politique du jour de son pays, contourne le risque de se voir instrumentalisé :

« Je n’ai jamais voulu faire une littérature critique pour plaire – parce que ça aurait plu, à une époque, en Europe. Écrire pour être un écrivain critique, cela ne m’intéressait pas. Ce qui m’intéresse, c’est de témoigner dans l’ambiguïté, parce que les choses ne sont jamais simples. » [40]

« Témoigner… » : le voici, le mot-clé des préoccupations littéraires de Tengour, et qui nous amène vers une autre figure de l’ailleurs dans l’écriture migratoire tengourienne, à savoir :

2. L’Ailleurs-exil [41] ou La Géographie de la douleur : L’Épreuve de l’arc, Gens de Mosta, Le Poisson de Moïse, Ce Tatar-là 2

Depuis 1992, Habib Tengour collecte les récits de vie des émigrés algériens en France, travail de terrain ethnologique qui nourrit autant ses écrits scientifiques [42] que ses textes poétiques, car une des motivations profondes pour écrire, c’est de « laisser une trace du passage » :

« Témoigner des gens que j’ai connus, que j’ai aimés, qui m’ont éduqué et qui m’ont transmis des choses. [...] Déjà, nous sommes peu nombreux comme Algériens – du moins dans ma génération – à maîtriser l’écriture ; [...] si on ne laisse pas de traces, les gens qui viennent après ne sauront absolument pas ce qu’a été notre vie. C’est un travail de mémoire. » [43]

Ce travail de mémoire consacré à l'exil parisien, à l'émigration algérienne en France dès les années 1930, est une préoccupation constante des textes de Tengour, même en poésie : de Tapapakitaques (1976) à Ce-Tatar-là 2 (1999) [44], il y a toujours ce personnage de l'enquêteur, alter ego du narrateur. [45] A fortiori dans les textes en prose, et de plus en plus prononcé ces dernières années, de l'Épreuve de l'Arc (1990) [46] à Gens de Mosta (1997) au Poisson de Moïse (2001), ce nouveau roman « on the road » qui se déploie entre Paris et Peshawar [47]. C'est par le biais de Mourad, protagoniste du roman découvrant malgré lui, à la recherche d'un butin de guerre provenant d’Afghanistan, le microcosme de l'émigration algérienne à Paris, que Tengour fait participer le lecteur à son propre travail de sociologue-ethnologue, collectionneur/conservateur des traces tristounettes du passage des Algériens à Paris. [48] Le présent est d'allure morose, c'est une géographie déprimante, celle de l'immigration pauvre, une « mise en scène caricaturale des siens » (p. 149) qui rend Mourad malade, lui qui erre de la Boucherie des amis au Dellys Bar, « tripot vétuste » (p. 135), de la Librairie islamique (p. 148) au café-bar Le Progrès (p. 205), d'Algexport, « petit local d'exportation de pièces de voitures » (p. 142), vers un foyer pour vieux immigrés (p. 207) ; trajectoire qui le transporte vers la périphérie – Barbès et Belleville, les Portes de Bagnolet et Clignancourt – voire la banlieue : Saint-Denis, Nanterre, La Courneuve.

Quant au passé : il est difficile à restituer, surgissant en filigrane comme évocation nostalgique d'une époque n'ayant survécu que dans la chanson, tel Barbès :

« Le cachet algérien du quartier, tant magnifié dans les chansons et les propos d'émigrés, se réduit à une portion congrue. Après plusieurs décennies d'occupation des lieux, ces enfoirés n'ont pas réussi à créer un espace à eux en se constituant un patrimoine immobilier. La communauté est un mythe creux. » (PM, p. 147-148).

Ou le Quartier Latin, reniant toute trace algérienne : le cabaret Djezaïr, « haut lieu de la chanson algérienne et arabe », situé rue de La Huchette, ayant cédé, depuis belle lurette, à un « restaurant grec au néon clignotant », tandis que :

« […] les Algériens étaient irrémédiablement relégués dans les périphéries de la ville. […] il ne restera plus trace de leur passage bruyant dans le paysage urbain intra-muros. Seulement des rengaines plaintives que personne ne fredonnera plus. Des quarante-cinq tours rayés, la plupart introuvables. Qui allait se soucier de témoigner de ce Paris-là ? » (PM, p. 137).

Personne, sinon les vieux : particulièrement intéressant, dans ce contexte, le personnage des immigrés à la retraite, dont Tengour retrace déjà le portrait dans Gens de Mosta [49], et dont il en fait rencontrer un à Mourad : un certain Sellami vivant au foyer de Saint-Denis, interviewé par une jeune Française. Mourad écoute sur une longueur de dix pages (p. 195-204), pas moins de 4% du livre, le vieillard – qu'il était venu voir pour un tout autre motif – égrener le chapelet de ses souvenirs à partir des années 50 : les dures conditions de vie des ouvriers immigrés, les règlements de compte pendant la Guerre de Libération, entre Messalistes et FLN, les perquisitions policières, les internements et arrestations jusqu'au lugubre 17 octobre 1961 [50], journée pendant longtemps occultée de la manifestation des Algériens contre Papon noyée dans le sang. Une véritable géographie de la douleur…

Or, si l'on sait que Tengour lui-même, en tant que chercheur-ethnologue, s'est mis depuis un moment à constituer un corpus de oral history basé sur les récits de vie et les témoignages de vieux algériens exilés en France [51], on a tendance à attribuer au témoignage du vieux Sellami cette « stricte authenticité du document humain » postulée par Breton [52] – et pratiquée par Tengour dès Sultan Galièv [53] et Le Vieux de la Montagne [54]. Et ce qui a l'air d'un simple témoignage se mue en stratagème narratif surréaliste et confère une toute autre dimension au texte. Parole déplacée une fois de plus... du terrain ethnographique vers le terrain littéraire.

