L’élément carnavalesque dans le roman maghrébin de langue française

(Nedjma de Kateb Yacine et Agadir de Mohammed Khaïr-Eddine à travers la théorie du carnaval de Mikhaïl Bakhtine)

par

Ioulia POUKHLI

Mémoire de D.E.A. « Poétique et Imaginaire »

Université Stendhal ¾ Grenoble III

U.F.R. de Lettres classiques et modernes

Sous la direction de

Monsieur Bernoussi SALTANI

Octobre 2001


Table des matières

Introduction.. 3

La vue générale des formes carnavalesques au Maghreb.. 16

L’élément rituel et carnavalesque dans Nedjma.. 29

Chapitre I: Une lecture « mythico-rituelle ». 29

Chapitre II: La représentation non-directe du rite. 40

Chapitre III: La carnavalisation comme moteur narratif. 43

La carnavalisation politique et existentielle dans Agadir.. 52

Chapitre I : L’intronisation-détrônisation comme un procédé de mise à l’épreuve de la vérité. 53

Chapitre II : La carnavalisation de la vie et de la mort.. 64

Conclusion.. 69

Bibliographie. 72


Préambule

Le choix de l’objet de ma recherche est susceptible d’étonner le lecteur : comment une Russe se met à étudier la littérature du Maghreb ? En effet, cette question m’a suivi tout au long de mon enquête. Je n’ignore pas le côté expérimental de ce travail : il est évident qu’un an n’est pas suffisant pour s’habituer à une culture et à une littérature si différentes.

La théorie du carnaval de Bakhtine m’a beaucoup intéressée depuis mon mémoire de maîtrise soutenu à l’université de Moscou. En l’appliquant au roman de Boris Vian L’Ecume des jours, dont les aspects carnavalesques m’ont paru ignorés par les critiques, j’ai commencé à réfléchir sur les emprunts à la culture natale de l’écrivain dans une œuvre touchée par le carnavalesque, ce souffle universel. Est-il vrai que dans les pays moins avancés sur le plan techno-industriel, dans les sociétés dites traditionnelles – à la condition qu’ils ont une littérature développée - la carnavalisation se réalise d’une façon plus nette et plus riche ? Telle était l’impulsion initiale qui m’a poussé vers le roman francophone nord-africain. Il était sans doute marqué par des stéréotypes que nous avons sur l’Afrique : aujourd’hui la culture carnavalesque maghrébine, ainsi que son influence sur le roman m’apparaît un phénomène beaucoup plus subtil et complexe.

Mon essai vise également une méthode future. Je me rendais bien compte que les études purement littéraires ne seraient pas suffisantes dans mon cas, si bien qu’il faudrait impérativement aborder les ouvrages hors littérature : ceux de l’ethnographie, de l’histoire et de la culturologie. Est-il en fin de compte possible d’intégrer ce matériel exempt dans le concept de Bakhtine essentiellement littéraire ? Et quels en sont les procédés pertinents ? Comment justifier l’application de cette théorie au corpus que j’ai choisi ? L’attention particulière de ce travail a été d’éviter que mon outil méthodologique devienne une grille de lecture abstraite et fortuite.

En dernier lieu, je me permets d’exprimer ici mes remerciements à M.Saltani, mon directeur, qui a accepté cette entreprise et qui n’a cessé de m’encourager chaque fois qu’elle me paraissait une mission désespérante.

 

 

 

 


Introduction

Le plus nous nous éloignons dans le dédale du postmodernisme, le plus la théorie du carnaval – ce pont entre la culture archaïque et contemporaine – nous paraît précieuse et digne d’intérêt. Ce débris du paganisme semble avoir un statut ambigu dans la société occidentale d'aujurd'hui. Si on en juge de l'apparence, le carnaval a visiblement trouvé sa place dans les branches les plus différentes. Il existe comme une sorte de loisir pour les enfants, ainsi que pour les adultes[1]. Les psychiatres l'utilisent comme un moyen curatif[2]. Le Musée international du Carnaval et du Masque est ouvert à Binche en Belgique, il organise des expositions en Europe et publie des catalogues[3].

Si nous passons de la vie pratique à la vie de l'esprit, nous verrons que le carnaval sert de modèle explicatif, de symbole ou de simple comparaison dans un large spectre de domaines: de la politique à l'art contemporain[4]. Nous observons la même adaptation du carnaval dans tous les registres de la littérature: de la bande dessinée et du polar au roman et au documentaire[5]. Dans sa puissance métaphorique, ses capacités d’extension sémantique et symbolique, le carnaval reste inépuisable. Sous son abri accouraient à toute époque la fronde ainsi que les graphomanes[6]. Qu’y a-t-il derrière cette attirance irrésistible ? Pourquoi paraît-elle devenir encore plus forte comme en témoigne la renaissance des carnavals locaux, entre autres celui de Romans ? La réponse est peut-être dans la désacralisation et démystification du monde, «une découverte récente de l’esprit humain», dont la conséquence est «une difficulté de plus en plus grande à retrouver les dimensions existentielles de l’homme religieux des sociétés archaïques[7]» ? Le carnaval en est sans doute un de moyens.

Nous avons découvert cette problèmatique grâce aux monographies de Mikhaïl Bakhtine. Nombreux sont les sociologues, historiens, ethnologues qui ont étudié ce phénomène, mais faut-il s’étonner en rencontrant son nom dans des ouvrages assez éloignés de la théorie littéraire, comme les études sociologiques sur le carnaval brésilien[8] ou l’enquête documentaire sur les femmes victimes des règlements de compte au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale[9]? Ses travaux sont incontournables pour la pensée humanitaire ce que prouve le fleuve incessant des publications le concernant en Russie, en Italie, au Japon et aux Etats Unis. Pourtant la France se retrouve à l’écart. Comment s’expliquent cette relative indifférence et même les aberrations de la réception des ouvrages de Bakhtine par les intellectuels français ? Telle était la question qui explique cette introduction.

La réception de l’œuvre de Mikhail Bakhtine en France

Нам не дано предугадать,

как слово наше отзовется…

Федор Тютчев[10]

«[...]On se demande si Bakhtine a jamais été vraiment lu[11]», écrit Catherine Depretto dans le receuil des matériaux de la Journée d’études bakhtiniennes en mai 1995 à l’Université Bordeaux 3, organisée par le Centre d’études des civilisations slaves et se rapportant au centenaire de la naissance du penseur russe. Au premier abord, Mikhail Bakhtine est un théoricien de la littérature qui n’a pas besoin de présentation. Ses principaux livres et articles sont édités en France depuis trente ans. Ses idées font parti des cours de base de la critique littéraire universitaire. Son héritage ne cesse d’intéresser les spécialistes non seulement de la littérature, mais aussi de la philosophie, de l’esthétique, de la linguistique, de la psychologie et de la sociologie. Mais malgré l’apparition en France de nouveaux articles et ouvrages sur Bakhtine, nous sommes obligés de constater que son image en tant que penseur et personnalité continue à souffrir d’altérations, qui datent encore de l’époque soviétique. Le lecteur français d’aujourd’hui se fait une idée de Bakhtine à l’aide de livres publiés dans les années 70-80 qui contiennent une information restreinte et filtrée, alors que la nécessité de rééditer ses textes principaux en intégrant le massif de données biographiques et critiques qui sont divulguées en Russie depuis dix ans devient de plus en plus évidente.

En se rendant compte que la littérature critique sur Bakhtine est difficile à embrasser, nous nous posons comme tâche dans cette introduction d'attirer l'attention sur les principaux points qui ont besoin d'être corrigés ou nuancés: dans le domaine de la traduction, ainsi que de la biographie et des interprétations de Bakhtine en France. Cet aperçu est nécessaire pour mieux détérminer notre propre approche théorique qui va intégrer parallèlement à des textes bakhtiniens connus, des écrits inédits sur le carnavalesque, qui viennent d'être publiés à Moscou dans l'édition de son oeuvre complète et dans d'autres ouvrages.

Les œuvres

En France on connaît aujourd’hui six livres de Bakhtine : 1. Problemy poetiki Dostoevskogo (Moscou : Sovetski pisatel, 1963), traduit en français en 1970 par deux éditions – L’Age d’Homme de Lausanne sous le titre Problèmes de la poétique de Dostoievski et par Seuil comme Poétique de Dostoievski ;

2.       Tvortchestvo Fransua Rabelais i narodnaya cultura Srednevekovia i Vozrozhdenia (Moscou : Hudozhestvennaya literatura, 1965) traduit comme L’Oeuvre de François Rabelais et la Culture Populaire au Moyen Age et sous la Renaissance par Gallimard en 1970 ;

3.       le recueil posthume Voprosi literaturi i estetiki (Moscou: Hudozhestvennaya literatura, 1975), traduction française de 1978 par Gallimard sous le titre Esthétique et théorie du roman ;

4.       Marxisme i filosofia iazika (Leningrad, 1929) traduit et publié par les Editions de Minuit en 1977 comme Le Marxisme et la philosophie du langage. Sur la couverture le nom de Bakhtine est suivi entre parenthèses  par celui de son élève V.N.Volochinov ;

5.       Freidizm (Moscou-Leningrad, 1927), en français Le Freudisme sorti en 1981 à Lausanne, à l’Age d’Homme ;

6.       Le deuxième recueil posthume Estetika slovesnogo tvorchestva (Moscou : Iskusstvo, 1979) traduit en français comme Esthétique de la création verbale en 1984 par Gallimard.

Il faut ajouter le tout premier texte de Bakhtine en français « L’énoncé dans le roman » paru dans la revue Langages en décembre 1968, puis la publication de son article « Epopée et roman[12]» par le bulletin Recherches Internationales à la lumière du marxisme № 76 en 1973,  et enfin les quatre articles des années 1926-1930 signés par M.Bakhtine et V.Volochinov sur la théorie littéraire, linguistique et sociologique, divulgués par Tzvetan Todorov comme les écrits « du cercle de Bakhtine » dans son livre Mikhail Bakhtine. Le principe dialogique[13].

Il manque aujourd’hui en France une édition scientifique des œuvres bakhtiniennes ainsi que leur traduction révisée qui pourrait éliminer cette «absence totale d’unification dans la recherche des équivalents français les plus appropriés à rendre la pensée de l’original[14] », due au fait qu’à l’époque les traductions des principales œuvres bakhtiniennes ont été confiées à des personnes différentes, qui parfois n’étaient pas des spécialistes de la question. Todorov, lui-même traducteur, remarquait en 1981 que «ses concepts essentiels, ceux de discours, d’énoncé, d’hétérologie, d’exotopie[…] sont rendus par des «équivalents » déroutants ou bien disparaissent purement et simplement devant le souci qu’a le traducteur d’éviter les répétitions ou les obscurités[15] ». Il ajoute que le même mot russe n’est pas toujours traduit de la même façon par les différents traducteurs, ce qui crée des difficultés artificielles. Depuis (en 1998) Seuil a sorti La Poétique de Dostoievski en poche sans changer une ligne.

Ajoutons entre parenthèses que l’histoire des mésaventures des traductions de Bakhtine en français reste à écrire. Nous nous limiterons à trois remarques sur ce sujet. Il est regrettable que la meilleure des deux traductions de La Poétique de Dostoievski - celle du russisant Guy Verret à l’édition l’âge d’Homme – que citent tous les connaisseurs de Bakhtine, soit moins connue que celle du Seuil et demeure assez difficile à trouver. Il serait curieux de savoir pourquoi la traductrice du livre sur Rabelais là où en russe il est écrit François Rabelais et la culture populaire du Moyen Age et de la Renaissance a mis «sous la Renaissance », en provoquant des malentendus de la part des spécialistes français de cette époque[16]. Enfin nous ne pouvons pas nous abstenir de solidarité avec Todorov dans son étonnement devant une force mystérieuse qui a méthodiquement effacé le mot “problèmes” ou ses synonymes, de la majorité des traductions françaises de titres bakhtiniens, alors que cette notion exprime le trait déterminant de sa manière de penser.

La biographie

Jusqu’à la fin des années 90 le lecteur français interessé par Bakhtine ne disposait que de quatre préfaces de ses livres, auxquelles s’ajoute l’introduction et la biographie de Bakhtine écrites par Todorov dans Le principe dialogique[17]. Il est clair que les omissions, l’absence d’information intelligible et même les lapsus, dont malheureusement ne sont pas privées les références françaises sur Bakhtine de cette époque, font écho à leurs analogues russes. Mais si depuis les historiens russes ont pu combler une grande partie des lacunes dans la vie et l’œuvre de Bakhtine, leurs homologues en France (sauf les auteurs du recueil de Bordeaux déjà cité) sont un peu en retard. Par exemple, dans la préface à la Poétique de Dostoievski (édition du Seuil) Julia Kristeva en inscrivant Bakhtine dans le contexte idéologique et littéraire de son époque, attribue ses deux livres écrits sous les pseudonymes de ses amis Pavel Medvedev et Valentine Volochinov (La méthode formelle en théorie littéraire et Le Marxisme et la philosophie du langage) à ces deux membres du «cercle bakhtinien»[18].

La question de la paternité des textes contestés est importante, car nous ne pouvons pas avoir une idée adéquate du système conceptuel et terminologique de Bakhtine sans la résoudre. Ce qui explique, par exemple, pourquoi Todorov dans Le principe dialogique ne passe à la bibliographie et à la périodisation de l’héritage bakhtinien qu’après avoir exposé ses arguments concernant la question. Sept ans après Kristeva, Roman Jakobson dans la préface à l’édition française du Marxisme et la philosophie du langage partage avec le lecteur la joie de découvrir derrière le nom de Volochinov la paternité de Bakhtine, «l’auteur d’œuvres déterminantes sur la poétique de Dostoievski et de Rabelais[19]». Dans l’introduction qui suit la préface la traductrice de ce texte Marina Yaguello donne ses raisons à ce jeu de prête-nom qui dans les grands traits corresponde au point de vue actuel, mais qui depuis est sensiblement nuancé. Elle propose également la première biographie de Bakhtine. Cependant la cause de son «établissement » bizarre «à la frontière de la Sibérie et du Kazakhstan[20]» entre 1929 et 1936 n’y est pas éclaircie.  

Michel Aucouturier dans l’introduction au recueil Esthétique et théorie du roman utilise la même source biographique sur Bakhtine qui semble être l’unique aux années 70[21], car il reprend les principaux éléments promulgués par Yaguello. Il essaye d’éclaircir la cause de l’«établissement » de Bakhtine dans des endroits si éloignés et lance l’hypothèse que «cet euphémisme recouvre évidemment un exil administratif, qui paraît s’adoucir en 1936[22] ». L’auteur propose aussi son point de vue sur la question du pseudonyme en disant qu’«indépendamment même de la problématique qui leur est commune, le style, avec sa rigueur démonstrative, sa précision et sa vigueur imagée dans le maniement de termes abstraits, confirmerait, s’il en était besoin, la paternité de Bakhtine[23] ».

Une clarté relative apparaît avec la publication du livre de Tzvetan Todorov Le principe dialogique. En utilisant sans doutes ses connaissances du russe et des gens de l’entourage de Bakhtine, l’auteur corrige la majeure partie des imprécisions, mais fatalement commet d’autres lapsus regrettables, comme par exemple 1926 au lieu de 1927 - date de publication du Freudisme(p.176) ou Valerian au lieu de Valentine Volochinov (p.13). Mais cela n’efface pas les mérites incontestables du livre mentionné dans les commentaires russes de la toute récente œuvre complète de Bakhtine[24]. Todorov a été très bien documenté et surtout ne cachait pas ses sources russes, comme l’ont fait tant d’autres interprètes de Bakhtine. Dans sa bibliographie qui reste la plus complète (sans compter les suppléments de L’Héritage de Bakhtine), il cite entre autres (p.24) un important article de ce dernier, en particulier pour l’évolution de la théorie du carnaval, «Satire» qui ne sera publié qu’en 1997. Il donne enfin une vision adéquate de ce qui s’est passé avec Bakhtine entre 1929 et 1936 : il ne s’agit pas d’exil administratif, comme l’avait supposé Aucouturier, mais d’arrestation en 1929 et de condamnation pour l’activité d’un cercle religieux à cinq ans de camp, qu’il devait passer à Solovki. Puis la peine a été commuée pour raison de santé en relégation au Kazakhstan jusqu’à 1936[25](pp.14-15).

Sur le problème des pseudonymes Todorov invite à être prudent dans l’attribution sans réserve de ces oeuvres à Bakhtine. En avouant qu’il n’a “aucune information nouvelle à verser à ce dossier”(p.18), le critique déroule une argumentation nuancée sur “l’enjeu de l’attribution” à Bakhtine de l’époque. Même si la majeure parti des ses arguments est dépassée depuis, ils restent néanmoins très précieux, car ils reflètent le bilan d’une étape de cette polémique lorsqu’on utilisait des arguments de tous genres – la conjoncture historique, l’éthique, le statut des témoignages, l’analyse thématique – avant de passer aux nouvelles méthodes d’expertise textologique d’aujourd’hui. Ces arguments illustrent le point de vue typique de la critique française de gauche qui s’est penchée sur la paternité de Bakhtine pour y tirer la conclusion de l’existence chez lui d’une période marxiste. A la fin Todorov propose la variante du double nom avec une barre oblique[26].

La réponse aux questions posées par Todorov a vu le jour en 1993 dans le vaste article en russe de Sergheï Botcharov, un des proches de Bakhtine pendant les dernières années de sa vie. Catherine Depretto a traduit dans L’héritage de Bakhtine ce texte important, contenant en outre la chronologie de sa vie, la bibliographie en russe, en français et en anglais, des notices bien vérifiées sur l’entourage de Bakhtine et deux autres témoignages sur la question des prête-noms(pp.149-204)[27]. D’après nos connaissances cet article reste l’exposé le plus complet de «l’affaire de pseudonymat » en français. L’expression qu’on vient d’utiliser appartient au linguiste Jean Peytard, l’auteur du livre Mikhail Bakhtine. Dialogisme et analyse du discours. Publié dans la collection «référence » qui se propose de faciliter l’accès à la pensée des critiques, philosophes et écrivains, ce livre donne apparemment le résumé de ce qui a déjà été divulgué par Todorov, les bakhtinistes américains Clark et Holquist et autres[28].

En 1997 Depretto partage encore le point de vue du philologue russe Sergheï Averintsev qui a proposé d’appeler les œuvres en question «deutérocanoniques ». Aujourd’hui, après la publication du volume Bakhtine pod maskoi (Bakhtine masqué, Moscou : Labyrinthe, 2000), la polémique autour des prête-noms semble enfin se calmer. Ce recueil rassemble tous les quatorze écrits de Bakhtine sous les signatures de ses amis Volochinov, Medvedev et Kanaev en proposant à la fin un commentaire solide et surtout une analyse textuelle faite en utilisant les derniers acquis de la linguistique structurale. Cette analyse prouve que «le noyau stylistique » ( les syntagmes et les mots isolés) dégagé dans un de textes en question à l’aide de l’ordinateur, se trouve dans les quantités semblables dans les authentiques textes de Bakhtine, tandis qu’il est présent beaucoup moins dans les ouvrages appartenant à Medvedev même et aux autres auteurs en question[29].

Une dernière remarque : il est dommage qu’aux références biographiques sur Bakhtine en France manque son image humaine. Les lecteurs français, à la différence des lecteurs américains, sont privés de ces petits détails comme son manque de sens pratique, son insouciance ( à l’époque de la pénurie de papier il se servait de ses manuscrits pour rouler des cigarettes), sa relégation, sa maladie[30], qui transforment une figure abstraite en un homme vivant.

La vie des idées bakhtiniennes en France

       Le sujet le plus passionnant est à notre avis les aventures des idées bakhtiniennes en France à partir de sa «découverte » jusqu’à nos jours. Nous pouvons les aborder dans une perspective chronologique, c’est-à-dire examiner quand, comment et par qui ses idées ont été découvertes, perçues (acceptées ou réfutées) et finalement adaptées d’un critique à l’autre. Ou bien, observer dans quelles formes s’est réalisée l’influence de Bakhtine sur la pensée critique française. Au premier coup d’œil nous y voyons quatre points principaux :

-            Au niveau des termes ;

-            Au niveau de concepts entiers dans le domaine littéraire ;

-            L’influence conceptuelle dans d’autres domaines comme la linguistique, la philosophie, la sociologie, etc.;

-            Enfin, l’influence «par le contraire » : c’est-à-dire comme un point de départ de la polémique.

Dans notre brève esquisse nous allons combiner les deux, en évoquant le plus essentiel.

Le «rôle fondateur[31] » dans la découverte du penseur russe appartient, comme on le sait, au sémiologue et critique français d’origine bulgare Julia Kristeva. Il s’agit de son texte Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman publié en 1967 dans la revue Critique[32], trois ans avant la traduction des livres bakhtiniens en français. En mettant ce matériel novateur en circulation intellectuelle en France, Kristeva paraît être consciente des risques qui accompagnent cet acte de présenter «avec un décalage de quarante ans » un travail extrait «de son lieu, de son temps et de sa langue [33]». Malheureusement, ses prévisions se sont réalisées assez vite. Des données biographiques parcimonieuses ainsi que l’absence de commentaire historico-littéraire et philosophique ont favorisé des malentendues et des imprécisions autour des idées de Bakhtine.

Les articles de Kristeva déjà, même s’ils dépassent le titre de simple présentation, n’échappent pas à cette fatalité. L’auteur essaye d’être objectif en soulignant – outre les nombreuses “limites théoriques”[34] - le côté fort de l’écriture bakhtinienne qui est pour elle sa puissance méthodologique qui réunit l’historicisme avec “l’analyse des instances discursives”(p.16). Son interprétation de la tradition carnavalesque et de la ménippée contient des intuitions subtiles. Ses passages concernant l’influence de Dostoievski sur les écrivains français (p.17) ou l’application de la théorie bakhtinienne aux écrivans modernes comme Joyce, Kafka, Artaud ou Bataille[35] sont très intéressants. Mais l’impulsion initiale de Kristeva qui la pousse à tout prix à rattacher le penseur russe au courant de la “Nouvelle critique”, crée des abus. Comme l’a dit le bakhtiniste russe V.L.Makhline, elle “n’a pas vu et n’a pas reconnu dans Bakhtine un Autre[36]”. Au lieu d’expliquer Bakhtine à l’intérieur de son propre système, elle lui impose les coordonnées d’univers parallèles ou même étrangers, comme le formalisme russe ou les études structuralistes en Occident.

Grosso modo Kristeva, à notre avis, a eu raison en plaçant Bakhtine entre les principaux paradigmes méthodologiques du XX-ème siécle: freudisme et structuralisme (Poétique ruinée, p.6). Mais elle s’est visiblement trompée quant aux rélations qu’avait le penseur russe avec ces deux pôles. Elle envisage les ouvrages bakhtiniens comme une tentative de dépassement de l’école formaliste russe[37]. D’où ses parallèles avec Saussure (dont les idées sont un objet de polémique permanante chez Bakhtine), avec la sémantique structurale, avec le cercle de Prague, avec Lacan et Derrida, etc. Elle a tort aussi, en disant que Bakhtine ignorait Freud, parce que son livre sur Dostoievski ne comporte “aucune référence à la psychanalyse[38]”. Ces deux postulats n’ont plus vigeur après la découverte que l’auteur des livres signés Volochinov et Medvedev y compris La méthode formelle dans la littérature (que Kristeva d’ailleurs cite beaucoup et qui contient une critique du formalisme) et du Freudisme est Bakhtine même. En 1979 on a publié le témoignage de Bakhtine sur son attitude vis-à-vis du structuralisme (traduit en français en 1984), où il le caractérise comme une système opposé au sien[39]. Par ailleurs, l’analyse détaillée de ses écrits sur le dialogue a fait apparaître que la polémique implicite avec le doctrine freudiste y était un point constant.

Les faiblesses de ce modèle d’interprétation montrent bien que, pour ne pas tomber dans les excès, le vecteur explicatif ne doit pas se diriger uniquement du phénomène intellectuel vers son contexte, mais aussi vice versa. Quoi qu’il en soit, les écrits de Kristeva reflètent la récéption de Bakhtine par le milieu structuraliste des années 60-70: à un moment quand on croyait qu’en dehors du structuralisme il n’y avait pas de grâce. Et puis comme toute polémique, le débat autour de Bakhtine a une valeur historique: il témoigne sur l’histoire des idées dans la France d’après 68.

La réplique polémique à Kristeva est venue du professeur de l’Université Paris VIII Claude Frioux. Ce dernier justifie sa réponse par la nécessité de rendre transparents les inépuisables “avatards des relations entre la Russie et la culture occidentale[40]”. Le cas de Bakhtine et son contexte russe lui donne de nombreux exemples de ces distorsions: notamment, le dénigrement du contemporain de Bakhtine, le théoricien de la littérature Pereverzev ou la réhabilitation tardive, “assez mécaniste et inoffensive du formalisme”(p.108). Frioux constate, en gardant en vue Kristeva, la condescendance de ceux qui ont contribué à diffuser l’oeuvre de Bakhtine en Occident: “on lui reconnaît des pressentiments, des intuitions mais on lui reproche des ignorances et des imprécisions”(p.109); on le croit démodé à tel point que pour le trouver actuel, il faudrait forcer “une soi-disant objectivité subjective”.

Ne voulant pas se contenter d’un simple hommage aux mérites ignorés de la pensée bakhtinienne, tels que “remarques extrêmement précises”(p.111), “la pertinence intellectuelle, la sûreté littéraire et l’économie avec lesquelles ils promeut les concepts et les termes nouveaux”(pp.114-115); Frioux essaye de démontrer les causes de cette attitude négligeante. Il est, à notre connaissance, un des premiers à souligner que les intentions de Bakhtine et des structuralistes comme Jakobson, Todorov et Kristeva, se trouvent opposées. Le premier “cherche la finalité de cette inflexion de l’écriture”(pp.111-112), pour lui “la spécificité littéraire se développe essentiellement au-delà des identifications formelles, linguistiques et transcendantales”(pp.110-111); alors que les derniers s’enferment “dans un système clos du signifiant”(p.110) et qu’ “ainsi traitée, la littérature perd précisement toute spécificité”(p.110). Ce qui automatiquement signifie qu’en soulignant la réussite bakhtinienne de sortir à partir de l’analyse stylistique à un autre niveau, celui de la “métalinguistique” et de la philosophie, les structuralistes démontrent leurs propres defaites. Au fond, leur rejet instinctif des idées de Bakhtine cache une différence de base philosophique: d’après Frioux “une métaphysique pessimiste latente”(p.114) contre “la dynamique ouverte et infinie du vivant” (ibid.). D’où vient l’étonnante persistence avec laquelle les structuralistes et Kristeva personnellement voient dans son dialogisme et son polyphonisme “que travail de sape, processus de pourissement, d’effondrement, de destruction[41]”.

Cet extrait d’une polémique beaucoup plus étendue et passionnante, nous montre que les concepts bakhtiniens se trouvent à côté des principaux courants intellectuels de l’époque. Les structuralistes les ont utilisés pour se distinguer de leurs prédécesseurs formalistes, leurs opposants – pour montrer entre autres les faiblesses de ce paradigme dominant. De ce point de vue l’article de J.-M.-G. Le Clézio “La révolution carnavalesque[42]” attire notre attention comme la réaction de quelqu’un qui se tient à l’écart de la mêlée. Une des premières réactions à la traduction française du livre sur Rabelais, peut-être la plus chaleureuse, cet article représente un véritable “credo” littéraire de son auteur. Il faut remarquer que les textes bakhtiniens ont la puissance irrésistible de faire méditer leurs interprêtes sur leurs sujets préferés. La problématique du livre de Bakhtine sert juste de point de départ pour la réflexion de Le Clézio, sur la société occidentale contemporaine et sa littérature qui subissent la rupture de leurs racines populaires. Cet article, grâce à sa vision générale et non restreinte par des horizons polémiques quelconques, a pu toucher des questions qui seront écartées dans l’ardeur du débat.

Le Clézio parle de Bakhtine “ethnologue” qui “fait mesurer exactement l’abîme qui sépare notre monde de celui de Rabelais”(p.3); de Bakhtine linguiste qui “restitue exactement l’univers verbal du XVI-e siècle”(p.4); Bakhtine révolutionnaire dans le domain littéraire dont les idées, selon Le Clézio, font apparaître “l’échec du réalisme”(p.3), le fondement carnavalesque des obsessions du monde moderne: la violence, l’érotisme, la vie digestive (p.5) et l’opposition éternelle entre la culture populaire et “la dictature de l’intellectualisme”(p.4). La grande question que pose à son avis le livre du penseur russe est la suivante: cette langue de la culture populaire est-elle irrévocablement perdue ou pouvons-nous encore la comprendre? Le Clézio penche pour la deuxième réponse avec laquelle nous sommes solidaire, en considérant la littérature du Maghreb qui nous donne de nombreuses preuves de la survivance de cette forme rituelle d’expression.

           Comme le note justement Todorov, jusqu’à la publication du troisième livre de Bakhtine l’année de sa mort, toutes les tentatives d’interprétation ont été condamnées à de “grosses erreurs”, car “deux petits morceaux visibles de l’iceberg étaient pris pour le tout sans que la liaison même entre les deux pût devenir intelligible[43]”. C’était forcément le cas de la tentative de critique esthétique  entreprise en 1973 par le philologue américain David Hayman[44]. En appelant les livres du penseur russe “essentiels” et lui-même “un pionnier”, l’auteur estime quand même que Bakhtine “n’est pas parvenu à une mise au point de ses thèses”(ibid.), qui ont besoin d’être complétées par une étude des “mécanismes sous-jacents” de la fête et de l’art. Le principal point débattu par Hayman, mis à part l’opposition de Bakhtine entre la littérature monologique-officielle[45] et celle dialogique, est l’absence de distinction entre deux « impulsions » du carnaval: négative, ou « farcesque » et positive, ou « romantesque »(p.78). En notant, que certaines des précisions apportées par Hayman méritent attention: sur la figure du clown(pp.84-88) ou ses propos sur l’application de la théorie carnavalesque sur les oeuvres de Flaubert, Zola, Céline, Burroughs, Grass, Beckett (pp.79,86,93), nous voyons dans la réplique de Hayman une manifestation radicale de cette même condescendance dont parlait Claude Frioux. Il est curieux de rencontrer chez un littéraire américain ce langage impératif et indicatif de la critique jdanovienne que Bakhtine connaissait si bien.

           Le livre de l’historien et philologue français Claude Gaignebet, paru en 1974[46], participait à la discussion déjà par son titre. Pour nous c’est un exemple de ce que nous avons appelé plus haut l’influence de Bakhtine «par le contraire », car en érigeant son système en opposition au concept bakhtinien, Gaignebet ne mentionne nulle part ses travaux[47]. Certains critiques opposent son livre à la théorie carnavalesque de Bakhtine, ce qui n’est pas à notre avis très juste parce que ce dernier ne se situe pas sur le même terrain que Gaignebet. Le sous-titre du Carnaval est «essai de la mythologie populaire », alors que Bakhtine travaillait dans le domaine de la poétique historique. A notre avis, l’approche de Gaignebet ne nie aucunement le concept du penseur russe, mais éclaircit et enrichit de détails concernant la France[48], certains aspects que Bakhtine a laissé de côté comme les moins importants pour sa théorie de la littérature carnavalisée[49]. Et comme la base des études de Gaignebet était la même littérature de l’Antiquité au XVIIIème siècle que chez Bakhtine, nous rencontrons chez lui les mêmes exemples comme Varron, Ovide, Rabelais, Cyrano de Bergerac, Diderot. Chez l’un ils illustrent les romans-ménippées et chez l’autre reflètent cet univers carnavalesque. Notons à propos que la majorité des répliques polémiques est parvenue à Bakhtine du camp des médiévistes et spécialistes de la Renaissance. En 1977 au colloque de Montréal sur la culture populaire, les auteurs de plusieurs interventions se sont sentis obligés de faire face à la vision bakhtinienne du problème[50]. Nous n’allons pas entrer dans les détails de cette polémique assez spécifique[51],  disons seulement que le milieu des médiévistes après avoir fait couler beaucoup d’encre à propos de la définition bakhtinienne de la “culture populaire” a finallement accepté cette notion[52]. ”L’attitude qui consisterait à prendre comme argument la complexité de cette notion pour nier totalement l’existence des faits qu’elle recouvre serait bien plus grave”, conclut Marie Scarpa[53].

Dans un solide dossier sur Bakhtine publié en 1984 dans l’Esprit[54], le Principe dialogique de Todorov est caractérisé comme “la meilleure introduction (supposons française) à Bakhtine”(p.95). Aujourd’hui, dix ans plus tard, il est assez difficile de contester cette définition, car Todorov est le seul critique français qui a proposé dans ce livre et dans la préface au recueil bakhtinien l’Esthétique de la création verbale une interprétation systématique de l’héritage du penseur russe. Effectivement, ce livre laisse peu de prétextes à la critique. Outre la bibliographie minutieuse et la lecture attentive de l’oeuvre bakhtinienne, sa manière de traiter le matériel est la plus délicate si on compare à d’autres interprètes français. Sans doute, grâce aux mérites des écrits de Todorov et à cause des difficultés de la pensée bakhtinienne (renforcées par des facteurs externes comme l’absence d’oeuvre complète), le Principe dialogique a pu exercer une sorte de monopole (partagé avec Kristeva) sur Bakhtine, ce qui est quand même paradoxal dans le cas d’un théoricien de l’ouverture et du dialogue confrontés à une attitude monologique.

Aujourd’hui certains points du concept de Todorov sont contestés, notamment sa vision du sens historique de l’oeuvre bakhtinienne comme “le dépassement du formalisme”, ou les termes d’intertextualité[55], qu’il reprend en suivant Kristeva dans le chapitre cinq de son livre, et de ltranslinguistique au lieu de métalinguistique[56] de Bakhtine. Le cas de Todorov est plus explicable, car c’est son approche d’interprète qui y est pour quelque chose : « Je voudrais, dit-il, […] présenter les idées de Bakhtine en fabriquant une sorte de montage, à mi-chemin entre l’anthropologie et le commentaire[…], je pense que mon nom pourrait être considéré comme l’un des pseudonymes (mais sont-ce de purs pseudonymes?) utilisés par Bakhtine[57] ». Il en résulte le fait qu’un grand nombre de critiques et chercheurs des années 70-80 en employant les termes bakhtiniennes présentent une vision «à la Todorov » (ou «à la Kristeva »), alors que Bakhtine n’a jamais été ni postformaliste, ni structuraliste. C’était le cas de certains spécialistes de la littérature maghrébine, nous en parlerons plus bas.

Dans les années 90 l’intérêt pour Bakhtine en France s’est sensiblement éteint si on en juge d’après la publication périodique (voire notre bibliographie). Parmi les monographies mentionnons celle de Jean Peytard déjà citée qui ne développe plus la polémique, mais propose un résumé de son oeuvre, ainsi que de la réception de Bakhtine en France. Quant au recueil L’héritage de Bakhtine, le spectre des problèmes qu’il éclaire n’est pas à négliger : Bakhtine et les recherches sur le Moyen Age, son concept de «genre » et de l’énonciation, Bakhtine aux Etats-Unis, Bakhtine et la culture russe du XXème siècle. Même si nous ne sommes pas d’accord avec l’angle exagérément critique de certains articles (notamment, de Myriam Désert « Bakhtine à tout faire », pp.121-131), ce livre reste la meilleure édition française sur Bakhtine avec un appareil bibliographique et référentiel irréprochable.

            En ce qui concerne l'application de la théorie du carnaval dans la domaine littéraire, nous pouvons constater que les concepts de la vision du monde carnavalesque, de la littérature carnavalisée et de la ménippée servent de grille de lecture d'oeuvres de différentes époques. Jean Claude Carrière dans sa monographie sur l'ancienne comédie grecque mentionne L'Oeuvre de François Rabelais parmi les livres qui «ont été utilisés d'une manière systématique[58]». Dominique Boutet applique avec des nuances la théorie de Bakhtine aux fabliaux dans l'ouvrage omonyme[59]. La lecture de Bakhtine a éclairci à Jean Dufournet la vision de l'héritage de François Villon[60]. Elle a inspiré également Jean-Pierre Garrido dans son analyse pertinente des oeuvres de Pulci, Boiardo et l'Arioste[61]. Edmond Cros déclare devoir «sans doute beaucoup» à Bakhtine dans son excellent livre sur le Buscon de Quevedo[62]. Marie Scarpa vient de publier une analyse minutieuse dans les catégories carnavalesques du Ventre de Paris de Zola[63]. Un regard à travers le croisement des concepts de Bakhtine et de Réné Girard sur l'oeuvre gracquien est proposé par Bernard Vouilloux[64].

Si nous évoquons les termes bakhtiniens, il faut dire qu’un grand nombre d’entre eux continuent d’être utilisés aujourd’hui dans le domaine des lettres, mais aussi dans la sociologie et l’histoire. Quelques exemples : la notion de monde à l’envers est utilisée par l’historien Daniel Fabre dans son livre sur le carnaval[65]. Elle sert de grille de lecture dans l’article de Jean Lafond sur Cyrano de Bergerac[66]. La notion de bas corporel se rencontre dans les ouvrages de Jean Dufournet sur François Villon[67]. Philippe Walter s’appuie sur la distinction entre littérature carnavalesque et littérature carnavalisée en parlant de certaines œuvres du Moyen Age[68]. La notion de voix est l’objet des études sur le roman moderne menées par Oswalde Ducrot et Dominique Rabat[69]. Et enfin il est impossible aujourd’hui de repérer tous ceux qui évoquent dans leurs écrits les termes de polyphonie et de dialogisme.

Nous constatons également une nouvelle tendance dans les rééditions des ouvrages fondamentaux, dont les éditions originales servaient à Bakhtine même il y a soixante ans. Aujourd’hui ils intègrent dans leur commentaire des références aux livres bakhtinniens. C’est le cas de Cultes, mythes et religion de Salomon Reinach (Robert Laffont, 1997). Dans la note au chapitre «Le Roi supplicié » le commentateur Hervé Duchêne nous renvoie «pour la comparaison entre les Saturnales et le Carnaval chrétien, et sur l’image du roi et du fou dans la fête carnavalesque » consulter le livre sur Rabelais[70]

Dans cette partie de notre introduction nous avons essayé de montrer que le problème de l'actualisation et de la revalorisation de l'héritage de Bakhtine en France existe réellement. Quoique il y ait bientôt cinq ans que sa résolution soit déclarée «imminente» par les bakhtinistes français, les éditions révisées et complétées n'ont toujours pas vu le jour. Nous avons abordé les principaux points faibles de la traduction des oeuvres, les imprésisions concernant sa biographie qui se trouvent dans les éditions les plus accessibles. Ces deux points résolus faciliteront la dissolution de cet écran opaque dressé entre les textes de Bakhtine et la publique française.

La théorie du carnaval et le roman maghrébin

Il est significatif que les aspects carnavalesques de la culture maghrébine et leurs reflets dans le roman francophone nord-africain n’ont pas attiré l’attention des spécialistes avant la traduction des ouvrages de Bakhtine en français. Les premières publications se référant aux termes du concept bakhtinien ont apparues à la fin des années soixante-dix. Il faut souligner ici le rôle pionnier de certains écrivains maghrébins comme Nabil Farès[71], ainsi que des universitaires d'Aix-en-Provence: Antoine Raybaud, Anne Roche, Raymond Jean, Saltani Bernoussi[72]. Ils sont les auteurs de nombreux articles dans la revue aixoise De l’Occident Musulman et de la Méditerrannée, dans les numéros consacrés au Maghreb de l’Europe et d'Itinéraires et contacts de cultures. En février 1981 à l’Université Paris XIII a eu lieu un colloque, qui a ressemblé les meilleurs noms de la recherche sur la littérature nord-africaine. La théorie de Bakhtine y était évoquée dans plusieurs interventions[73].

Comment appliquait-on son concept au roman maghrébin ? Il faut dire d’abord que ces publications sont sorties avant que tous les écrits de Bakhtine traitant de la littérature carnavalesque aient été traduits en français. D’où la première particularité : le manque d’une vision homogène et intègre. Chacun des auteurs se faisait une idée de la théorie du carnaval à partir d’un seul livre de Bakhtine : soit La Poétique de Dostoievski, soit L’œuvre de François Rabelais, ce qui menait inévitablement à des altérations. Si le premier ouvrage élabore les principales notions du concept du carnaval : la vision du monde carnavalesque, la carnavalisation, la littérature carnavalesque et carnavalisée, la ménippée comme le genre porteur de cet esprit ; le deuxième le complète avec des termes non moins nécessaires pour l’analyse des œuvres comme le bas corporel, le réalisme grotesque, l’image festive ou festoyante[74]. Il faut y ajouter une regrettable négligence référentielle. Certains auteurs en utilisant les termes et les idées bakhtiniens ne donnent aucune indication[75] (on peut y voir une preuve qu’au début des années 80 les idées de Bakhtine étaient dans l’air), d’autres citent imprécisément[76], ou encore attribuent ses idées à d’autres[77].

En deuxième lieu, il faut constater que les recherches maghrébines ont privilégié l'aspect formel. Un passage de l’article d’Anne Roche le montre bien : «...les analyses d’un Bakhtine sur le carnaval et la structure carnavalesque [...] éclairent étonnamment les techniques farésiennes: structure rompue du récit, mélange des genres, multiplication des impossibilités logiques, mise en oeuvre de la contradiction, présence et fonction des “doubles”[78]». Rappelons que c’était encore «l’âge d’or » du structuralisme, ce qui explique pourquoi un grand nombre de critiques n’employaient le nom de Bakhtine que dans la «cordée » des Kristeva, Todorov, Ricardou, Genette et autres théoriciens marqués par ce paradigme dominant. Les concepts de l’intersexualité et du texte-pratique élaborés par Kristeva ont laissé l’emprunte la plus forte[79]. En conséquence, certaines notions de la théorie carnavalesque se sont retrouvées remplies d’un contenu bien différent de celui initial, ou même remplacées par d’autres catégories envisagées par Bakhtine comme celles opposées.