3. L’Ailleurs – évasion ou La Géographie du désir : Valparaíso, la Scandinavie, l’Australie, l’Afghanistan…

Mais l'ailleurs peut prendre d'autres visages que l'exil, que la France. Si, jusqu'ici, nous avions affaire soit au cas de figure mythique d’un ailleurs-ici transposé dans le temps, soit au cas concret de l'exil et de l'immigration algériennes en France, d'un vécu algérien contemporain donc, d'une réalité historique qu'il s'agit de sauvegarder pour la mémoire collective, nous aurons maintenant à contempler un autre phénomène, à savoir celui du rêve d’évasion vers un ailleurs moins mythique que mythifié, et nullement identique à l’exil forcé : le rêve, le fantasme, le voyage, la fugue [55] : « Partir. Tel le rêve à quoi se résume une âme déchargée. Pure. » (Sultan Galièv, 1981 : p. 30).

« Partir »... un motif récurrent dans le texte tengourien, aux fortes résonances érotiques/exotiques. Stimulé, dès sa tendre enfance, par la présence du port dans la ville natale de l’auteur, par les histoires ramenées par les marins :

« Valparaíso ! Il avait inscrit le mot dans le cahier d’écolier où il dessinait avec un charbon et des bouts d’allumettes mouillées des femmes nues au sexe proéminent ; les dessins étaient troqués contre un verre. Il avait calligraphié le nom de la ville et orné de fleurs et de grappes plantureuses. Certains jours, où tout semblait aller de travers, il ouvrait son cahier et s’abîmait dans la contemplation de la calligraphie. Valparaíso ! Cette dénomination aux consonances excitantes l’incitait à prendre le large. Partir très loin, comme le lui avait prédit Thérésa, la gitane du port. A Valparaíso ! L’autre bout du monde ! C’était un désir ardent qu’il pouvait nommer à tout moment. » (Gens de Mosta, 1997 : p. 37-38).

Et puis, progressivement : ce sont les frustrations accumulées au jour le jour, le ralbol du quotidien, soit sur le sol algérien, soit déjà dans « l'exil », qui font naître ce désir du grand départ. Vers l'inconnu, vers l’ailleurs mythifié, Valparaíso ou la Scandinavie, l'Afghanistan ou bien l'Australie... Chez Tengour, ce motif revêt beaucoup de formes. Il a au moins écrit deux romans « on the road ». En 1990, dans l'Épreuve de l'Arc, il met en scène, dans la filiation de Rimbaud et Kerouac, les fantasmes de la jeunesse algérienne (au masculin) des années 80, leurs rêves « d'un voyage en stop dans les pays nordiques. La Suède ! Le Danemark ! La Finlande ! La Norvège ! » (p. 127) Du « tour du monde à pied », de « L'Aventure avec le grand A ! Le grand voyage ! » (p. 128) Mais la réalité n'est pas à la hauteur du rêve :

« Je ne rêvais que d'escapades et de baises dévorantes sur les routes comme Kerouac et ça me brûlait dans tout le corps. Je n'ai pas attendu très longtemps à la Porte d'Orléans, et il y avait foule, mais je n'ai pas dépassé Damas enlaidie par la défaite. Vite, j'ai rebroussé chemin. » (p. 128-129).

Il n'y pas que les retours de Damas, chez Tengour, il y a aussi, sur un mode bien plus morose :

«... les Retours d'Afghanistan/ ceux qui rêvent d'un bâteau pour l'Australie/ et Bagdad sous les bombes/ la mer se voile noire » (Traverser, 2002 : p. 31).

Il y a, en effet, à mi-chemin entre « road movie » et quête métaphysique, ce Poisson de Moïse (2001) qui parle, en avant-première dans l’histoire littéraire algérienne et bien avant les événements fatidiques du 11 septembre 2001, des « retours d’Afghanistan », c’est-à-dire de ces jeunes Algériens qui se sont engagés, dans les années 80, « au côté des maquisards musulmans d'Afghanistan, dans la lutte contre le régime communiste de Najibullah » [56], et qui reviennent, vers 1992, alimenter les maquis terroristes islamistes, en Algérie (GIA), Bosnie et ailleurs, ainsi que les réseaux de trafic d'armes européens. Tengour, avec son flair de poète, son esprit de sociologue, les perçoit tôt comme « héros » et « porteurs d'un idéal du temps » [57] occupant « une place importante dans l'imaginaire et les fantasmes de la jeunesse algérienne et celle d'origine maghrébine des banlieues en France. » [58]