Prenons comme exemple le terme de la “théâtralité”, largement utilisé par de nombreux spécialistes des lettres maghrébines et notamment dans l’ouvrage de Charles Bonn Le roman algérien de langue française[80] comme le synonyme de la carnavalisation. Un chapitre entier y est intitulé “Le carnaval”. Pour l’auteur ce terme est primordial dans le concept de Bakhtine. Il le comprend d’une façon très large: comme son objet, postule-t-il, la notion du carnaval “est en perpétuelle mouvance, et elle lui emprunte son aspect protéen[81]”. Cette extension sémantique de la notion du carnaval permet à l’auteur de se passer d’autres termes bakhtiniens, et de créer les expressions d’inspiration structuraliste qui au fil de la lecture supplantent le “carnaval” par une “théâtralité dialogique du signifiant”. Bakhtine disait que malgré le rapprochement qu’on peut faire entre le carnaval et le spectacle théâtrale (le puissant élément du jeu, le caractère concret et sensible), le carnaval “n’entre pas dans le domaine de l’art[82]”. Il se situe aux frontières de celui-ci et de la vie: c’est “une forme concrète (mais provisoire) de la vie même[83]”. Le carnaval ignore la rampe qui l’aurait détruit et inversement la destruction de la rampe aurait détruit le spectacle théâtral[84]. Donc, le remplacement réciproque des deux termes n’est pas correct, mais - nous le verrons - explicable par la réalité maghrébine qu’une des particularités du carnaval maghrébin est un nombre constant et limité des masques, qui ne se mélangent pas avec les spectateurs.

Sans pour autant être les partisans de l’application de la théorie bakhtinienne au pied de la lettre, nous croyons que son “absorption” par le structuralisme entre en contradiction avec la volonté de Bakhtine de transposer l’héritage philosophique et philologique occidental d’un langage “sacralisé” pour les initiés au langage non-codifié de la tradition prosaïque russe, celle de Pouchkine, Dostoïevski, Tolstoï. L’influence du structuralisme sur la réception des idées bakhtiniennes a été telle qu’aujourd’hui les chercheurs évoquant ses concepts se trouvent obligés de faire un “retour à la source”, comme Vladimir Siline dans sa thèse sur le roman algérien. L’auteur commence sa démarche méthodologique en distinguant les concepts bakhtiniens de ceux de Kristeva car il voit les premiers comme “idéologiques, personnifiés et intratextuels” et les seconds comme “linguistique, impersonnel et intertextuel[85]”.

Enfin, la troisième particularité des recherches maghrébines est leur faible intérêt pour les fondements ethnographiques de la littérature maghrébine. Un des essais «d’articulation » entre cet «arrière-plan » ethnographique et le texte littéraire maghrébin est l’article de Francis Gandon[86]. En remarquant que cette approche méthodologique n’a «jamais fait l’objet d’études systématiques », l’auteur se propose de cerner «la présence dans Nedjma du thème de la «nuit de l’erreur », une pratique dont nous allons parler dans notre première partie. Ce thème «folklorique » soulève la problématique «du paganisme », c’est-à-dire d’une exceptionnelle vivacité de la culture populaire maghrébine, d’une «réactivation » de la mémoire antéislamique qui va jusqu’à bouleverser «des cadres conceptuels de la conscience de soi[87]» dans les œuvres de Farès, Bourboune, Laâbi, Khaïr-Eddine et Khatibi. Malgré certaines remarques très précieuses pour notre travail[88], l’auteur choisi l’analyse sémiotique comme méthodologie, ce qui transpose sa recherche dans un autre plan.

A notre avis le temps d’une simple application du concept bakhtinien à une littérature donnée sans un appui ethnographique et culturologique est dépassé. La nécessité de cette base est déjà sentie lorsque Anne Roche fait ses réserves dans une note de son article : «Il est évident que nous ne posons pas ici la question de l’historicité d’une culture «carnavalesque » au Maghreb[...], mais que nous  empruntons à Bakhtine une description qui semble opératoire pour ces deux textes[89]”. Dans sa thèse Bernoussi Saltani pose les premières pierres dans le fondement d’une future description de cette culture en dégageant «les germes » carnavalesques dans les rites et la littérature orale comme:

·         Les pratiques religieuses des confréries comme Aissaoua, Gnaoua et autres ;

·         Le conte maghrébin ;

·         Le folklore de Dj’ha - l’analogue du Nasereddine turc, sans parler des étincelles carnavalesques contenues dans les Mille et une nuits, dont l’influence sur le folklore et la littérature maghrébine est importante[90].

Notre recherche s’inscrit dans ce créneau. La carnavalisation qui est une somme des procédés formels et du genre est née du carnaval même, il est donc important d’étudier ce phénomène tel quel. Pour conclure notons qu’aujourd’hui l’intérêt à l’héritage bakhtinien et notamment à la théorie de carnaval paraît s’éteindre dans le milieu des spécialistes de la littérature maghrébine. Nous pouvons indiquer quelques thèses et mémoires de D.E.A. écrits sous la direction de Charles Bonn[91].

Méthode et corpus

Pour percevoir le souffle carnavalesque qui anime les textes de notre corpus, nous nous appuierons d’abord sur les thèses de Bakhtine exposées dans deux livres principaux: Problèmes de la poétique de Dostoievski et L’Oeuvre de François Rabelais. Mais aussi sur de nombreux passages et remarques dans d’autres écrits bakhtiniens, car le carnaval était un des objets principaux de son intérêt tout au long de sa vie. Il s’agit  notamment: des articles “Formes du temps et du chronotope dans le roman”, “Du discours romanesque”, “Rabelais et Gogol”, publiés dans le recueil posthume Esthétique et théorie du roman, de suppléments non intégrés à la variante finale du livre sur Dostoievski, de notes de 1970-1971, de cours sur Vyacheslav Ivanov du deuxième recueil Esthétique de la création verbale ; des articles “Satire” et “A propos de Flaubert”, de notes des années 60-70, de brouillons pour le livre sur Dostoievski, de suppléments non intégrés dans la dernière version du livre sur Rabelais et d’autres sources d’archives bakhtiniennes, publiées en russe dans le 5-ème volume de son Oeuvre complète.

Pour nous, la théorie du carnaval représente tout d’abord une transposition des formes rituelles et carnavalesques dans la littérature. Cette littérature se distingue premièrement par une vision particulière du monde qui est en fait une philosophie avec ses catégories et sous-catégories, ses pôles d’attraction et de rejet, ses objets et sujets, etc. Deuxièmement, cette littérature est marquée par une organisation formelle et stylistique spéciale : les situations thématiques, le système des personnages, la structure des images, le procédé d’énonciation. Du point de vue du contenu, la carnavalisation s’exprime dans la conjonction, comme dans un prisme, de l’actualité la plus brûlante, des questions philosophiques les plus essentielles et du fantastique le plus débridé qui manie avec une liberté inouïe la tradition, le passé et le futur.

           Aujourd’hui, trente ans après la traduction des principaux travaux de Bakhtine et après l’explosion des recherches sur le carnaval, nous pouvons constater que cette théorie reste « incontournable » quant à l’analyse des oeuvres littéraires.  A notre avis cela s’explique par le fait que ces recherches se déroulaient dans des directions parallèles :

·       sur la voie de l’ethnologie ou de l’anthropologie : Lévi-Strauss, Caillois, Van Gennep, Baroja, dont les travaux ont fournit de nombreux et précieux détails pour traiter la littérature carnavalesque dans un pays ou une civilisation donnés ;

·       sur la voie de la mythologie et du folklore: Saintyves, Propp, Meletinski, Gaignebet, dont les textes permettent de connaître les sources auxquelles remonte la perception carnavalesque du monde incarnée dans la littérature;

·       Sur celle de l’histoire des religions: Dumézil, Eliade;

·       Enfin, celle de l’interprétation philosophique: Girard. 

           Mis à part les ouvrages qui employaient la méthodologie structuraliste, les autres ont grosso modo frayé la voie indiquée par Bakhtine-même: « Le carnaval (dans le sens d’un ensemble de diverses festivités, de rites et de formes du type carnavalesque), son essence, ses racines profondes dans la pensée humaine et les structures sociales primitives, son évolution dans une société de classes, son exceptionnelle vitalité et son prestige permanent, posent un problème des plus complexes et des plus captivants de l’histoire culturelle. Nous ne pouvons évidemment l’aborder à fond. Ce qui nous intéresse ici, c’est uniquement le problème de la carnavalisation, c’est-à-dire de l’influence déterminante du carnaval sur la littérature et les différents genres[92] ». Ce passage rend claire l’absence chez Bakhtine d’autres ambitions que celles d’un théoricien de la littérature : les contours de son champ de recherche sont tracés nettement, ainsi que les points où il se croise avec les autres domaines, comme celui de l’ethnologie, de la mythologie ou du folklore.

          Il faut dire que l’intérêt de Bakhtine pour les aspects carnavalesques de la culture antique remonte à l’époque de ses études à l’Université de Petrograd en 1914-1918. Depuis il a surveillé de près les principaux travaux dans le domaine où l’histoire de la littérature touchait à l’ethnologie (structurale et non): notamment de K.-Fr.Flogel, E.Hoffmann, M.Schanz, H.Reich, P.Lenmann, A.Franz, H.Schneegans, H.Lecky, E.Cassirer en allemand; de S.Reinach, Ch.Letourneau, L.Levy-Bruhl, E.Durkheim, du jeune C.Lévi-Strauss en français; de G.-J.Frazer et E.Tylor en anglais; de V.Propp et O.Freidenberg en russe[93]. Bakhtine utilisait donc la même base théorique que les participants de la polémique autour de ses idées dans les années 60-70. Ce qui explique peut-être pourquoi une grande partie des nouvelles données et des propos spéculatifs publiés pendant ces trois dernières décennies sur le carnaval ne nie pas le concept bakhtinien, mais le confirme et l’enrichit.

En s’appuyant sur le concept bakhtinien dans tout ce qui évoque les manifestations littéraires du carnaval, nous allons chercher les appuis de l’ethnographie et - dans un moindre degré - du folklore et de la mythologie, quant à l’explication des fêtes et des rites concrets au Maghreb, en essayant quand-même de ne pas tomber dans les excès de l’ethnographie simpliste et vulgarisée contre lesquelles a mis en garde Bakhtine[94]. Nous nous rapprochons ici à ce que Marie Scarpa appelle, en suivant l’école anglo-saxone, l ‘« ethnocritique [95]». En se distinguant d’une anthropo- ou sociocritique, mais également d’une mythocritique, cette approche privilégie le «particularisme culturel» à l’universalisme et envisage le texte «dans la sorte de filiation qui courrait entre le mythe, le rite, le conte[96]» et le roman. En se trouvant au confluent de plusieurs disciplines: critique de la littérature, poétique des textes et des sciences humaines (histoire, sociologie, ethnologie), l’ethnocritique nous permettra d’éclaircir plusieurs aspects des romans de notre corpus.

          Notre objectif consiste en la mise en évidence de tous les modes possibles de transposition ou d’«entrelacement » de l’élément rituel et spectaculaire dans le tissu de l’œuvre littéraire, de la mise à jour des particularités de cette transposition chez chacun des auteurs choisis en essayant de voir comment l’époque, le contexte historique, le pays et la personnalité de chaque écrivain ont influencé ce processus. Comment les débris du paganisme se manifestent-ils au XX-ème siècle, dans une unité géographico-historico-culturelle si complexe comme le Maghreb? Comment pouvons-nous les interroger, les saisir dans le texte littéraire, ce lieu « où se jouent non pas seulement le langage, la langue, mais plusieurs formes de la réalité sociale et politique[97]»?

Notre corpus, quant à lui, se constitue de deux œuvres romanesques : Nedjma de Kateb Yacine (Seuil, 1956) et Agadir de Mohammed Khaïr-Eddine (Seuil, 1965). Comment justifier ce choix en sachant que la majorité des romans maghrébins portent l’empreinte de l’élément carnavalesque, du rituel et du merveilleux ? Ce qui d’ailleurs n’est pas étonnant, car cette terre est la patrie de la ménippée, «l’incarnation » littéraire du carnaval. Il suffit de rappeler le fondateur du genre : Ménippe de Gadare, ainsi que ses successeurs, Apulée de Madaure et Lucien de Samosate. Nous avons choisi ces romans comme étant les plus représentatifs pour leurs époques et à cause de leurs qualités évidentes. Il faut dire aussi que tous ces textes sont ce qu’on appelle un «premier roman », un phénomène bien particulier qui contient les germes de tout ce qui sera développé par l’écrivain dans ses créations postérieures.

Nedjma est une œuvre incontournable, comme le nom de Kateb Yacine est «le nom-phare de la littérature algérienne, voire maghrébine[98] ». Le nombre des publications de tout genre et en plusieurs langues qui lui sont dédiées impressionne. Ce roman marque la naissance et en même temps l’apogée de cette littérature qui est apparue au monde déjà mûre et fort originale. Nedjma est un texte d’une telle densité symbolique, qui se prête facilement à tant de lectures possibles que, à notre avis, la fin de la polémique n’est pas encore envisageable. Dans ce fleuve critique et interprétatif notre analyse vise une place assez modeste : nous voudrions suivre comment les formes carnavalesques se manifestent et pénètrent les autres couches du roman, notamment mythologique (ou archétypale) et rituelle.

Avec Agadir de Khaïr-Eddine nous sommes dans les années soixante, période lorsque l’enthousiasme des premières années de l’Indépendance commence à disparaître en même temps que la littérature marocaine vit ses meilleures années. Comme Nedjma de Kateb le premier roman de Khaïr-Eddine est écrit en France, mais traite de l’actualité la plus vive au Maroc. Pour nous Agadir, à la différence de Nedjma, représente une œuvre entièrement carnavalesque. La carnavalisation se manifeste ici non au niveau de certaines figures, épisodes ou aspects formelles, mais s’incarne comme la vision générale du monde. L’auteur et son protagoniste s’associent avec le peuple sur la place publique dans la quête utopique d’une société meilleure. La philosophie carnavalesque est perçue par Khaïr-Eddine comme la seule issue aux oppressions inhérentes à tout pouvoir.

Ajoutons que la tradition carnavalesque continue sa vie dans la littérature maghrébine. Nous pensons notamment aux romans du tunisien Abdelwahab Meddeb Talismano (Bourgeois, 1979) et Phantasia (Sinbad, 1986), qui nous rappellent l’importance de la tradition des érudits dans la littérature carnavalesque, en commençant par Varron jusqu’à Thomas Mann et Joyce ; à ceux du marocain Tahar Ben Jelloun  L’enfant de sable (Seuil, 1985) et La nuit sacrée (Seuil, 1987) qui forment une dilogie et dont le dernier a reçu le prix Goncourt, ainsi qu’à quelques autres.

Première partie

La vue générale des formes carnavalesques au Maghreb

Nous appliquons la notion du carnaval suivant Bakhtine à « l’ensemble de toutes les diverses fêtes, cérémonies et formes de type carnavalesque »[99]. Les premiers témoignages d’ethnographes français, qui datent des années 1840, contienent les descriptions de coutumes populaires maghrébines analogues au carnaval européen[100]. Depuis, la publication consacrée à cette question n’a pas cessé de croître, pour atteindre son apogée dans les deux premières décennies du XXe siècle. A cette époque a paru la majeure partie des ouvrages que l’on consulte encore aujourd’hui sur la question, il est à relever entre autres les livres de Doutté, de Laoust, de Westermarck[101]. La vague de publications est revenue aux années 50-70, et a diminué de nouveau vers la fin du siècle. La plupart de l’information est donc vieillie : pour s’en convaincre il suffit de consulter les références recentes[102]. Un siècle et demi d’étude ethnographique sur ce phénomène ne nous procure qu’une vision discontinue à cause des lacunes temporelles. Les monographies y sont rares, le plus souvent il s’agit darticles.

La deuxième particularité de la littérature ethnographique sur le carnaval au Maghreb  consiste en son caractère fragmentaire. Pour se faire une idée générale de ce phénomène il nous faut consulter des articles contenant des descriptions assez laconiques d’une fête ou d’un rite carnavalesque dans une localité précise[103]. Même les ouvrages de Doutté et Laoust, qui essayent de rendre compte systématiquement des fêtes carnavalesques, établissent leur classement sur le principe régionale ou étymologique, ce qui parcelle le phénomène et rend difficile son interprétation cohérente. Il manque un ouvrage de synthèse qui généralise ce matériel dispersé mais solide, le classe d’après le calendrier ou d’après les éléments structurels comme le travail de Van Gennep sur le matériel français ou celui de Propp sur le matériel russe[104]. Cette deuxième particularité s’explique sans doute par la spécificité ethnique du Maghreb qui s’est formée historiquement comme ensemble de peuplades tellement différentes, que les coutumes changent même entre les voisins les plus proches. Cette variété est déjà visible dans la description du voyage de Léon l’Africain. Il faudrait, pour l’idéal, faire des réserves sur le terme «carnaval maghrébin », car il existe des différences non négligeables des ces pratiques entre les trois pays. Tous les spécialistes sont d’accord sur le fait qu’au Maroc les traditions carnavalesques sont les plus riches et les mieux conservées, alors que les renseignements sur les mêmes pratiques en Tunisie restent assez rares.

La classification des formes carnavalesques au Maghreb et leurs particularités

Notre modeste étude ethnographique permet une classification des formes carnavalesques maghrébines comme la suivante:

1. Les fêtes du type carnavalesque: l’Achoura, Le Sultan des Tolbas.

2. Les éléments carnavalesques dans d’autres fêtes musulmanes et païennes: l’Ennaïr, l’Ancera, L’Aïd el Kebir, l’Aïd el Frir, le Mouloud, la fête du printemps.

3. Les éléments carnavalesques dans des divers rites:

-  Rites agraires: labour, moisson, récolte des olives;

-  Rites «de passage »[105]: circoncision, mariage, funérailles;

-  Rites de la vie quotidienne: travail de la laine, la cuisine, d’appropriation de l’espace.

4. Aspects carnavalesques des jeux rituels: la koûra, l’ahidous. 

5. Pratiques sexuelles: prostitution et orgies rituelles, coutumes des sectes religieux.

Avant de donner un aperçu, faisons quelques réserves: d’abord au niveau terminologique. « L’expression «carnaval » évocatrice de bombances et de paillardises que nous employons par analogie avec la fête européenne, écrit E.Laoust, n’est peut-être pas celle qui s’applique le mieux aux pratiques berbères.[...]Le mot arabe forja ou faraja qui la traduit éveille aussi l’idée de réjouissance, de spectacle burlesque, mais on ne lui connaît pas de correspondant berbère ». Donc en ce qui concerne les dialectes berbères nous avons affaire aux «appellations particulières généralement dérivées du nom d’un des personnages les plus importants figurants dans les mascarades. Cette terminologie ne peut être que d’un faible secours dans l’interprétation des rites carnavalesques des Africains[106]». D’où cette discordance entre les spécialistes à propos de l’appellation dun même phénomène: nous rencontrons dans la littérature ethnographique mascarade, festival, spectacle burlesque[107], c’est-à-dire que le carnaval n’est pas envisagé comme un type de fête à part. On peut remarquer la même sorte d’absence d’unification pour la définition du carnaval: à notre avis la différence entre berbère, africain et maghrébin n’est pas à négliger. D’où également les difficultés de classer toutes ses formes suivant un seul critère: « Quelle que soit la rubrique sous laquelle le carnaval doit plus rigoureusement se classer: fêtes saisonnières, rites agraires ou d’expulsion du mal, l’essentiel est que l’étude en soit faite », répète E.Laoust plusieurs fois[108].

Pour unifier la terminologie et le classement nous allons envisager les formes carnavalesques maghrébines selon le concept de Bakhtine, de surcroît que notre étude ne poursuit pas des objectifs ethnologiques, mais littéraires. Or Bakhtine postule que «tout en ayant une base générale» le carnaval possède «diverses variantes et nuances liées à la différence des époques, des peuples et des fêtes prises individuellement [109]». Au Maghreb, il présente plusieurs particularités qui lui donnent une apparence originale par rapport à celui de l’autre côté de la Méditerranée ou du reste de l’Afrique. La première consiste en ce qu’on peut appeler carnaval «classique », conformément à la qualification de Bakhtine, c’est-à-dire: la fête issue des Saturnales antiques, du carnaval européen et de la fête des sots du Moyen Age, à une date ou une période fixe, avec ses attributs rituels, philosophiques et spectaculaires, n’existe pas en Afrique du Nord. Il s’agit plutôt de «survivances[110]» dessentielles formes carnavalesques, intercalées ou superposées soit sur les fêtes païennes d’une autre portée, soit sur des fêtes officielles musulmanes.

Les témoignages antiques montrent que les pays nord-africains n’avaient pas beaucoup d’originalité dans le domaine des cultes religieux par rapport au reste de l’Empire. Saint Augustin rapporte qu’à Carthage on connaissait encore le culte de la Grande Mère Cybèle, la déesse phrigienne, personnification de la puissance de végétation. La fête instituée par elle à l’honneur de son amant Attis, portait un caractère orgiaque: les prêtres de Cybèle se mutilaient dans l’extase jusqu’à la castration: «Ces invertis, consacrés à la Grande Mère[...]qu’on voyait, hier encore, les cheveux humides de parfum, le visage fardé, les membres flasques, la démarche efféminée, errer sur les places et dans les rues de Carthage, réclamant même au public de quoi subvenir à leur honteuse existence[111]». A l’époque de la jeunesse de Saint-Augustin, Carthage connaissait également un culte semblable à celui de Dionysos, dont la célébration s‘accompagnait d’une licence «effrénée»: celui de Caelestis, la Vierge Céleste. De IIe à Ve siècles son culte couvrait toute l’Afrique du Nord: ses temples voisinaient avec ceux de Saturne à Carthage, Cirta, Hippone[112]. Le caractère phallique, extrêmement obscène de ses cérémonies, provoquait des nombreuses philippiques de Saint Augustin[113]. Au XXe siècle nous retrouvons partout ces débris au Maghreb.

Une autre particularité importante - la juxtaposition des fêtes païennes et musulmanes s’explique par le fait que la conquête arabe a apporté avec la nouvelle religion un calendrier nouveau. Auparavant les berbères se servaient couramment du calendrier julien[114], qui fixait les fêtes saisonnières et agraires dont une partie possédait des éléments carnavalesques, comme la fête de l’Ennaïr – le Nouvel An  Berbères, ou l’Ancera – le solstice d’été. Le calendrier arabe a décalé les anciennes fêtes en les rendant indépendantes des saisons. La partie principale des rites et festivités carnavalesques a été captée par l’Achoura, le Nouvel An musulmane, qui se déroule le dixième jour du premier mois moharrem. Les éléments carnavalesques apparaissent dans d’autres fêtes du calendrier lunaire: l’Aïd el Kebir - la fête des Sacrifices, l’Aïd el Fitr - la fin du jeune de Ramadan, le Mouloud - l’anniversaire du Prophète. « Célébré à toutes les époques des années lunaire et solaire, écrit E.Laoust, le carnaval africain a perdu une partie importante de son caractère de grande fête saisonnière[115]».

L’Achoura – le centre de cristallisation 

Certains spécialistes pensent que l’Achoura est l’analogue le plus proche du carnaval européen[116]. Il est vrai que nous y trouvons les traits qui prouvent son essence carnavalesque: d’abord ce que Bakhtine appelle «le noyau même de la sensibilité carnavalesque – LE SENTIMENT DES CHANGEMENTS ET REVIREMENTS, DE LA MORT ET DU RENOUVEAU [117]». L’Achoura qui se passe à la nouvelle lune, c’est-à-dire le Nouvel An musulman, est une fête de renouvellement[118]. L’Achoura est également marquée par l’ambivalence qui distingue la vision du monde carnavalesque. A côté des coutumes de se livrer à la bonne chère, d’amuser ses enfants, de s’occuper des pauvres, de visiter les tombes, on observe des éléments du deuil: en commémoration de l’assassinat du petit-fils du Prophète, ou simplement de l’année qui périt. Dans certaines régions c’est une période chargée de tabous: il est interdit de travailler, de se marier, de se combattre, les rapports conjugaux sont également suspendus, les nouvelles naissances sont mal vues. La réputation des néfastes du jour de l’Achoura et la nuit précédente vient entre autres du fait qu’ils sont réputés favorables aux sorcières, en surcroît les effets de cette magie dureront toute l’année[119]. Ce type de fête, où la licence et relâchement cèdent la place au « redoublement de rigueur dans le respect des interdits », c’est pourquoi René Girard l’appelle « anti-fête[120] », garde quand-même d’après Eliade son caractère festif authentique, car le Temps est partout pareil: ce Temps mythique et sacré, le Temps de l’origine[121].

Quant à l’origine de l’Achoura, elle se présente aussi comme une somme «des éléments opposés paraissant contradictoires[122]», dont les uns semblent appartenir au vieux fond des rites agricoles et les autres s’étayent sur une phrase que la tradition rapporte au Prophète[123]. L’énumération de tout ce que commémore cette fête a l’allure carnavalesque: Adam se repentit de sa faute, l’arche de Noé après le déluge s’arrête sur une montagne, Joseph est retiré du puits, Job est guéri, Jacob recouvre la vue, Jésus naît le jour de l’Achoura, il est aussi enlevé au ciel, Dieu crée la terre, le soleil, la lune, les étoiles, etc.[124] Mais quoiqu’il en soit, ce sont les cérémonies carnavalesques qui définissent son profile. Il faut d’abord souligner leur fondement mythique et rituel. Par exemple, il est interdit de frapper la terre ce jour-là pour la mémoire de sa création[125]. La scène jouée à Ouargla qui représente «la mise à mort d’un dragon furieux », un combat entre le monstre et l’indigène, est une autre indication au mythe cosmogonique[126]. L’interprétation de ce combat est fort intéressante: «Cette bête semble d’abord présider à la fécondation de la terre, et à la production du blé et des plantes, puis elle se change en un monstre dévastateur, jusqu’au moment où elle est tuée[127]».

Les cérémonies carnavalesques maghrébines de l’Achoura comprennent normalement deux éléments: les processions des déguisés et les actions dramatiques, puis des nombreux rites du feu et de l’eau qui indiquent l’ancien caractère agraire de cette fête. Les feux de joie qu’allument les indigènes le jour de l’Achoura ressemblent beaucoup aux feux de Saint Jean. Par exemple, quand le grand feu de l’Achoura a consumé son combustible, les hommes non mariés sautent par-dessus ses braises en disant: «Nous secouons sur vous, ô Ta’achourt (le nom de ce feu), les puces et les poux, et les maladies du cœur aussi que celles des os[128]». Les gens se brûlent les uns les autres avec des tisons qu’ils arrachent au foyer, car cela a des propriétés bienfaisantes. Quant aux rites de l’eau, le matin de l’Achoura toute eau contient de la baraka: on croit que les sources communiquent avec le puits de Zemzem de la Mecque. Au Maroc les hommes levés de bonne heure, se plongent dans l’eau tout habillés, puis ils se relèvent et courent dans le village en poussant des cris forts. Lorsque quelqu’un accourt pour voir ce qui se passe, les hommes le saisissent et en disant «c’est un impie! », le jettent dans le ruisseau. En sortant de l’eau, ce dernier rejoigne les baigneurs dans la quête de la prochaine victime. Ils continuent ainsi jusqu’à tous ceux qui sont accourus aient été plongés dans l’eau. Si y en a ceux qui s’enfuient dans les jardins et grimpent dans les arbres, les baigneurs y viennent les chercher et en ramassant un bon tas de pierres, se mettent à les lancer sur la cime. Dès que le caché est touché, il s’écrie: « Miséricorde, ô frères!» - « Descend, espèce de cornard, lui répondent-ils; par Dieu tu ne partiras qu’après avoir été plongé toi aussi dans le ruisseau ». La baignade finie quand tout le monde est ainsi « ménagé »[129]. Les femmes aussi s’en vont vers le ruisseau, où elles se jettent toutes nues dans l’eau, en poussant les cris et en riant, en faisant les bagarres simulacres.

Pendant l’Achoura les mascarades et les actions dramatiques d’acteurs déguisés sont répandus dans tout le Maghreb. La troisième particularité du carnaval berbère est l’uniformité de types carnavalesques de Tripoli à Tanger. Les sujets principaux sont: l’imitation des animaux (chameau, lion, panthère, autruche), des représentants du pouvoir (chefs indigènes, cadis qui rend le jugement, officiers et ambassadeurs français), les scènes imitant des touristes, la femme adultère, l’accouchement d’une bête mâle: coq, chien ou chevreaux. Une figure spécifique à cette fête est le Vieux de l’Achoura et son épouse, la Bédouine. A Marrakech ces scènes satiriques se passaient devant le Sultan et ses ministres: ces derniers y étaient tournés en ridicule. Parmi d’autres types de déguisement nous rencontrons : un juif et une juive, les mah’rimât – hommes travestis en femmes, et les djinns – joués par les jeunes gens en rouge avec des masques blancs sur le visage, de longues dents saillantes et une grande aiguille à la main dont ils essaient de piquer les spectateurs. Mais il faut remarquer que ces mascarades ne sont pas des actions carnavalesques à proprement parler: nous avons une démarcation bien claire entre les acteurs, qui sont souvent payés et les spectateurs[130]. Dans certains endroits le nombre des acteurs était limité, par exemple, en Petite Kabylie à dix[131].

L’obscénité qui se manifeste dans les déguisements, les chants et les scènes est un trait essentiel du carnaval :«Certains figurants se montrent entièrement nus; d’autres, vêtus de haillons sordides, étalent leur nudité avec complaisance[...]. Les scènes les plus fréquentes montrent un couple de vieux se livrant publiquement à leur amour sénile;[...]des jeunes gens poursuivant les femmes de phallus de bois[...][132]». Les chants et les propos sont grivois, eux aussi. A Kairouan les enfants formaient le cortège qui en passant dans différents quartiers de la ville chantait en  « bons enfants »:  « Que Dieu ne le dévaste pas », et en  « rivaux »: “Nous pissons dessus »[133]. Les injures s’adressaient à tous, à la soeur, à la mère, aux maîtres des maison qui se montrent avides. En profitant de ce libre contact familier avec sa franche parole, on envoie dans le « bas corporel » les représentants de toute groupe sociale. Partout nous voyons des «religieux dont le chant se compose des plus grossières obscénités. Il y a un homme déguisé en diseuse de bonne aventure, et non moins immodeste dans ses propos; trois ou quatre prostituées figurées aussi par des hommes, qui s’adressent tout spécialement aux chérifs et aux notables les plus respectés, les accusant de ne pas leur avoir payé leur salaire[134]». La majeure partie de ces types incarnent pleinement la dialectique de la mort et de la vie, dont parle Bakhtine. Par exemple, le Vieux de l’Achoura (Ba Chikh au Maroc, l’Amghar en Algérie) se distingue obligatoirement par la barbe blanche et ses gros organes de reproduction, ainsi que par « sa manie de l’accouplement[135]».

Entre autres traits du carnaval maghrébin, communs avec le carnaval de l’Europe, il faut mentionner les fèves qui font partie du repas rituel[136]. A Touggourt on croit que ceux qui ne se rassissaient le jour de la fête, seraient obligé de manger les pavés de l’enfer pour remplir son estomac[137]. Nous rencontrons aussi le barbouillage par les immondices. En Algérie une figure connue est le porteur de la charogne d’âne qui bouscule et écarte les curieux à cause de la puanteur s’échappant de son fardeau. Les indigènes promènent également des mannequins: parfois des animaux (Lion à Biskra en Algérie), parfois des humains dont les appellations témoignent de leur extrême ancienneté. A Zab Guebli nous voyons un homme et une femme portant les noms des idoles antéislamiques, mentionnées par le Coran[138]. Dans d’autres endroits on enterre ou détruit une poupée appelée Achour et symbolisante la vielle année[139]. Le bruit ne manque pas non plus: on joue à toute sortes d’instruments du tambour et de la clarinette jusqu’aux tam-tam et et à la flûte[140]. Les actions extatiques sont nombreuses et variées, mais nous ne reviendrons pas ici sur ce type de carnaval[141] que B.Saltani a appellé «carnaval de bestialité ou de transfiguration » et qu’il a analysé avec pertinence dans sa thèse[142].

Les fêtes de solstices : l’Ennaïr et l’Ancera

L’exemple de la fête solaire la plus empreinte par le carnavalesque est l’Ennaïr, le Nouvel An du calendrier julien (le mot dérive manifestement du latin). C’est aussi le nom que porte une fête célébrée dans toute l’Afrique du Nord en fonction du solstice d’hiver bien que généralement celle-ci soit assimilée à la fête de Mouloud Aïça, c’est-à-dire la Nativité de Jésus-Christ du 24 décembre qui corresponde à Noël chrétien[143]. L’Ennaïr dure plusieurs jours, et la veille est conçue comme jour de deuil avec certains tabous (par exemple, il est défendu de se laver) et des rites de purification, pour autant que la sorcellerie est particulièrement propice ce jour-là. Les rites ne présentent guère de différences d’un bout à l’autre du Maghreb, même entre les Arabophones et Berbérophones. Ils consistent d’abord en un répas riche de bon augure, notamment, de crêpes et de beignets de toutes sortes. Les cultivateurs pratiquent la divination du temps du début de l’année en examinant le sang des animaux sacrifiés: en croyant que toute l’année il faudra subir les conséquences de cette journée, les Kabyles allaient parler avec leurs bœufs et chèvres[144]. Doutté pensait que les rites de l’Ennaïr sont en quelque sorte des «doublets » de ceux de l’Achoura, à moins qu’ils ne semblent surtout se rattacher aux rites de renouvellement du foyer: on change les ustensiles usés, on remplace les vielles pierres du foyer par celles que les enfants amènent de la montagne[145].

Quant aux pratiques carnavalesques, celles-ci étaient déjà développées au XVIe siècle: « Le premier de l’an, les enfants se mettent un masque sur la figure et vont chez les gentilshommes mendier des fruits en chantant leurs chansons puériles[146]», écrivait Léon l’AfricainEn plus des jeux et des combats rituels, nous y voyons des processions masquées représentant les animaux (lion, chameau, âne), l’analogue du Vieux de l’Achoura qui s’appelle Boubennani (dérivé visiblement du latin bonum annum) et la Vielle de l’Ennaïr qui est une figure commune à tout le bassin Méditerranéen. A Tlemcen une bande de Tolbas avec des masques de citrouille faisait le tour des maisons en réclamant de l’argent pour la célébration collective. Si le maître était généreux, les Tolbas le remerciaient en chantant sur l’air des enterrements, s’il était avar ils l’insultaient sous la forme d’une petite chanson en prose rimée qui renversait la louange et l’insulte en expédiant l’insulté dans la tombe corporelle. Ajoutons que cette pratique a été interdite au début de siècle, pour la raison qu’elle provoquait des combats, parfois sanglants, entre les bandes concurrentes[147].

Le solstice d’été est également fêté au Maghreb: le 24 juin porte le nom de «ancera », dont l’étymologie reste inconnue. Les berbères appellent l’Ancera «la Porte qui ferme l’année », comme l’Ennaïr l’ouvre. Au Maroc beaucoup de fêtes patronales de saints ont lieu au solstice d’été. A l’Ancera sont attachés aussi les rites du feu et de l’eau, dont certains portent un caractère carnavalesque: à Marrakech, par exemple, «on se jette de l’eau les uns aux autres, dans les maisons, dans les rues, et cela à pleins seaux, jusqu’à tremper entièrement ses habits; on jette aussi de l’eau sur les mosquées et sur les marabouts[148]». Cette aspersion mutuelle de l’eau, des fois tout le long des rues, se rapproche aux combats sans sang que Bakhtine mentionne parmi les rites accessoires du carnaval[149]. Dans les pays où l’eau est rare, c’est de la terre qu’on se jette à la figure. On éteint solennellement les feux pour les rallumer, et ces nouveaux feux sont chargés de la baraka: avec leur fumée les Maghrébins font des fumigations de leurs jardins, ils sautent à travers les flammes (pour s’assurer de la progéniture), dansent en rond autour et font des aspersions mutuelles de la cendre suivant la superstition que celui-ci a des vertus médicales. Ce jour-là,  au début de siècle, on pouvait observer au Maghreb les débris des sacrifices agricoles: oiseaux, animaux sauvages ou brebis[150].

L’Aïd el Kebir – croisement de deux religions

L’interférence de deux religions – païenne et l’Islam - fournit une autre spécificité au carnaval maghrébin. Les fêtes officielles musulmanes, comme l’Aïd el Kebir, une fois la cérémonie du sacrifice (à la commémoration de celle d’Abraham) est accomplie, se transforment en carnaval, comme c’est le cas dans le Maroc rural: « Les rites de carnaval[...]furent pour la première fois associés à des fêtes mahométanes dans les pays berbères de l’Afrique du Nord[151]», nous renseigne Westermarck. Rien de semblable n’a jamais existé chez les Arabes d’Orient. L’Achoura d’ailleurs donne aussi des preuves curieuses de ce mélange: « Dans le banquêt qui clôture les fêtes, on demande à Dieu – au Dieu des Musulmans – de donner la pluie, d’apporter l’abondance, de chasser la famine et la misère. Commencée par des bouffonneries licencieuses, la cérémonie se termine par une sorte de communion et une prière[152]». Quant au rituel de l’Aïd, il se résume en pratiques purificatoires, préparatoires, le sacrifice même et les rites pour se débarrasser des influences malignes, car la baraka est une arme à double tranchant. Selon Westermarck, le carnaval appartient à cette dernière. Certains personnages carnavalesques de l’Aïd sont les même qu’à l’Achoura: Juifs et Juives, Chrétiens, animaux.

Mais la figure principale de l’Aïd el Kebir est Boujloud, un homme vêtu des peaux des animaux sacrifiés qui sont plaquées sur son corps nu. Sa figure noircie de la suie ou avec la poudre était couverte par une vieille outre à battre le beurre au lieu de masque, sa tête était agrémentée de cornes, de puissants attributs de mâle complétaient son accoutrement[153]. Il restait silencieux, en rendant visites aux notables, les pachas, caïds et marabouts et il n’y avait pas de moyen de se protéger contre cette intervention, comme pendant les Saturnales. Dans les tentes et maisons, Boujloud semait un vrai désordre en bouleversant les piquets et les ustensiles, il soulevait une grande poussière en se roulant dans la cendre. Il attrapait les femmes, les malmenait, les frappent avec des morceaux de peau (nous y reconnaissons le rite des Lupercales). Boudjloud frappait aussi avec le pied d’animal sacrifié ou avec un bâton, les gens et les tentes, ces coups avaient de la baraka, une sorte de bénédiction à l’envers. Cette figure est fort marquée par l’ambivalence carnavalesque: il était taquiné, persiflé, bousculé, et que même «les coups de pantoufles ne pleuvent parfois sur sa personne; ce qui revient à dire qu’il est en quelque mesure un bouc émissaire non moins qu’un expulseur avéré du mal[154]». Boujloud est souvent accompagné d’une soi-disant fiancée qui est accueillie par des paroles injurieuses dont le sens échappe aux gens[155]. Un banquet sacré clôturait la fête.

Dans le carnaval d’Aid el Kebir il faut souligner sa tendance anti-religieuse: «Les propos les plus impudiques et les plus orduriers, écrit Westermarck, sont chantés par des personnages qui représentent les plus pieux des hommes, et il n’y a pas jusqu’aux rites sacrés de la religion qui ne soient effrontément raillé »[156]. L’interprétation qu’il propose nous rappelle celle de Bakhtine: « Peut-être faut-il voir dans ce débordement de moquerie et d’impété une méthode de profanation cérémonielle par laquelle le peuple essaie de secouer le joug de saintété que lui impose la fête, pour se mettre en état de reprendre sans danger les occupations ordinaires de sa vie[157]». Déjà l’ordre dans lequel se déroule l’Aid et Kebir fait penser que le rituel pré-islamique qui suit le sacrifice représente un esprit toujours vivant d’opposition à la nouvelle religion. Nous allons nous arrêter ici, car les mêmes éléments essentiels, à savoir les processions déguisées, les rites de l’eau et de feu, les combats rituels sans verser le sang, les joutes verbales où on rivalise d’injures, se retrouvent également dans les autres fêtes mentionnées au début comme l’Aïd el Frir, le Mouloud et la fête du printemps[158].

Le Sultan des Tolbas – une fête paradoxale

Mais ni l’Achoura, ni l’Aïd el Kebir ne possèdent la principale action carnavalesque, qui constitue d’après Bakhtine le noyau philosophique du carnaval: le couronnement et le découronnement du roi. La seule fête maghrébine, qui contient cet élément pilier, ainsi que toute la structure «classique » du carnaval, est la fête du Sultan des Tolbas à Fès[159]. Mais paradoxalement à la différence de l’Achoura, l’orgine de cette fête ne remonte pas loin: elle a été créé par Moulay Rachid (1668-1672), fondateur de la dynastie alaouite qui règne au Maroc de nos jours. D’après les chroniques, il l’a fait pour remercier ses camarades étudiants grâce auxquels il a accédé au pouvoir[160].

Donnons sa brève description. La fête se passait après le Ramadan. En décidant de la commencer, les tolbas, c’est-à-dire les étudiants des médersas, envoyaient leur délégation à la cour du Sultan. La permission reçue, ils organisaient la vente aux enchères de la couronne de la future royauté. Les deux premiers jours des enchères étaient plutôt burlesques: on se permettait toutes les fantaisies à l’égard de la couronne mise à prix. Le troisième jour, dès que le Sultan carnavalesque était proclamé, lui à son tour se mettait à parodier tous les composants du pouvoir. Il créait son cabinet en nommant le vizir, le maître des cérémonies, le trésorier qui caricaturaient de manière mordante les fonctionnaires du Makhzen (aides du Sultan). Il avait également son sceau parodiant les lettres chérifiennes, sans parler du droit de lever des impôts qui servaient aux bombances. Une figure très importante était le prévôt des marchands: un homme avec une réputation de bouffon. Ce prévôt-bouffon rendait visite aux boutiquiers, ainsi que aux personnages les plus importants à Fès, et sous prétexte de l’abus de confiance, de vole leur imposait des amendes et des taxes. Il était impossible d’échapper à ses injonctions péremptoires.

Ensuite les étudiants s’en allaient camper aux bord de la rivière pendant une quinzaine des jours. Le véritable Sultan devait fournir à son homologue carnavalesque un cheval sellé, une robe d’honneur et même une partie de sa garde. Son orchestre était composé de clarinettes, de tambourins et – il est particulièrement à noter - de longues trompettes dont sonne du haut des minarets les nuits de Ramadan. Le pouvoir prenait part dans ce carnaval: le Pacha de Fès dressait des tentes pour les étudiants. Le Sultan carnavalesque passait quelques journées en recevant les invités: le fils ou le frère de l’Empereur qui venait lui apporter un cadeau de la provision. Les juifs de Fès à leur tour faisaient leur cadeau, ce qui semblait parodier celui du visiteur impérial: «on annonce des bœufs et des moutons: ce sont des cages pleines de chats et de rats; de sommes fabuleuses: ce sont d’immenses caisses contenant quelques petites pièces d’argent[161]». En attendant la visite traditionnelle de l’Empereur, la cour carnavalesque se mettait au «travail »: les vizirs rédigeaient des décrets sur les sujets les plus saugrenus, entre-temps les étudiants se livraient au plaisir de la bonne chère.