Issu d'un scénario pour un film d’action, le roman reflète les tribulations de trois jeunes Algériens entre Paris et Peshawar et propose en même temps une méditation sur l’Islam. L’intrigue tourne autour de trois amis d’enfance, originaires du même quartier populaire d’Oran, et qui, pour des motifs différents, se retrouvent dans un camp de transit près de Peshawar. Au cœur de l'intrigue : Mourad, ingénieur en physique, spécialiste des explosifs. Vivant à Paris, « complexé d'être Algérien » (p. 232), il vient «se ressourcer en Afghanistan. Poursuivre des traces effacées » (p. 62), mais au lieu de la beauté du vrai Islam, celui des origines, il n'y trouve que « l'Orient misérable des documentaires » (p. 182), « une authenticité racornie » (p. 62). Tengour est formel : la fascination d'un passé glorieux ne mène nulle part. Aux grands départs suivent les grandes désillusions :

« Il n'y a ni Orient ni Occident, ce sont des foutaises littéraires, mais un Nord et un Sud qui se font la guerre à mort. C'est une réalité, ça ! Elle est âpre. Surtout quand on se trouve du mauvais côté. Les forts n'ont pas de mémoire, ils n'ont que des souvenirs et des dates qu'ils commémorent à grands frais. Les faibles sont ravagés par leur mémoire. C'est comme une malédiction qui leur colle aux trousses. Elle cogne méchamment. Elle fait du mal.» (p. 188).

Mourad, à la poursuite fantomatique de la soi-disante « identité authentique » (p. 188), échoue tout aussi lamentablement que ses compagnons à la recherche du « temps de Médine » (p. 48). En laissant ainsi échouer ses héros, « héros négatifs » [59], Tengour lance un message implicite – explicité ailleurs, dans un texte théorique, méditation sur la langue, mise en garde contre toute velléité d'idéologie de l’authenticité :

« Le fantasme obsessionnel de la pureté originelle se cabre devant le laborieux métissage des choses. Le sang mêlé brouille la vue en troublant le sens. Cela dégénère en folie furieuse. L'obsédé n'a de cesse que de retrouver l'authenticité perdue pour restaurer l'identité profanée ; et de vouer l'étranger aux gémonies »[60]

Formes de l'écriture migratoire : « …une poétique nomade traversera les langues… ».

Message du métissage auquel fait écho, une fois de plus, la « Poétique nomade » :

« En ce qui concerne les valeurs morales ou sociales, un métissage total est le seul objectif auquel nous croyons. La pureté est la racine de tout le mal. » (p. 358).

Poétique formulée par Joris – et traduite par Tengour, l’œuvre duquel ne cesse d'articuler et de s'articuler autour d'une poétique de l’identité comme altérité, véritable parole nomade, « toujours changeante, morphique, se mouvant sans arrêt à travers les langues, les cultures, les lieux, les temps. » [61] A l’instar du constat fait par Fewzia Sari (en marge du colloque), que « le signe maghrébin est avant tout transhumance. Il est nomade. » Et ceci, en réalité, depuis des millénaires, le signe maghrébin liant un signifiant venu d’ailleurs, qu’il soit phénicien, gréco-latin, arabe ou bien français, au signifié autochtone, les écritures maghrébines se trouvant, de ce fait, en situation (post-)coloniale constante.

Tengour en est un exemple particulièrement représentatif et lucide : son écriture s’accompagne d’une réflexion métatextuelle permanente, questionnant infatigablement sa position entre plusieurs langues et cultures [62] voire s’imprégnant de cette réflexion même au point de lui conférer son cachet et son originalité. En guise d'exemple, les premières lignes d’un texte inédit :

« C'est tremblant de mots qu'au milieu des débris de cendre/ Ulysse fait le point.

(Rappel de circonstance !).

S'interroge sur l'entrée en matière du récit / ses ruses réitérées ont fait long feu...

Quoi inventer ? Quelle prière exaucer ?/ Et l'angle d'attaque ?

Comme un écho/.... Une trace/ phosphorescence d'un tatouage/ au sortir du songe ».

(Calypso écoute 1, Asnières, Dimanche 23 février 2003).

Ce texte, chapeauté par ailleurs – paradoxe évocateur, significatif – par une citation de Du Bellay, de sa Défense et Illustration de la Langue française [63], aux antipodes des soucis du jeune immigré avec son « français d’indigène » évoqués plus haut, fait se croiser les mémoires culturelles d’Orient et d’Occident : en l’occurrence l'héritage grec (« Ulysse ») avec la thématique de la poésie anté-islamique (« débris de cendre », « trace », « tatouage »), ou avec des réflexions d'ordre métalinguistique, voire narratologique (« entrée en matière du récit »). Mixage caractérisant la plupart des textes de Tengour : L'Épreuve de l'Arc – entre l'Odyssée et les Maqâmât [64], la Sandale d'Empédocle – entre Hölderlin et les mou'allaqât [65], etc., il affecte tantôt la macro- tantôt la microstructure, opère tantôt en dia-, tantôt en synchronie.

Au niveau de la microstructure, déjà, on a vu Tengour transposer les traits caractéristiques de l’oralité algérienne vers sa propre prose poétique, ce qui lui confère un caractère d'avant-garde et d’archaïsme à la fois [66]. Le caractère de « puzzle difficile à composer » [67] que Tengour trouve dans la tradition orale maghrébine, ces « bribes d’histoires », « propos décousus » et « narrations éclatées » qui caractériseraient récits de vie et hagiographies algériennes, se retrouvent dans l’écriture tengourienne où converge de ce fait un triple héritage : celui de la modernité occidentale (romantisme, symbolisme, surréalisme confondus) comme celui de la vieille poésie arabe ou de cette tradition orale dans laquelle il a grandi comme enfant, qu’il ne cesse d’explorer comme ethnologue – illustrant de cette façon comment peut fonctionner la fertilisation mutuelle entre ethnologie et poésie

Mais aussi au niveau de la macrostructure : Si L'Épreuve de l'Arc s'inscrit d'emblée dans la tradition du genre médiéval arabe des maqâmât, Le Poisson de Moïse renvoie à la tradition djahiliyenne, anté-islamique. Les deux parties dont se compose le roman, s'ouvrent chacune sur l'évocation de ces « lieux communs » chers aux poètes anté-islamiques, dont Tengour est un lecteur assidu :

« La nostalgie du lieu est notée dans la mémoire ; la trace calcinée n'est plus que prétexte à l'évocation. Les poètes de la Djahiliya, conscients du fait, en avaient exploré quantité de modalités, découvrant toujours une touche neuve dans le stéréotype. » [68]

C’est ainsi que la première partie, « La Route de Qandahar », s'ouvre, en fait à deux reprises, Tengour ayant doté son roman de deux débuts (encore une manière de déplacer la parole...), sur la vue d’un camp, de l’intérieur d'abord, de l’extérieur ensuite :

«... C’était non loin de Peshawar, dans un terrain vague rocailleux entouré de barbelés. Le camp a été installé à la hâte : quelques baraquements et des hangars en préfabriqué disposés selon un tracé rectiligne : un vaste espace circulaire nivelé et balisé en guise de place pour les rassemblements et les manœuvres, de terrain d’atterrissage aux hélicoptères de l’armée pakistanaise chargés du ravitaillement. / La platitude du décor s’ajoute à la banalité du lieu. […] Le non-endroit écarté des récits de voyages où l'on craint à tout moment de buter contre l'Arbre Sec. » (PM, p. 21).

Tandis que la deuxième partie, « La Halte à Paris », nous offre, dès le début, du haut de la terrasse de l'Institut du Monde Arabe, la vue d'une tente commerciale, accompagnée d'une réflexion maussade du protagoniste, Mourad :

« Tant de beauté l'incommode. Son regard ne s'est pas encore déshabitué de la rudesse de l'Afghanistan. [...] A-t-il bien fait de revenir ici ? [...] Dehors, la tente blanche, dressée au milieu de l’esplanade, semble sortir tout droit d’un péplum de série B. Mourad décèle une intention malveillante dans le décor qui le hérisse aussitôt. Une bouffée de dégoût mêlé d'une haine de l’Arabe et de tout le folklore dégradant qui l’accompagne l'agrippe. » (PM, p. 131-132).

Le camp de transit, la tente de bazar : « …une touche neuve dans le stéréotype », en effet. Et, comme toujours chez Tengour, une actualisation particulièrement cynique de la poétique de la trace héritée des poètes anté-islamiques, car, après tout :

« Chacun mène sa vie, à l'écart des traces du campement. Il n'y a rien à tirer des dépouilles du clan.» [69]

Sauf, nous l’avons vu, une poétique : une parole fraîche, toujours neuve, « une parole » – pour boucler la boucle – « qui n'a jamais vu le jour ». Une parole qui vit, comme on vient de le voir, du transfert allègre des genres, d’une langue à l’autre, dans l’esprit, là encore, de cette poétique nomade qui « traversera les langues, ne traduira pas seulement, mais écrira dans toutes ou certaines » [70].

« Le millénaire sera nomade ou ne sera pas … »

L’espace nous manque pour approfondir plus en détail notre sujet, mais l’omniprésence des paroles déplacées dans l’œuvre de Tengour, les multiples formes et figures d’une écriture migratoire dont nous n’avons guère pu faire le bilan exhaustif, semblent indiquer que ce concept de « poétique nomade » surgi récemment paraît fort utile pour une analyse détaillée des textes de Tengour, écrits dont on a pu dire qu’ils « ne ressemblent à rien ». [71] Peut-être précisément parce qu’ils illustrent si bien cette sentence-ouverture du manifeste jorisien « Pour une poétique nomade. Le millénaire sera nomade ou ne sera pas », à savoir :

« Les jours du tout-statique – forme, contenu, état – sont finis. Le siècle passé a montré que tout ce qui n’est pas impliqué dans une transformation continue durcit et meurt. Toutes les révolutions ont été ainsi : celles qui ont trait à l’état aussi bien que celles qui cherchent un accord avec l’état de la poésie. » (p. 355).