Le sixième jour le vrai Sultan rendait visite au Sultan des Tolbas. Le maître des cérémonies bouffon interpellait le royal visiteur en lui demandant «comment il ose se présenter, lui simple souverain du Maroc, devant le plus puissant prince de la terre: prince qui commande des millions de punaises, poux, puces et autres animaux malfaisants[162]». L’Empereur devait jurer de ses bonnes intentions et pénétrait au royaume carnavalesque. Notons que les siècles précédents les faux vizirs imitaient pendant toute la visite les manières de leurs vrais homologues. Le moment central de la rencontre était joué par le prétendu prévôt: « il se juche sur un chameau, se coiffe d’un turban énorme ou d’un de ces cônes de sparterie qui servent à couvrir les plats[163], et se fait un ventre en coussins. Il tient d’une main une longue perche et de l’autre un chapelet de figues enfilées sur une corde de palmier nain. En guise de montre, un gros pain rond lui pend sur l’estomac au bout d’une chaîne en ficelle[164] ». Son discours burlesque imitait l’appel à la prière suivi d’un sermon en prose rimée qui transposait dans l’ordre gastronomique les expressions du prône[165], il était entremêlé de mille farces: en regardant l’heure à sa montre, il en mangeait un morceau[166]. La prière du vendredi, dirigée par le Sultan des Tolbas en présence de son hôte finissait le rendez-vous. Avant que l’Empereur ne s’en aille le Sultan des Tolbas lui présentait une supplique indiquant la grâce qu’il sollicitait et demandait de prolonger la fête encore une semaine. Si, au cours de la dernière nuit de la fête, le Sultan des Tolbas ne disparaissait pas, ses sujets de la veille devaient le le bâtonner, le jetterer à la rivière ou le lapider, nous disent les témoins.

Cette brève description permet de saisir la nature ambiguë de cette fête. D’un côté elle possède beaucoup de traits du carnaval authentique: l’abolition de la société hiérarchique avec ses formes de crainte, de vénération et d’étiquette, la familiarité et l’excentricité de la conduite et de la parole, les profanations des textes et des usages sacrés, le jeu avec les symboles du pouvoir, enfin, le scénario classique de la destitution. Mais de l’autre côté, il est difficile de dire que l’esprit de la relativité joyeuse de tout ordre pénètrait ses manifestations: le pouvoir et l’anti-pouvoir ne se mêlaient pas, le Makhzen leur fournissait tout ce qui est nécessaire (le pacha s’installait à côté pour assurer l’ordre et il devait les approvisionnait chaque jour de la nourriture), le Sultan bouffon utilisait pour de vrai le levé des impôts, etc. Donc malgré son apparence qui l’approche le plus du modèle «classique » du carnaval, le Sultan des Tolbas n’est qu’une création politique, la preuve en est qu’elle a été interdite aux années 70 par Hasan II. Pour l’instant nous n’allons pas rentrer dans les détails: nous revenons à cette fête dans la partie traitant le roman de Khaïr-Eddine, car l’influence de ce carnaval paradoxal sur son oeuvre est incontestable.

La dramatisation grossière comme un trait du rite carnavalisé

 « Le geste rituel isolé de son contexte symbolique est un geste absurde »

Jean Servier

En évoquant les rites du Maghreb, faisons nos réserves. Nous allons nous intéresser que des éléments carnavalesques, c’est-à-dire ceux qui emploient les mêmes procédés et expriment la même vision du monde. Pour nous le rite est tout d’abord un langage qui «exige la possession d’un alphabet de valeurs-signes, lequel seul peut permettre d’envisager le déchiffrement des représentations symboliques d’une population donnée[167] ». Ce «credo » de l’ethnologue français Jean Servier confirme non seulement notre démarche méthodologique qui, quoique indispensable, alourdi notre travail. Mais – d’une manière indirecte – celui de Bakhtine quand il présente sa théorie comme résultat de la transposition du «langage des formes symbolique » du carnaval à celui de la littérature, proche par son caractère «concrètement sensible[168]». Bakhtine comprend le carnaval comme spectacle syncrétique de caractère rituel[169]. Si on compare un rite carnavalesque (par exemple, le barbouillage ou l’échange des injures) avec un autre qui en est privé (comme préparation du repas rituel ou cérémonie d’habillement de la mariée), on verrait que les premiers se distinguent toujours par un côté dramatique. Nous avons affaire à une mise en scène, où chaque acte a une visée ambivalente: derrière le grossier et l’obscène se manifestent l’utopique et le sacré.

Bakhtine a laissé peu d’énoncés qui permettent de comprendre comment il envisageait les liens entre le rite, le mythe et le carnaval, car il restait après tout le théoricien de la littérature. Cette corrélation nous a été proposée par un de ses collègues folkloriste Vladimir Propp. Dans Les racines historiques de conte merveilleux ce dernier donne, en s’appuyant sur les idées de Webster, une vision très claire des rapports réciproques entre ces trois phénomènes: « les rites sont une dramatisation grossière, mais souvent très expressive, de mythes et de légendes. Les acteurs, masqués et costumés, représentent des créatures animales et divines dont les mythes racontent l’histoire[170]». En donnant cette citation, Propp rentre en polémique avec Webster qui croit que le mythe est « dramatisé », donc plus ancien. D’après le folkloriste russe, l’action dramatique est première et le mythe se développe plus tard. Quoi qu’il en soit, ce qui importe pour notre recherche est que le rite et le mythe se fusionnent par l’intermédiaire et dans l’action dramatique, le carnaval, et que souvent ce dernier ayant survécu à deux autres formes, devient, surtout au XXe siècle, leur seul porteur et héritier directe. Comme c'était le cas à Ouargla en Algérie où au début de siècle on promenait pendant le carnaval de l’Achoura «le lit de Lâlla Mançoura » dont la légende était confuse et le rituel sans explication[171].

Cette «dramatisation grossière » est très visible dans la description des rites qui précèdent, accompagnent et closent la récolte des olives, observé par Said Boulifa dans l’Atlas marocain. A la veille des travaux se passe la scène suivante au domicile du propriétaire des oliviers: le soir sa femme se précipite de se coucher avant son mari. Le propriétaire en s’approchant du lit conjugal, s’aperçoit que l’urine coule sous les jambes de sa femme. Alors, il la couvre dobscénités et jure de ne pas coucher avec elle jusqu’à ce que les olives soient récoltés[172]. Il tient la parole. Quand, enfin, l’huile est pressée et mesurée, le soir même le mari vient mettre la fin a l’abstinence, mais rencontre mille obstacles de la part de sa femme. Elle le laisse nu dans une chambre froide toute la nuit, etc. Si le but de cet épisode est purement rituel, les obscénités sont destinées à stimuler la terre pour qu'elle donne une bonne récolte, le même but a visiblement l’abstinence sexuelle, la forme de ces rites est sans doute carnavalesque. Toutes les catégories et objets sont transposés dans le «bas corporel »: ainsi l’urine est un analogue grossier de l’huile. De même, quand il arrivait que le niveau de l’huile pressé montait spontanément dans les réservoirs, le propriétaire appelait sa femme, en riant de joie: «Viens voir des larmes de chacal[173]».

Les gestes carnavalesques

A côté des rites qui revêtent une forme carnavalisée, nous avons également les rites empruntés à l’arsenal carnavalesque, comme celui du barbouillage. Léon l’Africain nous rapporte que les femmes arabes avant d’aller voir leur mari devaient se farder le visage, la poitrine et les mains jusqu’au bout des doigts: «sur le milieu des joues, une sorte d’ornement rond comme un écu et, entre les sourcils, une espèce de triangle; sur le menton[...] je ne sais quel dessin qui ressemble à une feuille d’olivier[174]». L’auteur ajoute que pour revoir ses parents la femme devait enlever ce fard. Au début de notre siècle, Doutté rencontrait encore les excès de ce genre chez les femmes de la tribu Goundâfi au Maroc: elles abusaient du fard rouge «jusqu’au point de s’en couvrir complètement le front, les joues et le cou[175]». Ajoutons que le déguisement dans des « vêtements grossiers » et le barbouillage du visage avec la suie des marmites ou la bouse de vache, ainsi que la lacération de la poitrine et des joues « si bien que le sang coule avec abondance[176]», était un composant obligatoire du deuil chez les femmes à Fès.

La projection d’excréments est connue comme un « geste rabaissant traditionnel[177]» depuis l’Antiquité. Elle était un élément inséparable du carnaval[178], de la fête des sots au Moyen Age, ainsi que de charivari. Ce geste existait également au Maghreb à l’époque de Léon. A Fez il a visité un hospice pour les malades étrangers où quelques chambres étaient réservées aux fous déments. Si un étranger qui n’était pas au courant de la maladie de ces gens, s’en approchait, les fous se mettaient à se plaindre de mauvais traitement en faisant croire qu’ils étaient guéris de leur folie: « Si le passant croit l’un d’eux et s’appuie sur le bord de la fenêtre de sa chambre, le fou l’empoigne d’une main par les vêtements et, de l’autre main, lui barbouille la figure d’excréments[179]». Le geste semblable existait chez les berbères lors de la guerre: Doutté nous rapporte qu’en suivant les hommes au combat, les femmes berbères restaient à une certaine distance et «si quelque fuyard tentait de traverser leurs lignes, elles le badigeonnaient au visage avec la teinture de henné qu’elles emportaient avec elles à dessein[180]».

Les éléments carnavalesques dans le mariage et autres rites de passage

Le rite d’intronisation-detronisation qu’on trouve dans de nombreuses tribus maghrébines, fait partie du rituel du mariage, lui-même carnavalesque en ce sens qu’il autorisait des libertés intolérables en temps normal[181]. Pendant la soirée des jeunes gens, qui se passait à la veille du jour principal[182], le fiancé était investi du titre de roi par l’assemblée des ses copains. Cette dernière élisait également ses vizirs, ses juges, et cette hiérarchie se conservait pendant tous les jours du mariage[183]. A Bahlil, le village berbère de troglodytes, le marié-Sultan, entouré par ses vizirs, passait cinq jours dans une grotte, il ne peut venir chez sa femme que la nuit. Le cinquième jour il abdiquait, offrait un somptueux repas à ses vizirs, et le jeu était fini[184]. A Azemmour le marié-Sultan et ses vizirs se livraient à la tournée de quête burlesque qui servait au repas de noces et ressemble à celle des masqués pendant l’Ennaïr. Un retard, un ordre pour rire mal exécuté étaient des occasions d’amendes dont le revenu est employé à prolonger ces réjouissances et que le fiancé répartit équitablement entre tout le monde[185].

Quant au rite de détrônisation, il est très net à Salé, où le fiancé est accusé du fait qu’il a volé les restes du repas festif et les a caché dans sa ceinture ; il doit se justifier devant sa future épouse sans perdre la face. Un autre rite qui s’y rattache est l’abaissement comique que subit le marié: ses parents et amis viennent le gronder pour sa décision «irraisonnable». Le marié doit protester en rendant sa défense aux louanges de sa fiancée[186]. Entre autres pratiques nuptiales marquées par la conception carnavalesque indiquons d’abord le travestissement. A Azemmour, pendant l'imposition du henné, la mariée est assise sur la selle d'un cheval et porte un sabre à son côté. Les femmes lui chantent une louange comme si elle était le marié. De son côté le marié est aussi déguisé avec les signes feminins. Les interprétes de ce rite connu depuis l'antiquité pensent qu'il s'agit d'accentuer le contraste entre les deux sexes[187]. Mais l’énigme ne se dissipe pas entièrement. Propp propose une autre explication: il s'agit probablement du reflet de matriarcat qui en rentrant dans la collision historique avec le pouvoir masculin se ressoudait entre autre dans le travestissement[188].

Relevons d’ailleurs la cérémonie du sacrifice où la vache (ou taureau) avant d’être immolé est promenée costumée en femme: un foulard sur la tête, décorée richement des rubans et des fleurs[189]. Il faut mentionner également la procession du mariage chez les Goudâfi: le cortège qui conduisait la mariée à son domicile conjugal était composé d’un nègre à la tête de la mule où elle était assise et d’une négresse qui tenait la queue de la bête[190]. Ou bien la survivance à Bahlil du masque dans son emploi archaïque: le jour du mariage, ainsi que la veille, le fiancé restait dans son bournous, le capuchon tiré pour lui cacher entièrement le visage[191]. En accompagnant la mariée à la chambre nuptiale, on usait également la mystification: on mettait à la place d'honneur une vielle femme, tandis que la mariée suivait dissimulée dans le cortège[192]. Dans d'autres régions, la mariée était enfermée dans un mannequin. Pour finir, mentionnons la lutte simulée entre les deux époux qui précède la nuit de noces. Dans l’Atlas marocain la marié devait céder qu’après avoir une gifle[193]. A la campagne marocaine, le marié est introduit dans la chambre nuptiale par des coups de poing ou de matraque ou à coups de babouche dans le dos[194]. Comme survivances du rapt mythique, le marié doit feindre de faire violence à la mariée qui, de son côté, feindre de résister.

La dramatisation du rite dont parle Propp est très visible dans la cérémonie de circoncision à Azemmour. Il existe un type de circoncision qui s’appelle «volée »: où un ami s’emparait du garçon et le faisait brusquement circonsire à l’insue de ses parents. Dans beaucoup de régions le père par son absence, la mère par ses cris devaient exprimer une sorte d’éloignement pour la cérémonie qu’ils ont eux-mêmes pourtant organisée, ou même faire l’opposition mimée[195]. Pendant cette circoncision volée, l’enfant était enlevé et amené dans un sanctuaire, généralement sur le dos d’une négresse[196]. Ces éléments dramatiques, sans doute très anciens, se conservent aussi dans la circoncision «ouverte ». La mère du circoncis, enfermée dans une chambre éloignée avec les proches parents qui chantent et font du bruit, doit rester debout, un pied dans une cuvette pleine d'eau, l'autre par terre, et se curer les dents avec son agrafe[197] en se regardant dans le miroir. Les ethnographes l'expliquent par la nécessité de distraire la mère, mais à notre avis, nous sommes, comme pour la circoncision volée, devant une imitation rituelle d'opposition.

Le symbolisme ambivalent du labour et du travail de la laine

Les rites du labour se rattachent par leur symbolisme au mariage, aux funérailles et à l’appropriation de la terre où dorment des morts inconnus[198]. Le labour rituel suivi des semailles garde, en Algérie, son importance primordiale, car de sa réussite dépend le sort de la famille pour toute une année. Pour cela les rites préparatoires commencaient au mois d’août alors que le labour a lieu début novembre: ils se composaient de repas de communion, de jeux rituels et des visites des marabouts. À travers le pèlerinage chez le marabout les assistants se livraient à un combat dont les projectiles étaient les fruits du bois sacré entourant le sanctuaire.

Au carnaval nous renvoie la figure du roi temporaire qui devait présider les rites d’ouverture de l’année agricole et de la terre dont on trouve encore des traces dans les montagnes à l’Est du Dahra, ainsi qu’au Maroc. Cette fonction appartenait à la famille berbère dont le prestige et l’autorité avaient survécu à l’occupation arabe[199]. Quant à la dramatisation grossière, ses éléments apparaissent au moment où la femme était obligée de remplacer l’homme: elle devait procéder au labour en mettant un burnous d’homme et en portant un poignard en sautoir. Il lui fallait également être chaussée (alors que normalement les femmes n’avaient pas le droit de mettre de chaussures, car d’après les superstitions elles avaient la même baraka que la terre et ne la craignaient donc point)[200]. La forme de charrue qu’utilisent les agriculteurs algériens, connue depuis l’antiquité méditerranéenne (Servier cite Hésiode), doit avoir ses parties principales dans deux bois, dont l’un était considéré comme mâle et l’autre comme femelle. Le noyau de ce groupement d’idées, selon Servier, vient du fait que la cheville a une forme nettement phallique[201].

Avant le labour un rite du caractère orgiaque qui porte le nom de «la nuit de la connaissance»  est observé chez deux tribus de la Tacheta en Algérie. Les jeunes filles de l’âge nubile organisaient une quête, en allant de maison en maison et en chantant «L’Earafa »:

« Earafa, Earafa[...]

Donne-nous de la semoule

Nous te donnons un enfant

Donne-nous de la viande

Nous te donnons le ventre[202] ».

Puis elles allaient dans le sanctuaire d’un marabout dispensateur de fécondité et préparaient un repas. Le lendemain au soir les jeunes gens nubiles se rendaient au sanctuaire, le repas était pris en commun à la lumière de bougies qui étaient ensuite éteintes. Le matin ils se dispersaient et rapportaient chez eux les restes du repas que le père devait semer avec son grain au début du premier sillon. Le repas de communion juste avant le labour – considéré, rappelons, comme pénétration dans le monde des dieux chthoniens - évoquait le repas des funérailles. Et pourtant il se terminait par un geste carnavalesque: le maître de maison envoyait une grosse cuillerée de bouillie au visage du mieux habillé et du plus gai des convives «afin que l’année lui ressemble[203]».

Le travail de la laine, composé de nombreux rites, présente une forte analogie avec l’agriculture. D’abord la laine est considérée comme un produit du sol, de même que le grain et l’huile. Cela est très visible durant la dernière cérémonie: celle où on retire le tapis achevé du métier. En ce moment-là, on touche à une force magique redoutable, que l’on doit supprimer pour jouir de son travail sans la détruire tout à fait, ainsi que pour pouvoir à nouveau s’en servir. «Par rapport au tissu qui se crée en lui, le métier est comme le champ par rapport à la moisson qu’il porte[204]», remarque Henri Basset. Après la moisson le champ demeure comme mort, si le laboureur ne savait pas restituer une parcelle de cette vie, pour que l’année d’après il puisse encore une fois renaître et prêter sa force au grain. Dans les formules d’incantations identiques chez les moissonneurs et les tisseuses, nous retrouvons la même alternance incessante de la mort et de la renaissance que dans la conception carnavalesque: « Meurs, meurs, ô notre champ d’orge / gloire à Celui qui ne meurt pas !

                            Notre Seigneur te rendra la vie, après ta mort[205]».

Les jeux rituels

Aux batailles simulées du carnaval se jointent les jeux rituels comme la « koûra » qui se joue soit en automne, comme en Algérie, soit dans d’autres saisons comme ailleurs. Il est destiné à assurer une année pluvieuse. C’est un jeu de balle joué par les Tolbas (une caste, notons, qui détenait autrefois le pouvoir magique[206]), une sorte de hockey sur le gazon auquel se livrent uniquement les hommes armés de crosses de bois. Le terrain doit être orienté vers l’Est-Ouest, c’est souvent sur le lit asséché d’une rivière. Un joueur doit faire entrer la balle dans un trou au milieu du terrain, et les autres s’y opposent. Quand la balle rentre dans le trou, les joueurs crient «Il l’a fait boire » et «Dieu donnera de l’eau[207] ». Cette pratique est très ancienne: elle se rattache probablement aux autres types du combat rituel, comme celui observé par Saint Augustin à Césarée, où les habitants se livraient, parmi les parents et les frères même, aux combats à coups de pierres, au cours desquels il y avait éventuellement des morts[208](nous retrouvons cette coutume dans l’épisode avec deux frères Aïssa et Bozambo dans Nedjma, partie IV, ch.X). Léon l’Africain témoigne qu’à Fès à certaines époques de l’année il y avait les fêtes qui consistaient en batailles de bâtons entre les jeunes gens d’une rue contre l’autre et qui finissaient souvent par des conflits armés[209]. Au début du XXe siècle on observait au Maroc un autre variant du jeu avec les armes à feu: en printemps les guerriers se réunissaient dans la prairie, traçaient une limite où poussaient des narcisses. Ils se divisaient en deux camps, puis à tour de rôle chacun s’avançait pour cueillir des fleurs en étant reçu par les coups de fusil du camps opposé[210].

Doutté rapproche ce type de jeu de «ces cérémonies agraires qui avait lieu au début de l’année et dont sont sortis nos carnavals: au cours de ces cérémonies le conflit entre la saison d’hivers et la saison d’été était représenté par des combats ou des drames[211]». Car en Afrique du Nord primitive les semailles ont lieu au printemps, ces jeux poursuivaient le but d’assurer l’abondance de la récolte. Leur caractère extrêmement violent est expliqué avec pertinence par René Girard: il s’agit, d’après celui-ci, d’une « violence fondatrice » qui est orientée vers l’ordre et la tranquillité, d’une violence rituelle qui à ce prix préserve la communauté du basculement dans le chaos total[212].

Un autre type de jeu ancien qu’on peut rattacher au carnaval d’après son caractère est l’ahidous. Elle représente des joutes verbales où on rivalise d’injures, pour emprunter la terminologie de Bakhtine[213]. Normalement c’est le raïs[214] qui entamait les préludes, ensuite les hommes et les femmes du village se séparent et, accompagnés des tambourins, s’échangent des paroles spirituelles et mordantes, souvent toute la nuit. L’ahidous se joue à l’Aïd el Frir, à l’Achoura, au Mouloud[215].

Les pratiques sexuelles

Il nous reste à évoquer les pratiques sexuelles inhérentes au carnaval et fréquentes au Maghreb de notre siècle. Commençons par la prostitution rituelle. Léon l’Africain était parmi les premiers observateurs qui ont remarqué la liberté inouïe des mœurs dans certaines tribus du Maghreb, sans liaison apparente avec une fête: «Il y a,  écrit-il à propos des bergers de l’Atlas,  parmi eux plus de cornards que d’hommes qui ne le sont point. Toutes les jeunes filles, avant de se marier, peuvent avoir des amants et savourer les fruits de l’amour. Le père même fait le meilleur accueil à l’amant de sa fille et le frère à celui de sa sœur, si bien qu’il n’est pas de femme qui apporte sa virginité à son mari[216]». Doutté observe le phénomène semblable chez les Goudâfi au Maroc où la conduite des veuves se distingue par sa «plus grande liberté: elles ont, au vue et au su de tout le monde, jusqu’à six ou sept amants simultanément, qui s’accordent entre eux mieux que l’on ne pourrait l’imaginer[217]». Ces écarts de conduite ne nuisent pas sensiblement à la considération de la veuve et ne l’empêchent nullement de faire à nouveau un mariage. Dans certains villages les femmes tiraient les voyageurs par leurs vêtements pour les obliger à visiter la maison et dès qu’ils y entraient, suivaient des propositions faites avec une liberté incroyable. D’autres avaient une habitude de guetter les hommes au long des routes, comme les Bacchantes sorties à la chasse: Doutté nous rapporte une histoire où un chérif traversant le contré était obligé pour s’en débarrasser de leur crier: «Que Dieu nous préserve de vous[218]!».

L’exemple le plus curieux de la prostitution rituelle longuement analysé par Doutté est les fameuses «filles de Sidi Rahhal »[219]. Il s’agit des descendants d’un saint marocain dont les femmes ont aussi une habitude de se livrer aux passants[220]. Le mythe-fondateur de la tribu l’explique par la bénédiction de Sidi Rah’hal qui en voulant dire: «Mes enfants seront savants et mes filles bien gardées(vertueuses)», a dit à cause d’un lapsus linguae: «Mes enfants seront voleurs et mes filles débauchées[221]». Cette pratique, réfutée par l’orthodoxie musulmane, est censée avoir la baraka, par contre refuser de se rendre aux avances des «filles de Sidi Rahhal » porte une malédiction. Selon Doutté, il s’agit des survivances d’une ancienne pratique de la licence sacrée dont l’origine est inconnue et qui était probablement islamisée sous le couvert du mythe de Sidi Rahhal. Quoiqu’il en soit, sémantiquement cette pratique s’approche aux autres signalées depuis l’antiquité et destinées à assurer la fertilité de la terre, des animaux, etc., ainsi que l’union avec la divinité et l’unité même des vivants dans la totalité de l’être[222].

         L’absence d’abstinence quelquonque se rencontrait également dans la doctrine des certaines sectes religieuses. Léon en décrit une: les dirigeants en devaient aller  incognito au monde se déguisant en fou ou en grand pécheur. « Sous ce prétexte, de nombreux imposteurs et des scélérats errent en Afrique, nus au point de montrer leurs parties honteuses. Ils sont tellement sans retenue[...] qu’ils s’accouplent parfois avec des femmes sur les places publiques[223] ». Léon a observé une scène pareille à Caire, mais ce qui l’étonne le plus c’est l’acceuil que reçoit ce fou «dyonisiaque »:  « aussitôt qu’il eut lâché cette femme; tout le monde accourut pour toucher les vêtements de celle-ci[...]. Quand le mari en fut informé[...]il en remercia Dieu et fit un festin avec de grandes réjouissances pour la grâce qui lui avait été accordée. Les juges et les docteurs de la loi voulurent à toute force châtier le vaurien, mais ils faillirent être tués par le peuple[224] ».

Les orgies annuelles étaient connues encore au début du XXe siècle au Maroc et en Algérie. Doutté rapporte que dans la tribu des Renanema, les descendants des Almoravides et habitant à côté de Marrakech, au début de siècle il existait «la nuit d’erruer» ou « la nuit de la corde[225]». A date fixe, les hommes et les femmes se réunissaient une nuit dans une caverne. A un signal on éteindrait les flambeaux et tous se mêlaient au hasard tandis qu’au moyen d’une corde passée à la hauteur d’homme le cheikh s’assurait que nul ne reste debout. Tout étranger qui tenterait d’y participer serait mis à mort[226]. D’après Doutté la théorie frazerienne de l’influence des rapports sexuels sur la végétation «jette une vive clarté[227]» sur un grand nombre de ces pratiques. Cela est confirmé entre autres par la réaction d’une tribu de l’Aurès qui s’est opposée à l’administration, qui voulait réglementer la prostitution rituelle, en disant que cette mesure nuirait l’abondance des récoltes[228]. Pour Eliade l’orgie s’inscrit dans le système carnavalesque par son objectif d’annuler l’ordre et l’hiérarchie, pour plonger le monde dans le chaos. L’hiérogamie est une réalisation concrète de la «renaissance » du monde et de l’homme[229].

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Notre étude a permis de dégager une variété considérable de pratiques carnavalesques au Maghreb. Nous avons vu que jusque dans les années soixante-dix non seulement les fêtes du type carnavalesque, mais également les autres formes comme rite, geste, parole, ont y étaient observées. En surcroît, malgré (ou grâce à) l’interférence de deux religions et de deux calendriers, les manifestations carnavalesques ont pu pénétrer dans des fêtes musulmanes. Ce qui a donné une fusion rare des deux types de fêtes: « officielle » et carnavalesque. Nous ne nous proposons pas la tache de répondre à toutes les questions posées dans cette partie, par exemple, l’interprétation des origines de ces pratiques. Traçons juste les points de vue généraux.

En polémiquant avec Doutté et Laoust, qui rattachent les pratiques carnavalesques du Maghreb aux coutumes berbères antérieures dont l’existence n’est pas encore prouvée, Westermarck propose une autre explication de leurs origines. Cette interprétation nous paraît plus proche de notre vision du problème, pour autant qu’elle donne des raisons pour appliquer la théorie du carnaval au roman maghrébin. L’ethnographe finnois croit plutôt aux anciennes influences romaines: en premier lieu celles des Saturnales, des Calendes de janvier et des Lupercales, dont il nous livre l’analyse comparative avec des pratiques carnavalesque maghrébines[230]. Il accepte aussi des survivances d’anciennes pratiques berbères, mais sur des éléments bien concrets et peu nombreux, comme les masques d’animaux, car de pareils masques sont déjà connus avant les Calendes antiques[231]. Pour Westermarck, en tous cas, il n’y a pas de doute qu’il existe un rapport génétique d’une sorte ou d’une autre avec les rites semblables observés de l’autre côté de la Méditerranée, en sachant surtout que des pratiques analogues ne sont pas constatées chez les peuples arabes qui n’aient pas été en contact avec les Berbères. Ici il rejoigne l’école ethnographique française de la fin XIXe-début XXe qui dans de nombreuses thèses et monographies soulignait l’analogie, notamment, de la société kabyle avec les anciennes Grèce et Rome[232]. En évoquant les institutions politiques et sociales, les coutumes et le calendrier, R. Maunier inaugurait son cours de sociologie algérienne en 1922 ainsi: «La Méditerranée demeure aujourd’hui encore, la mer gréco-latine,[...] la lumière des civilisations antiques n’y est point éteinte[233]». Nous sommes donc persuadés que la culture carnavalesque était encore vivante au Maghreb la première moitié du XXe siècle et qu’elle a pu ainsi influencer les écrivains qui nous interessent[234].

Deuxième partie

L’élément rituel et carnavalesque dans Nedjma

Chapitre I: Une lecture « mythico-rituelle »

Le rite, y compris carnavalesque, peut être envisagé comme source de la couche mythique du roman. Dans sa monographie sur Nedjma, un de derniers ouvrages de synthèse, Charles Bonn appelle cette œuvre «protéiforme[235]», en dégageant trois niveaux du récit: l’histoire individuelle, l’histoire collective et le mythe où l’individuel et le collectif s’interpénètrent. En parlant de la matière du roman il indique les composants suivants : le réel, l’historique, le biographique et le mythique[236]. La couche mythique a été étudié par Jacqueline Arnaud non seulement dans sa thèse[237], qui reste un manuel indispensable pour ceux qui abordent l’univers katebienne, mais aussi dans des nombreux articles, notamment «Le mythe tribal chez Kateb Yacine[238]» et «Formes occidentales et mythes maghrébins dans l’œuvre de Kateb Yacine[239]». Son objet d’étude était l’établissement – basé sur l’érudition impressionnante - de correspondances entre les images et les situations du texte de Nedjma (entre autres œuvres) et des pratiques rituelles concrètes, ainsi que des récits mythiques de l’Est algérien, la région natale de l’écrivain. 

En se distinguant de ce type de recherches, ainsi que des études du « discours mythique[240] », nous voudrions appliquer à ce roman l’approche que propose Vladimir Propp dans son ouvrage Les racines historiques du conte merveilleux. Cela ne veut pas dire forcement que nous envisageons Nedjma comme conte. En effet, Propp lui-même consacre une division de son avant-propos à l’éclaircissement des relations entre le conte et le mythe. En remarquant que la majorité des ouvrages qui étudient les rapports entre le mythe et le conte proposent une délimitation « purement formelle[241] » entre les deux phénomènes, Propp postule que la distinction n’est possible que par leur « fonction sociale ». Du point de vue formelle le mythe ne peut pas être distingué du conte, ces deux « (en particulier les mythes des peuples qui sont restés en deçà du stade des classes) coïncident parfois entre eux, à tel point qu’en ethnographie comme en folklore, on appelle souvent ces mythes contes[242] ». Du point de vue de la fonction sociale, le mythe, ce récit tribal sacré, conserve la liaison directe et première avec le rituel, ce qui dans le conte devient un objet de la transformation. Grâce à cela, le mythe donne souvent la clef pour comprendre le conte.

Ce livre utilise donc largement le matériel mythique, y compris africain, non seulement comme point de comparaison, mais aussi comme source « directe». D’où vient, à notre avis, la possibilité d’appliquer les résultats des recherches de Propp comme une grille de lecture pour Nedjma, le roman où l’élément mythique imprègne des nombreux épisodes sur l’ancêtre Keblouti et sa tribu, aussi bien que les « aventures » des quatre héros au milieu du XXe siècle. Tous les critiques de Kateb, sont d’accord sur l’importance cruciale de l’épisode de Nadhor dans Nedjma. Mais très souvent il apparaît comme un énigme interprétative, un trou noir qui bloque les explications rationalistes. Les critiques sont conscients qu’il s’agit du mythe, mais à notre connaissance, l’analyse de l’épisode de Nadhor comme mythologème[243] complexe n’a pas été faite.

De plus, dans ce roman le mythe et le rite ne fournissent pas exclusivement de la matière factuelle, comme l’histoire de la dispersion de la tribu ou la description des préparations de Si Mokhtar pour le pèlerinage à la Mecque. L’élément mythiquo-rituel se dévoile derrière certains traits (physiques et d’esprit) des personnages et leurs rapports réciproques, derrière les lieux d’action et leur décor. Il se manifeste dans le déroulement des événements, dans les actes des héros pas toujours comprehensibles par une logique habituelle, et même dans la structure de texte. Cette approche proppienne, qui réunit les meilleurs acquis de sa méthode morphologique avec une étude génétique permet, à notre avis, de surmonter l’« attraction » locale, maghrébine et analyser Nedjma en tant que récit mythique universel du genre Le Maître et Marguerite de Boulgakov, ou Cent ans de solitude de Marques, où en-dessous des particularités propres à l’époque et au pays donné se manifestent des empruntes anciens, la substance archétypale.

Ce sera la première partie de ce chapitre, partie sérieuse pour ainsi dire. Pour la deuxième, on doit proposer l’analyse de l’élément carnavalesque du roman à la base de la théorie du carnaval de Bakhtine. Pourquoi ce contraste? En créant Nedjma avec sa dimension mythique, Kateb, nous semble-t-il, ne pouvait pas ne pas se rendre compte qu’au milieu du XXe siècle le rite et le mythe dans son pays – qui les a gardé presque intactes beaucoup plus longtemps que l’Europe voisine - sont en train de témoigner leur décomposition, leur désagrégation profonde et irréversible. S’arrêter donc sur la représentation uniquement « sérieuse » du réel, historique, biographique et mythique dont parle Charles Bonn, risque à notre sens d’être anachronique, non-véridique. Dans ce cas le discours carnavalisant apparaît comme un procédé adéquat pour montrer d’un côté la réalité telle qu’elle est et de l’autre pour la mettre en dérision, car Nedjma, comme la grande partie des œuvres touchées par la carnavalesque, est crée à l’époque de la crise de tous les fondements de la société algérienne.

C’est ce discours qui donne entre autres l’esprit novateur au roman, il constitue la chaire de la majorité des ses scènes en nous présentant tout ce qui se passe à travers la mise « à l’envers », le dévoilement derrière  chaque phénomène quasi sérieux son dessous profanateur, railleur, subversif. Ce discours est associé surtout aux figures de Si Mokhtar et de Rachid, mais il apparaît aussi dans d’autres épisodes, notamment avec Lakhdar et Mustapha. Nous allons analyser ce discours carnavalisant à l’aide de la théorie de Bakhtine, car son concept de la vision carnavalesque du monde avec ses catégories, ses formes concrètes du genre, du récit, du contenu dans lesquelles le rituel et le festif se transpose en littérature, et d’ailleurs il nous paraît fournir le meilleur outil de l’analyse. Pour les rapports concrets entre le rite et les images et structures romanesques nous allons utiliser la méthode de Propp, en puisant le matériel nécessaire pour ce genre de comparaisons dans la littérature ethnologique sur Maghreb et l’Algérie.

Nous sommes persuadés que l’épisode de Nadhor, ainsi que le faux pèlerinage à la Mecque qui lui précède et les épisodes postérieures sur Rachid peuvent être interprétés à travers le rite d’initiation[244], le culte des ancêtres, le chamanisme, les conceptions de l’au-delà, évoqué par Propp à propos de conte merveilleux. Cette approche nous permettra d’éclaircir une partie considérable de détails qui sont omis par d’autres interprètes, car ils ne s’inscrivent absolument pas dans le cadre biographique, ni historique. Elle nous servira d’un fil d’Ariane pour lier les événements dispersés dans le roman dans un ensemble rempli d’un sens profond. Le rite d’initiation, que le folkloriste russe tient pour une des principales institutions de la société de clan, occupe une place considérable dans son concept. Nous pouvons y dégager six traits caractéristiques, les allusions auxquels nous retrouverons dans le roman. Ce rite avait lieu au moment de la puberté, il donnait le droit de se marier. Sa fonction sociale était d’introduire le jeune homme dans la société tribale, dont il devenait le membre à part entière. Ces formes sont diverses, mais déterminés par le paradigme de la mort momentanée. Le rite avait toujours lieu dans la forêt la plus épaisse et dans le plus grand secret. Il était accompagné de circoncision, ainsi que de tortures et de sévices physiques. Pendant l’initiation on transmettait à l’initié des secrets de caractère religieux, un savoir historique, les règles et les normes de la vie sociale[245].

Nadhor – le lieu mythique

Commençons par la description du lieu d’action. La datation de l’épisode de Nadhor a fait couler beaucoup d’encre[246]. Il saute aux yeux que ces chapitres possèdent une telle profondeur et telle puissance mythiques, que les interprètes les plus rationalistes basculent dans l’irrationnel. Jacqueline Arnaud, notamment, préfère y voir un « rêve » crée « par le haschisch que fument Si Mokhtar et Rachid[247] ». Finalement elle propose d’admettre une lacune temporelle autour de cette séquence, en soulignant que le chemin même du voyage de Rachid, Si Mokhtar et Nedjma n’est indiqué nulle part[248]. A notre avis, nous avons ici affaire à un procédé typique du récit mythique et du conte qui consiste en refus de décrire le trajet: le chemin parcouru n’intéresse que la composition, « il ne fait pas parti de son contenue[249]», explique ce phénomène Vladimir Propp. Si on accepte ce propos, la nécessité de trouver l’emplacement exact de cet épisode sera éliminer. Dans le récit mythique ce sont les arrêts de ce trajet qui importent, car ils reflètent les phases précises du rite qui leurs a donné la naissance.

Les trois personnages comptent passer « une semaine dans la forêt[250] ». Cette forêt «est profonde, sombre, mystérieuse, quelque peu conventionnelle, pas tout à fait réelle[251] », exactement comme un lieu mythique. Pour Propp la liaison entre le rite d’initiation et la forêt est tellement constante qu’elle peut être inversée, c’est-à-dire que chaque fois que le héros se retrouve dans la forêt, « la question du rapport du sujet donné au cycle initiatique est posée[252] ». En parlant de «l'obscurité» des chapitres sur Nadhor, Jacqueline Arnaud a choisi un terme très juste, car on ne peut pas ne pas être frappé par la cécité consciente et inconsciente des tous les personnages:

- Si Mokhtar cherche  sans cesse son tam-tam et sa tabatière « égarés »;

- Le nègre ne voit pas Rachid jusqu’à la scène auprès du feu;

- Si Mokhtar n’aperçoit le nègre ni pendant son coup de fusil, ni après, jusqu’à ce dernier “glisse près de lui”(p.141) et lui provoque un cri strident;

- Rachid et Nedjma n’arrivent pas eux non plus à distinguer la “silhouette” du nègre qui les suit comme un ombre, étant occupés l’un de l’autre.

Ajoutons, enfin, la flagrante cécité volontaire de Rachid qui ne veut pas croire à l'existence réelle du nègre en attribuant sa vision au haschisch.

Il est connu que pendant la cérémonie d’initiation le néophyte subissait un aveuglement symbolique, le même que subissent la Yaga des contes russe et Polyphème du mythe grec[253]: on lui bouchait les yeux. Cette cécité temporaire est signe de départ pour le royaume de mort. Propp indique, en s’appuyant sur les mythologies diverses, que la cécité liée à la forêt mystérieuse et à la figure de son gardien, doit être comprise non seulement en soi, mais “à l’égard de quelque chose”, c’est un terme qui “recouvre l’idée d’une invisibilité à double sens[254]”. Cette cécité réciproque souligne l’appartenance du gardien de la forêt et des intrus aux mondes différents: le nègre ne distingue pas Rachid, mais les trois personnages, eux aussi, en arrivant dans ce royaume, perdent la vue.           

Le nègre n’aperçoit pas Rachid assez longtemps, tandis que ce dernier ne se cache pas, nous en avons l’impression que le héros est invisible. La cécité des morts et vivants est réciproques dans des nombreux mythes. De ce point de vue il est intéressant de remarquer que Rachid voit le nègre « dissimulé » sous le figuier au moment le plus intense des ses méditations sur la beauté de Nedjma qui portent un caractère prophétique. Si nous interrogeons l’épisode du bain de Nedjma, nous verrons qu’il se déroule sous le signe de la mort. En regardant le chaudron où Nedjma prépare son bain, Rachid pense « que de morts, bien avant moi, avait été lavés dans ce chaudron hérité de père en fils »(p.128). En contemplant sa fraîche beauté, il prévoit sa décomposition: « Baigne-toi, Nedjma, je te promet de ne pas céder à la tristesse quand ton charme sera dissous »(p.130). Le moment du retour de la vue à Rachid, ces réflexions sur la nécessité d’éliminer tous les adversaires pour être sûr de retrouver Nedjma, donne la possibilité d’interpréter ce retour comme la fin d’initiation. A partir de ce moment-la et jusqu’au départ du Nadhor, Rachid devient temporairement de la même nature que le nègre, il acquiert les caractéristiques d’un mort[255], qu’il gardera en rentrant à Constantine.

Dans Nedjma cette différence entre le monde du Nadhor et celui auquel appartient Rachid est très nette, même si les trois personnages vivent au Nadhor de ce que donne la nature, comme des primitifs: « nous pouvons vivre de fruits et de café, ce qui ne nous empêchait pas de manger du porc-épic en attendant la couvée des perdrix »(p.127). Pour le nègre les intrus “vivent en sauvage”(p.142): ils forment “un couple amorale”, ils sont venu “profaner la terre ancestrale”(p.140), sans parler de  leur musique bizarre et du haschisch. Nedjma, de son côté, comprend après le tout premier interrogatoire de la part du nègre, qu’il “était dément”(p.141). Rachid remarque pendant ses “confessions” nocturnes avec le nègre qu’il “zésayait et avalait trop de consonnes pour être de l’Est algérien; mais il n’avait pas l’air d’être précisément un étranger”(p.136). En même temps Rachid se rend compte des raisons de leurs aliénation par rapports aux membres du clan restés au Nadhor: ils sont de “la branche des déserteurs”(p.137). Vis-à-vis de Rachid la forêt donc accomplit la fonction « d’une sorte de filet qui retient l’intrus[256] ». Contrairement à Nedjma dont l’initiation à l’ordre tribal passera probablement au campement des femmes et à Si Mokhtar qui sera admis au cimetière du Nadhor, Rachid ne restera pas un jour de plus après ces deux événements et l’explication avec le nègre. Avec le savoir initiatique acquis, il sera expulsé de la terre ancestrale pour le porter ailleurs.

La forêt mystérieuse qui entoure l’autre monde provoque également « un assoupissement irrésistible[257] ». Le motif du sommeil accompagne tout l’épisode de Nadhor. En y arrivant Si Mokhtar restera tout le temps couché, il va se plonger de plus en plus dans un sommeil délirant jusqu’au ce qu’il ne se réveille plus. Sa dernière phrase peut être lue comme un testament avant le départ dans l’autre monde: « Je vais dormir, cette fois, dit-il. Je ne suis pas mécontent de moi »(p.135). Et il est très significatif que pendant son agonie Rachid s’endorme enfin, après plusieurs nuits d’insomnie, pour voir un rêve d’un sens purement mythique: « Je rêvai de Si Mokhtr dans le navire voguant vers la Mecque, puis au Soudan égyptien, sur la berge du Nil »(p.139). Propp nous renseigne que toutes les formes de traversée signifient «le voyage du mort dans l’autre monde, et certaines, même reflètent de façon précise des rites funéraires[258] ». Nous savons aussi qu’en Egypte et à Babylone la barque des morts s’éloignait sur l’onde en suivant le soleil. Si le pélérinage de deux personnages à la Mecque a été un faux acte de foi, la volonté de retour à la terre ancestral, de la réconsiliation même au prix de la mort est un implusle véritable de Si Mokhtar. Et il a de quoi être content avant mourir, car il sera admis au cimetière de la tribu. Son retour aux sources a réussit.

Pour Si Mokhtar donc cette forêt accomplira la fonction du passage au pays des morts. En y rentrant, il ne sortira plus, étant tué par le nègre, gardien de la tribu. En ayant initié Rachid à la tradition tribale, Si Mokhtar va mourir pendant la réalisation de son propre retour aux sources ancestrales. Il est connu, que les initiés avait toujours les traces corporelles des tortures subies. Le plus souvent c’était l’amputation du doigt (plus précisément du petit doigt de la main gauche), mais les doigts des pieds y figuraient aussi[259]. Pour le vieillard sa blessure reçue du coup de foudre porte un caractère sacré: « Le sang n’est pas perdu, dit-il. Donne, je vais le boire »(p.134). Cette blessure provenant d’un élément et entraînante sa mort, fait de Si Mokhtar un initié âgé. Avec la désagrégation du rite, l’initiation se passait de plus en plus rarement, parfois avec des intervalles de dix ans et plus[260], et des hommes mûrs et mariés, initiés après coup, y participaient à côté des adolescents. On connaît également qu’un certain nombre d’initiés mourrait après la cérémonie à cause de blessures et souffrances physiques. Le départ dans la forêt était donc pour Si Mokhtar le départ dans le royaume de la mort, ce qui s’inscrit parfaitement dans le cadre mythique, où on ne faisait pas de différence entre la mort réelle et les événements qui se déroulaient dans la forêt.

Ajoutons aussi que Rachid aperçoit le nègre en train de dormir sous le figier. Lui, Rachid, est le seul qui est « à bout de l’insomnie »(p.135) pendant son séjour à Nadhor. Cet état peut être considéré comme épreuve du sommeil, que le héros supporte jusqu’à la fin d‘initiation quand il n’y aura plus de Nedjma avec lui et Si Mokhtar en vie. Propp cite les matériaux sur l’interdiction de dormir lors d’une mort chez les juifs, ainsi que celle de dormir jusqu’à « cicatrisation de la blessure[261]” de l’initiation au sud-est de l’Afrique.

Enfin, le fait que Rachid et Si Mokhtar révèlent leurs dons musicaux exclusivement au Nadhor, alors qu’avant aucun épisode ne mentionne que le premier joue le luth et le deuxième le tam-tam, ne paraît pas attirer l’attention des critiques. A notre avis c’est très significatif: car cette caractéristique renforce l’image de la forêt comme autre monde, comme royaume de la mort. Dans les conceptions mythiques de la mort, plus anciennes que celles des grecs (qu’ils ont beaucoup influencé) la musique magique des flûtes et de tambours était un attribut obligatoire de l’autre royaume. Le tam-tam de Si Mokhtar est une variété d’instrument à bruit, utilisé dans nombreuses cérémonies rituelles et carnavalesques[262]. Ce n’est pas par hasard non plus que Rachid joue le plus ancien instrument à cordes[263]. Il est connu également que l’initié apprenait pendant la cérémonie les danses et la musique qui faisaient partie des nombreux rites dont les buts étaient très variés: « de faire se reproduire le gibier, de provoquer la pluie, de faire lever la moisson, de chasser la maladie[264]». Dans ces rites ainsi que dans l’autre monde les instruments musicaux ont été considéré comme sacrés et leur son – comme la voix d’esprit.

Nedjma – princesse du conte et épouse polyandre

Tous ceux qui ont travaillé sur l’image de Nedjma ont souligné son caractère pluridimensionnel. Jacqueline Arnaud, entre autres, l’appelle « une femme réelle[…] et un être symbolique[265] », ainsi qu’« une figure mythique[266] ». Mais le mythe dans cette interprétation est envisagé dans le sens tribal, ou spécifiquement maghrébin, et non général. Alors qu’à notre avis, l’image de Nedjma contient les traits de la princesse mythique et celle du conte qu’on trouve dans les mythologies diverses.

Comme la fille du roi de la tribu, sur laquelle se répandent ses tabous et ses interdictions, Nedjma vit comme prisonière: « ils m’ont isolée pour mieux me vaincre»(p.62). La toute première description de sa villa s’appuie sur les images d’un coin sauvage, de l’isolement, de la clôture et en même temps du merveilleux. Elle se trouve « au bas d’un talus en pente douce, couvert d’orties». Elle débouche vers « un jardinet inculte », elle est protégée par l’hostilité des piques « des figues de Barbarie, de l’aubépine, de l’airelle »(p.60), enfin, « tout le bombardement de midi[…]n’altère l’ombre touffue ni de ses irrésistibles succions, ni de son errance acharnée”(ibid.). Remarquons que l’image de la ville à Beauséjour possède elle aussi quelques traits de l’autre monde: notamment le jardin avec des arbres fruitiers[267], où les oranges tombent d’elles-mêmes.

L’ombre règne également à l’intérieur de la maison, comme si Nedjma subissait un tabou de la lumière du jour, ainsi qu’aux regards des intrus. Sa rencontre avec Rachid se passe dans un endroit clos – la clinique, « dans la profondeur du petit matin », qui entoure Nedjma d’ «un halo ruisselant d’ombre »(p.102). De la même logique primitive et craintive du mauvaise oeil témoigne la réfléxion de Rachid sous le figuier au Nadhor qu’il préférerait à promener Nedjma au soleil, la « rejoindre dans une chambre noire et d’en sortir qu’avec assez d’enfants »(p.131) pour être sûr de la retrouver. Nous y voyons le reflet des tabous anciens dont l’infraction paraissait inéluctablement funeste. Nedjma provoque la même peur chez tous les hommes qui l’entourent: son époux officiel Kamel (et sa mère), chez son père Si Mokhtar, chez Rachid qui l’exprime de la meilleure manière:

« ...ne plus exposer sa beauté devenue mienne aux yeux de quelque rustre ou même d’un enfant, car la vue d’un trésor est toujours dangereuse non seulement pour le propriétaire qui préférerait à présent ne l’avoir jamais vu, mais pour le ravisseur et le simple curieux qui ne pourront rester en paix, perdront le fruit de rapt et de la curiosité, tout cela parce qu’ils ne sauront jamais cacher leur trésor hors de leurs propres regards et de ceux d’autrui? »(p.131)

Dans ces visions prophétiques Rachid se prédit le prochain rapt de Nedjma, car la toute première fois que le nègre aperçoit la jeune femme, tourne brutalement l’histoire vers la mort de Si Mokhtar, l’enlèvement de Nedjma à Rachid et l’expulsion de ce dernier du Nadhor. Le nègre à son tour, conscient des conséquences de ce tabou, imposera à Nedjma  le voile noir: c’est ainsi que Rachid la reverra par hasard au bout d’un an. Ce voile noir nous renvoie d’un côté au moyen le plus utilisé au Maghreb par les hommes jaloux et contre le mauvais œil[268], de l’autre côté aux masques, casques et autres couvertures du visage, utilisés par les femmes primitives pour se protéger de la profanation[269]. Ajoutons entre parenthèses que le motif des rapts successifs de la Française et plus tard de sa fille Nedjma, est venu du folklore[270].

Propp note que l’isolation de la fille du roi, mais aussi de tout jeune fille en règles, la préparait au mariage, souvent avec un être de la nature divine, favorisant en même temps l’accumulation des forces magiques. Encore un détail: pendant toute la période de l’isolement il était interdit de couper les cheveux. Nous savons que Nedjma possède une « écrasante chevelure »(p.61), qui est « fauve » en plus. Selon Propp, « tout ce qui a la couleur de l’or révèle […] son appartenance à l’autre royaume[271] ». En outre, comme la princesse du conte « à-la-tresse-d’or, à la beauté non couverte » et contrairement aux coutumes musulmanes, Nedjma ne couvre pas ses cheveux. Elle ôte sa cagoule en sortant du tramway et Mustapha, en voyant sa chevelure pense qu’il aurait « reconnue entre toutes les femmes, rien qu’à ses cheveux »(p.67). Quand Lakhdar vient dans la villa de Lella Fatma, cette dernière premièrement donne l’ordre à Nedjma de rassembler les cheveux (p.81).

La splendide chevelure est donc un signe de puissance extraordinaire chez les femmes. Une telle femme ne peut pas se contenter d’un homme simple. On remarque que le mariage de Nedjma et Kamel est un faux mariage: nous n’avons aucune mention de leurs rapports conjugaux. Elle continue d’avoir la vie de la jeune fille qui attend son vrai époux, qui lui sera égale de la puissance supra-humaine. D’où vient à notre avis la nature futile de Nedjma: «une femme perpétuellement en fuite, au delà des paralysies de Nedjma déjà perverse »(p.235), caractérise cette particularité Lakhdar. Comme chez la princesse mythique, son désir « secret, non formulé » est de ne pas avoir le mari, ce qui explique la principale tâche du héros, parvenu, ou presque à la possession de cette femme: de la dompter[272]. Rachid en l’enlevant n’y arrive pas, soit à cause de sa volonté dissipée dans la fumée du haschisch, soit à cause de sa conviction inexplicable, que leur séparation est inévitable. Nous pouvons rappeler que cette conviction lui vient de Si Mokhtar, qui bénit leur union par une conjuration paradoxale: « Mais sache-le: jamais tu ne l’épouseras[273] »(p.122).

Nedjma, comme princesse mythique est une créature perfide. Consciente de sa situation d’emprisonnement, elle se venge en devenant à son tour le prison des cœurs de ceux qui l’aiment: « puisqu’ils m’aiment, je les garde dans ma prison...A la longue, c’est la prisonnière qui décide»(p.62). Elle entraîne Lakhdar dans la chambre nuptiale devant les yeux de deux autres ravisseurs – Mourad et Mustapha (p.233), ou bien elle disparaît avec le nègre pendant que Rachid dort épuisé (p.139). Son côté initialement hostile aux hommes se manifeste également dans les relations à l’intérieur de ce « triangle de forces »: la princesse, son père et son fiancé, dont parle Propp[274]. Entre deux modèles de rapports qu’analyse le folkloriste russe: la princesse s’allie à son père pour venir à bout du héros ou elle s’allie au héros contre son père, le roman se penche plutôt vers la deuxième:

« Nedjma, jalouse de l’amitié qui me liait à son père, avait réussi à me rendre pesant la présence de Si Mokhtar, de même que le vieux bandit me traitait à présent de haut : et c’est ce qui faisait pour moi l’attrait de la vie à trois ; cette discorde que Nedjma semait partout sans songer à mal, c’était précisément l’arme de femme dont je désirais recevoir une seule blessure avant de prendre mon chemin, car la séparation me paraissait inéluctable... »(p.138).

Il est nécessaire d’ajouter que la blessure reçue de la princesse même, ou au combat constitue le motif de la marque imposée au héros[275]. C’est une marque de passage, de l’admission dans le clan de la femme, non réalisée pour Rachid. Dans ce contexte l’enlèvement de Nedjma et la vie au Nadhor se présentent comme « tâche difficile »: la réalisation de cette tâche est destinée de donner la princesse à l’élu. Pourtant l’ironie de la situation (dont on parlera plus loin) est qu’au lieu de Rachid à qui songeait Si Mokhtar, Nedjma retrouvera au Nadhor son vrai époux, le nègre. En concluant son chapitre sur la princesse mythique, Propp souligne son caractère ambivalent. Cette figure surgit de trois modèles: gardienne du clan, l’épouse céleste du chaman et la fille du roi tué et remplacé par son successeur[276]. Il est évident que Kateb s’appuie sur le troisième: Nedjma, la fille du roi déchu et du gardien profane du mythe tribal, est gardée comme prisonière jusqu’au jour du retour dans la terre ancestrale, où elle trouvera son fiancé magique au prix de la mort de son père.

Le nègre – gardien de la mort et maître des éléments

L’homme pour lequel Nedjma se prépare est donc le nègre. Il n’est pas le membre de la tribu, il a été adopté, ce ne sera pas donc un lien incestueux. Il n’est pas non plus un être ordinaire: il est caractérisé comme « grand chasseur, sorcier, meneur d’orchestre et médecin des pauvres »(p.140). La faculté de guérir et l’entendement de la langue des animaux sont des propriétés magiques universelles de caractère général[277]. Sa couleur, sa force et sa démence même sont les signes du pouvoir magique. Le nègre est sans doute cet époux idéal dont a besoin la princesse aux cheveux fauves. 

Comme nous l’avons évoqué plus haut, le nègre représente la figure du gardien de la forêt mystérieuse, de l’autre monde: la nuit il apparaît à Rachid comme un « homme sans visage »(p.137). Cette interprétation a été proposé par B.Saltani dans sa thèse. “Le nègre, écrit-il, à croire la mythologie arabo-maghrébine, est le symbole même de la mort, il en est le gardien silencieux et fidèle[…]gardien du grand cimetière qu’est la tribu[278]”. Propp retrouve cette figure dans les mythologies si diverses que russe, africaine et amérinide. En tant que gardien, le nègre parcoure le Nadhor « de long en large », « jour et nuit, depuis sa tendre enfance »(p.140). Il entraîne Rachid dans une conversation-confession auprès du feu, ce qui est une fonction indispensable du gardien vis-à-vis de chaque intrus qui pénètre dans son royaume. Il arrive à enchanter Rachid jusqu’à ce dernier lui découvre « le plus heureux caractère »(p.136).

Le nègre est également un véritable maître de la terre ancestrale, car il dispose la vie humaine dans son royaume, comme de la vie animale: “il avait jugé, condamné, exécuté enfin [Si Mokhtar]comme il aurait […] abattu un chacal chapardeur”(p.141). A part la force de maîtriser des animaux, il porte aussi la fonction du maître des éléments, à savoir le tonnerre, la figure réelle de la mythologie, ce que nous explique cette « histoire assez abracadabrante du coup de feu tiré en plein orage[279]», d’après l’expression de Jacqueline Arnaud. La mise en scène est telle que la victime et les deux témoins sont persuadés que c’est l’orage qui a commis l’execution: Si Mokhtar sera sûr que ces orteils sont « arrachés par la foudre»(p.134). Rachid et Nedjma seront obligés de lui croire “n’ayant pas entendu le coup de feu ni vu la lueur de la poudre dans l’orage, ni aperçu le nègre aux aguets”(p.140).

Nedjma, elle aussi, passera apparemment le rite d’initiation après son enlèvement par le nègre. Dans ce contexte la fameuse scène du bain peut être interprétée comme  ablution rituelle avant la cérémonie, à laquelle ont été soumis les néophytes pour “les débarrasser de l’odeur de la femme[280]”. Sa disparition postérieure pour une longe période témoigne du même, car un délai d’isolation a été imposé aux initiés après le rite. Étant initiée, Nedjma ne quittera jamais son voile noir et son maître-initiateur, le nègre.

L’initiation de Rachid

Nous avons vu que Nedjma et Si Mokhtar, d’une manière ou d’une autre, seront initiés pas le nègre. Quant à Rachid, le rôle d’initiateur joue son ami, « le vieux brigand ». On connaît que c’était toujours un homme qui amenait le néophyte dans la forêt. Si le père était mort, l’oncle ou un autre parent masculin le remplaçaient. Le maître d’initiation était un vieillard, comme Si Mokhtar qui a vers soixante-quinze ans (p.103). Rappelons que le rite d’initiation constituait, comme le souligne Propp, « un enseignement au sens propre de ce mot[281] »: pendant la cérémonie les initiés apprenaient toutes les conceptions mythiques, les rites et les coutumes de la tribu. C’est exactement ce qui se passe pendant le faux pèlerinage: Si Mokhtar raconte à Rachid plusieurs versions de la légende sur l’ancêtre-fondateur Keblout et puis l’histoire de la décimation de la tribu. Son récit porte le caractère véritablement initiatique: il confie à Rachid ce qui a été accompli, il y a huit siècles en arrière par Keblout, qui a enseigné les arts et les métiers, fixé les coutumes, donné l'organisation sociale à la tribu[282], ce qui va devenir l'expérience spirituelle et personnelle de Rachid. Finalement, la légende sur Keblouti qui présente le fondateur comme  «idéologue et un artiste» et ses successeurs comme Tolbas, c'est-à-dire étudiants errants, «musiciens et poètes de père en fils»(p.117), permettra à Rachid de s'identifier et lui donnera un impulse dans ses réflexions sur la nation à venir. Si Mokhtar dévoile à Rachid le sens même des épreuves qu'il a déjà subies, sans deviner leur vraie signification, et à celles qui guettent encore lui et son peuple:

«Tu dois songer à la destinée de ce pays d'où nous venons, qui n'est pas une province française, et qui n'a ni bey ni sultan; tu penses peut-être à l'Algérie toujours envahie, à son inextricable passé, car nous ne sommes pas une nation, pas encore, sache-le: nous ne sommes que des tribus décimées. Ce n'est pas revenir en arrière que d'honorer notre tribu, le seul lien qui nous reste pour nous réunir et nous retrouver...»(p.121).

La nature sacrée du récit est prouvée par le fait qu'en le racontant Si Mokhtar livra une partie de sa vie et en hâtera ainsi la fin, comme le vieux sorcier que cite Propp et qui dit: «Je sais que mes jours sont comptés[...] Je n'ai pas de raison pour ne pas te raconter tout ce que je sais[283]». Malgré le fait que Si Mokhtar est le gardien profane du mythe tribal, il accomplit la mission de la transmission de ce saint des saints selon la tradition: en ayant bien choisi le moment et l'endroit pour communiquer ce savoir à la jeune génération sans susciter les malheurs et pour qu'elle soit la plus fructueuse. Il motive la nécessité d’aller si loin car il ne pouvait pas parler « là-bas, sur les lieux du désastre »(p.121). La transmission du savoir mythique a lieu pendant ce voyage initiatique: « entre l’Egypte et l’Arabie », où sont passés les pères de Keblout. 

Si Keblout incarne la figure mythique du grand maître et ancêtre de la tribu, l’aigle centenaire représente son aspect animal et totémique. Kateb lui-même l’appelle « ancêtre pourchassé »(p.125). Les Racines historiques permettent à notre avis d’éclaircir son image et sa fonction dans le roman, en sachant qu’au début du XXe siècle le totémisme est encore un phénomène vivant en Afrique[284]. La disparition de la petite sœur et la mort énigmatique de sa aînée sont interprétées par la tribu comme sacrifice propitiatoire. Les habitants du Nadhor espèrent que la disparition du vieux aigle qui a suivi ces événements « c’était peut-être le signe que la malédiction s’éloignait, grâce aux deux vierges sacrifiées pour le repos de Keblout »(p.126). Il nous semble que Kateb évoque ici un phénomène rituel comme l’obligation de nourrir l’animal totémique avec son « envoie » suivant (dans le rite ancien – la sacrifice) à son maître « dans le but de se concilier les faveurs de celui-ci[285] ». La conclusion que fait la tribu s’inscrit parfaitement dans cette logique: la péripétie de l’envol de l’aigle avec la petite vierge correspond à l’envoie rituel dans la mort, d’où l’espérance que les malheurs des habitantes de Nadhor vont s’arrêter.

L’image de l’aigle dans cet épisode est ambivalente: il est le gardien de l’âme du légendaire Keblout et en même temps le courrier dans le pays de la mort, car il y amène la petite fille. Sa sœur meurt « au pied du pic »(p.125) étant persuadée que l’aigle a « pris » sa cadette; la tribu suppose également qu’il est « parti avec sa proie »(p.126). Remarquons que le chapitre qui suit à l’épisode avec l’aigle présente l’ancêtre Keblout dans son aspect humain: il apparaît au rêve de Rachid qui se trouve dans la cellule de déserteur. Mais deux formes successives de la représentation du grand ancêtre y existent parallèlement, car Keblout apparaît à Rachid avec des traits zoomorphes[286] : «...et le vieux Keblout légendaire apparut une nuit dans la cellule, avec des moustaches et les yeux de tigre, une trique à la main », « l’ancêtre au visage de bête féroce »(p.126).

            L’initiation de Rachid est un voyage à l’autre monde, celui au passé tribal et plus largement de l’Algérie. Le savoir qu’il acquiert ressemble fort à ces connaissances généalogiques que possèdent les personnages mythiques descendus à l’enfer: il revient de son voyage avec les nouvelles sur les « ancêtres jusqu’à la septième génération[287] ». Sous cette lumière nous comprenons mieux l’étonnant pouvoir qu’a le père mort de Rachid sur son fils, surtout pendant la dernière période dans le fondouk. Cette image du père assassiné reflète la figure du père mort, qui dans le mythe et le conte accomplit deux rôles opposés: bénéfique et maléfique. La base historique du motif du mort-donateur est selon Propp « l’idée que les ancêtres sont puissants du fait même de leur séjour dans l’autre monde, source de toutes choses[288] ». Mais dans Nedjma la fonction du père mort est l’autre: lui-même et l’énigme de sa mort hante sans cesse l’imagination de Rachid, jusqu’au point - on dirait – de lui priver de l’envie de vivre. Cet ombre du père, dès le retour de Rachid du Nadhor, cherche à l’entraîner avec lui dans sa tombe, comme cela est présenté dans des nombreuses concepts de la mort chez les peuples primitifs[289].

Avant de passer à l’analyse des épisodes au fondouk, notons que l’initiation de Rachid par Si Mokhtar se passe en accord parfait avec une autre règle principale du rite d’initiation dont le but était de préparer le jeune homme au mariage. Propp indique que l’initiation était pratiqué non par la tribu (dans notre cas la famille) à laquelle appartenait le jeune homme, mais par celle de sa femme. Même si le folkloriste russe parlait de l’exogamie alors que dans le roman il s‘agit de l’endogamie, forme la plus ancienne d’initiation y est présente: Si Mokhtar, le probable père de Nedjma, initie celui à qui il confie sa fille, même s’il est sûr que le mariage n’aura pas lieu. Dans les mêmes débris des relations matriarcales il faudrait à notre avis chercher l’explications pourquoi les vétérans de la tribu gardent Nedjma et chassent Rachid de la terre ancestrale.

Le retour de l’initié

Une autre phase du rite d’initiation, non moins importante, était le retour de l’initié. Le cas de Rachid est bien particulier, car il réunit deux formes de prolongation du stade initiatique: la rentrée chez soi et l’installation dans « une maison des hommes ». Nous savons que Rachid rentre dans sa ville natale Constantine, dans la maison « héritée de son père »(p.145) où il s’enferme pour quatre jours pour en sortir le cinquième et s’établir dans un fondouk d’Abdallah. Ce fondouk possède plusieurs traits de la confrérie des hommes initiés, que Propp appelle « la confrérie de la forêt », en le définissant comme une institution particulière, propre au régime tribal[290]. C’est aussi une grande maison close (« un hangar séparé en deux par une cloison de bois », p.151), ouverte qu’aux hommes familiers au rituel qu’on y pratique. La procédure de fumer la pipe est appelée « canonique » et est décrite comme un véritable rite qui se passe « entre initiés »(p.152), se dirige « selon les usages » et « les règles », en respectant l’ordre et l’hiérarchie.

Le deuxième fondouk dont Rachid sera le gérant ressemble encore plus à cette « maison d’hommes »: il se trouve « au sein de vertige, au faîte de la falaise »(p.159), « au flanc de l’abîme »(p.162), ce balcon est appelé « retraite arachnéenne sur le gouffre », alors qu’on connaît que la maison de la forêt était construite sur des pieux et qu’on y accédait « que par l’étage supérieur, à l’aide d’une échelle[291] ». Nous voyons partout le même désir de se clôturer du monde extérieur et des profanes. On y joue les instruments sacrés: le luth, le tambourin et la flûte(p.160). Ces maisons servaient souvent de refuge aux hommes errants. En donnant tous ces indices, Kateb définit le fondouk comme « une société secrète, mi-nécropole mi-prison,[...] la secte des Assassins »(p.160). Il est connu que les habitants de la maison d’hommes étaient souvent les brigands. En se posant la question peut-on comparer ces brigands forestiers des contes aux criminels d’époques plus récentes, Propp donne une réponse très intéressante pour nous: « Même dans les motifs qui semblent être remaniés d’une façon la plus réaliste apparaissent quelquefois des détails extrêmement archaïques[292] ». Dans le fondouk d’Abdallah Rachid, derrière qui il y a au moins un crime, rencontre à part le patron au « front accidenté » qu’on croyait « à l’hôpital psychiatrique »(p.151), l’homme au nez cassé, puis deux autres personnages marginaux avec « leurs dentitions métalliques, leurs tricots rayés »(p.152). Quand Rachid deviendras le gérant d’un autre fondouk, il va  complètement« se perdre dans la pègre »(p.161), côtoyer « les repris de justice, les sans-profession, les sans-domicile, les sans-papiers, les demi-fous »(p.161).

L’initiation laissera à Rachid des blessures invisibles, qui le feront dépérir, plus lentement que Si Mokhtar, mais inéluctablement. C’est peut être le charge insoutenable du trésor mythique de la tribu que Rachid doit porter sans pouvoir le confier à quelqu’un dans ce monde profane? Tous les passages sur le fondouk sont parsemés par le lexique et les images qui font allusion à la mort lente. L’image de Rachid même qui « mourirait probablement au balcon, dans un nuage d’herbe interdite »(p.159) est caractérisé par un dessèchement ininterrompu: « les côtes se dessinaient sous la vielle chemise de soldat, comme si son corps de plus en plus sec devait mettre en relief le squelette, uniquement le squelette de l’homme puissant qu’il eût été en d’autres circonstances... »(p.160). Même si d’autres « habitants » du fondouk, comme Abdallah ou deux hommes en tricots rayés sont caractérisé également en tant que « chevaliers d’une cause fondée sur le renoncement à la carcasse humaine »(p.152), dans le cas de Rachid le haschisch n’est pas la seule explication. Dans des nombreux mythes le héros qui était de retour de l’autre monde, acquérait le pouvoir des morts dont une des particularités était l’interdiction de manger[293]. Cette capacité de continuer son existence physique sans alimentation nécessaire a quelque chose de magique, elle souligne en contrastant l’intensité de la pensée de Rachid au retour du Nadhor. Comme l’initié dévoré et recraché par le dragon[294], il reçoit en don l’omniscience. Il est le seul parmi les quatre héros à monter dans ses méditations jusqu’à l’idée de la nation en faisant les libres parcours dans l’histoire du Maghreb de l’époque de la Numidie jusqu’au mouvement d’AbdelKader et la colonisation française.

Dans la forêt de Nadhor, Rachid, à la différence de Nedjma, ne fait pas d’ablution: il réprime « un tardif désir de se baigner »(p.135). Propp indique que l’interdiction de se laver constitue une partie nécessaire du rite de retour après l’initiation. Son aspect extérieur après le séjour au Nadhor porte l’emprunte de ce tabou imposé à l’initié qui à la rentré de « la forêt » devait être « sale et négligé, comme un vagabond en loques[295]». Nous voyons la même chose concernant Lakhdar, qui est décrit par Mourad reprenant les propos de Lella Fatma comme « garçon sale, négligé, exalté, un vrai gibier d’asile »(p.71). L’interdiction de se laver est probablement liée à l’incognito, une autre condition indispensable du héros après le séjour au pays de la mort. En rentrant à Constantine, Rachid se comporte exactement comme le prescrit le rite: il paraît étrange à ceux qu’ils connaissaient, il est vraiment ce «nouveau, autre, mort et ressuscité[296] » comme doit être un initié de retour. En plus, il doit oublier son passé ce qui semble arrivé à Rachid ne plus capable d’exprimer autre chose que « l’écume de ses pensées »(p.164), au dépit de l’intérêt de l’écrivain public cherchant à reconstituer les causes du crime de Mourad. Son refus de parler d’une manière lucide de son passé fait allusion à l’interdiction de parole imposée également aux initiés.

Initiés par l’émeute

Quant à Lakhdar et Mustapha, l’initiation se passe avant et pendant les événements de 8 mai. Le rôle d’initiateur à l’héritage tribal jouent les brochures nationalistes, du rite même – les tortures. On connaît que la partie centrale du rite d’initiation a été la circoncision, mais ce n’était qu’une petite partie, car les garçons étaient soumis à d’horribles sévices et tortures, accompagnés par de coups. Propp réfute les explications du sens de ces cruautés données par ses collègues ethnologues: à son avis, il ne s’agissait pas ni d’inculquer aux jeunes l’obéissance absolue, ni de réduire le nombre de population, mais de faire perdre la raison. Durant des fois des semaines, accompagnées par « la faim, la soif, l’obscurité, la peur, elles [les tortures] devaient provoquer chez l’initié un état voisin de la mort[297] ». L’initié perdait la mémoire en subissant cette mort et cette folie temporaires jusqu’à se croire vraiment mort et ressuscité. Propp exprime ainsi ces relations ambivalentes entre la mort et l’initiation: « D’une part, l’initié se vit comme mort, d’autre part, la mort est pensée comme une forme d’initiation[298] ».

Ce que subissent Lakhdar et Mustapha après la dispersion de la manifestation du 8 mai est tout à fait comparable. Lakhdar en attendant son tour de torture entend les fusillades « tout près », il voit les gens aux « os brisés à coups de crosse »(p.53), son ami le coiffeur Si Khelifa qui, éreinté, ne le reconnaît plus. Il se prépare – à la douleur, mais à la mort aussi. Très vite, quand les nombreux coups de points et de cravache commencent, il se rend compte qu’il « ne sentait plus sa tête »(p.55), il n’y a qu’une douleur « lointaine et figurante »(ibid.) qui circule dans le corps. On lui fixe les mains et les pieds avec une corde et on le jette dans le bassin, on lui fait boire de force jusqu’à ce qu’« une coulée glacée lui bouleversaient les entrailles »(ibid.), puis la pluie de coups de la cravache recommence pour qu’il se plonge dans le néant. Cette sensation de rouler dans le noir a été décrit par des nombreux initiés[299].

Il n’est pas étonnant que telles souffrances physiques provoquent un état de folie. Quand Lakhdar libéré apparaît à Bône, il a l’air d’un « fou », comme le caractérise Mourad: « il avait probablement la fièvre. Ses jouent étaient creuses, et pas un poil! Il fixait le sol, comme pour échapper à un vertige »(p.66). Il est probable que c’est la supplice d’il a subi trois mois avant, qui a rendu son visage bizarre, « anachronique »: « ainsi les boxeurs quand ils de font ouvrir les arcades et gonfler les yeux »(p.68). Bref, son physique porte une telle empreinte de son expérience de l’au-delà, due sans doute à cette « initiation » cinglante, que les Bônois de la mosquée implorent Dieu de les épargner « de la vue d’un fou pareil »(p.69). Son étrangeté à la vie « normale » est soulignée les nombreuses fois par des caractéristiques comme « égaré »(p.66), « halluciné »(p.71, comme s’il absorbait des boissons contenants drogues ou poisons comme des initiés), « abruti » (p.79). Mustapha aussi est battu jusqu’à perdre le conscience(p.223). Le fait d’être plongé dans l’inconscience, dans la non-existence « symbolise l’engloutissement dans le monde souterrain[300] » et est connus à tous les chamans du Maroc ainsi que de la Sibérie.

En parlant du rite d’initiation, Propp cite les matériaux au moyen desquels les maîtres de la cérémonie, pour créer chez initiés les sensations de la mort, exhibaient à leurs yeux « les corps mutilés, que ces corps étaient posés sur les garçons, qui devaient ramper dessous[301] ». Se retrouver encore vivant mais entouré par des corps morts – exactement cela arrive à Lakhdar, le protagoniste du Cadavre encerclé. Quant à Nedjma, nous y voyons l’exhibition des morts, ainsi que la mise en morceaux. Après la fusillade on voit les corps « exposés au soleil »(p.219); une folle du village est abattue et laissé tout près du domicile de Mustapha(p.220); un paysan « tranche d ‘un coup de sabre l’épaule d’un étudiant » qu’il a pris pour un Européen (p.218). Attachés à la chaîne dans la cour de la gendarmerie, Mustapha et ses deux voisin sont obligé de voir « un banquet imité de Néron »(p.224), pendant laquelle le sang du mouton égorgé sur place gicle au visage de Tayeb, ses tripes chaudes le brigadier lance dans Mustapha. Ce sacrifice profané fait penser d’un côté aux cultes d’Aissaoua, où le sang et les tripes chauds de victime encore vivante avait une force bénéfique[302]; de l’autre cela ressemble à une épreuve de l’initiation où les initié devaient enjamber un homme couvert du sang, « sur lequel on avait posé des boyaux de cochon [303]».

Si on compare les images de Rachid, Lakhdar et Mustapha avec celle de Mourad, le seul non-initié, nous verrons que malgré toutes les déraisons, tous les actes violents qu’ils commettent chacun, personne des trois initiés ne finissent d’une manière aussi absurde que Mourad. Les souffrances d’initiation sont la condition d’un savoir, d’une sagesse. Privé de ce savoir, Mourad tue M.Ricard, parce « qu’il n’aimait pas Suzy », comme dit Rachid (p.167) et sera condamné à vingt ans de bagne, une fin sans aucun mysticisme, à la différence de celle de Rachid. Mourad, n’a non plus cette pensée patriotique, qui soulève Lakhdar, Mustapha et Rachid sur la réalité désespérée. Dans Nedjma nous voyons se confirmer la conviction des sociétés primitives que la sortie des bras de la mort après l’initiation était une deuxième naissance, ou tout court, comme la naissance du héros[304]

Chapitre II: La représentation non-directe du rite

Ce qu’on entend par élément carnavalesque dans Nedjma consiste en deux composants: celui qu’on peut appeller représentation non-directe du rituel et celui des nombreux procédés formels que Bakhtine a nommé « carnavalisation ». Même si le carnaval n’est pas représenté en tant que tel, le roman est parsémé par des allusions aux coutumes, festivités, lieux et personnages, marqués par le carnavalsques ou non, à tel point qu’on peut dégager un tissu rituel dans ce texte, à savoir:

- Les images des fêtes et rites mêmes (de mariage, de naissance, de moisson) ;

- Les images rituelles qui font partie d’autres images (hécatombe, sacrifices) ;

- Les lieux rituels (grottes, ruines, maisons abandonnées, seuils) ;

- Les figures propres au carnaval (sorcier, initié, maître, ancêtre).

Ce tissu rituel peut être étudiée en soi, par exemple, sous l’angle de la comparaison de la manière dont le rituel est traité chez Kateb et dans la littérature « ethnographique », notamment, chez Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri et Mohhamed Dib (première manière). Nous avons choisi le Vème chapitre, qui est le plus riche en matière rituelle, car son action se passe en pleine campagne algérienne où on vie de la seule terre. La description de l’enfance de Lakhdar et Mustapha est faite en mélangeant deux approches évoquées ci-dessus: mais si rites et fêtes mentionnés d’une manière codée en forment le cadre particulier, les procédés narratifs touchés par la carnavalisation sont communs avec d’autres parties du roman.

Lakhdar est présenté dès le début comme enfant de la citrouille. Ce légume de taille énorme lui sert de berceau. La citrouille est depuis des temps anciens utilisée chez les berbères pour la fabrication des masques carnavalesques[305]. Dans sa découverte de la maison, le nourrisson « étrenne sa vigueur en baisers dans la suie »(p.183): ce qui fait penser au noircissement pendant les cérémonies magico-rituelles et du carnaval[306]. Il est à noter également cette caractéristique moqueuse et ambivalente: entouré par sa mère dans le bandeau « comme un noble égyptien », petit Lakhdar se voit « puissant et paralysé»(p.183). Le fait de grandir s’accompagne par la « conscience de pisser sur plus grand que soit »(p.184)[307].

A la différence du roman « ethnographique » qu’on taxe parfois « de folklorisme[308]», la vie traditionnelle représentée dans Nedjma, nécéssite un déchiffrement. Quand Lakhdar découvre au four «la tête d’agneau rôtie »(p.233), pendant la soirée de Beausejour, nous pouvons deviner, en sachant de surcroît que Nedjma et sa mère sont parties à la tombe d’un célèbre saint et qu’il y a des averses, qu’il s’agit de l’Aïd el Kebir. Ou bien quand le Barbu jette une phrase : « naturellement tout retombe sur les étrangers »(p.27), nous comprendrons ce « naturellement », car au Maghreb la crainte de l’étranger que l’on soupçonne de toutes sortes d’horreur reste encore forte[309]. Le chapitre qui nous intéresse en donne des preuves encore plus nombreuses. Au bout du village X. demeurent les traces des civilisations antérieures: «les stèles de ses faux aïeux», d’une famille qui « succomba là; bel et bien, à transformer le pic en oliveraie, loin du village, entre le cimetière et l’abattoir » (p.185). Le village se trouve donc cerné dans un espace d’une forte intensité magico-rituelle: entre la mort et le sang, deux endroits hantés par les forces maléfiques et chargés de la baraka.

La vie de Lakhdar est inscrite dans le cadre strict des travaux agricoles. Petit,  il écoute chanter les laboureurs avec son grand-père adoptif. Tout l’été, saison des noces au village[310], le petit berger a sommeil le jour, car la nuit « il s’agira de dormir, tout en écoutant»(p.189). Quand Lakhdar reçoit le troupeau de grand-père, on lui offre « trois robes, ainsi qu’un pantalon et une chemise pour les fêtes »(p.187), puis un bonnet de laine et des sandales en peau de chevreau. A notre avis, il peut s’agir ici de la circoncision, qui se passait entre sept et huit ans et pour laquelle même un enfant d’une famille pauvre recevait des cadeaux[311]. Coiffure et chaussures offertes font allusion à une autre croyance berbère: ils étaient considérés comme des moyens de protection pour un homme contre l’excès de baraka de la terre inculte, en l’isolaient magiquement d’en haut et d’en bas[312]. Enfin, l’épisode de moisson ratée montre mieux ce codage. Lakhdar charge les gerbes sur son âne[313], ce dernier les dévore en chemin. Lakhdar le bat de sa canne:

« Mahmoud arrive.

Pourquoi frapper un âne ?

Il a mangé le blé.

Où sont les autres gerbes ?

J’ai pas pu tout charger.

Les chèvres vont manger le reste. Fallait tout charger, et laisser l’âne manger» (p.191).

Tout ce passera exactement comme a prédit le grand-père: l’âne refuse d’amener les dernières gerbes, les chèvres les mangent, et il ne reste rien à Lakhdar que de se sauver. Au travers de cet accident transparaît toute une chaine des rites et croyances, dont aucune n’est nommée. Le dernier gerbe dans toutes les civilisations agricoles a une signification magique importante: on le garde dans la maison, ces grains sont utilisé pour les nouvelles semences, ce qui était censé de redonner à la terre sa force qui est partie avec le blé moissonné[314]. Le colère de Mahmoud a lieu, car perdre le dernier gerbe porte une très mauvaise augure pour la récolte prochaine, mille fois plus précieux dans cette terre « trop ingrate », où « les chèvres sont capables d’être à l’origine du drame si le berger dort »(p.189).

Dans l’épisode de l’initiation de Lakhdar à l’ensegnement français, l’hôtelière Mme Nora sert au repas, qui décidera son destin, les perdreaux offerts par le père de Mustapha: « Elle [Mme Nora] renouvelle ses compliments pour les perdreaux; Mlle Dubac, les lèvres luisantes, en mange précisément; cela crée un lien, de fil en aiguille, c’est le juge qui plaide pour Lakhdar »(p.193). Dans les années trente encore la Perdrixe figurait parmi les interdictions de vocabulaire en Afrique mineure, ainsi qu’au nombre des plus vieux toponymes de la contrée, ce qu’indique son ancienne importance pour les origines tribales nord-africaines[315]. Le repas commun est un rite de passage qui marque l’introduction de l’étranger dans la communauté, une coutume « si bien conservée en Kabylie[316]». De ce point de vue, Mlle Dubac se trouve intégrée symboliquement dans le village de X., mais Lakhdar aussi, même s’il est absent, a fait son passage de la sauvagerie à la civilisation. Le coiffeur qui saigne le père de Mustapha une fois par mois, soit à la nuque, soit au front, représente la figure du magicien, qui au Maghreb comme ailleurs avait seul le droit de manipuler le sang, d’arracher les dents et de circonscrir[317]. Notons aussi que le coiffeur Si Khelifa incarne le type universel d’un homme d’esprit, d’intrigant, un Figaro au Maghreb[318]:«Si Khelifa nous avait appris, les camarades et moi, à pénétrer les secrets du village, à fumer, à apprécier les jeunes filles et à leur envoyer des missives »(p.220), écrit Mustapha dans son journal.

Certaines de ses allusions traitent du carnaval:«Lakhdar et moi, ça nous donne envie de courir, comme les vaches au moment du Tikouk»(p.198), c’est encore Mustapha qui prend la parole. Tikouk, ou Takoûka, vient du mot tekoûk qui veut dire « coucou »: c’est une danse interprétée pendant l’Achoura par des jeunes filles en âge de se marier. On dit qu’on nomme cette danse ainsi, «parce que les bœufs, lorsque le coucou s’approche d’eux, se sauvent en une course folle, la queue en l’air, allant au hasard[319]». De même, la danse de l’Achoura, quand tous les autres participants du carnaval joignent aux jeunes filles, devient enivrante et folle. D’autres évoquent le rituel quotidien d’égorgement des oiseaux de basse-cour: « le Père [à Mustapha] récitera une formule du Coran, en maniant le couteau comme une scie sous l’œil soupçonneux du poulet; y en a qui ont la vie dure; une danse de poulet égorgé, spectacle de famille; l’humanité revient de loin! »(p.198). La famille de Mustapha est assez riche pour se permettre « le sacrifice du mouton »(p.199): bien évidemment celui de l’Aïd el Kebir, la Grande Fête.