L’œuvre de Tengour englobe, à ce jour (à côté d’une panoplie de poèmes et de nouvelles [72]), six volumes de prose poétique, sept recueils de poésie ainsi qu’une trentaine de publications en sociologie, ethnologie et anthropologie culturelle s’évertuant à explorer l’espace culturel algérien, dans le présent, le passé – et, qui sait, peut-être même l’avenir. Il y décline une identité algérienne qui est la sienne comme celle de sa « tribu », dans la double acception du terme : sens ethnographique – et sens rimbaldien. Et le texte tengourien est constamment tendu entre ces deux pôles opposés, mais qui communiquent et se fertilisent mutuellement : entre obligation sociale et liberté poétique, entre souci conservateur et envie révolutionnaire, entre la volonté de sauvegarder voire de restituer la mémoire culturelle algérienne dans toutes ses dimensions, d’un côté, et celle de poursuivre sa voie/voix littéraire autonome, fidèle à une poétique que l’on appellerait à plus d’un titre nomade, de l’autre.

Nomade du côté du signifié (contenu) : les textes tengouriens faisant écho, on l’a vu, aux différentes « figures du drame » énumérées par Pierrette Renard dans sa typologie des œuvres d’exil [73], qu’il soit intérieur ou bien extérieur. Figures qui se nomment « fissure de l’être » – on se rappelle la scission du narrateur tengourien en plusieurs personnes –, « refus du réel » – par les poètes Essénine ou Omar Khayyam, protagonistes de Sultan Galièv l’un, du Vieux de la Montagne, l’autre –, « mythisation du pays perdu » – voire de la révolution ratée : Tapapakitaques –, ou bien « fixation dans un passé dépassé » – tel qu’on a pu l’observer chez les protagonistes du Poisson de Moïse.

Et nomade du côté du signifiant (de la forme) : outre la mouvance intratextuelle, le transfert des genres au-delà des frontières linguistiques, et bien d’autres pistes seraient à explorer qui mènent vers le texte tengourien, texte qui se tisse lors des « haltes de ravitaillement », voire « poasis » – en termes de poétique nomade [74]. Par exemple, ces « connivences » [75] entre écriture et cinéma, écriture et peinture qui imprègnent toute l’œuvre de Habib Tengour, ou les influences et confluences littéraires qui sont particulièrement nombreuses chez lui : tout ce réseau para-, trans- et intertextuel qu’il tisse, à travers le globe, avec les écrivains de son choix, avec Paz et Joyce, Grimm et Nerval, Hölderlin et Diderot, Saadi Youssef, Henri Michaux et bien d’autres, parfois près, parfois loin « des dépouilles du clan », persuadé que la poésie est fille de liberté :

« Es ist heute so wahr wie es von jeher war [...], daß man Schreiben nur lernt, wenn man sich frei fühlt, und daß man sich nur frei fühlt, wenn man sich seine Vorbilder selber wählt » [76]

(« C'est valable de nos jours comme c’est valable depuis toujours [...], que l'on n'apprend à écrire que quand on se sent libre, et qu'on ne se sent libre que lors qu'on choisit soi-même ses modèles ».)

(Hans-Georg Gadamer).

Annexe : Livres publiés par Habib Tengour

a) Prose poétique

1976 : Tapapakitaques La poésie-île. Chronique 196 567 897 012, Paris : Oswald.

1981 : Sultan Galièv ou La Rupture des Stocks. Cahiers, 1972/1977, Oran 1981, Paris : Sindbad 1985.

1983 : Le Vieux de la Montagne. Relation, 1977/1981, Paris : Sindbad.

1990 : L'Epreuve de l'Arc. Séances. 1982/1989, Paris : Sindbad.

1997 : Gens de Mosta. Moments, 1990/1994, Arles : Actes Sud/ Sindbad.

2001 : Le Poisson de Moïse. Fiction 1994/2001, Paris : Paris-Méditerranée.

b) Recueils de poésie

1981 : La Nacre à l'Ame, Sigean : L’Orycte.

1983 : L'Arc et la cicatrice, Alger : ENAL.

1983 : Schistes de Tahmad II, Paris : L‘Orycte.

1999 : Ce Tatar-là 2, Launay Rollet : Dana.

2002 : Traverser, La Rochelle : Rumeur des Ages.

2002 : Épreuve 2, Launay Rollet : Dana.

2003 : États de chose suivi de Fatras, Launay Rollet : Dana.



[1] Modifications successives marquées en caractères romains.

[2] « Traverser... », in : Itinéraires d'Ecritures (Peuples Méditerrannéens, 30/ 1985), pp. 69-73 ; ici : p.70.

[3] « Traverser », in : Po&sie 59 (1992), pp. 75-84 ; ici : p. 77.

[4] Traverser. La Rochelle : La Rumeur des Ages 2002.

[5] Habib Tengour in : Aquarelles de Khadda. Catalogue de l'Expositon à la Galérie M'hamed Issiakhem (Alger) du 6 juin au 4 juillet 1986. Alger : Office Riadh El-Feth 1986, pp. 15-17.

[6] Surtout dans les cycles poétiques, cf. notre étude : « Habib Tengour ou La poésie est une île ou Comment aborder un poète diffi­cile? » In : Consiglio nazionale delle Ricerche: Gruppo Na­zionale di Coordinamento per lo Studio delle Culture Letterarie dei Paesi emergenti (éd) : Africa, America, Asia, Australia 11 (1992), Roma : Bulzoni, pp. 85-112 ; surtout p. 109-110.

[7] Tengour : Le Vieux de la Montagne, Paris : Sindbad 1983, p. 21.

[8] Ce qui affecte également la prose ; cf. l'étude contrastive d'Anne Roche sur plusieurs versions manuscrites du Poisson de Moïse : « Habib Tengour et Le Poisson de Moïse », in : Mourad Yelles (éd.) : Habib Tengour ou l'ancre et la vague. Traverses et détours du textes maghrébin. Paris : Karthala 2003, pp. 283-314.

[9] Cf. pour toutes les variantes la bibliographie que je viens d'établir : « Habib Tengour : une tentative de bibliographie exhaustive », in : Mourad Yelles (éd.), op. cit, pp. 333-352.

[10] Piere Joris : « Pour une poétique nomade. Le millénaire sera nomade ou ne sera pas », in : Dédale N°11-12, Paris, janvier 2001, pp. 355-366 ; ici : p. 358. (Original : Towards a Nomadic Poetics, Herford, U.K., Spanner Editions 1999; traduction française par Habib Tengour.)

[11] Paris : Denoël 1954, p. 99 : « Tu n'as jamais cru en Allah, tu sais disséquer les légendes, tu penses en français, tu es lecteur de Voltaire et admirateur de Kant. Seulement le monde occidental pour lequel tu es destiné te paraît semé de bêtises et de laideurs, à peu de choses près les mêmes bêtises et les mêmes laideurs que tu fuis. De plus, tu le pressens hostile, il ne vas pas t'accepter d'emblée. Et, sur le point d'échanger la loge que tu occupes contre un strapontin, tu as des reculs. »

[12] Paris : Denoël 1975 ; chez Boudjedra, le protagoniste « s'enfonce [...] suavement dans la mousse de plastique molle et recouverte de skai rouge » avec « la nette impression que le luxe est là à portée de ses doigts gourds ». (p. 73). Passage cité par Sonia Zlitni Fitouri dans sa communication « 'Topographie idéale pour une agression caractérisée' et 'Timimoun' de Rachid Boudjedra. Espaces replacées, paroles déplacées », lors du colloque de Lyon (<www.limag.com/Textes/ColLyon2003/ZlitniBoudjedra.htm >).

[13] Voir le recueil Ecrire la 'parole de nuit'. La nouvelle littérature antillaise, Paris : Gallimard 1994.

[14] Joris, op. cit., p. 355.

[15] Cf. Joris, op. cit., p. 355.

[16] Cf. Mourad Yelles : « Introduction ». In : M.Y. (éd.), op. cit., pp. 5-13 ; ici : p. 9.

[17] Naget Khadda : (En)jeux culturels dans le roman algérien de langue française. Thèse de Doctorat d'Etat, Paris III, 1987, 5 tomes. Tome 5, pp. 1128-1129.

[18] Habib Tengour : « Imaginaire et rituels marins à Mostaganem » ; in : Letterature di Frontiera/ Littératures Frontalières, VII/1, Roma : Bulzoni Editoire 1997, pp. 129-135.

[19] Mansour Benchehida : « L'imaginaire de Tigditt dans Gens de Mosta », in : Mourad Yelles (éd.), op. cit., pp. 75-97 ; ici : p. 96. - Les 15 nouvelles du recueil Gens de Mosta (1997), tendrement surnommé par Tengour « mes Dubliners algériens », reflètent avec nostalgie ces moments d'antan.

[20] Tengour dans un entretien (inédit) avec Thierry Brésillon du journal Panoramiques, Paris, 17 novembre 1991.

[21] « L'Ancêtre cinéphile ». Eloge, 1982/1988. Radio France Culture 1987.- Cité d’après l’extrait in : Au­tobiographie et Biographie. Colloque de Hei­delberg, éd. par Mi­reille Calle-Gruber et Arnold Rothe. Pa­ris : Nizet 1989, pp. 25-29.

[22] Tengour lors d’une soirée-lecture, le 13 décembre 2001, à Heidelberg.

[23] Idem.

[24] Tengour dans un entretien (inédit) avec Thierry Brésillon du journal Panoramiques, Paris, 17 novembre 1991.

[25] Cf. Hédi Abdeljaouad : Fugues de Barbarie. Les écrivains maghrébins et le Surreálisme, New York/Tunis : les Mains Secrètes 1998.

[26] Op. cit., p. 357.

[27] Manifeste considéré comme clé de lecture de l’œuvre tengourienne ainsi que comme soubassement théorique à tout un courant littéraire maghrébin : « Toute approche de l'oeuvre tengourienne devrait, nous semble-t-il, commencer par son essai 'Le Surréalisme maghrébin, etc,' texte-manifeste de cette nouvelle 'écriture', déjà annoncée dans son premier récit lyrique Tapapakitaques ». (Hédi Abdeljaouad, op. cit., p. 197)

[28] In : Peuples méditerranéens 17 (1981), pp. 77-81 ; ici : p. 78.