L’épisode d’os fêlé de la mère à Mustapha, qui refuse de reprendre le travail, car elle veut une robe de velours pour fêter le septième jour de la naissance de son fils, évoque la tradition festive, attachée à la naissance du premier enfant, surtout s’il est un garçon. Le septième jour était préféré pour la cérémonie où on donnait le nom au garçon. Malgré le paroxysme de colère du Maître Gharib, l’incident se termine effectivement par un grande festin: le père « fait venir du champagne à la maison, en invitant toute la justice de paix », la mère prépare le soir même « un couscous monstre, fermement dressée sur son tibia meurtri: tout le village et toute la justice en paix ont longuement commenté le festin »(p.199). Dans l’imagination de Mustapha sa mère pousse des « glapissements de triomphe »: à notre avis, il s’agit de « you-you », une des rares et plus directes expressions de la joie permises à la femme maghrébine, durant les fêtes, ce temps de la liberté provisoire. Les superstitions y sont également présentes: la mère à Mustapha le soir interroge l’avenir avec une grosse louche; le jour de départ de son fils avec Mlle Dubac à Setif pour le concours, elle « conjure le mauvais sort en nous jetant un seau d’eau dans les talons»(p.201)[320]. Il s’agit sans doute d’un rite de passage: la séparation du territoire personnel pour entrer dans celui étranger.

Quand le père de Mustapha se trouve endetté après le mariage, il n’hésite pas à vendre « les bijoux à sa femme »(p.202), ce qui en Kabylie était toujours considéré tout à fait normal. Dans un kanoun (somme de règles de la vie quotidienne) d’une tribu, nous lisons: « Il [le mari] peut, s’il lui plaît, la laisser nue, sans que personne ait le droit de s’immiscer dans son ménage[321]». Les bizarreries même du père de Mustapha ont un aspect carnavalesque: il son fils unique « d’uriner dans une boîte de sucre: Maître Gharib est un noble, c’est-à-dire un naïf; il espère, par ces fanfaronnades, préserver son fils des marques de misère trop connue...»(p.202). Le Nouvel An de 1937, sa femme vient de mettre au monde une fille. La façon de fêter fait écho à ces deux prétextes: le père à Mustapha « dépense mille francs en bouleilles de champagne »(p.203) et « fait blanchir la maison et installer l’électricité »(p.203), un reflet des rites de renouvellement de l’Ennaïr. Ajoutons qu’à côté du rituel berbère nous voyons dans Nedjma celui musulman: par exemple, Mustapha est convaincu que « le prophète a raison. Faut pas mélanger les femmes et les hommes »(p.200). Conformément à la loi, ses deux sœurs et sa mère dorment par terre, et cette dernière ne franchit jamais le seuil de sa maison.

            Le chapitre se termine par le passage du codé à l’explicite. Nous parlons de l’épisode de la fête de Mouloud, connu pour qu’on s’y arrête[322]. Disons simplement que «cette matinée d’automne »(p.208) qu’un ignorant a fixé comme jour de composition, devient un moment de la vérité. La réponse des élèves arabes: un nombre inhabituel d’absents du fait que, sélon l’expression de Mustapha: « nos fêtes ne sont pas prévues dans vos calendriers », - dévoile avec une clarté impitoyable que deux mondes ne pourront jamais faire un.

Chapitre III: La carnavalisation comme moteur narratif

En s’appuyant sur la théorie bakhtinienne du carnaval, nous pouvons dégager dans Nedjma les principaux catégories, rites, figures, images et lieux carnavalesques, les traits de la vision du monde propres au carnaval et même une grande partie des éléments formels et thématiques qui caractérisent la ménippée, ce «véhicule privilégié des formes de carnavalisation  les plus accusées et les plus éclatantes[323]», ainsi que le dialogue socratique. Mais notre objectif ne s’en tient pas à une simple énumération. Dans chaque cas ce n’est que la première étape du travail. La visée est de saisir à l’aide des ces catégories la problématique et les particularités structurelles de l’œuvre, la dynamique du récit ainsi que les procédés de la carnavalisation propres à chaque auteur. Dans le cas de Nedjma, notre attention est attirée par le découronnement qui devient un véritable moteur du roman. Ce procédé dynamique et ambivalent se manifeste à tous les niveaux: celui de la langue, de l’image concrète, de la structure et dévéloppement du sujet, de la problèmatique[324].

Marc Gontard a analysé l’activité subversive de la narration dans Nedjma du point de vue de la représentation du temps[325]. Mais tous les autres phénomènes décrits subissent cette dynamique inversante: s’agit-il d’un personnage, d’un dialogue ou d’une action de masses, du récit de la part du narrateur ou du monologue intérieur d’un des protagonistes. Ce qui, d’ailleurs, n’est pas étonnant, si on s’adresse à la littérature orale berbère – s’agissant de contes, des devinettes ou de la poésie – où se montrait bien « un esprit ingénieux et moqueur[326] ». Les lieux d’actions subissent eux aussi la présentation découronnante, par exemple la commune mixte à six heures du matin « est sinistre, banal comme un acteur démaquillé »(p.21). Ou bien, le mari de Nedjma - Kamel qui est d’abord présenté comme « l’heureux époux », alors qu’on sait déjà que Nedjma le traite « avec une gentillesse chargée d’ironies »(p.62), et ensuite comme un homme-oiselet: «sa mère lui déniche une boutique de tabac et journaux »(ibid.). L’avocat riche que rencontre Lakhdar dans son village lors de la maniféstation, ainsi que l’adjoint de l’administrateur, sont déguisés en Arabes: une gandoura par-dessus du costume. Avec le muphti « dont la barbe faisait des bonds et des bonds »(p.52), ils essayent de faire les pacificateurs, mais finissent tous par participer à la manifestation: ils ferment la marche, incapable de se séparer des événements.

Les vers libres pathétiques de Lakhdar sur l’Algérie qui retrouve sa respiration se terminent par un procédé typiquement carnavalesque, l’abaissement de toutes ses hautes notions dans le «bas corporel » :

« Je voyais un paysan arc-bouté comme une catapulte[...].

Il me fit signe qu’il était en guerre.

En guerre avec son estomac. Tout le monde sait…

Tout le monde sait qu’un paysan n’a pas d’esprit.

Un paysan n’est qu’un estomac. Une catapulte »(p.50).

La réaction du héros est également carnavalesque : il fait le fou devant le paysan pour que ce dernier «oublie sa faim », il bombarde «la lune dans la rivière ». Dans cet acte nous voyons la même pulsion que celle des participants du carnaval : oublier dans cette vie à l’envers les malheurs et les injustices de leur existence quotidienne.

Le narrateur se rend bien compte de ce procédé de découronnement et le tourne également en dérision. Les quatre protagonistes se trouvent dans un bar de la commune mixte. Le bar est comparé à  « un poulailler au crépuscule », la patronne « a plus de cinquante ans, sans parler de la fatigue et de l’ennui qui pèsent sur le village”(p.18) et enfin,  « c’est la nuit ». Tout d’un coup la patronne les offre un compte : comme par enchantement tout les éléments de la description précédente se transforme en leurs opposés. La patronne a  « un vrai sourire de jeune fille »,  « le bar n’a plus rien d’un poulailler; il brille comme un aérodrome » (le contraste entre « poulailler » et « aérodrome » est trop grossier et voulu pour être l’ironie, c’est la pire dérision carnavalesque), puis la nuit n’est plus « tout à fait la nuit; seulement le soleil assombri, le ciel en train de s’éteindre »(p.18). Pour compléter ce clin d’oeil le narrateur s’engage dans en un jeu de lumière, les reflets de l’« aérodrome » se trouvent désormais partout: le vin est « clair », « un tas de cendres ravivées dans les prunelles rayonnantes de chaque consommateur », « les étincelles captives de la bouteille » qui est « pleine de lumière écumante et glacée »(p.19). Pour conclure sur les lieux d’action disons que Nedjma commence sur le «palier » et se termine sur la route – les lieux de la littérature carnavalisée par excellence[327]. Des nombreux événements du roman se passent dans la rue, dans les cafés et bars, dans le bain, sur le pont du navire: lieux qui d’après Bakhtine prennent une signification de la place de carnaval, «pourvu qu’ils puissent être un lieu de rencontre et de contact entre hommes de toutes sortes[328] ».

L’attitude familière et moqueuse se répand dans le roman sur les relations entre le narrateur et les personnages. Même au moments les plus intenses et tragiques, comme la blessure de Lakhdar par M.Ernest, le narrateur n’abandonne pas son ironie: “Lakhdar fait des efforts désespérés pour effacer le sang. Il appuie un doigt au-dessus de sa tempe, et cherche un objet dans ses poches, une glace peut-être”(p.45). Les même piques reçoit de la part du narrateur Si Mokhtar: le récit en devient surtout chargé dans les épisodes de la préparation du «vieux bouffon» au pèlerinage à la Mecque. Devant une telle hypocrisie le narrateur se lance dans une fausse louange, en oubliant de nouveau son pacte de neutralité: «le vieux bouffon, aux approches du mois sacré, devenait infailliblement le délégué suprême[...] d’une Algérie que Si Mokhtar allait peut-être représenter tout entière, aux côtés des pachas marocains, des ulémas tunisien, des fakirs de l’Inde et des mandarins chinois, qui seuls pourraient à la rigeuer toucher la Pierre Noire avant lui » (p.105). L’ambivalence carnavalesque pénètre dans le noyau de la narration et la dédouble. L’essence des événements reste tragique alors que le ton de leurs description comique: “Un mouton, un vrai mouton, bondissait dans la remise. Il avait renoncé à bêler”(p.48).

            Les rapports réciproques de personnages principaux, ainsi qu’entre eux et ceux secondaires, obéissent également à cette logique renversante. Les quatre protagonistes n’acceptent pas le racisme de la société coloniale. En se retrouvant dans la commune mixte, ils continuent à pratiquer les relations libres et familières dans leur confrérie, réfutent l’ordre injuste et figé dans sa fausse hiérarchie.  Ce rejet se manifeste de la façon la plus nette et la plus violente dans les réflexions de Mourad à propos de Suzy:

«...elle qui n’est pas de leur monde ni de mien, mais d’une planète à part, sans manœuvres, sans paysans, à moins qu’ils ne surgissent ce soir même dans ses cauchemars... Si je lui pressais les seins ? » Puis sa pensée n’est plus que de la frapper, de la voir par terre, de la relever peut-être, et l’abattre à nouveau – «jusqu’à ce qu’elle se réveille, somnambule tombée du haut, avec toutes ses superstitions, quitte à mourir sans avoir reconnu qu’il y a un monde, ni le sien, ni le mien, ni même le nôtre, mais simplement le monde... »(p.17).

Ce passage montre plusieurs facettes de la présentation carnavalisée. D’abord la dynamique: Suzy monte, puis baisse, remonte et retombent définitivement. L’impulse violent de Mourad fait descendre Suzy à l’aide du procédé d’abaissement corporel; enfin la vision de plusieurs mondes – qui approuve l’existence de l’injustice et de barrières de tout genre – se remplace par un monde unique.

Le principal rite carnavalesque qu’est celui de couronnement bouffon suivi du découronnement du roi de carnaval, peut, à notre avis, enrichir l’interprétation des images des «petits-blancs[329] » selon l’expression de Jacqueline Arnaud: M.Ernest et M.Ricard. Le premier – souverain despotique du chantier, sortant son vapeur sur les dos des manœuvres – est détrôné par Lakhdar, un intrus qui refuse d’admettre cet ordre des choses. M.Ricard, maître de la moitié du village, se trouve découronné déjà pendant la «fête » du mariage, les coups mortels de Mourad achèvent son découronnement. Ajoutons que son cercueil sera porté par celui qui partage l’amour de sa fiancée non-réalisée Suzy. Quant à l’image de Si Mokhtar qui est caractérisé dans le texte comme «amant bafoué »(p.94) et «vieux bouffon »(p.105), elle représente sans doute la figure du roi déchu, développé par Kateb avec beaucoup de nuances. Pourtant nous n’allons pas rentrer dans l’analyse détaillée car il est devenu un lieu commun dès qu’on parle de la carnavalisation dans Nedjma[330]. L’image de Si Mokhtar est très riche en sens, car il représente aussi la figure carnavalesque du vieillard Don Juan. Avec ses nombreuses amantes et leurs maris les «cornards »(p.27), ils constituent un trio indispensable du carnaval maghrébin[331].

Nous y retrouvons également l’ambivalence carnavalesque qui s’exprime dans la représentation par paires obéissant à un contraste: Rachid entre vingt et trente ans et Si Mokhtar sexagénaire, le premier habillé en tenu militaire et le deuxième en fez égyptien «trop haut pour sa taille »(p.85). Le contraste d’âge marque aussi la «famille » que forme le marchand des beignets avec les quatre protagonistes. L’univers du roman est peuplé par les doubles: Si Mokhtar et Barbu (tous les deux ont rendu des nombreux hommes cornards, tous les deux en subissent les conséquences, surtout de la part des leurs anciennes amantes); Lella Fatma et Lella N’fissa («toutes deux de descendance aristocratique, l’une ayant le profil de l’aigle, l’autre celui du condor », p.63). Indistincts comme des jumeaux sont Si Salah et Si Abdelkader qui accompagnent le Barbu pendant sa dernière visite aux protagonistes (la ressemblance de leurs noms permet à Kateb un jeu de mots[332]); enfin deux «chevaliers d’une cause fondée sur le renoncement à la carcasse humaine »(p.152) que Rachid rencontre dans le fondouk ont tous les deux les dentitions métalliques et les tricots rayés. L’autre catégorie, celle des mésalliances de tous genres s’y trouve également: mentionnons entre autres l’image de la prostituée-Madone Marcelle, des hors-la-loi nobles (quatre protagonistes) ou la haine fraternelle de Bozambo et Aïssa que nous avons évoqués dans la première partie.

Nedjma elle-même est présentée par Si Mokhtar comme élément carnavalesque. Après la rencontre à l’hôpital le vieux brigand dit à Rachid: « Tu as rêvé…Reste tranquille. Si tu la retrouvais, tu serais bafoué, berné, trahi »(p.103). Nedjma donc n’est pas seulement le soleil de cet univers, comme le disent certains critiques, mais une puissance découronnante qui attire et rejette les protagonistes l’un après l’autre, comme l’a fait d’ailleurs quelques années auparavant sa mère, la Française.

Les farces

Les moments les plus intenses du discours découronnant et de l’activité carnavalesque consistent en farce. Par ce terme nous entendons d’abord une « action réelle qui se déroule comme une farce, a quelque chose de bouffon[333]». Dans notre première partie nous avons signalé qu’au Maghreb il n’y a pas d’omniparticipation au carnaval, comme c’était le cas en Europe. Les actions carnavalesques sont jouées par un nombre défini de déguisés (les siens ou les invités) devant tous les autres qui sont spectateurs. Deux de scènes analysées ci-dessous montent directement à ce genre du spectacle populaire, à cette micro-séquence du carnaval maghrébin, dont les farces avec les hommes travestis en femmes, ainsi qu’une imitation admirablement mimée «des moindres mouvements de l’animal[334]» constituent un composant immanquable. Deux autres farces font penser plutôt à la première signification du mot : un genre dramatique et littéraire, y compris de la littérature carnavalesque, avec laquelle ils ont en commun un fort côté parodique[335]. En tant qu’une séquence du récit, la farce concentre et agrandit les mécanismes de la carnavalisation.  

Il n’est pas difficile à remarquer que dans Nedjma il y a des personnages plus supposés aux farces et ceux à qui les situations de ce genre n’arrivent jamais. Parmi les premiers, mis à part Si Mokhtar et Rachid, il faut  relever Ameziane, le collègue du chantier des quatre amis, la victime préférée de la colère de M.Ernest. Il travaille pour sortir son père de la prison: ce dernier a tué un colon qui lui avait confisqué son troupeau. La situation d’Ameziane est peut-être la plus difficile parmi les manœuvres, car il est obligé de travailler outre le malheur familial. Ce personnage représente le type populaire d’un boute-en-train qui ne perd pas courage sous les coups du destin. C’est dans ce contexte que l’histoire de son père au tribunal est racontée. Ce petit récit du premier au dernier mot est construit sur l’effet de miroir déformant: une conséquente mise à l’envers du fait narré par rapport à la réalité. Le procédé de la description rassemble fort à ce que le formaliste russe Chklovski appelait  « ostranenie » et ce qui est traduit en français comme « défamiliarisation » ou « étrangeté»[336]. Nous y voyons par ailleurs l’arsenal des catégories carnavalesques mises en jeu, à savoir l’excentricité, le contacte familier, les contrastes violentes, sans parler de la logique ambivalente du couronnement-découronnement dont le modèle servent des nombreuses histoires du personnage folklorique maghrébin Dj’ha[337].

Ameziane est donc prêt à tout pour sauver son père: il vend son dernier terrain et prends les deux grands avocats de Constantine, en dépensant toutes ses économies et celles de sa mère. N’ayant aucune idée de la complexité du monde, il se croit posséder un moyen magique en personne de ces avocats. Sa foi est tellement solide qu’il se prend pour un maître de la situation. D’où sa conduite excentrique : à chaque démonstration il mettait « un billet de cent francs sur le pupitre des défenseurs »(p.42). C’est un geste « incongru » par excellence qui explose l’ordre établi, et par conséquent les gendarmes veulent l’évacuer. Son état euphorique peut être comparer au sentiment d’un participant du carnaval: toute la distance entre lui est les autres est abolie jusqu’au point qu’il trouve les juges “angéliques, avec leurs robes et leurs bonnets fripons”(ibid.). C’est une caractéristique profanatrice qui dévoile paradoxalement la vérité. Pour Ameziane les juges représentent la justice divine, car il ne doute pas de la fin du procès, mais en les appelant fripons paraît-il pressentir la farce qu’ils lui feront. Il est aveuglé par sa fortune du calife pour une heure, chaque signe lui paraît approcher la fin heureuse alors qu’ils annoncent tous la chute:

“...au moins, c’étaient des discours! Trois heures entières, surtout quand maître Gauby a commencé, les juges ont baissé la tête. Ils se sont parlé tout bas. J’ai cru qu’ils s’avouaient l’innocence de papa... L’interprète traduisait fidèlement les nobles paroles arrachées à mon père. L’assistance ne cachait pas son émotion... Maître Gauby souriait à mon père de telle manière qu’il était sauvé. Puis les juges sont revenus. Condamné à mort”(p.42).

 

C’est cette formule qui fait le succès des saillies sur Dj’ha: une fin brusque qui « désarçonne, déclenche l’hilarité tellement il est inattendu »[338].

Dans une autre histoire racontée par Ameziane sur sa jeunesse à Oran, l’effet comique est créé non par la technique narrative, mais par la portée magico-rituelle. Il s’agit d’une incantation carnavalesque de la réalité, quand les participants du carnaval niaient le monde tel qu’il est, en lui substituant un simulacre renversé. Un jour l’ami d’Ameziane apporte une petite boîte de dattes écrasées qui sentent fort le tabac. Ils se mettent à manger, malgré l’odeur et les brindilles bizarres qu’ils voient dans la confiture. « C’est de la poussière », leur répond le Saharien. Quant à l’odeur du tabac, il dit qu’elle venait de la salle de bain[339]. Ameziane devine assez vite que dans la boîte était bien de la poussière de haschich, mais la parole menteuse du Saharien paraît avoir une puissance magique, car ils continuent à manger en répétant «drôle de confiture, drôle de confiture ». Améziane l’explique ainsi: « Si l’un de nous avait prononcé le mot «haschich », on n’aurait pas mangé. Mais en disant confiture, on l’a fait »(p.20). Nous avons là affaire à la parole magique qui crée le monde et au rire carnavalesque qui libère l’être : les amis se mettent à rire et à courir dans le bain comme des fous, en réveillant les clients, ils chantent «Le bon Dieu sont du sucre», sans savoir pourquoi et finissent par être ivre mort après des nombreuses anisettes.

Le couple composé d'hommes travestis, comme nous l’avons dit plus haut, est une des figures constantes du carnaval maghrébin. Dans la scène d’intervention de Rachid dans la fameuse maison close de Constantine « La Rose de Blida » cette ressemblance est renforcée par le lieu même, ainsi que lexique grossier, le geste violent et le déguisement du protagoniste. Rachid vient de blesser un automobiliste qui a failli lui rouler dessus. Il veut se cacher dans « La Rose de Blida ». Se trouvant en danger Rachid se transforme:

« C’est un Rachid intraitable, né de la place de la Brèche et de la bagarre sur l’avenue, qui parle à présent, le pied tout près de la cafetière[...].

« – Tu n’aurais pas ton voile, par hasard?

La femme sursaute.

- Tu te fous de moi. Qui veux-tu voir?[...]

- Je te dis de me passer ton voile. Je suis poursuivi.

- J’ai jamais vu en homme demander ça à une femme. Si tu es poursuivi, c’est sûrement par le démon”(p.32-33).

Sa conduite paraît libérée de toutes restrictions et tous raisonnement: quand la femme refuse de lui passer son voile (« comme si une femme publique était obligée d’avoir un voile! », p.33), il l’a gifle. En recevant le drap demandé, Rachid continue la farce: il « s’emmitoufle dans l’étoffe sale; il prend le soufflet à la femme, et s’accroupi devant le brasero; elle rit aux éclats »(p.33). Si au début le travestissement de Rachid pourrait lui servir à quelque chose, maintenant, quand la femme l’insulte en pleine voix et le gardien est réveillé, son mascarade se transforme en une représentation carnavalesque, une imitation qui n’a pas d’autre but que celui de faire rire. Dans quelques instants la femme dévoile Rachid, encore dans son drap, au policier. Le déguisement a permis de découvrir une autre aspect de Rachid – celle du bouffon, du clown. Cet épisode reflète à notre avis la tendance principale du roman de Kateb où il joigne la ménippée avec ses procédés qui « détruisent l’intégrité épique et tragique de l’homme et son destin: en lui découvrent des possibilités d’être un autre homme et d’avoir une autre vie, il perd son achèvement et son unité de signification, il cesse de coïncider avec lui-même[340]». 

Ce côté clownesque se développe dans la scène suivante où Rachid se trouve dans la prison à côté d’un autorité criminel P’tit Joe et d’une araignée. La technique de mise à l’envers, d’outrance grotesque est employée par le narrateur dans la caractéristique de cette bête. Bakhtine souligne l’importance de la bête dans les images grotesques: d’après lui elle met en relief « l’unité specifique de la vie[341]» propre au grotesque comme à un mode de représentation particulier. L’effet comique de la scène est créé par le contraste entre les intentions de l’araignée, que le narrateur présente pour préciser comme une femelle qui hâte des câlins, et la peur banale des insectes de Rachid. Le protagoniste a l’impression qu’elle lui « fait les yeux doux » dès qu’il rentre dans sa cellule, « qu’elle cherche de la companie, des caresses peut-être »(p.33-34). L’effet comique est renforcé par le fait que le narrateur ne se limite pas à une simple «personnification » de la bête, mais met l’accent sur son côté femelle et son envie de rentrer en contacte avec Rachid qui augmente proportionnellement au dégoût du dernier. Quand Rachid ose la frapper avec sa ceinture, l’araignée lui « saute au cou, gracieuse, reconnaissante, sans rancune »(p.34). La scène suivante rend explicite la comparaison entre l’insecte et une femme en mal d’amour: Rachid arrache ses habits, mais l’araignée le devance « avec une sorte de joie frénétique[...], comme si elle avait aidé à Rachid à se dévêtir »(p.35).

Cet intermède burlesque s’accompagne par le commentaire de P’tit Joe: philosophe profane, une figure courante de la littérature carnavalisée où chaque vagabond et bas-fond devient idéologue. Son discours mi-sérieux, mi-moqueur défend les animaux, cette vie élémentaire, contre l’homme, en proposant à Rachid de la laisser s’amuser un petit moment sur sa poitrine, car elle y est heureuse. L’intervention du commissaire de police, qui a sa cravache, mais a oublié ses lunettes et donc est incapable de bien viser, nous amène définitivement à l’arène du cirque. Rachid y est littéralement bafoué, car le cible se trouve sur sa poitrine. Le policier est bafoué figurativement, car son incapacité provoque les remarques railleuses de P’tit Joe et de Rachid même.

“–   Misère! Crie Rachid, vous l’avez ratée. Sachez au moins faire votre métier, ou donnez-moi la cravache…

Sûr qu’elle va se fâcher, maintenant, dit P’tit Joe, surtout si c’est une femelle; elles n’aiment pas les maladroits”(p.35).

Ensuite P’tit Joe se lance dans une harangue parodique qui n’est rien d’autre que le renversement d’un discours raciste:

“Elle serait capable de vous piquer, cette sale araignée qui a toujours vécu avec les indigènes et les voyous, et que diraient alors vos petits enfants, toujours si propres, eux qui jettent le pain du bon Dieu si une mouche, une simple mouche vient manger avec eux; sûr que vos petits enfants ne vous pardonneraient plus de passer tout le monde à tabac pour vous retrouver victime d’un insecte[...]; vous devriez nous laisser partir avec elle, et ne pas vous fatiguer avec toutes ces responsabilités[...]»(p.36).

Les quatre épisodes ont démontré que la gamme de procédés farcesques[342] employés par Kateb est très large. Bien sûr, les situations thématiques présentées comme des farces sont nombreux, nous n’avons pas pu les observer toutes. Mais les quatre cas que nous avons envisagés de près montrent que l’écrivain puise le matériel dans le théâtre populaire, dans la tradition orale, ainsi que dans la vie même. D’où, à notre avis, provient la difficulté de restreindre l’analyse par le cadre uniquement littéraire.

L’épisode avec l’araignée est une des rares scènes de Nedjma où le rire carnavalesque – mettant tout le monde sur le pied d’égalité, visant les puissances suprêmes et changeant brutalement les proportions des événements observés – résonne en pleine force. L’araignée, puis la « simple » mouche deviennent la prisme à travers laquelle sont envisagés les rapports entre le colonisé et le colonisateur. Le même jeu d’échelle et d’optique, mais cette fois purement comique, revient dans l’épisode de la rentrée de Rachid dans la maison paternelle : « Affalé contre la fenêtre ouverte, Rachid tomba nez à nez avec un cafard qui allait rejoindre lui aussi son gîte après la nuit...Rachid poussa un faible rugissement, et le cafard croisa ses antennes, en signe de soumission... »(p.150). Ajoutons que les insectes jouent un rôle important pour le bestiaire du roman : dans les réflexions de Lakhdar lors des événements du 8 mai, exprimées en vers libres, l’Algérie devient une mouche et les manifestants sont comparés aux fourmis(p.49-50). Le rire carnavalesque, quoiqu’il faille noter son caractère résorbé, éclate dans d’autres endroits du roman, où il vise surtout l’ordre établi et le pouvoir politique[343]. Mentionnons la promenade à travers Constantine de Si Mokhtar, «boxé » par le préfet après les événements du 8 mais, avec un bâillon portant deux vers de son invention : « Vive la France/ Les Arabes silence ! »(p.147) ; ou l’exposé que fait Mustapha devant un cercle des analphabètes au sujets des rapports réciproques entre les Arabe et les Français : « Il faut bien dire que le vocabulaire français comprend 251 mots d’origine arabe...Nous aussi, nous influençons leurs civilisation »(p.75).

Une farce c’est normalement une action dramatique, mais chez Kateb nous rencontrons aussi un type particulier – celle de la langue. Dans le court dialogue entre Lakhdar et le sous-officier, son gardien de prison après les événements du 8 mai, Kateb déploye à travers de la prose alogique, de coq-à-l’âne[344], un jeu subtile de stéréotypes ethniques ou, si on veut, racistes. Le langage, chargé des clichés de ce genre, se dévoile comme véhicule de l’aliénation[345]. Ce dialogue mérite d’être citée entièrement :

- Sais-tu que c’est la deuxième fois de ma vie que je bois ?

- Je sais bien que vous la sautiez tous. Et vous faisiez de drôles de prières. On aurait dit le film au ralenti d’une séance d’athlétisme !

- Qu’est-ce que vous avez tous, en France, à considérer l’Algérie comme un zoo ?

- Je ne dis aucun mal de vos prières ! Vous pouvez vous envoler dans vous bournous d’anges, si ça vous chante de faire la gymnastique d’Allah ! Moi je suis du Nord. Pour moi une église ou une mosquée, c’est du pareil au même.[...]Je suis d’un pays de prolétaires.

Lakhdar crut à un mot d’argot.

- De pro…De quoi ?

- De prolétaires, d’ouvriers, quoi ! Moi, l’armée, je la porte pas dans mon cœur. Allez voir un peu ce qu’ils ont fait, les Chleuhs, chez moi...

- Le quoi ?

- Ben, les Chleuhs, les Boches, quoi !

Mal soulagé, Lakhdar hurla dans l’oreille du militaire.

- Chleuhs ! Encore un mot comme bicot ! Bien sûr, nous combattons ensemble les Boches en première ligne, et les Français nous confondent avec l’ennemi.[...]

- Y a pas de quoi faire cette tête de Turc!

Lakhdar éclata de rire. (p.57).

Le nombre de procédés carnavalesques employés ici est considérable : les malentendus grotesques, les lapsus linguaes, l’abaissement des mots-clés révolutionnaires sont tous poussés à l’absurde. Le culte musulman se trouve profané à travers ce regard du sous-officier français à l’aide du même procédé de l’«ostranenie ». Les mots Boche, Chleuhs, Turcs jouent le rôle des blasons, c’est-à-dire des épithètes ethniques[346], louangeuses et injurieses en même temps. La réflexion sur la langue comme un moyen d’aliénation se poursuit dans le train où Lakhdar observe les paysans en train de « se trémousser à chaque station, de crainte d’être arrivés »(p.58), car ils ne comprennent pas le français.

En contraste avec les personnages secondaires dont le langage est souvent « contaminé » par la « maladie des races »(p.57), celui des quatre protagonistes et du narrateur ne connaît aucune restriction. Ces derniers passent avec une facilité incroyable du registre soutenu dans les passages rhétoriques au langage de la rue, leur discours est parsemé par ce mot familier, injurieux et moquer qui garde en lui des «vestiges carnavalesques ». L’analyse minutieuse des bas registres de la parole prouvera sans doute leur richesse inouïe et leur visée en même temps utopique et subversive par rapport à la langue « propre », littéraire. Au premier abord nous pouvons indiquer :

- des insultes : fils de chien, maquereau, tapette, bâtard, fils de putain ;

- des jurons : mes aïeux, Porca Madonna, au nom de Dieu ;

- des argotismes : choper, se faire rosser, flanqué, crever ;

- des mots familiers et populaires : fermez-la, un gosse, les ripailles, la beuverie, la gueule, gare aux incidents, tope-là ;

- emploi des sobriquets en guise de prénoms : le Barbu, un tatoué, «le vieux bandit » et d’autres petits noms de ce genre qu’utilise Rachid pour évoquer Si Mokhtar;

- des phrases elliptiques : s’agit d’filer à sept heures, fallait pas partir.

La dynamique carnavalesque du sujet et de la composition

Le monde où se déroulent les événements du roman, précisément dans les parties I, II, III et V ressemble à ce «monde à l’envers » qui s’installe pendant le carnaval. Nous y voyons la même absence de stabilité, la même réalité en permanent devenir, opposée «à toute perpétuation, à tout parachèvement et terme[347] », d’où la difficulté particulière de la lecture de Nedjma et sa forte originalité. Quant au développement du sujet, les protagonistes se trouvent souvent bafoués dans leurs intentions initiales qui aboutissent au contraire de ce qu’ils désiraient. Citons le mariage de Nedjma. Issue d’une parfaite entendement entre les deux belles-mères, l’harmonie doit, selon nos attentes, se transposer aussi sur les futurs époux. Mais le moindre prétexte fait s’écrouler leur union comme une maison des cartes, de telle manière qu’une de belles-mères se trouve en bas, destituée, l’autre en haut, triomphante. Ajoutons que la détrônisation s’accompagne d’un abaissement dans le «bas corporel »  :

« Lella Fatma fait venir le plus grand pianiste d’Algérie ; Lella N’fissa, qui n’a pas été consultée, refuse de paraître à la fête, et tombe toute bleue dans le couloir.

- C’est le cœur, dit Kamel.

- C’est l’estomac, dit Nedjma.

Ainsi commence la guerre froide.

Kamel transpose sa mère chez des alliés constantinois.

Victorieuse, Lella Fatma fait peindre la villa en vert »(p.63).

Cette mécanique est encore mieux saisissable dans l’épisode avec le marchand de beignets, l’ami du père à Mustapha, raconté par le protagoniste dans son carnet. Déjà la présentation du marchand (rappelons que les beignets est un plat rituel mangé surtout pendant les fêtes comme l’Ennaïr) est un exemple typique de la technique découronnante de Kateb. Son physique fait penser à un misérable condamné qu’au travail forcé et à une vie sans espoir : « un petit homme vêtu de braies, sanglé dans une invraisemblable blouse, blanche et crasseuse », il est «cagneux, poussif, d’humeur très égale »(p.74). Toute la journée il lance «infatigablement » les beignets dans l’huile sans regarder la rue. Mais la nuit venue, le marchand devient «l’homme sociable par excellence » : il accueille dans sa boutique qui se transforme en école du soir une «quantité de bavards » analphabètes, prêts «à bien des sacrifices pour une leçon de grammaire»(ibid.). Dans cet extrait nous voyons que la technique découronnante peut viser plusieurs cibles à la fois, car le narrateur lui-même en est touché dans la même mesure que son personnage. Plus précisément, le discours carnavalisé ne connaît pas des élus : chacun sentira sur sa peau ce qui signifie la relativité joueuse. Mustapha y joue le rôle du «jeune savant », qui a quitté son collège pour la raison politique. En se regardant à travers les yeux du marchand, le protagoniste se caractérise ainsi:

« 2000 pinassiers européens se partagent les bénéfices, et nous buvons de l’eau (ni le marchand ni les auditeurs ne savent pas que je bois du vin).[…]Ma qualité d’étudiant déchu me fait un devoir de répondre à des questions de cette importance: “Combien Ibn Seoud a-t-il des fils? Les Turc ont-ils la bombe atomique? » (p.75).

Nous y voyons se réaliser cette logique renversante du rite de couronnement-découronnement qui a influencé exceptionnelement la littérature en donnant ce “TYPE DECOURONNANT de construction de personnages littéraires et d’oeuvres entières[348]”. Mais il n’y a pas que l’attirance vers la savoir qui agit sur la nature du marchand de beignets. La scène suivante montre comment la spirale des illusions et des mensonges réciproques accumulées du début, va se détordre en mettant tête en bas les vérités initiales. Dans un bouge Mustapha rencontre à son grand surprise le marchand :

«...En me voyant, il a fait un mouvement de retrait, trop tard. Je suis allé à lui, le priant de s’assoire à ma table.[…], il me sourit, comme pour se faire pardonner à l’avance quelque ignoble action qu’il se prépare à commettre.

- Buvons du vin.

- Je ne suis pas habitué, mais j’accepte. Oui, buvons.”(p.75)

Malgré ébriété, qui au lieu d’alourdir sa tête rend ses observations démasquantes encore plus lucides, Mustapha comprend les projets du marchand, mais ces derniers à leur tour ne se réaliseront pas étant confrontés à une volonté hostile, l’ivresse devient lucidité:

"...Il compte sans l’irritation qui me gagne depuis que son visage hypocrite m’est apparu[…]. Son seul mal c’est de vouloir souiller la créature, frêle fille de seize ans…Il n’a donc jamais eu de petite sœur, le crapaud! […]Il semble qu’elle aussi soit visitée par le démon. […]Je happe le cuistre, et le retiens. Je l’entraîne de force en d’autres bouges, où nous buvons jusqu’à onze heures de la nuit. Il est vaincu. Il sait que ce n’est pas l’ivresse qui me fait agir ainsi, et il a deviné depuis longtemps que je le hais. Est-ce ma haine qui l’oblige à m’héberger...?(p.76).

Cette soirée demystificatrice changera radicalement les rapports dans le cercle du marchand de beignets “surpris dans la plus vile débauche”: “Désormais, en me laissant leur servir le thé, lui et ses visiteurs, ils seront tenaillés par la crainte, s’inclineront avec courtoisie, n’oseront parler de vertu, attendront poliment que je sorte”(p.76).

Cette même dynamique renversante agit au niveau de la composition: ça et là nous avons affaire à un collage où un épisode suivant retourne, met en abîme la vision que nous a laissée le précèdent. La soirée des amis à Beausejour est très représentatif à cet égard. Lakhdar, le nouveau cousin de Nedjma abrité par sa mère, invite Mourad et Mustapha. Au milieu de festin Nedjma rentre à l’improviste «entraînant gaiement Lakhdar par la main »(p.233) dans la chambre nuptiale. Leur tête-à-tête se termine par le départ brusque de Nedjma dans le salon, où, pense Lakhdar il y a Mourad. Pourquoi il n’a pas pensé à Mustapha, alors que nous, le lecteur, savons que ce dernier est resté à la maison? Le dénouement de l’intrigue fait pensé au vaudeville : le narrateur ne cache pas son ironie par rapport au personnage, ni le comisme de la situation qui se retourne brusquement sous les yeux de Lakhdar. Le retour de Mourad ivre mort censé être enfermé avec Nedjma dans le salon est réalisé par Lakhdar avec un retard : « Lakhdar ne semblait pas voir Mourad, et demeurait pensif devant lui, à la manière d’un savant qui aurait rencontré un revenant. Paisiblement, Lakhdar réalisait que Mustapha était seul avec Nedjma »(p.235). L’explication que donne Lakhdar à ses actes après coup : « Quand je les ai enfermés, Mustapha n’existait pas, il était resté dans l’ombre comme l’arme secrète de la réalité ; mais rompant les amarres, je savais qu’un vent ami rendrait le naufrage inéluctable »(p.235, c’est nous qui soulignons). Ce mécanisme découronnant devient surtout visible si on compare la description du pèlerinage à la Mecque dans une série des reportages publié par Kateb dans Alger-Républicain[349] et sa présentation dans Nedjma. Nous pourrions voir que ce qui était une critique sociale et politique au premier degré basée sur les faits, devient une représentation au second degré où la critique est remplacée par la mise en dérision carnavalesque.

La carnavalisation du genre romanesque

A côté des quatre catégories, des actes et images carnavalesques, dégagées par Bakhtine, nous retrouvons dans Nedjma certains traits de la ménippée et du dialogue socratique. Quant au dernier genre, disons que l’élément rhétorique est assez fort dans le roman: il suffit de rappeler les méditations de Rachid sur l’avenir de l’Algérie, les songes de Si Mokhtar sur la tribu, les réflexions de Lakhdar le jour du 8 mai et deux mois plus tard dans la mosquée, ou bien celles de Mustapha à propos de Nedjma. Il est très intéressant de remarquer que les personnages les moins bavards, presque privés du droit à la parole sont M.Ernest et M.Ricard, prononçant chacun trois phrases à peine, en contraste avec les riches interventions d’Ameziane. Dans ces passages rhétoriques la pensée des protagonistes ne se fige pas dans le dogmatisme, elle pose « les ultimes questions », en cherchant infatigablement les réponses, sans jamais mettre un point final.

Certains critiques dont nous avons parlé, ont déjà discerné dans l’œuvre de Kateb les éléments, surtout formels, appartenant à la ménippée comme la définit Bakhtine. A ces analyses nous voudrions ajouter quelques remarques sur les aspects plutôt thématiques qui n’ont pas attiré l’attention des critiques. Il faudrait souligner d’abord la présence de ce que Bakhtine appelle « naturalisme de bas-fonds[350] ». Le phone au contenu philosophique de la ménippée sert souvent de mauvais lieux comme, dans Nedjma prison, bagne, maison close, fumerie, bouge. Les protagonistes se heurtent à l’expression extrême de la débauche, de la bassesse, comme cela se passe avec Lakhdar et Mustapha battus jusqu’à la perte de conscience dans la gendarmerie; ou avec la bonne de M.Ricard forcée par les invités européens de boire le rhum pour la «rater son paradis avant sa mort »(p.24)[351]. Les protagonistes eux-mêmes appartiennent aux bas-fonds : dès premières lignes du roman les quatre amis sont caractérisés comme sans-papiers, fugitifs, marginaux, vagabonds, sans-travail, repris de justice. La formule-clef issue du narrateur appelle Rachid «le paria triomphant des lieux de sa déchéance »(p.161). L’image de Dieu subit elle aussi la marginalisation dans la fameuse scène de la mosquée. Le tournant de pensée de Lakhdar est typiquement carnavalesque. Il s’agit de l’abaissement rituel de tout pouvoir suprême pour le forcer de se renouveler : «[...]agissez comme si Dieu était parmi nous, comme si c’était un chômeur ou un marchand de journaux ; manifestez donc votre opposition sérieusement et sans remords ; et quand les seigneurs de ce monde verront leurs administrés dépérir en masse, avec Dieu dans leurs rangs, peut-être obteindrez-vous justice[...]»(p.69)[352].

La majeure partie des personnages de Nedjma sont marqués par l’expérimentation morale et  psychologique propre à la ménippée. M.Ricard avec son «travaillisme primitif », son mutisme et sa solitude «stérile »  est appelé par le narrateur «le vieux maniaque »(p.14). Si Mokhtar en arrivant au Nadhor change ses surnoms habituels en ceux du «malade » et «de plus en plus fou », sans dire que le haschisch qu’il fume sans cesse le rend d’avantage dans un tiers état. A noter que le vétéran de la tribu les traite des fous pas dangereux, à la différence du nègre, un dément furieux[353]. Le tiers état sera permanent pour Rachid depuis son installation dans le fondouk et probablement jusqu’à sa mort. N’oublions pas la physique extravagante et l’air perdu de Lakhdar, ainsi que quelques mois avant lui de Mustapha, à leur arrivé à Constantine. La mère de Mustapha, après avoir appris la mort des membres de sa famille dans les répressions du 8 mai, plonge dans la folie absolue : « Elle parle aux oiseaux et maudit ses enfants »(p.226). Ajoutons figure de Si Mokhtar qui incarne dans le roman la catégorie carnavalesque de l’excentricité. Nous y retrouvons toutes ses manifestations: du «mot incongru» («mon père Charlemagne / Ma mère Jeanne d’Arc », annonce Si Mokhtar devant le commandant de la douane de Port-Soudan) à la conduite profanatrice.