[29] Cf. Geneviève Mouillaud-Fraisse : « Le Retour d’Ulysse à Alger », in : G. M.-F. : Les fous cartographes. Littérature et appartenance, Paris : L’Harmattan 1995, pp. 205-211 ; Giuliana Toso Rodinis : « Habib Tengour e due suoi eroi tra la storia e la follia dell'esilio », in : Voci dal Maghreb (= Nouveaux ri­vages 3. Collana di saggi franco-mediterranei), éd. par Giovanni Saverio Santangelo et Giuliana Toso-Rodinis, Palermo : Palumbo 1993, pp. 171-203 ; Giuliana Toso-Rodinis : « Le nostos d’Ulysse d’Habib Tengour », in : Régis Antoine (dir.) : Carrefour de Cultures. Mélanges offerts à Jacqueline Leiner. Tübingen : Narr 1993, pp. 297-308.

[30] « Le Radeau de la Mémoire », in : Po&sie 52 (1990), Paris : Belin, pp. 92-96 ; « Au pays des morts », in : Po&sie 80 (1997), Paris : Belin, pp. 174-179.

[31] L’Arc et la cicatrice, Alger : ENAL 1983.

[32] Ulysse chez les Intégristes », « Les Lotophages », in : Gens de Mosta, pp. 86-94 et 95-101.

[33] L’Epreuve de l’Arc, Paris : Sindbad 1990.

[34] Pierrette Renard : « Exil et écriture », in : Bulletin Bpi, novembre/décembre 2001, numéro 0 : « Dossier d'encre et d'exil », Paris : Centre Pompidou, p. 3-4 ; ici : p. 3.

[35] « La mort de Abderrahman », in : Alger Républicain, septembre 1992 ; reproduit par fragments in : Pagine (Quadrimestrale di poesia IX/23 (1998), pp. 37-41, avec une traduction italienne par Toni Maraini ; une version légèrement modifiée se trouve dans le recueil États de chose (2003), pp. 11-15.

[36] Habib Tengour : « Georges Seferis (1900-1971). La douleur et la beauté du vers », in : El Moudjahid du 2 janvier 1980.

[37] In : Po&sie 80 (1997), Paris : Belin, pp. 174-179. – Cf. aussi l’analyse détaillée qu’en donne Anna Maria Mangia : « Allégorie de l’Enfer et Réécriture du Mythe dans Au pays des morts de Habib Tengour », in : Ponts/Ponti, n0 1 : « Enfers », Milano : Cisalpino 2001, pp. 69-101.

[38] Tengour lors d’une soirée-lecture à la Cinémathèque de Constantine, Ramadhan 1988.

[39] Cf. Hédi Abdel-Jaouad : « Habib Tengour ou le ‘zappeur’ surréaliste », in : Mourad Yelles (éd.), op. cit., pp. 39-64.

[40] Interview (inédit) avec Thierry Brésillon du journal Panoramiques, Paris, 17 novembre 1991.

[41] Pour nos intentions, il n’est pas nécessaire de différencier entre « exil » et « émigration » tel que le fait Anna Zoppellari dans sa communication « Images de l’émigration chez Habib Tengour »

[42] P.ex. « Le 'je-nous' de Fatma », in : Histoire de vie et Dynamique langagière (= Cahiers de Sociolinguistique 5), sous la direction de Christian Leray et de Claude Bouchard, Rennes : Presses Universitaires de Rennes 2000, pp. 95-101.

[43] Tengour lors de la soirée-lecture à Heidelberg, le 13 décembre 2001.

[44] Ce petit texte tengourien est par ailleurs un succulent portrait du « Tatar », autre figure de l'exilé/émigré algérien tengourien dans les banlieues de France, portrait tout en petites phrases courtes, succinctes, dans le style presque de la parodie d'une enquête scientifique.

[45] Si, dans Tapapakitaque (1976), l'ethnologue-espion qui fait ses recherches en milieu rural hostile, sera pendu, le narrateur-enquêteur dans Ce Tatar-là 2 (1999) sera plus chanceux et reste en vie. Mais puisque « Ce Tatar-là se méfie des sociologues. [...] Mon entretien s'est borné à des questions/réponses très brèves» (VIII)

[46] Roman qui fait état, déjà, toutefois sans les détailler, de ces « innombrables parcours brisés [...] que colportaient, bon an mal an, les émigrés vacanciers dans leur tradition orale pervertie. » De ces « refrains d'exil, languides et amers, qui vous empoignent au cou par surprise et violemment alors qu'ils étaient, on le supposait, depuis longtemps oubliés » (1990 : 141).

[47] Lire Anne Roche : « Habib Tengour et Le Poisson de Moïse », in : Mourad Yelles (éd.) : Habib Tengour ou l'ancre et la vague. Traverses et détours du textes maghrébin. Paris : Karthala 2003, pp. 283-314.

[48] Pour une analyse plus détaillée, voir notre article : « 'La vibration de la trace...'. Evolution et continuité dans Le Poisson de Moïse », in : Mourad Yelles (éd.), op. cit., pp. 155-194.

[49] Notamment dans deux nouvelles, « Chansons » et « Paris-Octobre », évoquant les conditions de vie dans le Paris de l'émigration algérienne des années 40 à 60 pour clamer la nécessité de fixer par écrit ces « récits autobiographiques, maintes fois ressassées au bar », car « se souvenir était une obligation religieuse et un acte militant. » (57)

[50] Cf. aussi la nouvelle « Paris-Octobre » dans Gens de Mosta, une des premières à traiter ce douloureux sujet.

[51] « Depuis 1992, je recueille des histoires de vie dans le monde de l'immigration maghrébine. [...] Le choix des immigrés algériens n'est pas neutre. Il renvoie, non seulement, à mon histoire personnelle, mais aussi il me permet d'approfondir mes investigations concernant la culture populaire, la mémoire collective et l'identité algérienne. » (Habib Tengour : « De la formule religieuse à la formulation de soi », Communication, Trieste, 30 décembre 1999, manuscrit inédit)

[52] L'Amour fou, Paris : Gallimard 1937, p. 47.

[53] Insertion, dans un récit onirique, de l'éloge funèbre de Trotsky sur Essénine, tiré de la Pravda du 19 janvier 1926 (p. 26).

[54] Insertion d'un extrait du Journal des Débats du 25 messidor an XI dans le journal intime d'Omar Khayyam (p. 84) ; cf. à ce sujet notre article : « Habib Tengour ou La Poésie est une île... », op. cit., p. 101.

[55] Obsession de l’ailleurs évoquée également par Laura Reeck comme élément constitutif du roman beur, dans sa communication : « De l’échec à la réussite dans le Bildungsroman beur ».

[56] Extrait de la « Déclaration d'intention des auteurs » (texte non publié, cédé par Tengour).

[57] Tengour lors d’une soirée de lecture à Heidelberg, le 13 décembre 2001.

[58] Extrait de la « Déclaration d'intention des auteurs ».

[59] Tengour à Heidelberg, le 13 décembre 2001.

[60] Habib Tengour : « "Un verbe accessible ? » (inédit daté Paris, 16 déc 1995/ Lyon 18 oct 1996).

[61] Joris, op. cit, p. 355.

[62] « Puisque j’écris en français, ce que j’ai à dire doit se faire à l’intérieur de la littérature qui s’écrit en français. Et donc [...] en même temps que l’on écrit sur la vie, sur l’expérience, c’est un travail sur une écriture. Qu’est-ce qu’on amène dans le style, dans la forme, dans la rhétorique, dans l’esthétique [...] c’est ce travail aussi.   »  (Tengour lors de la soirée-lecture à Heidelberg, le 13 décembre 2001.)

[63] La voilà : « Celui sera véritablement le poète que je cherche en notre langue, qui me fera indigner, apaiser, éjouir, douloir, aimer, haïr, admirer, étonner, bref, qui tiendra la bride de mes affections, me tournant çà et là à son plaisir.  »

[64] Cf. notre article  : « Entre Hölderlin et Homère : L'Epreuve de l'Arc de Habib Tengour. Tiraillement et tension d'un texte maghrébin. » In : Collectif (éd.)  : Les racines du texte maghrébin. Tunis: Cérès Editions 1997, pp. 71-83.

[65] Cf. encore notre article : « '...écrire comme si je pouvais mourir demain...' : Le poète-ethnologue Habib Tengour» In : Etudes Littéraires Maghrébins, Bulletin de Liaison No 15 (1997) de la CICLIM, pp. 6-11.

[66] Cf. notre étude : « 'Le mot disait séparation' - Maghreb et Modernité chez Habib Ten­gour », in : Lu­cette Hel­ler-Goldenberg (éd.) : Cahier d'Etudes Magh­rébines, no 1 : Maghreb et Modernité, Cologne 1989, pp. 67-76.

[67] Habib Tengour : « La preuve par l’image: Le récit hagiographique et l’histoire de vie », in : Les Cahiers de la Villa Gilet 6, Lyon : Editions Circé/ Villa Gilet 1998, pp. 209-226; ici : p. 209.

[68] Tengour : « 'Innovation' et 'tradition' dans la perception popu­laire de l'espace religieux en Algé­rie. » In : Algérie - France - Islam. Textes rassemblés par Josef Jurt, Paris : L'Harmattan 1997, pp. 137-145 ; ici : p. 137.

[69] Habib Tengour : « Un verbe accessible ? » (inédit daté Paris, 16 déc 1995/ Lyon 18 oct 1996).

[70] Joris, op. cit., p. 360.

[71] Geneviève Mouillaud-Fraisse : « Le Retour d'Ulysse à Alger », in : Les Fous cartographes. Littérature et appartenance, Paris : L'Harmattan 1995, pp. 205-211 ; ici : p. 205.

[72] Cf. notre bibliographie exhaustive en fin du volume édité par Mourad Yelles (voir note 8).

[73] Pierrette Renard : « Exil et écriture », in : Bulletin BPI, novembre/décembre 2001, numéro 0 : « Dossier d'encre et d'exil », Paris : Centre Pompidou, p. 3-4.

[74] Joris, op. cit., p. 355.

[75] Citations d’après le bilan des urgences de recherche dressé par Yelles (éd.), op. cit., p. 13.

[76] Hans-Georg Gadamer, Discours « Gutes Deutsch », prononcé devant la Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung, Darmstadt, 1979.