En évoquant les aspects formels de la ménippée, signalons l’abondance et la diversité des «genres adventices»: l’extraits du carnet de Mustapha et de sa composition, les vers libres de Lakhdar, les discours et slogans des orateurs pendant la manifestation du 8 mai et l’hymne national que chantent les manifestants, les vers et couplets de chansons de la part de Si Mokhtar, la petite sœur à Mustapha, le client du fondouk, les citations des journaux et du manuel de grammaire lu par le camarade de classe de Rachid dans ses souvenirs d’enfance. Nous voyons dans Nedjma se confirmer la règle remarquée par Bakhtine, d’après laquelle les parties versifiées sont presque toujours présentées avec un certain degré de volonté parodique[354], prenons par exemple le fameux vers de Si Mokhtar « L’enterr’ment di firiti / i la cause di calamiti » (L’enterrement des vérités / Est la cause des calamités, p.114). Ce montage renforce considérablement la multiplicité des styles et des tons.

Avant de conclure ce chapitre constatons enfin que Nedjma contient certains aspects philosophiques de la ménippée. Même si les événements du 8 mai 1945 ne sont plus de l’actualité brûlante à l’année de la publication du roman, il est imprégné par la problématique politique et idéologique de l’époque, ce que d’ailleurs l’écrivain lui-même ne niait pas[355]. Par ailleurs, l’action du roman se développe dans un temps à part qui par ce caractère exclusif, ressemble au temps carnavalesque : deux fois nous rencontrons l’expression “en temps ordinaire”(p.12 et 27). Marc Gontard parle du temps circulaire à propos de Nedjma[356], le carnaval possède la même vision du temps. C’est une fête cyclique, liée aux moments de la crise de la vie du soleil, du monde et de l’homme. L’élément utopique, organique au genre de la ménippée est présente sous la forme de songes de Rachid. Mais il n’est pas bien développé à la différence des romans de Khaïr-Eddine, par contre sa particularité est ce qu’il est destiné au passé lointain du pays: « Deux âmes en lutte pour la puissance abdiquée des Numides. Constantine luttant pour Cirta et Bône pour Hippone comme si l’enjeu du passé, figé dans une partie apparemment perdue, constituant l’unique épreuve pour les champions à venir : il suffit de remettre en avant les Ancêtres pour découvrir la phrase triomphale, la clé de la victoire refusée à Jugurtha, le germe indestructible de la nation écartelée entre deux continents »(p.165).

Troisième partie

La carnavalisation politique et existentielle dans Agadir

Chapitre I : L’intronisation-détrônisation comme un procédé de mise à l’épreuve de la vérité

                                                                                    

L’intronisation bouffonne suivi de la destitution du roi est, répétons-le, le principal acte carnavalesque. Selon Bakhtine, c’est cette figure du roi éphémère qui incarne la philosophie du carnaval, qui résume son essence et le distingue des autres fêtes – religieuses ou populaires. Comme chez Khaïr-Eddine le cible principal est le pouvoir dans toutes ses manifestations, avec tous ses dérivés, il n’est pas étonnant que ce rite ancien devienne non seulement le ressort du sujet et de la composition, mais offre à l’auteur des procédés variables pour mettre à l’épreuve la vérité. Ou, comme il l’a dit lui-même pour «faire une œuvre de[…]contestation radicale[357]».

L’auto-intronisation du protagoniste

Le protagoniste d’Agadir[358] - un jeune fonctionnaire d’état qui se trouve dans cette ville le lendemain du grave tremblement de terre - habite un royaume «négatif ». La toute première caractérisation du roi régnant, tel que le décrit un des ses requérants, en témoigne :

«[…]Sa Majesté qui me fait don de la terreur ; oui, tout est tombé par terre depuis son avènement, et il boit pendant le carême, trouvez-vous ça normal, et il mange de bons plats avec ses ministres et prend pour lui tout seul les meilleures femmes du pays…(p.17)[359]».

Même si cette assertion est celle d’un des «fous », comme le protagoniste appelle les habitants d’Agadir, elle est véridique. L’ambiance du roman frappe dès le début par sa ressemblance avec les œuvres de l’époque hellénistique, notamment, Satiricon. C‘est un monde absurde et profondément malheureux. La psyché des victimes du tremblement se trouve incapable de surmonter les conséquences de la catastrophe, et le gouvernement ne se précipite pas pour améliorer leur situation, non, l’occupation principale du pouvoir est réduite à écraser toutes les manifestations de l’hétérodoxie. Pour faire la brèche dans cet ordre injuste, le protagoniste se proclame roi : LE CUISINIER

Ma mère est morte mon père vit sous un arbre

fatigué

dans le Rif où l’Espagne a laissé son Fer à Cheval

rouillé

je dépéris dans cet oubli de grive volant

par la magie du sol valide

MOI

Fistules ! Que Roi Moi Majesté !

Le CAÏD

Cheikh el Arab pas tué pas occis Cheikh l’Africain

Ni cadavre ni chair sautant parmi nos astres(p.24)[360]».

Ce passage est rempli d’allusions magico-rituelles, nous les avons signalées en italique. Il faut rémarquer que ces images ont toutes une connotation de défaut: l’arbre, qui dans la multitude de ses sens présente un symbole positif, est “fatigué”; le fer à cheval, un symbole portant bonheur chez tous les peuples, “rouillé[361]. En même temps on évoque l’actualité politique marocaine la plus vive : il s’agit de la liquidation en 1964 à Casablanca d’un des chefs de la guérilla urbaine, Cheikh Al Arab[362]. « Fistules » - terme de pathologie médicale, qui signifie un canal anormal donnant passage aux exécrés physiologiques ou même au pus[363], en anticipant l’acte de l’auto-intronisation, le profane et l’envoie dans le «bas corporel ». Il n’y a aucune cérémonie sacrée de couronnement (même inversée), qui dans l’histoire était censée conférer au roi des pouvoirs surnaturels[364]. Personne n’attribue au protagoniste des accessoires profanes comme pendant l’intronisation carnavalesque – ni vêtement, ni couronne, ni d’autres insignes de pouvoir. Ce n’est pas le peuple sur la place publique qui élit le roi de carnaval, c’est un des participants de cette action qui s’intronise. Cette façon de prendre le pouvoir en dehors de toutes les règles, officielles ou même carnavalesques, est soulignée dans le texte par la construction grammaticalement incorrecte de l’auto-proclamation : « Que Roi Moi Majesté ! » Dès lors il n’est pas étonnant que cette tentative d’intronisation, même si elle est dictée par de bonnes intentions, se trouve condamnée.

Mais l’entourage du nouveau roi paraît y être indifférent. Tout le monde le salut : le Khalifat (un personnage puissant de la réalité maghrébine, investi de la fonction spirituelle de faire appliquer la chariah[365]) et le Cuisinier en tant que «seigneur ». Le Corrupteur, une autre figure réelle du Maghreb[366], en tant que «sire ». Ce dernier se dit «ivre » du fait que sa tribu a retrouvé le chef, il lui propose l’appui de l’Armée de Libération. Avec l’arrivée du chef de l’Armée une métamorphose ancienne se produit : le Roi se transforme en Prophète. Le combattant, un véritable Berbère «depuis le placenta et avant la goutte de sperme »(p.26), avec son assistance qui joue ici le rôle du chœur antique, demandent au protagoniste de leur trouver un «vrai Dieu ». Cette évocation du Prophète – un intermédiaire indispensable entre Dieu et les croyants – est à notre avis une allusion parodique à l’Islam. En demandant de changer de Dieu les personnages sont incapables de sortir du cadre déjà existant. Cela explique aussi, parmi d’autres raisons, pourquoi cette tentative libératrice va échouer. Il faut dire que toute cette scène est percée de l’esprit carnavalesque, jusqu’aux tous petits détails. Par exemple, le chef de l’Armée se caractérise comme “berbère sans fantasia sans calebasse[...]berbère sans la fête des dattes”(p.26). La calebasse est des cucurbitacées utilisée pour faire des masques du carnaval[367], la fête des dattes fait partie des rites agraires maghrébins contenant des éléments carnavalesques[368].

L’acte de faire démissionner l’ancien Dieu, qui n’est plus satisfaisant, pour s’en prendre un autre, n’est rien que la transposition dans les sphères célestes les règles de la place publique. Le paradigme du roi carnavalesque répond parfaitement à la tache que se pose Khaïr-Eddine : le pouvoir de ce roi est temporel, son royaume de liberté absolue éphémère. Mais peut-être c’est justement cette nécessité de céder à la fin de la fête toutes les positions acquises qui installe un moment de vérité. Les participants de l’action règlent en toute liberté leurs comptes avec un pouvoir quelconque - l’Europe, le Roi actuel qui soldait le pays, l’omnipuissance de l’argent. La parole aussi se trouve libérée : il est permis de jurer en présence du roi. « Je hais l’Europe quoique ses lois soient plus claires que la constitution ici traînée par rues et vaux par bouches et culs », - dit le Khalifat. Le roi auto-intronisé dirige et inspire cette dérision de toutes les autorités, y compris des principes monarchiques en général, ce qui le place lui-même, en tant que roi, parmi les cibles.

Très vite nous voyons les participants de la scène fusionner dans le soutien du nouveau Dieu proposé pas le roi -“prophète”. La religion qu’il proclame est sa patrie, le Sud marocain, le pays berbère:

“Sudique Ma Vraie Demeure Mon Diable et Mon

Bon Dieu

Sudique

comme dirait ma mère ma terre ma vie…(p.28).

C’est sur cette terre “légitime où ne peuvent se dessiner ni sceptre ni couronne”, que le personnage principal s’autorise à prendre le pouvoir. Mais l’arrivée du berger avec son troupeau à la “cour” du roi dissipe nos illusions sur la possibilité de changements quelconques, pour le roi lui-même, ainsi que pour “son” peuple. C’est un carnaval tragique qui se déroule dans un cercle vicieux.

Le berger profanateur de la religion Sudique

La figure du berger Boussole, comme celle du bouc ou de la chèvre, est symboliquement très chargée. Son métier est lié à la terre natale, dont il est le porte-parole. Il rapporte au nouveau roi “la nostalgie droite”(p.30) de cette terre Sudique, en lui dessinant au début de son discours une image pleine de tendresse et de poésie. Mais l’univers idyllique se corrompt devant nos yeux. Le berger se déclare perdu dans la solitude et l’embarras, quelque part au milieu de l’existence: “Je sais que sur cette planète je ne suis ni seul ni avec mes semblables”(p.31). Il est désormais privé de sa compagne, car ce sont les riches qui achètent les bergères. A la fin du discours ses propos initiaux se trouvent renversés: le porteur de la philosophie de la terre demande un passeport pour partir en France. Cette réplique ouvre un débat ardent entre lui et son troupeau. Ce n’est rien d’autre que le procédé dialogique pour découvrir la vérité sous la forme d’échange de propos agoniques. Il faut noter que les formes grammaticales rendent plus visible cette polyphonie carnavalesque: le Berger, le troupeau, le bouc écorchent le français en faisant allusion au vrais boucs, c’est-à-dire aux travailleurs maghrébins en France[369]. “Oh moi France moi partir en France vite moi crever,” est la dernière phrase de Boussole.

Le roi dans cette scène joue le rôle du juge qui doit décider chez qui se trouve cette vérité[370]: chez le berger; chez le troupeau qui supplie le roi d’empêcher le berger de partir ou de le tuer et devenir leur guide[371], ou bien chez le bouc qui dans un discours provocateur loue d’une façon ambivalente les merveilles de l’Occident. Son intervention est pleine d’expressivité primitive, du lexique bas et des images physiologiques. C’est une vraie parole carnavalesque, caractérisée par Bakhtine comme “franche et sans contrainte, abolissant toute distance entre les individus[…], libérée des règles courantes de l’étiquette et de la décence[372]”:

“…Vas-y mon maître mon ami

mes frères là-bas vivent dans un papier à six

personnes parmi cafards et rides du travail

mais l’argent se cultive plus vrai que la prière

et chaque jour

les putains viennent en surnombre

criant que veut putain[…]

oh ma couille oh mon pénis volé au coq roidi

tonnerre vas-y (p.32)”.

L’ordre du protagoniste d’égorger le bouc est lui aussi ambivalent, mais l’image du bouc l’explique, car c’est lui qui a donné son nom à la tragédie. C’est lui qui était l’animal de sacrifice à Dionysos, qui incarnait, enfin, la nature pécheresse[373]. Le bouc a été et reste également l’animal que les habitants du Maghreb sacrifient pendant les fêtes religieuses, rites de passage et actes magiques[374]. Le bouc est aussi un des masques carnavalesques, ce qui explique la promesse du Cuisinier de boire son sang et de souffler dans sa vessie: un geste carnavalesque par excellence[375].

L’égorgement du bouc dans cet épisode n’est pas un sacrifice, car l’animal n’est pas mangé, mais jeté dépiauté aux chiens errants. La mort du bouc (nous pouvons le sentir grâce au silence qui s’installe alors dans la scène) signifie la fin des illusions sur ce nouveau royaume établi par le protagoniste. Finalement rien ne change dans ce monde: le roi donne des ordres assassins, la foule les réalise avec enthousiasme, la vérité est de nouveau “muselée”. La tentative de “rire du siècle malfaiteur”(p.34) a été courageuse, mais elle a échoué. L’apparition à la fin de cette scène d’un Gueux avec sa bouteille de vin et sa parole profanatrice anéantit le pathos tragique de ce qui vient de se passer:

“Paix. Mes reins. Mon astuce. Là-bas se tendent les

Hémisphères

Ici montent les colères[…]

Ici Valse la ruine…” (p. 34).       

Faut-il ajouter que ce Gueux sera chassé à son tour sous prétexte qu’il est fou? En fait, quand le personnage principal conclue la scène en disant qu’il a rêvé “de vrai dialogue”(p.35), il ruse. Nous disons plutôt que malgré la présence des figures carnavalesques: le roi, le bouc, le gueux, la foule, malgré le fait que tous les représentants du pouvoir réel, comme le Caïd, Khalifat, le chef de l’armée se soumettent volontairement au nouveau roi, enfin, malgré la collision des points de vue, il n’y a pas de dialogue dans cet épisode. Et en conséquence, le carnaval quoique gardant sa forme, est privé de son essence, si nous comprenons avec Bakhtine sa principale tendance comme un empêchement  à la pensée “de s’arrêter ni de se figer dans un sérieux unilatéral, dans un état fâcheux de détermination et de signification unique[376]”. Ce n’est pas par hasard que tous les personnages porteurs de la vérité révoltante dans cette scène n’ont le droit qu’à une seule réplique. Toute de suite après on les égorge, on les chasse ou on leur impose le silence. La première tentative d’installer le royaume utopique est confrontée à l’autorité royale, même si c’est un roi de carnaval. Au début du fragment suivant nous voyons le protagoniste se moquant de son auto-intronisation: “…Le maître, moi? Non pas, c’est une plaisanterie”(p.36).

La ville zoologique comme une utopie allégorique

La deuxième tentative de trouver et d’introniser un roi juste, qui occupe une échelle temporelle et spatiale plus considérable, est précédée par la descente du protagoniste sous terre. C’est un élément compositionnel important des œuvres carnavalesques[377]. Ici Khaïr-Eddine se montre encore une fois novateur par rapport à cette tradition: l’enfer chez lui est représenté sous les traits d’une ville zoologique. Cet épisode n’est rien d’autre qu’une antiutopie[378]. La tissu idéologique du roman est percé de l’élément utopique, inséparable de la vision carnavalesque du monde. Mais si tous les autres fragments d’Agadir tendent à un idéal utopique de la société juste, la ville zoologique donne une vision à l’envers de cet idéal, un pôle de repoussement.

Le problème que traite ce fragment est le même: le pouvoir et le peuple. Dans cette ville les hommes sont des “intrus” qui se laissent exploiter par les animaux dans les travaux urbains, qui prennent pour femmes des bêtes indiquées par les Maîtres-Perroquets. Les hommes sont incapables de se révolter: ce sont des aigles qui le font à leur place, et qui auront le sort de Bouhmara, “l’homme à l’âne”, prédicateur qui a dressé les Berbères contre la dynastie fatimide (cet illustre aventurier politique, méritait d’être un personnage carnavalesque: chétif, difforme et boiteux, vêtu de bure, il avait le génie pour fomenter une insurrection[379]). Très vite la description de la ville zoologique cède la place à un échange de menaces entre Naja[380] le préfet et Perroquet l’exécuteur.

Leur dialogue parodie d’un côté le langage bureaucratique, une des cibles préférées de la littérature carnavalisée[381]: “Je certifie conforme mon accusation”, proteste le Perroquet contre la décision du Naja de ne pas exécuter immédiatement le protagoniste(p.47). De l’autre côté il vise les clichés de la production littéraire et cinématographique du style “action”: “Si jamais tu remuais le petit doigt ou si tu appelais tes sbires à l’aide, je te descendrais, Peluche. Froidement. Nous sommes liés  par une vieille amitié. Nos femmes aussi sont des amies, mais je tirerai sur toi, Peluche. As-tu saisi?” lui répond le Naja. Quand la scène se termine par une fusillade où tombent et Naja et Perroquet, où le protagoniste n’a “pas même un trou!” (p.48, encore un clin d’œil parodique), notre sentiment se trouve renforcé que dans l’univers de Khaïr-Eddine le dialogue n’est pas possible par définition. Effectivement, ce thème deviendra le leitmotiv de toute son œuvre. Pour l’auteur lui-même cette impossibilité résulte de la violence, un élément de l’existence qui prend chez lui une ampleur métaphysique : « La violence est partout. On nous en abreuve tous les jours, à chaque instant. La structure de la société est telle que les hommes ne peuvent plus s’entendre, ne peuvent plus se parler[…]»[382].   

Kahina – une communiste archaïque

Le deuxième grand débat autour du roi commence par un échange de propos entre le protagoniste et un étranger. Au début l’étranger traite notre protagoniste avec respect en faisant allusion à son intronisation précédente. Mais très vite, irrité par l’irrespect que manifeste le protagoniste vis-à-vis de ses ancêtres, “l’étrange étranger”[383] se met à le tutoyer, le personnage le reprend, et d’une conversation cérémonieuse nous basculons dans le domaine du contacte carnavalesque libre et familier. Il faut remarquer que la conduite de l’étranger s’inscrit dans la catégorie carnavalesque de l’excentricité qui permet “aux aspects réprimés de la nature humaine de s’ouvrir et de s’exprimer sous une forme concrète et sensuel[384]”. Comme le protagoniste refuse de prendre au sérieux son interlocuteur, l’étranger change de costume: il enlève son turban, sa gandoura, il se déchausse – un geste rituel qui signifie l’entrée en contact direct avec le sol. Dans cette nouvelle apparence il accuse le protagoniste d’être hérétique, de ne pas reconnaître son histoire et ses ancêtres et il fini par le gifler. Ce geste rabaisse l’ex-roi: après l’estime du précèdent épisode il est privé de tout signe d’hommage. Ajoutons que tous les propos de l’étranger sont une sorte d’anacrèse, qui est un moyen de provoquer le discours de l’interlocuteur, de pousser sa pensée jusqu’à ses limites.

Après la gifle, l’étranger se met à raconter une cosmogonie profanatrice. Le scénario de cette cosmogonie est assez classique: la lumière et la terre apparaissent des ténèbres. Mais chacun de ses participants se trouve baffoué: le soleil naît “maigre, presque cadavre”, la terre, obsédée par l’instinct de reproduction, est “criblée par les balles du soleil ricaneur/ traînée dans la bouse des météores hurleurs”(p.56). Quant à Adam et Eve, le narrateur refuse même d’en parler. L’histoire des temps se termine par l’apparition de “l’homme négatif”, encore un leitmotif de l’oeuve khaïr-eddinienne, né d’une piqûre que reçoit la terre d’un crotale. Cette cosmogonie prépare une “leçon ombilicale[385]” qui sera donnée au protagoniste par Sa Majesté Kahina, la Reine mythique des berbères. Elle et sa suite sortent de leurs tombes pour s’adresser aux contemporains du protagoniste. Kahina semble être prête à lui déléguer le pouvoir s’il mène le peuple à partager ses avis:

“Tu devras donc cesser de lutter pour une cause nuisible. Faire venir le peuple ici. Nous lui inculquerons notre vérité et notre angoisse[386]”(p.59).

Il faut dire que Kahina, comme toutes les autres figures historiques et mythiques d’Agadir, subit la carnavalisation. Elle n’est pas reconnue d’abord par le personnage principal, qui l’appele “cette femme”. Son discours inaugural est caractérisé par le protagoniste comme “du vieux crottin”(p.58). La parole de Kahina chez Khaïr-Eddine se construit sur les paradoxes[387]: elle se proclame communiste, elle parle de Marx, enfin, son raïs invite le protagoniste à percer “le ventre obèse du Monarque”(p.60). Cette proposition vient des berbères «qui enserrent dans leur étau les femmes seules et les procréations imprudentes »(p.63), ceux que le protagoniste refuse d’accepter pour ses ancêtres. A cause de cela il change sa position, et contre nos attentes soutient son roi, refuse de se révolter et cesse tout dialogue: « Bouclez-la. Bon sang bouclez vos gueules ! »(p.61) Ce juron blasphématoire profane une de notions-piliers de la civilisation maghrébine[388]. Il est intéressant de remarquer que l’absence du rire, accompagne toute cette scène à la fin de laquelle Kahina part en pleurant. Même si ce n’est jamais dit directement, le protagoniste interprète cette scène comme la suite de sa première intronisation ; il dit en chassant Kahina :

«Renoncez à vos tentatives, retournez d’où vous êtes venus. Sbires de la Corruption. Je ne serai jamais roi. Je ne serai qu’un auxiliaire du verbe régnant. Pas même son consort.[…] Partez (p.64).

Youssef, le roi idéal

Contrairement à Kahina, Youssef Ibn Tachfine, Le Premier Roi de la dynastie Almoravide est présenté comme «incorruptible »(p.67). Il apparaît au protagoniste dans le désert, sur un dromadaire, lui aussi avec sa suite, qui pendant l’échange des propos jouera le rôle de porteur de l’opinion populaire. Mais après ses premières phrases l’action se transporte immédiatement «sur une grande place » à Marrakech, la ville fondée par Youssef[389]. Tous les événements qui vont suivre dans ce pseudodialogue se passeront sur une place : celle de Marrakech et puis celle de Rabat. En échangeant la demeure du protagoniste pour la place publique comme lieu de l’action, Khaïr-Eddine nous indique le caractère ouvertement carnavalesque, public et universel, du voyage dans l’espace et le temps à venir.

Tous les rois qui apparaissent dans cette scène sont des idéologues, leurs paroles servent à la recherche et à la mise à l’épreuve de la vérité du peuple. Le personnage historique de XIème siècle surgit devant le protagoniste pour régler ses comptes avec ses prédécesseurs comme Kahina (il la caractérise en tant que «mégère sapant la foi de l’homme», dont le délire «fut la grande prière[390]», p.68), ainsi qu’avec ses successeurs y compris le roi actuel du Maroc. Le panorama de la vie marocaine qu’il présente ne connaît aucune limite spatio-temporelle : les héros des mythes et les figures historiques du passé sont  intentionnellement et exagérément modernisés, «ils agissent et s’épanchent librement sur un plan de l’actualité inachevée[391]». L’attitude face à la tradition est critique et même cynique.

En niant ses prédécesseurs et ses successeurs, le roi Youssef prend le point de vue du peuple. Jacqueline Arnaud a appelé son discours «populiste[392]». S’il paraît être tel dans sa forme, en ce qui concerne le contenu il est loin de cette définition. Il nous semble, que Youssef incarne plutôt la figure du roi, comme le roi Arthur ou l’empereur Barberousse, qui exprime à la fois la nostalgie et l’espoir d’un monde meilleur ici-bas[393] où la justice serait établie. Si l’image de Kahina est peinte dans des tons légendaires et poétiques, celle de Youssef contient plutôt de nuances directement carnavalesques. D’abord, c’est un roi qui dans sa parole n’est pas restreint par l’étiquette et d’autres raisons conventionnelles. Il entame son discours ainsi :

 « J’ai vu les trafics qui m’ont précédé. Et ceux qui m’ont suivi. Mon peuple a beaucoup souffert, à cause d’une poignée de parasites. A cause des caprices d’un morveux roi » (p.68).

Nous voyons un roi qui se charge de la carnavalisation, car à l’époque du protagoniste personne n’est capable de baffouer le pouvoir souverain. Le fondateur de Marrakech, qui a donné au Maroc son nom, devient chez Khaïr-Eddine le roi-détrôneur, comme il le dit lui-même: “Je tâcherai de dénoncer la présence d’un mythe”(p.71). Et encore une fois, comme dans l’épisode de l’auto-intronisation, son image royale éclate sous les tensions antinomiques[394].

Dans son discours Youssef va très loin: son image du roi populaire se transforme en celle du père de la nation. Il est malheureux de voir son peuple souffrir de “la fièvre permanente” dans les “hôpitaux encombrés”(p.69), il prend sur son compte l’humiliation permanente de ses sujets, jusqu’à partager leur sort:

“Quand ce n’est pas par les démagogues, c’est par ses propres enfants, nouvellement enrôlés pour des paies dérisoires. Mon peuple sans porte-parole. Mon peuple comme un zéro au beau milieu du ciel. On m’a destitué, emprisonné. On a violé mes filles, mes femmes. On m’a moi-même violé”(p.70).

Un roi qui est tellement proche à son peuple, qui se sent déshonoré à cause de ses souffrances, est sans doute un roi carnavalesque. Cette ouverture au monde d’ailleurs est un des sentiments qui distinguent les participants du carnaval. Ce sentiment de participation dans tous ce qui se passe dans le monde, pénètre Agadir comme les autres romans et poèmes de Khaïr-Eddine[395]. Car en général, la conception carnavalesque n’est pas possible sans prendre le point de vue des opprimés : « On a fait du peuple une chose secondaire, presque un outil. Tu es du peuple, tu vas travailler. Tu ne siégeras jamais devant moi, salopard »(p.68), dit Youssef. Plus bas, au milieu du passage sur le sang l’auteur dévoile ce thème, le rend explicite : « Mon sang mêlé à toutes les affaires d’espionnage, à tous les attentats, mon sang coiffé en despote de Babylone et de Bagdad…, mon sang des génuflexions et les liesses de peuples se sacrifiant sur l’air du travail »(p.109-110).

Ajoutons que cette figure du roi-protecteur a des racines au Maroc : pendant la fête du Sultan des Tolba ce dernier avait le droit d’une supplique devant le vrai Empereur : nomination à une charge, exemption d’impôts ou libération d’un prisonnier[396].

Ahmad al-Mansor : le passé glorieux contre le futur

L’apparition d’un nouveau personnage interrompt le réquisitoire de Youssef. Cette figure ouvre le défilé des rois non-nommés. L’identifier n’est pas une tâche facile, car Khaïr-Eddine ne nous donne que des indices indirects. Nous apprenons que son royaume se prosterne «du Sénégal jusqu’à Tlemcen », qu’il «aime le rire et la prière et la poésie »(p.72). Deux fois nous rencontrons le mot «or » : « Je suis connu[…]depuis l’or acheminé du Sénégal » et «je suis doré par les sueurs d’étoiles »(p.72). Enfin, c’est un roi-guerrier, car à un moment il parle des étoiles percées par ses sagaies. 

A notre avis ses signes permettent de supposer qu’il s’agit de Ahmad al-Mansor (1578-1610), sixième souverain de la dynastie des Saadides[397]. Sous son règne durant un demi-siècle l’empire marocain s’étendait des rives du Sénégal au Soudan et au Tlemcen. Ahmad al-Mansor s’est entouré d’une cour littéraire. Il se prit le surnom honorifique d’al-Mansor, le «victorieux », après avoir gagné la fameuse bataille de 1578 contre le roi Sébastien du Portugal. C’est également lui, qui a détruit l’Invincible Armada en 1588. Après la conquête du Soudan et celle de Tombouctou au Niger un afflux incessant d’or s’est mis à couler dans sa capitale Marrakech, ce qui lui valut son second surnom «l’Aurique ».

D’un côté cette image de la prospérité, créée par ce nouveau roi dans son discours, correspond aux réalités du règne de ce souverain habile et énergique, époque rare d’une relative tranquillité. Mais de l’autre côté, son auto-louange invite à s’enfermer dans ce passé glorieux, à abandonner pour toujours la quête utopique de la justice sous son «ombre idéal » : « Je n’ai pas peur d’être critiqué par le néant. Je n’ai pas engagé d’historiographe.[…]Mais le futur ne me concerne plus »(p.72). Cette attitude «après moi, le déluge » provoque une vive réaction de Youssef :

« Même un vrai roi démissionne. Il n’est temps qui ne se détende après sa pourpre glorieuse[…]J’ai l’œil ouvert sur le futur. Mais le futur n’appartient qu’au peuple[…].

Je ne fus pas Monarque, ni toi, ni personne ;

J’ai tenu le peuple par la main

Et nous avons erré sur les chancres de la nuit, sans bruit »(pp.72-73).

Nous voyons que dans cette polémique avec Ahmad al-Mansor, Khaïr-Eddine fait tenir au roi Youssef des propos non seulement anti-royalistes, mais carrément marxistes[398]. Le roi du carnaval est élu par le peuple parmi les siens, il est issu de cette foule sur la place publique. L’image de Youssef incarne le rêve du protagoniste d’un roi juste, c’est pour cela qu’à un moment le protagoniste s’adresse à lui en disant «camarade »(p.73). Il est intéressant de voir que l’image du roi régnant décrit par le protagoniste et qui provoque le départ de Youssef fait allusion au diable. C’est justement cela, à notre avis, qui pousse Youssef à «regagner immédiatement la poussière » de son ombre : il croit avoir failli se compromettre en voulant apprendre le nom et prendre la connaissance de l’incarnation du Mal. Dès que le protagoniste dit, que ce roi régnant «n’a pas de nom », Youssef comprend qu’il s’agit de «l’hydre de l’ère », d’une hydre «indescriptible ». Dans la tradition islamique, le diable a une multitude de noms ce qui le fait insaisissable[399]

Moulay al-Hasan, le double carnavalesque de Youssef

Le personnage suivant est de nouveau un roi difficile à identifier. La définition «petit et sec » fait penser à Hasan II. Mais le personnage parle dans sa barbe, alors que ce monarque ne l’avait pas, et puis le roi de l’époque apparaît plus tard. Ce personnage mentionne ses successeurs, sa dynastie, en évoquant l’époque colonialiste et en désignant les colonisateurs du même mot que Youssef et du même terme marxiste : « ma dynastie a trahi mon peuple. Ma dynastie traite avec des trafiquants. Ma dynastie exploite les limbes de sa chair »(p.75). La réponse nous vient quand à un moment le personnage parle de son cheval. Nous supposons qu’il s’agit de Hasan I[400]. Il est connu que Moulay al-Hasan (1873-1894) a passé son règne en selle. C’était un roi-guerrier, qui a retardé de quelques années l’échéance fatale du Maroc. A la tête de son armée, il a razzié les rebelles et rétabli la tranquillité à Oujda, à Sous, chez les Berbères indépendants, jusqu’aux régions sahariennes[401]. Comme Ahmad al-Mansor, le sultan Moulay al-Hasan est une figure plutôt positive, qui dans cette scène sert d’intermédiaire entre Youssef, le roi idéal, et Hasan II, le roi «négatif». Son discours représente d’un côté le soutien des propos de Youssef et de l’autre, anticipe le débat qui va se passer entre Hasan II et son peuple. Mais c’est un double dans le sens carnavalesque: sa parole crée «un système de miroirs déformants»[402], où les propos de Youssef deviennent légèrement ambigus et provocateurs :

  « mon peuple

honni soit roi qui ne se fasse ton porte-parole

mon peuple

aboli soit ton destin

nous nous relevons d’une menace

mon peuple

endolori cadenassé »(p.75).

Comme Youssef, il refuse son héritage et ses héritiers, mais il élargit la «zone » du rejet en se distinguant de toute sa dynastie, en lui souhaitant fin : « Que tout le monde assiste à la chute de ma dynastie. Elle n’a pas gardé de l’aurore le secret des transformations. Ma dynastie de cendre. Mauvaise affaire »(p.75)[403].

La deuxième partie de ce discours invisible est encore plus chargée des images féériques, comme la cosmogonie du Rais et la transe du Perroquet :

« Ce pays fut scindé craqué

entre les mauvaises pensées et la fureur

ici et là

bordjs inexpugnables d’où l’on tire sur le roi marron »(p.77).

Nous voudrions attirer l’attention à cette épithète du roi qui le caractérise comme un souverain illégal, illégitime[404]. C’est encore une preuve de l’imagination inépuisable de Khaïr-Eddine dès qu’il s’agit de la critique du pouvoir royal et de ses abus. Dans son discours Moulay al-Hasan peint un tableau du chaos total : «chacun avait son fusil pour parler »(p.77), ce qui reflète l’époque d’anarchie qui a suivi son règne et qui a favorisé l’établissement du protectorat français. Il est important de noter ici que malgré le caractère réduit et presque invisible du rire dans ce roman, la prise de parole par tous les rois a une tendance satirique dans le sens schillerien, où la réalité devient un objet de rejet obligatoire[405]. Mais il faut ajouter que le protagoniste d’Agadir rejette aussi le passé, sauf quelques exceptions. C’est pour cela que les images du passé et du présent du peuple marocain qui surgissent dans la majorité des interventions analysées, font penser à Hésiode et sa description du «siècle airain ».

Le débat universel sur la place du carnaval

Le départ de Moulay al-Hasan ouvre la dernière partie de cet agon. C’est le point culminant du thème royal. Le nombre des participants est le plus considérable de tout le roman. Cette scène se passe évidemment sur la grande place, celle du Méchouar à Rabat, le capital du Maroc postcolonial. Déjà dans la didascalie l’auteur nous fait deviner que le monarque présent est dans un sens un faux roi : « Le roi est annoncé. Mais ce n’est pas un roi qui sort du palais. C’est un général »(p.78). Un imam chante des louanges au monarque, en lui souhaitant la gloire, la richesse et le Paradis. Puis il passe à «son Excellence Le Général Main-Droite de Sa Majesté »(p.78) à qui, à son tour, il souhaite, en le renvoyant immédiatement dans le «bas corporel », d’être «guéri de ses troubles hémorroïdaires »(p.79). Comme nous l’avons déjà vu, l’abaissement est une constante dans la construction des images chez Khaïr-Eddine, ce qui souligne leur nature carnavalesque. Ce débat nous introduit immédiatement dans la thématique politique marocaine la plus brûlante de l’époque. Le premier imam propose de prier pour «qu’Il [le Général] révise le cas des condamnés politiques. Pour qu’Il amnistie nos frères rebelles »(p.79). Ses propos sont tout de suite repris par «un autre imam », son double carnavalesque, qui renverse sa parole et donne le début à cet échange de propos agoniques :

« Le roi nous a trahis. Nous préférons la République. […]Le roi n’est rien sans nous »(p.79).

Cette scène représente la dernière tentative de détrôner le roi réel pour introniser un autre : idéal, digne de ses insignes de pouvoir. La réplique d’ «un autre imam » annonce le début des élections spontanées du roi sur la place publique. Le premier imam répond, en défendant son souverain qui «existe contre toute dissidence », que «le Roi sait qu’il gouverne un Etat de fous et de piteux apodes»(p.79).

Si le dialogue entre le protagoniste et le rais de Kahina est construit sur l’anacrèse, le grand débat présente la syncrèse qui est, d’après Bakhtine, «la confrontation de divers points de vue sur un sujet »[406]. Comme il le remarque justement plus bas, même les gens simples entraînés dans ce débat deviennent les idéologues malgré eux. Dans Agadir nous voyons s’exprimer un Anarchiste, un Sergent, une Veuve, un Pirate, un Travailleur, une Ménagère, un Syndicaliste, un étudiant, les Paysans. Ils ont tous (sauf les Paysans), une seule réplique. Chacune d’elle est un concentré d’une vision du monde qui présente « les derniers mots » de l’homme, « de telle sorte qu’ils renferment l’homme entier et toute sa vie »[407]. Ce qu’ils résolvent sur cette place ce sont les ultimes questions, pour Khaïr-Eddine il n’existe pas de plus importantes.

L’Anarchiste, comme notre protagoniste, se proclame roi. Il insulte la foule, en disant qu’elle n’est jamais allée plus loin que son «cul »(p.79). Qu’au bout du compte il n’y a pas de roi, il n’y a que la «puissance financière » et que pour changer sa condition pitoyable le peuple doit «savoir s’attribuer un vrai rôle »(p.80). Le sergent lui reprend la parole, en soutenant le régime. Lui, il «ne manque de rien », son travail consiste à tirer «de temps en temps une balle de mitraillette ou de fusil »(p.80), car eux, les militaires, cherchent la paix. Comme nous le voyons, les propos de chaque participant sont fort provocateurs, car c’est la vérité qui est en train de naître entre les hommes dans leur communication dialogique. Mais ces personnages ne sont non plus des clichés : la confession de la Veuve qui occupe une page entière crée une image frappante par sa sincérité et sa douleur. Son époux est mort en tentant de poignarder le roi. Elle est restée avec cinq enfants qui «meurent de froid et de faim »(p.81), alors qu’après la mort glorieuse de son mari dans chaque ville du royaume il y a une rue «qui porte son nom ». Sa conclusion est que la lutte «a servi à déterminer une fois pour toutes son [du peuple] destin tragique »(p.81).

Après cette parole franche le roi actuel se matérialise du néant pour dire que tous ceux qui sont morts se sont sacrifiés pour leur patrie. Le débat devient encore plus ardent à sa présence : tout le monde paraît le maudire. Le Travailleur reproche au roi d’être «complice du désespoir »(p.82), la Ménagère lui accuse qu’il «se nourrit du sang du peuple »(p.82). Même le Devin prédit au monarque un mauvais sort : « ce peuple que tu traîne dans l’égout ce peuple que tu mâche avec délectation […] ne te laissera pas aller bien loin »(p.83). Le soutien inattendu vient au roi du Syndicaliste qui l’insulte en le traitant du «suppôt pareil »(p.82) et qui le glorifie d’une façon provocatrice, car sans le roi il ne puisse vivre. L’inégalité des forces pro-et contre-royalistes fait surgir «le Ministre de l’intérieur ». A notre avis il s’agit du général Oufkir[408], ce même Général qui au début de cette scène a remplacé le Monarque. Son intervention vise l’objectif de montrer qui tient réellement le pouvoir : «Peuple ou pas peuple, personne ne fait la loi, sauf moi »(pp.83-84).  En voyant que le débat va trop loin, le roi décide de reprendre la parole pour ne plus la lâcher et pour montrer qui est le vrai maître : « Je reste Roi. Et le peuple reste un peuple et un enfant »(p.84). Il nous paraît intéressant que Hasan II utilise le mot de Youssef, «enfant », mais il ne lui sert plus comme une image pleine de pitié, mais comme une raison d’oppression.

Jusqu’à ce moment nous avions l’impression d’assister sur la place carnavalesque à la quête de la vérité dialogique. Obtenue de cette façon, la vérité populaire s’oppose par définition “au monologisme officiel qui prétend posséder une vérité toute faite[409]”, mais la fin de cet épisode nous laisse dans une déception totale. On ne choisira personne. Avant de serrer les écrous le roi s’amuse du jeux du chat avec le sourit. A un moment il fait semblant de réfléchir à qui confier le pouvoir. « A nous-mêmes», - lui disent les paysans. Sous prétexte que les paysans sont illettrés et ne savent pas «gouverner une nation démocratiquement »(p.84), le roi laisse tout comme avant en menaçant de les accabler d’impôts en cas de désobéissance. Cet agon se termine par une promesse de la révolte future: « Nous paierons, mais tu paieras, toi aussi. Demain »(p.85). Le roi actuel refusera céder la pouvoir au peuple. Il n’aura même pas un roi du carnaval. La déception du protagoniste par ce faux débat où le peuple à perdu sa peine est telle que quand cet agon intensif et universel aboutit à rien, le thème «royale » n’apparaîtra plus dans le roman. Les illusions sur la possibilité de construire prochainement un ordre juste et sans abus du pouvoir, son incapables de se renaître après l’échec de ce dialogue.

Maintenant revenons à la fête de Sultan des Tolbas. A notre avis, son importance pour comprendre le fondement de l’attitude de Khaïr-Eddine au pouvoir, est cruciale. La brève description que nous avons proposé dans la première partie, permet de saisir l’ambiguïté initiale de cette fête. Pierre de Cenival en mentionnant ses attributs de l’ancien rituel agraire et carnavalesque, estime que le Sultan des Tolbas ne semble pourtant avoir «d’autre valeur que celle d’une plaisanterie[410]», ce qui se confirme par l’accueil singulier que recevait cette fête près du Makhzen. Z.Zouanat propose de reconnaître le génie de Moulay Rachid “à mettre sur scène un problème dont il voulait se débarrasser, et à lui trouver un dénouement de façon burlesque[411]”. Le pouvoir va jusqu’à révéler son agacement latent envers l’orthodoxie qui le fonde, mais l’inquiète, mais il ne se trouve nullement dérangé dans ses fondements. Nous sommes entièrement d’accord avec B.Saltani qui voit dans le Sultan des Tolbas «un carnaval récupéré par le pouvoir[412]». En sachant cela, nous comprenons mieux la tendance antiroyaliste intransigeante de Khaïr-Eddine, il a saisi qu’en se laissant carnavaliser, le pouvoir ne change pas son essence. Bakhtine a évoqué à peine les capacités d’inversement, d’autosubversion du carnaval qui, privé de son essence est capable de se transformer de la culture populaire en celle dominante et autoritaire[413].

La profanation de l’Histoire

Le fragment qui suit le grand débat et qui se transforme à un long monologue sur la famille du protagoniste et au cri «mon sang » est fort significatif. Il explique le final du roman, en rendant le départ du protagoniste inévitable. Dans ce monde il est impossible de se trouver un abri : l’Histoire n’est rien d’autre qu’une chaîne de hasard, d’injustice et de mort, l’univers familial est refroidi par le même souffle destructeur :

« Que suis-je allé faire chez les rois ? A vrai dire, je ne connais pas l’Histoire. Ni la mienne ni celle de mon pays. Peut-être ai-je une histoire. Je ne sais pas »(p.86)

Ce scepticisme a bien des raisons biographiques. Il est connu que la date de naissance de Khaïr-Eddine est une mystification: « Mon père a un peu trafiqué ma date de naissance pour pouvoir me mettre à l’école[…]Il veut que je sois né en 1942, à Casablanca, alors que je suis né en 1941 à Tafraout»[414]. Si au point de départ de sa propre histoire - qui paraît être si concrète et si familière - se trouve une mystification, comment peut-on faire confiance à l’Histoire de son pays? « Alors je vous dit que l’histoire n’existe pas. On l’a fabriquée suivant une chronologie plus ou moins juste. On a mis en relief des événements[…] Mais on s’est trompé sur les choses qu’on a ainsi groupées. Elles n’ont rien avoir entre elles »(p.86).

C’est une voix de quelqu’un qui a «subi d’affreux mensonges »(p.58), comme dit justement le protagoniste à Kahina. De quelqu’un qui ne peut plus se laisser faire. Il se sent libre de traiter l’histoire ou l’Histoire sans aucun respect : parce qu’elle est un règne d’arbitraire. Dans la grande scène théâtrale que nous venons d’analyser il ne reste de l’histoire que la chronologie : Kahina vient des VII-VIIIème siècles, Youssef du XIème, Ahmad al-Mansor du XVIIème, Moulay al-Hasan du XIXème et, enfin, Hasan II du XXème. Il suffit de rappeler quelle transformation subie Youssef, dont l’image historique ne correspond absolument pas à ce profile du roi juste que lui dessine Khaïr-Eddine. Citons, par exemple, Edmond Doutté : « Zélateurs fanatiques, pillards éhontés, vagabonds incorrigibles [...]C’est bien ainsi qu’étaient les compagnons de Ioûcef ben Tâchfin, les Lemtoûna au visage voilé, venus des profondeurs du Sahara : c’est ainsi qu’ils ravagèrent le Maroc et l’Espagne en quelques années et fatiguèrent ensuite les peuples par les vexations de leur rigorisme. Destructeurs de civilisations, incapables de rien fonder de durable, ils virent leur immense empire s’écrouler en moins d’un siècle, ne laissant après eux que des ruines et des rancunes[415]». De l’autre côté, cette absence du sens historique chez le protagoniste s’explique peut-être par le fait que dans Agadir il s’est retrouve dans le temps carnavalesque qui est un temps en dehors du temps. Le séisme a brisé le caractère linéaire du temps, il ne coule plus: « Elle [la population] ne sait pas que son Histoire est déjà faite » (p.15.) 

Chapitre II : La carnavalisation de la vie et de la mort

      « Il y a aussi le problème de la mort qui me travaillait énormément »,- a dit Khaïr-Eddine dans sa première interview après la publication d’Agadir[416]. A notre avis, ce procès a été réciproque: autant la mort «travaillait » l’écrivain, autant il «travaillait » son image à la manière carnavalesque dans ses œuvres. Avant d’analyser les procédés de la carnavalisation de la mort, il faut comprendre ses objectifs. Dans ses interviews, qui sont d’ailleurs les seuls témoignages autobiographiques qu’on possède, Khaïr-Eddine évoque très souvent «l’angoisse » devant le monde qui est chez lui une des pulsions primordiales de la création et qu’il interprétait parfois dans l’aire junginien[417]. L’angoisse de la mort est une parti considérable de cette angoisse générale.

« La vie-en-mort »

Ce thème surgit dès la première page du roman, inséparable de la ville détruite. Le premier habitant d'Agadir rencontré par le protagoniste, ouvre le débat des differentes attitudes à la mort:

« Il est tout heureux puisque je ne suis pas mort que m’importe la vie des autres non ça ne vaut pas cher ça ne vaut pas mon pet »(p.9).

L’absence de ponctuation et d’autres distinctions entre les discours directes et indirectes créent dans ce passage l’effet de l’écartement grotesque, renforcé par le détail abaissant. En faite, ce personnage a perdu dans le tremblement sa femme et ses deux filles, mais il ne les regrette pas «ayant voulu jadis répudier son épouse et confier ses enfants à quelque organisme de bienfaisance»(p.9). Dans l’univers khair-eddinienne les liens familiaux, dont la conscience distingue l’être humaine en possession de ses facultés, n’existent plus. Le protagoniste lui-même en a une idée assez vague: « J’ai une tante dans la montagne ; peut-être ma mère »(p.12). Dans la scène finale, l’oncle-papa du protagoniste lui explique ainsi cet état des choses :« Je suis ton oncle et ton père mais les liens n’existent que parce qu’on les a voulus »(p.137).

Dans la ville échouée les relations entre la vie et la mort sont inversées: la mort règne à bon droit, la vie se rétrécie jusqu’à ce qu’il ne reste que peu d’humain dans ses habitants. Les gens normaux n’y reviennent plus après le séisme, en laissant inondées les rue d’Agadir par des «traumatisés » et des «dénaturés ». Cette situation fait une allusion aux saturnales quand tous les gens sérieux et «de goût délicat » partaient de Rome, ne pouvant supporter «la licence la plus entière[418] ». L’auteur d’une des requêtes, qui représente une lettre inversée – un bref contenu principal avec un post-scriptum de trois feuilles – exige qu’on lui indique l’emplacement exact de sa maison, sans pouvoir dire où elle était située auparavant. Pour les autres plaignants la notion de domicile est aussi vague comme cela était toujours le cas pendant le carnaval où la foule entrait par effraction chez qui elle voulait en transformant les demeures particulières en place publique.

En échangeant les rôles au début, la vie et la mort finissent assez vite par une symbiose. Le protagoniste travaille dans une ville-cadavre, une vraie nécropole où les vivants continuent à exister à côté des morts : dans une odeur de «membres humains en décomposition »(p.13), en conservant, comme un talisman, les phalanges de leurs proches perdus. Le protagoniste n’arrive plus à dormir, car «sans m’y attendre je me relève piqué aux bronches par cette hyperodeur »(p.13). Dans cet état transitoire la population n’a rien d’autre que s’adonner à la folie carnavalesque : elle met une volonté et une fois incroyable «à sortir des décombres ce qui n’est plus utilisable!»(p.15). Cette activité fait penser à la création du char du carnaval dénommé «enfer » avec toutes sortes de bric-à-brac destiné à être brûlé à la fin des festivités[419]. Les objets qui constituent les outils de travail au protagoniste en tant que fonctionnaire  sont marqués par les mêmes symbolique et ambivalence carnavalesques: « le portrait du roi mort et celui du roi vivant, un balai, un seau galvanisé, un plumeau »(p.12). Une analogie entre le cataclysme et le carnaval qui consiste en l’abolition – par les forces de la nature ou par le jeu – de l’ordre naturel des phénomènes, est déjà remarquée[420]. Non par hasard, dans les œuvres marquées par la vision carnavalisée, les catastrophes naturelles donnent souvent le relief aux événements. Dans Candide Voltaire évoque le séisme de Lisbonne du 1 novembre 1755 ; par un cataclysme monstrueux se termine un des meilleures roman-ménippée du XXème siècle Cent ans de solitude de Marques.

Le protagoniste, quant à lui, a une attitude philosophique face à la mort, on peut dire positive:« Je me suis déjà posé plusieurs fois le problème de la mort, et c’est sans la moindre appréhension que je l’envisage. Si ce bonhomme me tirait dessus, je n’en serais peut-être pas plus mort que je ne le suis déjà»(p.18). Les circonstances de sa mort probable possèdent les détails à la fois rituels et carnavalesques: le protagoniste prévoit qu’il sera abattu «dans un ruisseau de sang, dans la bouse de vache ou dans un tas de racines sèches»(p.19). Cette absence de peur devant la mort est héréditaire, elle vient du grand-père de protagoniste, le seul qui l’a «réellement aimé »(p.87) et qui est reconnu dans le roman comme son ancêtre (p.90).

Cette figure possède beaucoup de caractéristiques ambivalentes:« il n’a jamais sacrifié de mouton »(p.88); il était contre «la tuerie qui divisait le village », mais «les auteurs de la tuerie qui venaient le voir pour des conseils s’en déclaraient satisfaits »(ibid.) ; et surtout «il n’a jamais su prendre un mousqueton comme il faut, mais il n’avait pas peur de la mort »(p.88). Notons que le passage consacré au grand-père se dégage brutalement du texte d’Agadir. Il ne s’agit pas seulement de sa structure particulièrement complexe, où la pensée du protagoniste saute d’un sujet à l’autre, comme si elle était secouée par les rapides d’un fleuve puissant. Ce qui frappe surtout, c’est cette intonation sincère et touchante ; l’absence de moquerie et du bas lexique. Scènes et descriptions, les plus belles et les plus émotionnelles, font de ce passage un oasis dont des sources vivifie le lecteur après sa traversée du «désert » idéologique où les vérités se suivent comme des mirages. C’est ici également que la métaphore magistrale du roman – celle du fleuve, du torrent - atteint la culmination et dévoile un de ses sens principaux. C’est bien sûr la mise en texte des impressions enfantines: «Parler de mon enfance, […]c’est évoquer la splendeur des paysages, l’eau qui coulait alors partout, même en été… »[421]. Mais c’est aussi le fleuve de l’être qui nous prive de ceux qu’on aime pour les emmener là d’où il n’y a pas de retour[422]. Ajoutons encore que pour nous il n’y a point de contradiction entre le caractère explicitement philosophique du roman et son côté carnavalesque. La vision carnavalesque du monde est une philosophie en soi, qui se formait en tenant compte des autres conceptions existantes, mais en se distinguant d’elles par sa relativité joyeuse qui l’empêchait d’y prendre part. Le carnaval est une aspiration à la liberté absolue de la pensée, le refus conscient de se restreindre par un point de vue quelconque. Ce glissement des points de vue toujours en direction du peuple est très net chez Khaïr-Eddine.

La mort de son grand-père heurte pour la première fois l’enfant au problème du néant. Comment un être humain se met à réaliser cela ? En assistant à la cérémonie mortuaire le protagoniste se pose la question : a quoi pouvait-il penser, son grand-père, dans son état actuel ? A sa bosse (une caractéristique bien carnavalesque[423]), qui le rendait cher à son petit-fils et en quoi consistait sa distinction des autres. A ses mains de cordier[424], qui «avaient tressé tant de cordes grâce auxquelles nous pouvions encore puiser l’eau »(p.93) – un souvenir-symbole du bien qu’il a pu faire à ses proches. A lui, son petit fils, qu’il abandonnait aux autres occupations - bestioles, par exemple, en provoquant la jalousie et le refus de partager l’être aimé. La réponse se trouve athée: 

« Les morts ne pensent pas quoi qu’on dise ils ne sont pas interrogés ni ne bougent ils ne grattent pas la plaque de schiste dont on les enferme et personne ne descend du ciel pour les interroger sur leur croyance passée »(p.94).

Cette pensée l’amène une autre – le sentiment aigu de la valeur absolue de la vie terrestre. Le même qu’éprouve le participant du carnaval en profitant en entier pendant quelques jours des toutes les manifestations vitales interdites le reste de l’année.

De là ce n’est pas un hasard si l’enfance du protagoniste est inscrite dans un cadre rituel marocain bien déterminé. Sa pensée part pour faire un tour: de la cérémonie de l’ablution finale du grand-père au sacrifice à l’Aïd Kebir, des semailles à la fête du battage en été «quand les gens affluaient chez nous »(p.91); des rites du mariage de sa tante qui n’ont pas eu lieu aux coutumes de l’enterrement. Le protagoniste n’a pas peur de la mort, car depuis sa naissance il habite dans un monde où les frontières entre la vie et la mort ne sont plus nettes. Le grand-père du protagoniste était une exception: il a vécu en pleine force, sa mort a été brutale. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi c’est justement son départ qui a marqué tellement le garçonnet :« il avait l’œil ouvert sur le monde[425] qu’il devait quitter le monde de la surface duquel on ne peut se détacher sans grand mal »(p.94).

« La mort créatrice et féconde »

Mais d’autres membres de la nombreuse famille du protagoniste pratiquent «la vie-en-mort ». Cette catégorie presque heideggerienne[426], est illustré d’abord par le protagoniste même qui se sent épuisé spirituellement et vitalement. Puis par sa grand-mère maternelle qui «était déjà morte avant qu’on décide de l’enterrer car elle ne pouvait plus se lever de son lit fripé sale ni parler ni entendre »(p.93). Le seul signe visible de sa vie était qu’ »elle suait encore par les pieds »(ibid.). Là encore, nous voyons ce que Bakhtine a appelé «les détails matériels et corporels rabaissants »[427], ce côté «naturaliste » sans lequel l’image khair-eddinienne n’existe pas. Sa tante dont «le regard devenait de plus en plus terne presque une maladie les foies vomis les soifs rocailles un cadavre qu’on n’enterre jamais dont on ne peut pas se défaire »(p.96) et puis son père se joignent aussi à cette catégorie.

Il est logique que l’enterrement ne change pas grand chose : comme ils ne vivaient pas vraiment ici-bas, ils n’appartiennent pas non plus au monde d’outre-tombe. Les fantômes de sa grand-mère et de sa tante visitent le protagoniste de temps en temps. Son père tué par les soldats qui voulaient piller sa boutique, est enterré par le protagoniste d’une manière assez bizarre : « je l’ai enterré dans la cabane, j’ai mis sur sa tête une ceinture de soie une paire de chaussettes et une vielle montre, je l’ai enseveli et je suis parti la nuit »(p.97). Une partie des rites funéraires est respectée : le mort est quand même enseveli, de plus en lui mettant une ceinture, c’est-à-dire le serre-tête, le protagoniste l’intronise pour le royaume des morts[428]. Mais il enterre son père dans sa maison au lieu de brûler cette dernière. Les détails de sa dernière parure sont profanateurs, ce qui empêche au père de pénétrer dans le monde des morts et le pousse à poursuivre son fils, car « ces morts sans feu ni lieu éprouvent souvent un âpre désir de vengeance[429] ». Il poursuit le protagoniste en l’appelant « comme une bête, large de corps »(p.98), quand ce dernier veut se cacher dans un arbre, le mort l’arrache et lui marche dessus. « La chasse sauvage » se termine au bord d’une marécage, que son père a choisi pour dernier asile. Cet épisode qui camoufle le rituel dans les formes d’un cauchemar explique la conduite du protagoniste qui est allé déterrer son grand-père « simplement pour savoir s’il n’a pas changé de place »(p.102). Le protagoniste s’habitue à cette liaison permanente, il devient une sorte d’initié : «la mort qui me refuse, je suis infect, l’écorce du vieil arbre maniaque »(ibid.).

La chasse du protagoniste par son père est suivie par la description de l’émeute de Casablanca, un événement réel dont le jeune Khaïr-Eddine a été le témoin en 1965. L’émeute est présentée sous l’angle carnavalesque, ce n’est pas une guerre pour de bon. Elle est conduite par « les alcooliques aigris orateurs astucieux » pour « une juste liberté »(p.100). Les étudiants lancent « leurs slips sur les fenêtres(p.98), accompagnés par le « rire du soldat singeant le ministre ou le canon »(p.100). L’armée appelée « bâtards », tire en air, mais le matin on trouve les cadavres dans les fossés, la mort moissonne sa récolte en « camions bâchés pleins de cadavres »(p.99). Puis l’émeute se transforme à une dévastation[430] qui fait allusion au tremblement d’Agadir : « la ville entière s’effaçait lentement dans la fumée crasseuse des incendies »( p.99).

 Dans Agadir nous voyons surgir l’image « de la mort créatrice et féconde[431]» du carnaval. Elle dévoile son caractère ouvertement carnavalesque surtout dans le fragment « mon sang » qui occupe neuf pages et qui pour Khaïr-Eddine représente un des piliers de la société marocaine à détruire. D’abord c’est l’image de la mort qui accompagne ce sentiment d’ «omniparticipation » dont nous avons parlé plus haut :« Je lui [à la mort] ai donné mon cœur, elle en a fait un oiseau qui l’accompagne partout où elle assassine et dévêt, où elle mange et se saoule »(p.106). L’image de la mort chez Khaïr-Eddine se rapproche de cette « mort enceinte, la mort qui donne le jour » dont parle Bakhtine à propos des figurines en terre cuite de Kertch[432]. Le protagoniste s’imagine jusqu’à faire l’amour avec elle : « la mort était présente, je me disais, A-t-elle un cœur, du sang, un corps capable de me charmer ? c’était faux, la mort avait plutôt de longs cheveux gris, la mort était toute noire cheveux très pointus[…] et nous fîmes l’amour sacré sans que je sache pourquoi, je lui ai fait un excellent gâteau avec mon sperme et mon sang farineux, elle n’en oubliera pas mes caresses , mes reste-ne-pars-pas-je-suis-ton-époux-tu-es-ma-Grande-Elue[433]… »(p.106-107).

A la fin du fragment, le carnaval où participe la mort prend une échelle universelle : le protagoniste parle de «la mort costumée pour une fête sans précédent »(p.110), « la mort, quoi, et ensemble, pour que personne n’entende Dieu prononcer son discours à l’assemblée des cancres »(p.111). Dans ce monde où la mort en permanence « affirme son omniprésence », comme l’a dit Marc Gontard[434], la vie même apparaît au protagoniste dans des images apocalyptiques, comme « la vraie bête »(p.112). La vie y ne vaut pas grande chose : « je ne tolère plus le cours actuel de ma vie, autant la jeter à la poubelle »(p.114), affirme-t-il. Dans ce paroxysme de clairvoyance le protagoniste prévoie sa propre folie, qui ne tarde pas.

Le départ dans le royaume carnavalesque

Le roman se termine pas le départ du protagoniste. Son «oncle Papa » l’invite à aller ailleurs, dans un pays utopique : « Il y fait beau et nous ne manquerons jamais de rien Un pays où l’esprit de la guerre est mort où l’homme parvient à rire Enfin C’est ça ton pays Oui On sera des rois »(p.136). La figure du Vieillard qui apparaît des ruines de la ville pour convaincre le protagoniste de quitter sa vie établie, est très importante. Avec son avènement c’est le royaume de la liberté absolue si longtemps attendu par le protagoniste qui s’installe : « JE SUIS TON VRAI Père le sais-tu ? La preuve, c’est que je suis venu te libérer »(p.139).

Le personnage principal, déçu de ce monde, part dans le pays utopique de l’éternel carnaval, de la vérité et de la justice. Il a révisé le passé et le présent et chaque fois il s’est retrouvé sur le vide : le passé n’est que des mythes, l’alternance de tyrans et de corrupteurs, l’histoire du peuple malheureux et exploité par définition, un défilé de faux rois. Le présent est une vie «mutilée écorchée malade »(p.138) sous le regard fixé de la mort, dans une ville «purement utopique  […] un cimetière des gardiens sans solde »(p.136). Le protagoniste espère trouver un royaume de liberté absolue pour s’introniser là-bas, car sur cette terre il est impossible d’être un roi juste. L’utopique royaume carnavalesque signifie aussi la sorti de la solitude, car c’est le moment de la fraternité et de l’union universelle.

Sa décision de partir ailleurs sans rien, juste «avec un poème dans ma poche »(p.143) nous paraît très logique et même inévitable. Qu’est-ce qu’il reste au protagoniste quand toutes les valeurs ont subi le découronnement carnavalesque, quand il n’y a plus ni famille, ni amour, ni patrie ? Le personnage a vécu trop longtemps dans le temps carnavalesque, c’est-à-dire en dehors du temps, après, il n’arrive plus à s’habituer à la réalité quotidienne. Mais son départ n’est pas triste, au contraire, il ouvre une perspective, car le carnaval est une fête atemporelle, périodique et indestructible. Dans ce final nous sentons que l’histoire ne se termine pas, que dans les prochaines œuvres la quête - sur une autre spire - va se poursuivre.

Nous sommes obligé – faute de volume – de laisser quelques thèmes non-abordés. Il s’agit, notamment, de la carnavalisation de la langue, du jeu avec les canons romanesques, de la transformation de la villle/Ville et du temps/Temps, évoqués d’une manière ou d’une autre par les critiques. Nous avons privilégié deux thèmes qui occuppaient Khaïr-Eddine d’Agadir à Légende et Vie d’Agoun’chich : dans une macroéchelle il s’agit du pouvoir, dans l’échelle plus intime de la mort, qui subissent tous les deux la carnavalisation, la meilleure arme de l’écrivain contre ses angoisses.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion

Ce travail se proposait plusieures tâches. Etant étonné par le fort aspect carnavalesque du roman maghrébin de langue française, notamment, dans les oeuvres de Kateb, Farès, Boudjedra, Chraïbi, Khaïr-Eddine, Khatibi, Ben Jelloun, Memmi, Meddeb, nous avons d’abord voulu se convaincre que la culture carnavalesque avait bel et bien existé et existe probablement encore au Maghreb. Une étude des travaux ethnographiques, principalement français, a justifié notre intuition : nous avons pu y trouver les déscriptions du carnaval même, ainsi que de pratiques et forme carnavalesques, faisant partie des fêtes religieuses musulmanes et des rites divers (agraires, de passage, de la vie quotidienne).

Notre étude ne prétend pas à l’universalisme, car le matériel accessible datait majoritairement de la fin du XIXème et de la première moitié du XXème siècles. Son caractère restreint s’explique également par le fait que nous ne possedons que de peu nombreux témoignages des maghrébins. Comme l’expliquent certains chercheurs, le Maghreb n’a pas encore pris conscience de soi-même[435]. Ce sont les ethnographes étrangers qui étudiaient la civilisation nord-africaine, et elle se dévoile à nous à travers le regard d’autrui. Dans le cas des études sur le carnaval cela se voit dans une tendence à imposer des modèles européens :« Les orientalistes ont partagé le préjugé des lettrés musulmans à l’égard des berbères[...]. Si parfois un fait leur apparaissait trop riche de sens, il était attribué aux Romains et par les plus hardis aux Phéniciens[436]», écrit à ce sujet Jean Servier. Nous ne participons pas à cette polémique : notre partie ethnographique devait premièrement nous fournir la clef pour pouvoir lire cet élément rituel dans nos textes.

Nous avons essayé également une méthode de travail, dans le créneau élaboré par Bakhtine[437] et developpé par l’ethnocritique, qui permet d’appliquer les resultats d’une recherche ethnographique déléments précis (acte, geste, parole, rite) à l’oeuvre littéraire. Il faut dire que dans ce travail nous avons rencontré quelques difficultés, liées justement à l’integration des données venus du dehors de la littérature, dans l’analyse littéraire. La carcasse de la théorie carnavalesque de Bakhtine est le resultat d’une haute abstraction. Ce qui explique pourquoi l’ambition de notre recherche n’était pas « abstraire les abstractions[438] », mais au contraire : en gardant les principales lignes de la théorie bakhtinienne, s’approcher le plus possible au « terrain ». Nous avons accumulé les renseignements concrets et avec leur aide nous avons essayé de reconstituer la spécificité de chaque auteur d’intégrer cette matière carnavalesque et rituelle dans leurs conception du monde. Nous avons pu voir que l’élément carnavalesque est rarement représenté tout seul. Dans la majorité des cas, il se superpose sur d’autres couches de l’oeuvre : rituelle, mythique, folklorique, philosophique et même culturologique, comme c’est le cas, par exemple, de Talismano d’AbdelWahab Meddeb.

 L’analyse de l’élément carnavalesque dans Nedjma a confirmé sa nature protéiforme, remarquée par de nombreux critiques à propos dautres aspects. La carnavalisation se fait nettement sentir dans sa structure et dans les procédés de la narration. Quant au contenu, certaines formes carnavalesques font partie du véritable tissu rituelle qui crée un cadre chiffré des évenements et dont le décodage permet d’éclaircir cet énorme et riche massif de la vie traditionnelle algérienne. Mais cette dimension traditionnelle ne doit pas cacher celle moderne, car Nedjma s’inscrit dans le courant du roman contemporain qui réalise, si on emprunte le terme de Gilbert Durand, la remythologisation du monde[439]. Nous avons essayé de désigner dans le roman les contours de cette réécriture mythique, dont une partie vient du conte archaïque.

Dans Agadir l’élément carnavalesque domine tous les autres. Mais Khaïr-Eddine ne se contente pas de la carnavalisation formelle et langagière, il vise l’essence même du carnaval qui se dévoile dans son roman comme un phénomène ambivalent jusqu’à l’auto-négation. La problèmatique de ce roman touche celle plus large, posée par le carnaval lui-même, mais laissée par Bakhtine sans réponse ferme. La conception carnavalesque est-elle compatible avec la position éthique de l’homme dans ce monde ? Comment les formes individuelles de la pensée propres à l’époque moderne se joignent-ils à cette conception populaire incarné dans le carnaval ?

Rappelons qu’une de nos intentions initiales était d’essayer à travers l’analyse des oeuvres choisies de formuler la spécificité de l’élément carnavalesque dans une littérature donnée. Du point de vue chronologique, c’est une littérature moderne par excellence. Elle est née après la Deuxième Guerre mondiale, ce qui prouve entre autre la prédominence du roman par rapport au théâtre et à la poésie. Un phénomène étonnant en sachant que le roman n’existe pas dans la tradition arabe, il n’apparaît qu’au XIXèle siècle sous l’influence de l’Occident. Quoique en appelant ces récits « romans », il faut faire des réserves, car, nous l’avons vu, ces textes composites sont dotés de passages poétiques et théâtraux, mais sont aussi « agencés selon une temporalité très particulière, ou sans lien de temporalité[440]». Nous venons d’évoquer la première particularité de la spécificité de l’élément carnavalesque dans le roman francophone du Maghreb : une forte tendence anti-formaliste. « La carnavalisation a constamment aidé à la destruction des barrières de toutes sortes entre genres, entre systèmes de pensées clos, entre styles différents », écrit Bakhtine[441]. Nous avons vu que et Kateb et Khaïr-Eddine n’emploient les formes romanesques et théâtrales « que pour les détruire[442]». Nous pouvons dire la même chose pour la langue française qui était dans cette littérature la toute première cible de la carnavalisation. Les écrivains maghrébins ont démontré une chose difficile à imaginer : une langue peut être, elle aussi, bafouée.

           En deuxième lieu il faut noter l’esprit de révolte de la littérature maghrébine. C’est un carnaval qui commence ou fini par une émeute. Historiquement, la tradition carnavalesque  et son genre privilégié – le ménippée – sont nées d’une époque de crise, plus exactement de la transformation à travers l’llénisme de l’Antiquité classique en Moyen Age[443]. La même vision du monde iconoclaste et profondement tragique, réunissant la destruction du passé et un désarroi métaphisique devant le futur, a accompagné chaque époque de crise suivante. Et logiquement ces périodes seront marquées par une richesse étonnante en oeuvres carnavalesques. Ce n’est pas par hasard que la Renaissance est appelée « le sommet de la vie  carnavalesque[444]». On comprend aussi pourquoi en France à la veille de la Grande Revolution la ménippée s’épanouit avec éclat dans l’oeuvre de Lesage, Diderot, de Berjerac. Enfin, il semble que le passage dans le XX-ème siécle, avec toutes ses guerres, a donné une nouvelle vie à ce genre dans les oeuvres de A.Jarri, A.Belyi, M.Boulgakov, G.Hesse. La décolonisation des pays du Maghreb a fait naître parmi certains écrivains la même vision du monde. L’époque des années cinquante-soixante au Maghreb était aussi une époque de changement de la tradition nationale, des ses normes éthiques qui constituaient l’idéal de la société précédente, “l’époque d’une lutte acharnée entre diverses écoles et doctrines»[445]. Les romans de Kateb et Khair-Eddine posent la même problèmatique de l’homme se retrouvant face à une nouvelle ère dans l’histoire de son pays. Les ponts avec le passé sont brûlés, le présent ressemble à une marche sur des charbons ardents et le futur est couvert par le fumé de l’incertitude angoissante.

La troisième particularité que nous avons déjà évoquée est le syncrétisme de la tradition carnavalesque. La carnavalisation se réalise rarement en tant que « pure » : le plus souvent elle s’embrouille avec le folklore. Les contes et légéndes, d’origine berbère le plus souvent, sont omniprésents dans l’imaginaire maghrébin, comme le montre les romans Moha le fou, Moha le sage (où rescussite Dj’ha) et L’Enfant de sable de Ben Jelloun, ou Légende et vie d’Agoun’Chich de Khaïr-Eddine. Enfin, le quatrième trait caractèristique est un fort aspect érotique de la littérature maghrébine. Nous pensons notamment aux romans de Khaïr-Eddine, Khatibi, Boudjedra, Méddeb. Ce trait provient sans doute des nombreuses coutumes sexuelles que nous avons évoqué partiellement au début de notre mémoire. Quoiqu’une étude approfondie pourrait ajouter d’autres points à cette énumération, la richesse impressionnante de la tradition carnavalesque des lettres maghrébines est mise en évidence.


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Révues

Hespéris – Libyca - La Revue africaine –– La Revue des sociétés des africanistes – La Revue des traditions populiares – La Revue Tunisienne - Bulletin de la Société dauphinoise d’ethnologie et d’antropologie.

La littérature du Maghreb

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BONN Charles La littérature algérienne de langue française et ses lectures, Sherbroocke : Naaman, 1974.

-           Le Roman algérien de langue française, Paris : L’Harmattan, 1985.

-           « Exil chez les romanciers algériens », in Exil et littérature, Grenoble : Ellug, 1986.

-           Anthologie de la littérature algérienne 1950-1987, Paris : Librairie générale française, 1990.

-    (sous la direction de) Bibliographie Kateb Yacine, Paris : L’Harmattan, 1999.

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Révues

L’Afrique littéraire et artistique – Itinéraires et contacts de cultures – Présence francophone – Révue de l’occident musulman et de la Méditerranée.

Kateb Yacine : l’oeuvre et les références critiques

KATEB Yacine Soliloques, Bône : Impr. du « Réveil bônois », 1946.

Nedjma, Paris : Seuil, 1956, dern.éd. 1996.

Le Cercle des représailles, Paris : Seuil, 1959, dern.éd. 1998.

Le Polygone étoilé, Paris : Seuil, 1966.

L’Homme aux sandales de caoutchouc, Paris : Seuil, 1970.

Le Poète comme un boxeur. Entretiens 1958-1989, Paris, Seuil, 1994.

L’Oeuvre en fragments (inédits), Arles : Actes Sud, 1999.

Minuit passé de douze heures, Paris : Seuil, 1999.

Arbousset, ép.Djaïder M. Le Discours mythique dans l’œuvre romanesque de Kateb Yacine. Aix-en-Provence, 1977, 3e cycle.

ARNAUD Jacqueline Recherches sur la littérature maghrébine de langue française, le cas de Kateb Yacine, t.II, Paris : L’Harmattan, 1982.

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BONN Ch. Kateb Yacine. Nedjma, Paris : PUF, 1990.

GANDON F. « Le thème de la « nuit d’erreur » dans Nedjma de Kateb Yacine », in Présence francophone,  automne 1980, n 21.

GONTARD M. « Nedjma » de Kateb Yacine. Essai sur la structure formelle du roman (1975), 2 éd. Paris : L’Harmattan, 1985.

Itinéraires et contacts de cultures, numéro spécial consacré à Kateb Yacine, 1993, n 17.

KHADDA N. « Avant-propos », in Bibliographie Kateb Yacine, Paris : L’Harmattan, 1997.

KHELIFI Ch. Kateb Yacine : Eclats et poèmes, Alger : ENAG, 1990.

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SATTA F., ép. DONADIEU Kateb Yacine, Samuel Beckett ; deux figures fraternelles de l’écriture impossible, D.E.A., 1991, Université Paris XIII.

Mohammed Khaïr-Eddine : l’oeuvre et la critique

KHAIR-EDDINE M. Nausée noire, Londre : Siècle à main, 1964.

Faune détériorée, Bram : Encres vives, 1966.

Agadir, Paris : Seuil, 1967.

Corps négatifs suivi de Histoire d’un Bon Dieu, Paris : Seuil, 1968.

Soleil arachnide, Paris : Seuil, 1969.

Moi l’aigre, Paris : Seuil, 1970.

Le Déterreur, Paris : Seuil, 1973.

Ce Maroc ! Paris: Seuil, 1975.

Une odeur de manteque, Paris : Seuil, 1976.

Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants, Paris : Seuil, 1978.

Résurrection des fleurs sauvages, Rabat : Ed.Stouky, 1981.

Légende et Vie d’Agoun’chich, Maris : Seuil, 1984.

Mémorial, Paris : Cherche Midi, 1991.

ABBOUBI A. Mohammed Khaïr-Eddine : le temps des refus. Entretiens 1966-1995, Paris : L’Harmattan, 1998.

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-           « Khaïr-Eddine, le sudiste », in Présence francophone,  automne 1980, n 21.

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SOMMAIRE

Préambule....................................................................................................................................................... 1

Introduction................................................................................................................................................... 2

La réception de l’œuvre de Mikhail Bakhtine en France...................................................................... 3

Les œuvres....................................................................................................................................................... 4

La biographie................................................................................................................................................. 5

La vie des idées bakhtiniennes en France................................................................................................ 8

La théorie du carnaval et le roman maghrébin..................................................................................... 16

Méthode et corpus....................................................................................................................................... 19

La vue générale des formes carnavalesques au Maghreb........................................... 23

La classification des formes carnavalesques au Maghreb et leurs particularités.......................... 24

L’Achoura – le centre de cristallisation................................................................................................. 26

Les fêtes de solstices : l’Ennaïr et l’Ancera............................................................................................ 30

L’Aïd el Kebir – croisement de deux religions...................................................................................... 32

Le Sultan des Tolbas – une fête paradoxale.......................................................................................... 33

La dramatisation grossière comme un trait du rite carnavalisé........................................................ 36

Les gestes carnavalesques......................................................................................................................... 37

Les éléments carnavalesques dans le mariage et autres rites de passage........................................ 38

Le symbolisme ambivalent du labour et du travail de la laine.......................................................... 40

Les jeux rituels............................................................................................................................................. 42

Les pratiques sexuelles............................................................................................................................... 43

L’élément rituel et carnavalesque dans Nedjma............................................................... 47

Chapitre I: Une lecture « mythico-rituelle »........................................................................... 47

Nadhor – le lieu mythique......................................................................................................................... 49

Nedjma – princesse du conte et épouse polyandre............................................................................... 53

Le nègre – gardien de la mort et maître des éléments.......................................................................... 56

L’initiation de Rachid................................................................................................................................ 57

Le retour de l’initié..................................................................................................................................... 60

Initiés par l’émeute..................................................................................................................................... 62

Chapitre II: La représentation non-directe du rite............................................................ 64

Chapitre III: La carnavalisation comme moteur narratif.......................................... 68

Les farces....................................................................................................................................................... 71

La dynamique carnavalesque du sujet et de la composition.............................................................. 77

La carnavalisation du genre romanesque.............................................................................................. 79

La carnavalisation politique et existentielle dans Agadir...................................... 82

Chapitre I : L’intronisation-détrônisation comme un procédé de mise à l’épreuve de la vérité............................................................................................................................. 82

L’auto-intronisation du protagoniste..................................................................................................... 82

Le berger profanateur de la religion Sudique....................................................................................... 85

La ville zoologique comme une utopie allégorique............................................................................. 87

Kahina – une communiste archaïque...................................................................................................... 88

Youssef, le roi idéal..................................................................................................................................... 89

Ahmad al-Mansor : le passé glorieux contre le futur........................................................................... 92

Moulay al-Hasan, le double carnavalesque de Youssef...................................................................... 93

Le débat universel sur la place du carnaval.......................................................................................... 94

La profanation de l’Histoire..................................................................................................................... 97

Chapitre II : La carnavalisation de la vie et de la mort............................................... 99

« La vie-en-mort »....................................................................................................................................... 99

« La mort créatrice et féconde »............................................................................................................. 102

Le départ dans le royaume carnavalesque.......................................................................................... 104

Conclusion................................................................................................................................................... 106

Bibliographie.............................................................................................................................................. 109



[1] Voir les albums de bricolage des masques carnavalesques pour les enfants, ainsi que les cercles de même activité, comme Les Ineffables à Saint Martin d’Hères, où quelques mois de fabrication des «vrais » masques vénitiens aboutissent au voyage organisé au carnaval de Venise.

[2] TRICAUD J.-P.«Carnaval est arrivé », in Le Carnaval, la fête et la communication, Actes des premières rencontres internationales, Nice, 8-10 mars 1984, Nice : Ed.Serre, 1985, pp.547-549.

[3] REVELARD M. Musée international du carnaval et du masque, Binche, Bruxelles : Crédit communal, 1991, ainsi que l’ouvrage qui accompagne la dernière grande exposition du musée : REVELARD M. Le livre des masques et costumes dans les fêtes et carnavals traditionnels en Europe : collection du Musée international du Carnaval et du Masque(Binche), Bruxelles : La Renaissance du Livre, 1998.

[4] DU ROY A. Le Carnaval des hypocrites, Paris : Seuil, 1997 ; PLIOUTCH L. Dans le carnaval de l’Histoire, Paris : Seuil, 1995 ; CLAIR J. Le nez de Giacometti. Faces de carême, figures de carnaval, Paris : Gallimard, 1992.

[5] Par exemple : Carnaval d’animonstres, Paris : Dargand, 1999; Hoag T. Meurtre au carnaval, trad. fr. Paris : Pocket, 1999 ; Aucante P. Epouvantails : le carnaval des champs, Rodez : Subervie, 1998.

[6]  Le Carnaval de la Barbarie et le Temple des Ivrognes, par M. De M°°°, Imprimé à Fès, 1765.

[7] ELIADE M. Le sacré et le profane(1957), Paris : Gallimard, 1998, p.19.

[8] Voir PEREIRA DE QUEIROZ M.I. Carnaval brésilien. La vécu et le mythe, Paris : Gallimard, 1992, p.219. 

[9] BROSSAT A. Les Tondus : un carnaval moche, Paris : Hachette, 1994, pp.258 et 262.

[10] « Nous sommes privés de deviner, Quel écho provoquera notre parole» Phedor Tioutchev.

[11] DEPRETTO C. “Mikhaïl Bakhtine aujourd’hui », in Héritage de Bakhtine, Bordeaux : Presses Universitéires de Bordeaux, 1997, p. 10. Pour tous rensegnements bio-et bibliographiques sur Bakhtine nous renvoyons à cet ouvrage collectif qui reste le meilleur dans la « bakhtinologie » française actuelle.

[12] Cinq ans plus tard ce texte reapparaîtra sous le titre « Recit épique et roman » dans Esthétique et théorie du roman, op.cit.

[13] Mikhail Bakhtine, le principe dialogique suivi de Ecrits du “Cercle de Bakhtine”, Paris: Seuil, 1981, pp.179-316.

[14] DEPRETTO C. “Mikhail Bakhtine aujourd’hui”, op.cit, p.10.

[15] TODOROV T. Le Principe dialogique, op.cit; p.11.

[16] Voir, notamment, une brève mais significative réaction de Walter Ph. in Mythologie chretienne, Paris: Ed.du Champs, 1992, p.14.

[17] TODOROV T., op.cit, pp.7-26.

[18] KRISTEVA J. “Une poétique ruinée” in La poétique de Dostoievski, op.cit, p.8 et 23.

[19] JACOBSON R. “Préface” in M.Bakhtine Le Marxisme et la philosophie du langage, Paris: Editions de Minuit, 1977, p.7.

[20] YAGUELLO M. “Introduction: Bakhtine, l’homme et son double”, in op.cit, p.11.

[21] Voir note de Todorov à ce sujet in, op.cit, p.13.

[22] AUCOUTURIER M. “Mikhail Bakhtine, philosophe et théoricien du roman” in Esthétique et théorie du roman, op.cit, pp.10

[23] Ibid, pp.10-11. A cette époque la discussion à ce sujet était trés ardente, voir, notamment B.GARDIN “Volochinov ou Bakhtine?” in La Pensée 1978, 197, pp.87-100.

[24] BAKHTINE M. L’Oeuvre complète, v.2, Moscou: Russkie slovari (Dictionnaires russes), 2000, notamment pp.509,555.

[25] Il faut ajouter qu’en 1981 Todorov ignorait qu’en 1967 l’“affaire” de Bakhtine et sa condamnation ont été annulées.

[26] Cette solution a été utilisé déjà par le traducteur anglais de la Méthode formelle en études littéraires A.Wehrle.

[27] BOTCHAROV S.G.”A propos d’une convérsation et autour d’elle” in L’Héritage de Bakhtine, op.cit, pp.180-204.

[28] PEYTARD J. Mikhail Bakhtine et analyse du discours, Paris: Bertrand-Lacoste, 1995.

[29] Pour les détails voir PECHKOV I.V. “La fin de “l’affaire,” ou encore une fois sur la patérnité de Bakhtine dans les textes contestés” in BAKHTINE M. Pod maskoi (Bakhtine masqué. Freudisme. La Méthode formelle en critique littéraure. Le Marxisme et la philosophie de langage. Articles), Moscou: Labirynth, pp.615-625.

[30] Ses rensegnements sont tirés du livres de bakhtinistes américains Katerina Clark et Michael Holquist Mikhail Bakhtine, Cambridge, Massachussetts and London: The Belknap Presse of Harvard University Press, 1984 et cités par Sophie OLLIVIER dans son article “Bakhtine aux Etats Unis” in L’héritage de Bakhtine, op.cit, p.134.

[31] L’expression de C.Depretto, “Mikhail Bakhtine aujourd’hui” in op.cit, p.9.

[32] Cette article qui date en fait de 1966 est rentré comme quatrième chapitre intitulé “Le mot, le dialogue et le roman” dans le livre de Kristeva Séméiotiké: recherches pour une sémanalyse, Paris: Seuil, 1971, pp.82-112.

[33] KRISTEVA J. “Une poétique ruinée”, op.cit, p.5. En analysant les articles critiques là où cela ne crée pas des obscurités, nous allons mettre les références aux citations entre guillaumés dans le texte. 

[34] Il s’agit entres autres du “ psychologisme” de Bakhtine, de l’analyse linguistique rudimantaire, de l’impact inconscient du christianisme (“Une poétique ruinée”, pp.10,21).La majorité de ses reproches sont discutables (voir Bakhtine M. L’oeuvre complète, v.5, op.cit, “Commentaires”, pp.379 et suiv.), mais nous ne pouvons pas - faute de volume – nous y lancer.

[35] KRISTEVA J.“Bakhtine, le mot, le dialogue…”, pp.454-455; “Une poétique ruinée”, p.19.

[36] MAKHLINE V.L.“L’héritage de Bakhtine dans le contexte du postmodernisme occidental” in Bakhtine kak philosof (Bakhtine philosophe), Moscou: Nauka,1992 p.218.

[37] KRISTEVA J. “Bakhtine, le mot, le dialogue…”, pp.439, 442, 445, etc.

[38] KRISTEVA J. “Une poétique ruinée”, op.cit, p.13.

[39] BAKHTINE M. Esthétique de la création verbale, op.cit, p.393: “Je suis contre la cloturation à l’intérieur du texte, contre les catégories mécaniques d”opposition”, de “transcodage”[…], contre une formalisation et une dépersonnalisation systématique”.

[40] FRIOUX C.“Bakhtine devant ou derrière nous” in Littérature, 1971, 1, p.108. L’auteur analyse seulement La poétique de Dostoievski.

[41] FRIOUX, op.cit., p.114: c’est une allusion au titre de la préface de Kristeva déjà citée “Une poétique ruinée”.

[42] Le Clézio “La revolution carnavalesque” in Quanzaine littéraire, 15 février 1971, pp.3-5.

[43] TODOROV T. Le principe dialogique, op.cit, p.10.

[44] HAYMAN D. “Au-delà de Bakhtine. Pour une mécanique des modes” in Poétique, 13, 1973.

[45] Il n ‘est pas négligeable à souligner qu’en outre des termes que Bakhtine a lancé dans la circulation intéllectuelle, il a enrichi les mots déjà existant par des nouvelles nuances et connotations. Voir, notamment, la contreverse par Hayman de la connotation péjorative d’adjectif « officiel » opposé à « populaire ». Op.cit, pp.77-78. 

[46] GAIGNEBET C. Le Carnaval, Paris: Payot, 1974.

[47] La référence à Bakhtine apparaîtra dix ans plus tard : dans L’Art profane et la religion populaire au Moyen Age, Paris : P.U.F, 1985, p.174.

[48] Cet aspect est surtout apprecié chez GAIGNEBET par un autre spécialiste du carnaval français Daniel Fabre. Voir “Le monde du carnaval” in Annales E.S.C., 1976, 2, pp.389-406. 

[49] Nous pensons aux chapitres pasionnants sur le calendrier lunaire, sur l’importance de souffle dans la vision carnavalesque, sur les cordiers, les lepreux, le cochon. 

[50] La culture populaire au moyen âge, Colloque de Montréal, 2-3 avril 1977, Montréal: Editions Univers, 1979.

[51] Ces références bibliographiques sont données notamment chez WALTER Ph. La mémoire du temps, Paris: Champion, 1989, pp.274-275.

[52] Voir Simone GABAY «Rabelais: des années 30 à 1970» in Littérature, 1971, 1, pp.116-119;  Notz M.-F. “Lire Bakhtine: carème ou carnaval?” in L’héritage de Bakhtine, op.cit, pp.17-23.

[53] SCARPA M. Le Carnaval des Halles. Une ethnocritique de Ventre de Paris de Zola, Paris: CNRS, 2000.

[54] “Bakhtine: la littérature hors d’elle-même” in l’Esprit, 1984, 7-8, pp.95-127. Le dossier contient un entretient avec T.Todorov; quelques passages de textes bakhtiniens; deux articles critiques signés par Pierre Mari et Michel Crépu et un extrait “Les cercles de Bakhtine” du meilleurs livre américain sur Bakhtine – celui de K.Clark et M.Holquist Mikhail Bakhtine, op.cit..

[55] Voir à ce sujet Depretto C. “Mikhail Bakhtine aujourd’hui”, in op.cit, pp.14-15.

[56] Voir Sobranie sotchinenii (L’Oeuvre complète), op.cit, v.5, pp. 321-322.

[57] TODOROV T. Le Principe dialogique, op.cit, p.12.

[58] CARRIERE J.C. Le carnaval et la politique, une introduction à la comédie grecque suivi d'un chois de fragments, Besançon: Annales littéraires de l'Université de Besançon, 1979, p.349.

[59] BOUTET D. Les fabliaux, Paris: PUF, 1985, ch.3.

[60] DUFOURNET J. Villon : ambiguité et carnaval, Paris : Champion, 1992.

[61] GARRIDO J.-P. L’aventure carnavalisée dans les poèmes chevaleresques de Pulci, Boiardo et l’Arioste. Thèse du doctorat, 1994, Université de la Sorbonne nouvelle, Paris III.

[62] CROS E. L’Aristocrate et le carnaval des gueux. Etude sur le “Buscon” de Quevedo, Montpellier: Etudes Sociocritiques, 1975.

[63] SCARPA M. Le Carnaval des Halles. Une ethnocritique de Ventre de Paris de Zola, op.cit.

[64] VOUILLOUX B. Mimesis: sacrifice et carnaval dans la fiction gracquienne, Paris: Lettres modernes, 1991.

[65] FABRE D. Carnaval ou la fête à l’envers (1992), Paris: Gallimard, 1997. Le livre de Bakhtine sur Rabelais ouvre sa bibliographie, p.152.

[66] LAFOND J. “Le monde à l’envers chez Cyrano de Berjerac” , in L’image du monde renversé et ses représentations littéraires et para-littéraires de la fin du XVI-e et au milieu du XVII-e. Colloque intérnational de Tours, 1977, Paris: Vrin, 1979.

[67] DUFOURNET J. Villon: ambiguité et carnaval, Paris: Champion, 1992. Nous n’avons trouvé aucune référence au livre de Bakhtine ni dans la bibliographie, ni dans les notes en bas de page, alors que l’auteur mentionne son nom dans le texte.

[68] WALTER Ph. La mémoire du temps, op.cit, pp.274-279.

[69] DUCROT O. Le dire et le dit, Paris: Ed. de Minuit, 1984, ch. “Esquisse d’une polyphonie de l’énonciation”; RABATE D. Vers une littérature de l’épuisement, Paris: Corti, 1991 et Poétiques de la voix, Paris: Corti, 1999, ch. “Bakhtine chez Beckett et Bernhard”. 

[70] DUCHENE H. “Notes complémentaires" in REINACH S. Cultes, mythes et religions, Paris: Robert Laffont, 1997, p.1139.

[71] FARES N.« Histoire, souvenir et autencité dans la littérature maghrébine », Europe, numéro spécial, juillet-août 1976, p. 

[72] A ce dernier appartient une de première thèses qui fonde l’analyse de l’oeuvre du romancier et poète marocain sur la théorie carnavalesque de Bakhtine. Voir SALTANI B. Le bestiaire dans l’oeuvre de Mohammed Khaïr-Eddine, thèse du 3e cycle, 1980, sous la diréction d’Antoine Raybaud et Raymond Jean, Université d’Aix-en-Provence.

[73] Les matérieux du colloque sont publiés dans les volumes 4-5 de l’Itinéraires et contacts de cultures, « Littératures du Maghreb », Paris : L’Harmattan, 1984.

[74] Notion traduite dans L’Oeuvre de François Rabelais comme « image de banquet », op.cit., p.277.

[75] BENSMALA R. « La littérature algérienne face à la langue : le théatre de Kateb Yacine », in Itinéraires de contacts et cultures, v.4-5, p.74.

[76] Voir A.Raybaud « Le travail du poème dans le roman maghrébin (II) : l’exemple du Champs des Oliviers de Nabile Farès », in Itinéraires de contacts et cultures, v.4-5, p.142. A.Roche en citant le livre sur Rabelais, s’appuie néanmoins sur la vision bakhtinienne de la ménippée, vénue du quatrième chapitre des Problèmes de la Poétique de Dostoievski, voir « Le desserrage des structures romanesques dans Le Champs des Oliviers et Talismano », in Itinéraires et contacts de cultures, op.cit., p.168.

[77] GANDON F.: “Pour prendre un cas extrême, la “sémanalyse” de J.Kristeva, la notion de “dialogisme” permettant, par exemple, de comprendre la production littéraire du XVIe siècle en fonction d’une structure “carnavalesque”, in « Le thème de la «nuit de l’erreur» dans Nedjma de Kateb Yacine», Présence francophone, 1980, n 21, p.21.

[78] ROCHE A. « Le desserrage des structures romanesques », op.cit., p.151.

[79] Voir KHADDA N. « Mohammed Dib : esquisse d’un itinéraire », in Itinéraires de contacts et cultures, op.cit., pp.205-206.

[80] BONN Ch. Le roman algérien de langue française, Paris : L’Harmattan, 1985.

[81] BONN Ch., op.cit., p.206.

[82] BAKHTINE M. L’Oeuvre de François Rabelais, op.cit., p.15.

[83] Ibid., p.16.

[84] Cela est nettement senti par Khaïr-Eddine qui dans Agadir marque ainsi le passage du théatral au carnavalesque : « Coups de feu, rafales, cris. Silence. Le rideau tombera par terre, lacéré par la foule. Sur une petite place les hommes, les femmes »(Paris : Seuil, 1992, p.76).

[85] SILINE V. Le dialogisme dans le roman algérien de langue française, thèse de 3e cycle, 1999, Université Paris-XIII, dir. de Ch.Bonn. Notons que de l’autre côté l’auteur trace une distinction entre les idées de Bakhtine et celles de Gilbert Durand sur dichotomie « regime diurne - regime nocturne ».

[86] GANDON F.« Le thème de la «nuit de l’erreur» dans Nedjma de Kateb Yacine», op.cit., p.21.

[87] Ibid., p.22.

[88] F.Gandon note l’analogie entre les personnages de Nedjma et le héros des contes merveilleux, l’existence des “doublets”. Ibid., pp. 28 et 31.

[89] ROCHE A. « Le desserrage des structures romanesques dans Le Champs des Oliviers et Talismano », op.cit., p.169.

[90] SALTANI B.« Le bestiaire dans l’oeuvre de Khaïr-Eddine », op.cit., pp.74-84.

[91] SALHA H. Poétique maghrébine et intertextualité, thèse d’état, 1990, Université Paris XIII ; SATTA Françoise Ep.DONADIEU Kateb Yacine, Samuel Beckett ; deux figures fraternelles de l’écriture impossible, D.E.A., 1991, Université Paris XIII.

[92] BAKHTINE, M. La poétique de Dostoievski, op. cit. , p.169. 

[93] Sur l’influence des livres de Olga Freidenberg sur Bakhtine voir GOUREVITCH A.I. “Le comique et le sérieux dans la littérature religieuse du Moyen Age” in Diogène, 90, 1975, pp.67-69.

[94] Voir la note 40 à l’article « A propos de Flaubert », in L’Oeuvres, v.5, op.cit., p.506. Ajoutons que nous allons utiliser que les écrits de Bakhtine sans s’accourir aux travaux de ses interprètes.  

[95] SCARPA M. Carnaval des Halles, op.cit., p.11. Nous tenons à rémércier M.Philippe Walter de nous avoir indiqué cet ouvrage.

[96] SCARPA M., op.cit., p.13.

[97] Farès N. « Histoire de la littérature maghrébine », Europe, numéro spécial, juillet-août 1976, p.401.

[98] KHADDA Naget « Avant-propos », in Bibliographie Kateb Yacine, Paris : L’Harmattan, 1997, p.5.

[99] BAKHTINE M. Problèmes de la poétique de Dostoievski, Lausanne : L’Age d’Homme, 1970, p.143.

[100] E.Daumas Le Sahara algérien, Paris, 1845. Voir la bibliographie de la question chez DOUTTE E. Magie et religion dans l’Afrique du Nord, Alger : Adolphe Jourdan, 1909, p.496.

[101] DOUTTE E. Magie et réligion, op.cit.; LAOUST E. « Noms et cérémonies des feux de joie chez les berbères du Haut et de l’Anti-Atlas », in Hespéris, 1921, t.I ; WESTERMARCK E. Ritual and Belief in Morocco, 2 vol., Londre : Macmillan and C, 1926.

[102] Par exemple, la bibliographie d’article « Asura », in Encyclopédie Berbère, v.VIII, Aix-en-Provence : Edisud, 1992 et LOUIS A. Bibliographie ethno-sociologique de la Tunisie, Tunis : N.Bascone, 1977, les articles « Carnaval » et « Achoura ». Du fait qu’une grande partie des matérieux sont datés vient la difficulté que nous avons rencontré de se procurer des ouvrages importants : de Westermarck, Doutté, Moulièras, Aubin, etc.

[103] Notamment, Gaudefroy-Demombynes M. « Coutumes religieuses du Moghreb : la fête de l’Achoura à Tunis », Revue de Traditions Populaires, janvier 1903; Desparmet J. « Note sur les mascarades chez les indigènes à Blida », Revue Africaine, 1908, n 270-271; Peltier-Grobleron J. « Le Carnaval de l’Achoura à Ourzazate (Maroc)», Revue Africaine, 1948, t.XCII, 1-2e trim. ; Dermenghem E. « Carnaval aux oasis », Sciences et Voyages, 1952, n 75 ; Rabate M.-R. « Le mascarade de l’Aid el Kebir à Ouirgane (Haut-Atlas) », Objets et Mondes, automne 1967, t.VII, fasc.3 ; Musso J.-C. « Masques de l’Achoura en Grande-Kabylie », in Libyca, 1970, t.XVIII.

[104] VAN GENNEP A. Le Folklore français (1943-1948), nouv.éd. Paris : Robert Laffont, 1998, p.739 et suiv. ; PROPP V.I. Les fêtes agraires russes(1963), trad.fr. Paris : Maisonneuve et Larose, 1983.

[105] Nous empruntons le terme chez Van Gennep Les rites de passage, études systématiques des rites, Paris, 1909.

[106] LAOUST E.« Noms et cérémonies des feux de joie chez les berbères du Haut et de l’Anti-Atlas », in Hespéris, 1921, t.I, p.254.

[107] Par exemple, Desparmet «Note sur les mascarades chez les indigènes à Blida », Revue Africaine, 1908, n 270-271; WESTERMARCK Survivances païennes dans la société mahométaine, Paris : Payot, 1935; DOUTTE « La Khot’ba burlesque de la fête des Tolba au Maroc », in Recueil de mémoires et de textes publiés en l’honneur du XIVe Congrès des Orientalistes, Alger : Fontana, 1905, pp.198-201. Le mot « mascarade » est le plus fréquent, alors qu’il n’est pas tout à fait le synonyme de « carnaval ». Bakhtine souligne qu’historiquement le premier est une branche tardive et appauvrie du dernier (Problèmes de la poétique de Dostoïevski, op.cit., p.153).

[108] LAOUST E.« Noms et cérémonies des feux de joie chez les berbères du Haut et de l’Anti-Atlas », op.cit., p.253.

[109] BAKHTINE M. Problèmes de la poétique de Dostoïevski (ensuite, Dostoïevski), op.cit., p.143.

[110] Nous empruntons ce mot à WESTERMARCK E. Survivances païennes dans la civilisation mahométaine, op.cit.

[111] St.Augustin La Cité de Dieu, in L’Oeuvre, t.34, Bruges : Ed.Desclée de Brouwer, 1959, p.195. Nous tenons ici à remercier M.Nabil Farès de nous avor indiqué cette référence.

[112] Les dernières découvertes épigraphiques de Thinissut ont prouvé l’identité de Saturne et Caelestis – héritiers de Ba’al et Tanit. Elles pourront peut-être nous rensegner plus quant à l’influence des Saturnales sur le carnaval maghrébin. Voir Encyclopédie berbère, op.cit., t.XI, 1992, pp.1697-1698.

[113] « Tous les rôles étaient pleins d’obscénités. On savait ce qui plaisait à cette virginale divinité et on exhibait ce qui permettait à une femme mariée de revenir du temple plus experte », St. Augustin La Cité de Dieu, op.cit., t.33, p.399.

[114] Les nominations de douze mois du calendrier julien qui se varient d’après la région, gardent quand-même leur rassemblance avec les mots latins : Innaïr, Fourâr, Mârs, Abrîl, Mâiou, Youniou, Yoûliou, R’oucht, Ghoucht, Chotenbir, Ktoûber, Noûxanbir, Doujanbir, voir Doutté Magie et religion, op.cit., p.542.

[115] LAOUST E. « Noms et cérémonies des feux de joie», op.cit., p.257. En Petite Kabylie le carnaval était fêté à la fin d’automne, voir MARCHAND H. « Masques carnavalesques et Carnaval en Kabylie », in Recueil du 4e Congrès de la Fédération des Sociétés Savantes de l’Afrique du Nord, Rabat, 1938, t.II, p.806.

[116] Voir VAN GENNEP : « Il paraît possible d[...]identifier celui [le cycle] de Carnaval-Carème à l’une des périodes de fêtes et de licence de l’Antiquité classique ou à une période semblable de l’Afrique du Nord, comme l’Achoura des Musulmans et comme en Perse la fête du Naurouz, toutes les deux avec mascarades, cortèges et pratiques magiques”, in Le Folklore français, Paris: nouv.éd. Maisonneuve et Larose, 1998, p.742. Mais postulons du début que l’Achoura, comme toutes les autres fêtes, ne posséde pas de traits généraux : son profile se varie d’après la région.

[117] BAKHTINE M., Dostoievski, op.cit., p.145. C’est l’auteur qui souligne.

[118] Cela est confirmé par le tabou (commun avec le Noël européen) de travailler la laine, car il faut éviter à la fête de renouvellement tout ce qui pourrait « nouer » l’année nouvelle. Voir BASSET H. « Les rites du travail de la laine à Rabat », in Hespéris, 1922, t.II, 1-2e trim., p.141.

[119] WESTERMARCK E. Survivances païennes, op.cit., p.178.

[120] GIRARD R. La Violence et le Sacré, Paris : Grasset, 1978, p.182.

[121] ELIADE M. Le sacré et le profane, op.cit., p.79. Il serai intéressant de comparer la vision du temps hors temps carnavalesque de Bakhtine avec celle du Temps festif d’Eliade, ainsi que la signification que donne chacun d’eux à la notion du grand temps.

[122] MONCHICOURT Ch. «Moeurs indigènes. La fête de l’Achoura», in Revue Tunisienne, 1910, t.XVII, p.279.

[123] L’Achoura, comme on le siat, n’est pas mentionnée dans le Coran. La tradition rapporte que Mahomet, en trouvant les juifs de Médine en jeûne en souvenir du passage de la mer Rouge, a conseillé à tout musulman de souligner cet anniversaire par le jeune, par des largesses familiales et par la pratique de l’aumône. 

[124] Voir DOUTTE E. Magie et religion, op.cit., p.526.

[125] Ibid., p.497.

[126] Voir Eliade: « Cette victoire du dieu sur le Dragon doit être symboliquement répétée chaque année, car chaque année le monde doit être créé à nouveau ». Le sacré et le profane, op.cit., p.48. Voir aussi chez WESTERMARCK sur l’image carnavalisée du dragon vaincu : « Un monstre à forme de serpent, le Sat[...]a une face d’homme aggravée d’une longue barbe, le corps couvert de calicot noir et la tête de peau de mouton: le soldat qui le porte au bout d’une canne le fait danser et saluer”(Survivances païennes, op.cit., p.186).

[127] DOUTTE E. Magie et religion, op.cit., p.499. Sur l’évolution de l’image du Dragon et son dualisme dans le folklore mondaile voir PROPP V. Les Racines historiques du conte merveilleux, trad.fr. Paris : Gallimard, 1983, p.306.

[128] WESTERMARCK E. Survivances païennes, op.cit., p.180.

[129] BOULIFA S. Les Textes berbères en dialecte de l’Atlas marocain, Paris :Leroux, 1908, pp.161-162. 

[130] Rappelons que le carnaval est «un spectacle sans rampe ni division entre interprètes et spectateurs » qui ne se joue, mais « se vit »(BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., p.143).

[131] MARCHAND H. «Masques carnavalesques et Carnaval en Kabylie », op.cit., p.806.

[132] LAOUST E. « Les feux de joie chez les berbères de l’Atlas », in op.cit., p.256.

[133] MONCHICOURT Ch. «La fête de l’Achoura », op.cit., p.295.

[134] WESTERMARCK E. Survivances païennes, op.cit., p.187.

[135] MARCHAND H. « Masques carnavalesques et Carnaval en Kabylie », op.cit., pp.807-808. Ce type est encore bien conservé en 1948 au Maroc : «Un homme[...]se met au bas-ventre, comme attribut de la fécondité, un énorme tuyau de caoutchouc, simulant un phallus. Ainsi accoutré, riant lui-même et provoquant le rire tout autour de lui, cet homme terrible va être enchaîné, tiré, frappé, promené et montré partout et à tous ». PELTIER-GROBLERON J.« Le Carnaval de l’Achoûra à Ouarzazate », op.cit., p.186.

[136] Dans certaines régions la période de l’Achoura porte le nom d’Aïd el Foul, fête des fèves, voir Jacquot M. « Fêtes traditionnelles des Indigènes de l’Algérie », in Bulletin de la Société dauphinoise d’ethnologie et d’antropologie, decembre 1901, p.212. A comparer avec la tradition européenne, voir GAIGNEBET C. Le Carnaval, op.cit., p.11. Sur le caractère sacré de la fève, voir Reinach S. Cultes, mythes, religions, nouv.éd. Paris : Robert Laffont, 1996, p.49. 

[137] « Souvent, quand on représentait les enfers, on usait de la logique carnavalesque du « monde à l’envers », Bakhtine M., Dostoïevski, op.cit., p.156.

[138] Ibid., p.503.

[139] WESTERMARCK Survivances païennes, op.cit., p.185.

[140] Ce sont deux derniers instruments que jouent Rachid et Si Mokhtar à Nadhor dans Nedjma.

[141] «Au carnaval chaque confrérie possède son arme propre – arme extatique. A côté des Eunuques qui psalmodient le Livre, ne vois-tu pas les Tailladeurs qui se frappent le crâne à coup de hachettes ou qui s’enfoncent dans la chair des points de couteau ? Ne vois-tu pas les Buveurs d’eau bouillante et les Mangeurs d’épines de cactus ? Ne vois-tu pas ces fous de Dieu appeler la Nuit du Temps ? » - A.Khatibi Livre du sang, Paris : Gallimard, 1979, p.94. Les ouvrages importants sur la question: DEPONT-COPPOLANI Les Confréris religieuse musulmanes, Alger : Jourdan, 1897 ; BRUNEL R. Essai sur la confrérie religieuse des Aissaoua au Maroc, Paris : Geuthner, 1926 ; DERMENGHEM E.«Les Confréries noires en Algérie », Revue Africaine, 1953, t.XCVII, 3-4 trim, pp.314-367; JEMMA D. « Les confréries noires et le rituel de la Derdeba à Marrakech », in Libyca, 1971, t.XIX, pp.243-250.

[142] SALTANI B. Le bestiaire dans l’oeuvre de Khaïr-Eddine, op.cit., pp.80-85.

[143] Encyclopédie berbère, t.XVII, op.cit., p.2643. Rappelons que Jésus Christ est vénéré par les musulmans comme un des prophètes malgré l’opposition des orthodoxes (voir, notamment DOUTTE E. Marrakech, op.cit., p.375).

[144] Encyclopédie berbère, op.cit. t.XVII, p.2644.

[145] DOUTTE E. Magie et religion, op.cit., p.544-546.

[146] L’Africain Jean-Léon Description de l’Afrique, nouv.éd. trad.de l’italien, Paris : Adrien-Maisonneuve, 1956, t.1, p.213.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  

[147] Destaing E. « L’Ennâyer chez les Beni Snouss », Revue Africain, 1905, t.LIX, p.64.

[148] DOUTTE E. Marrakech, op.cit., p.379.

[149] BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., p.147.

[150] DOUTTE E. Magie et religion, op.cit., p.569.

[151] WESTERMARCK, Survivances païennes, op.cit., p.196.

[152] LAOUST E.« Les feux de joie chez les berbères», op.cit., p.256.

[153] LAOUST E. «Les feux de joie chez les berbères », op.cit., p.262 et BRUNEL R. Essaie sur la confrérie des Aissaoua, op.cit., p.195. 

[154] WESTERMARCK E. Survivances païennes, op.cit., p.194.

[155] LAOUST E. «Les feux de joie chez les berbères », op.cit., p.263.

[156] Ibid., p.196.

[157] Ibid.

[158] Sur le Mouloud et l’Aid el Frir voir: BOULIFA S. Textes berbères, op.cit., p.171-175; sur la fête du printemps : MASQUERAY E. Formation des cités chez les populations sédentaires de l’Algérie, Paris : Leroux, 1886, pp.37-38, YAKER-RAHMANI L.«A la rencontre du printemps», in Libyca, 1969, t.XVII, pp.333-335.

[159] «Le faux Roi des tolbas, comme Bou-Bennani de Tlemcen sont des personnages de même nature et sans dout de même origine que le Roi de la Fève du jour des Rois, le Pape des Fous du Moyen-Age, l’Evêque ou l’Abbé de la Déraison, joyeux descendants d’une lignée royale remontant au roi Saturne, dieu des semailles et de l’agriculture », LAOUST E. in « Noms et cérémonies des feux de joie chez les berbères», in op.cit., p.291.

[160] Les détails très intéressants au sujet de la prise du pouvoir par Moulay Rachid et le rôle des tolbas, accompagnés des réflexions sur les « mécanismes » de l’imaginaire populaire maghrébin, ainsi que la bibliographie abondante se trouvent dans Cenival P.« La légende du juif Ibn Méchal et la fête du Sultan des Tolbas à Fez », in Hespéris, 1925, t.V, 2e trim., p.137-218.

[161] CENIVAL P. « La légende du juif Ibn Mecha’al », op.cit., p.143.

[162] Ibid., p.143. Il est intéressant à remarquer que l’abaissement utilise le même « bas registre » du monde animalesque, comme dans la première épopée parodique greque Batrahomiomahia.

[163] Voir Bakhtine sur la logique carnavalesque de l’envers: « le récipient en guise de coiffure », Dostoïevski, op.cit., p.148.

[164] CENIVAL P. « La légende du juif Ibn Mecha’al », op. cit., p.144.

[165] Voici un exemple : «[...]O Dieu, rends victorieux celui que tu as chargé de dispenser tes bienfaits/ et que tu rends célèbre dans tes pays et tes contrées/ notre seigneur le sultan, émir des tolba notre maître,/Abou-l-ksakes [Couscous]le glorieux/ confectionné de farine et de semoule/ que Dieu accorde sa grâce à l’héritier de son royame, le sultan puissant/ que tu as fait connaître du grand et du petit/ notre seigneur et notre maître le baghrîr [crêpe à alvéoles rondes]...», cité d’après ZOUANAT Z. «Le Roi des étudiants. Un pouvoir sur scène », in Jeux de dieux, jeux de rois, Internationale de l’imaginaire, nouvelle série, n 13, Arles: Actes Sud/Babel, 2000, p.77.

[166] Cette image du temps mangé est une excellente illustration de ce temps carnavalesque que Bakhtine appelait « omnidestructeur et omnirégénérateur »(traduction est à nous, d’après l’édition russe Problemi poetiki Dostoievskogo, Moscou : Hudozhestvennaia literatura, 1979, p.210).

[167] SERVIER J. « Les rites du labour en Algérie », Journal de la Société des Africanistes, 1951, t.XXI, fasc.II, p.175.

[168] BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., p.143.

[169] Ibid.

[170] WEBSTER H. Primitive secret societies, New York, 1908, p.178. Cité par Propp V. Les racines historiques du conte merveilleux, op.cit., p.133.

[171] Voir DOUTTE E. Magie et religion, op.cit., pp.499-500. Quant au texte littéraire, lui n’est qu’un reflet indirecte de tous les trois.

[172] BOULIFA S. Textes berbères, op.cit., pp.217-218.

[173] Ibid., p.223.

[174] Léon l’Africain Déscription de l’Afrique, op.cit., t.I, p.42. En passant dans une montagne à côté de Marrakech, Léon lui-même était barbouillé d’une façon originale: «J’y ai sali le manteau blanc que je portais, suivant l’usage des étudiants de ce pays. Chaque gentilhomme avec lequel je parlais le touchait pour le regarder, si bien qu’en deux jours il était devenu comme un torchon de cuisine», p.110.

[175] DOUTTE E. En tribu, op.cit., p.78.

[176] L’Africain J.-L. Déscription de l’Afrique, op.cit., t.I, p.213, voir également BOULIFA S. Textes berbères, op.cit., p.69.

[177] Bakhtine M. L’Oeuvre de François Rabelais, op.cit., p.151 

[178] Voir Walter Ph. La mémoire du temps, op.cit., p.244.

[179] L’Africain J.-L. Description de l’Afrique, op.cit.,t.1, p.188.

[180] DOUTTE E. En tribu,op.cit., p.98.

[181] BAKHTINE M. L’Oeuvre de François Rabelais, op.cit., p.264.

[182] Rappelons que la cérémonie de mariage peut durer sept jours, dont quelques-uns sont préparatifs et portent ces noms : « jour de Pétrissage », « jour de Nettoyage », « jour de Blanchissage »(voir BOULIFA S. Textes berbères, op.cit., p.17).

[183] DOUTTE nous rapporte l’hypothèse proposé par Wetztein, que l’usage d’appeler le marié « sultan » vient probablement du Cantique des Cantique qui est un chant de noces (Marrakech, op. cit., p.331).

[184] KACI H. « Les cérémonies du mariage à Bahlil », in Hespéris, 1921, t.I, 3e trim., p.339.

[185] LE COEUR C. « Les rites de passage d’Azemmour », in Hespéris, 1933, t.XVII, p.145. « Pendant la brève durée du repas nuptial, les invités semblent pénétrer dans le royaume utopique de l’égalité et de la liberté absolues »(BAKHTINE M. Rabelais, op.cit., p.264).

[186] Ces renseignements sont pris chez TADJOURI R.« Le mariage juif à Salé »(la fête de mariage juif présente une grande analogie avec le mariage berbère, postule l’auteur), in Hespéris, 1923, t.III, 3e trim., p.400-419.

[187] LE COEUR Ch. « Les rites de passage d’Azemmour », op.cit., pp.141-142.

[188] PROPP V. Les Racines historiques, op.cit., p.140 et Les fêtes agraires russes, Paris : Maisonneuve et Larose, 1987, p.135. Propp cite entre autres le mythe d’Hercule travesti dont l’inteprétation dans le cadre carnavalesque est proposée par GAIGNEBET C. Le Carnaval, op.cit., pp.22-23. 

[189] TADJOURI R. « Le mariage juif à Salé », op.cit., p.395. Même pratique chez les Goudafi (DOUTTE E. En tribu, op.cit., p.81).

[190] Sur les parallèles avec les processions carnavalesques qui promenait de cette manière le roi déchu ou la divinité infernale en Europe, voir GAIGNEBET C., LAJOUX J.D.  Art profane et religion populaire au moyen âge, op.cit., p.220-221.

[191] KACI H. « Les cérémonies de mariage à Bahlil », op.cit., p.340. Cela est obligatoire à Azemmour aussi, voir LE COEUR C.« Les rites de passage à Azemmour », op.cit., p.141.

[192] LE COEUR, op.cit., p.142.

[193] BOULIFA S. Textes berbères, op.cit., p.19.

[194] LE COEUR, « Les rites de passage d’Azemmour », op. cit., p.145.

[195] BASSET H. Cours d’ethnographie (exemplaire dactylographié), cité par LE COEUR, op.cit., p.134.

[196] Ce détail témoigne d’une extrême ancienneté de ce rite : à l’époque archaique c’était les femmes qui amenait les circoncis dans la forêt, voir Propp Les Racines historiques, op.cit., p.139. 

[197] Ce geste est utilisé par Jean Genêt dans Les paravents, dans l’image de la prostituée Warda. 

[198] Par exemple, les fèves font partie du repas rituel avant le labour, comme pendant les funerailles, voir SERVIER J.« Les rites du labour en Algérie », op.cit., p.177 et 192.

[199] Ibid., p.181.

[200] Le même déguisement rituel lié à l’interdiction d’un procédé aux femmes, se renconte dans le sacrifice : à Tanger si une femme est absolument obligée d’égorger un animal, se place un symbole phallique entre les cuisses, voir Encyclopédie d’Islam, nouv.éd., t.II, Paris : Maisonneuve et Larose, 1965, pp.219-220.

[201] SERVIER J., op.cit., p.183. La cheville est en bois de tamaris – le bois où Isis a trouvé Osiris. Quatre parties du charrue qui entre dans le contact avec la terre forment deux couples : et si la notion de couple sembles oubliée des berberophones, le soc malgré des associations possibles est femelle, car «les regles qui régissent l’emploie du masculain et du féminin dépassent le cadre de la linguistique pour ouvrir les perspectives de la pensée symbolique d’une population», remarque l’auteur, p.184.

[202] Op.cit., pp.190.

[203] Op.cit., p.189.

[204] BASSET H. « Les rites du travail de la laine à Rabat », op.cit., p.157. Le parallélisme se manifeste en ce que celui qui commence la moisson , voir Basset, p.158.

[205] Id., p.159.

[206] Ce rite a également des analogues européens : en France au Moyen-Âge on jouait à la balle dans les églises.

[207] SERVIER J. “Les rites du labour en Algérie”, op.cit., p.179.

[208] St.AUGUSTIN De Doctrine chretienne, cité dans Doutté Marrakech, op.cit., p.323.

[209] L’AFRICAIN J.L. Déscription de l’Afrique, op.cit., p.214.

[210] Doutté E. Marrakech, op.cit., p.324.

[211] Ibid., p.325. 

[212] GIRARD R. La Violence et le Sacré, op.cit., pp.182 et 198.

[213] BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., p.147.

[214] Raïs est à l’origine un chanteur errant, dont les ancêtres sont les rhapsodes de la Grèce antique, les trouvères et les jongleurs de Moyen-Age, voir BIARNAY S.« Notes d’histoire et de littérature berbères », in Hespéris, 1925, t.V, 2e trim, p.229.

[215] Voir BOULIFA S. Textes berbères, op.cit., pp.126-127, 174-175. Voici un exemple : « O vie qui n’es formée que de déceptions!/Tu es vile comme le lion qui dévore sa progéniture!/[...]Que dois-je faire, ô ami, à la passion qui m’obsède ?/Dois-je m’élever vers les cieux ou dois-je descendre à terre ?/ [...]On ne peut aller à la chasse si on est soi-même gibier, ô ignorants», etc., p.159-161.

[216] L’AFRICAIN J.L. Déscription de l’Afrique, op.cit., p.64.

[217] DOUTTE En tribu, op.cit., p.83. Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser de l’image de la joyeuse veuve dans la nouvelle « La nuit de Noël » de Gogol, qui reçoit en une soirée trois hommes et un diable. Les nuances carnavalesque de son image sont analysés par Bakhtine dans « Rabelais et Gogol », in Esthétique et théorie du roman, Paris : Gallimard, 1978, p.475-488.

[218] DOUTTE E. En tribu, op.cit., p.80.

[219] DOUTTE E. En tribu, op.cit., pp.171-205.

[220] Cette pratique est décrite comme existante encore, surtout au Maroc et en Tunisie, chez  A.Meddeb, Talismano, Paris : Sindbad, 2e éd.revue, 1987, p.49-63.

[221] DOUTTE E. En tribu., op.cit., p.195. Les cas de semblables lapsus où nous avons affaire à la véritable carnavalisation de la langue, sont rapportés par Tylor, Civilisation primitives, 2 vol., trad. fr., Paris : C.Reinwald, 1876-1878.

[222] CHEVALIER J., GHEERBRANT A. Dictionnaire des symboles(1969). éd.revue et corr., Robert Laffont/Jupiter, 1982, p.628. Voir également Eliade M. Le mythe de l’éternel retour(1969), Paris : Gallimard, 1995.

[223] L’Africain J.-L. Description de l’Afrique, op.cit., pp.223-224.

[224] Ibid., p.224.

[225] DOUTTE E. En tribu, op.cit., p.334. Notons que de surcroit cette tribu s’identifiait aux lépreux (p.333), sur les lépreux et leurs liaisons avec le cycle carnavalesque en France, voir GAIGNEBET Le Carnaval, op.cit., pp.67-76.

[226] BASSET H. Le culte des grottes au Maroc, Alger: Carbonnel, 1920, cité selon GANDON F.     « Le thème de la «nuit de l’erreur»dans Nedjma de Kateb Yacine», op.cit., p.23.

[227] DOUTTE E. Magie et religion, op.cit., p.559.

[228] Ibid., p.561.

[229] ELIADE M. Le mythe de l’éternel retour, op.cit., p.73.

[230] WESTERMARCK E. Survivances païennes, op.cit., pp.199-205. L’analyse comparative des fêtes antiques avec le carnaval européen propose également le livre de BAROJA C.J. Carnaval(1965), trad.fr. Paris : Gallimard, 1979.

[231] WESTERMARCK, p.206. Quant aux masques, en 1970 J.-C.Musso les rencontre encore pendant l’Achoura dans un village algérien à côté de Tizi-Ouzou, «Masques de l’Achoura en Grande-Kabylie », op.cit., pp.271-276.

[232] Voir entre autre MASQUERAY E. Formation des cités chez les populations sédentaires de l’Algérie, op.cit., VAN GENNEP A. Etudes d’ethnographie algérienne, Paris, 1912 ; BERTHOLON A. « Sociologie comparée des Achéens d’Homère et de Kabyles contemporains », in Revue Tunisienne, mars 1913 .

[233] MAUNIER R. « Leçon d’ouverture d’un cours de sociologie algérienne », in Hespéris, 1922, t.II, 1-2 trim., p.109.

[234] Dans un des ouvrages sociologiques assez récents, traitant de l’Aurès algérien, l’auteur postule que « les structures traditionnelles (y compris les pratiques rituelles – I.P.) fonctionnent encore, même de façon perturbée », JEMMA-GOUZON D. Village de l’Aurès. Archives de pierres, Paris : L’Harmattan, 1989, p.20.

[235] BONN Ch. Kateb Yacine. Nedjma, Paris : PUF, 1990, p.7.

[236] Ibid.,p.8.

[237] ARNAUD J. Recherches sur la littérature maghrébine de langue française. Le cas de Kateb Yacine. Thèse de Doctorat d’Etat, Paris-III, 1978. Reprographie : Paris : L’Harmattan, 1982.

[238] In Actes du premier Congrès d’études des cultures méditerranéennes d’influence arabo-berbère. Alger : SNED, 1973.

[239] In Communication au Congrès de Littérature comparée, Aix-en-Provence, 1971.

[240] Voir Arbousset, ép.Djaïder M. Le Discours mythique dans l’œuvre romanesque de Kateb Yacine. Aix-en-Provence, 1977, 3e cycle.

[241] PROPP V. Les Racines historiques, op.cit., p.27.

[242] Ibid., p.28.

[243] Nous employons ce terme utilisé par Gilbert Durand dans ses nombreux travaux, dans le sens d’un ensemble, un réseau des mythèmes.

[244] Parmi les ouvrages relativement recents indiquons VIERNE S. Rite, roman, initiation, Grenoble : PUG , 1973 et les matérieux du colloque : L’Initiation, Actes du colloque international de Montpellier, 11-14 avril 1991. T.I : Les rites d’adolescence et les mystères ; tome II : L’acquisition d’un savoir ou d’un pouvoir. Le lieu initiatique. Parodies et pespectives, Montpellier : Université Paul Valéry, 1992.

[245] PROPP V. Les Racines historiques , op.cit., p.68.

[246] Voir, notamment, la polémique à ce sujet de Jacqueline Arnaud avec Marc Gontard in Recherches sur la littérature maghrébine, le cas de Kateb Yacine, op.cit., v.II, pp.734-737. 

[247] ARNAUD J., op.cit., p.730.

[248] Nous n’avons également aucune description de l’enlèvement de Nedjma, juste des évocations : « Je suis décidé à l’enlever moi-même, sans ton aide », dit Si Mokhtar à Rachid (p.121).

[249] PROPP V. Les Racines historiques, p.57.

[250] KATEB Y. Nedjma(1956), Paris : Seuil, 1996, p.135. Toutes les citations seront données selon cette édition.

[251] Ibid., p.69.

[252] Ibid., p.70.

[253] Le mythe d’Ulysse dans la caverne de Polyphème éxiste chez les berbères. Le personnage principale y est appellé Sidi Hamet ou Moussa, il est un des saints berbères les plus populaires du Maroc et le patron des Oulad Sidi Haùed Ou Moussa (une confrérie connue en Afrique du Nord et même en Europe du début du XXe siècle comme bouffons, acrobates et charmeurs de serpents). Polyphème y est appellé l’Ogre. E.Laoust, en nous rapportant cette légende, se pose la question sur les voies enygmatiques de l’interculturalité par lesquelles ce récit est parvenu jusqu’aux Berbères. Voir LAOUST E. “Sidi Hamet ou Moussa dans la caverne du Cyclope”, in Hespéris, 1921, t.I, pp.91-93.

[254] PROPP V. Les Racines historiques, op.cit., p.90.

[255] Ibid., p.429.

[256] Voir PROPP V., op.cit., p.70.

[257] Ibid., p.101.

[258] Ibid., p.264.

[259] Ibid., p.115.

[260] Ibid., p.179.

[261] Ibid., p. 103.

[262] A ce sujet concernant le Maghreb voir DOUTTE E. Magie et religion, op.cit., p.534.

[263] Nous entendons la même musique des instruments à cordes chez Lucien, sur l’île des Bienheureux. Sur l’importance de la musique rituelle dans le théâtre de Kateb voir Gilbert AMY “A propos d’une musique de scène pour Le cadavre encerclé, in KATEB Y. Le Cercle des représailles (1959), Paris: Seuil, 1998.

[264] PROPP V., op.cit., p.134.

[265] ARNAUD J. Recherches sur la littérature maghrébine, op.cit., p.702.

[266] Ibid., p.709.

[267] Voir PROPP, op.cit., dans le chapitre sur “Le trois fois dixième royaume”, p.372.

[268] Voir WESTERMARCK E. Survivances païennes, op.cit., p.34 et suiv. L’auteur indique que dans l’ancien Arabie les hommes d’une beauté considerable se voilaient également le visage, p.37.

[269] PROPP V., op.cit., p.49.

[270] Ibid., p.467.

[271] PROPP V. Les Racines historiques, op.cit., p.376-377.

[272] Ibid., p.395.

[273] Le style de cette phrase, qui se répète trois fois dans le passage de dix lignes, paraît venir directement des contes merveilleux de l’enfance de Kateb: c’est une incantation, une conjuration.

[274] PROPP V., op. cit., p.396.

[275] Ibid., pp.396-402.

[276] Ibid., p.471.

[277] Voir PROPP V., op.cit., p.300-301.

[278] SALTANI B. Bestiaire dans l’œuvre de Khaïr-Eddine, l’annexe, p.221. Signalons que cette conclusion est faite avant la traduction des Racines historiques en français.

[279] ARNAUD J., op.cit., p.714.

[280] PROPP, op.cit., p.81.

[281] Ibid., p.132.

[282] Ces fonctions, selon Propp, figurent à coup sûr dans les récits étyologiques des tribus primitives, voir Les Racines historiques, p.440. Le folkloriste note également que le grand ancêtre n’est jamais représenté en tant que femme, mais en tant qu’homme, ibid., p.136.

[283] Les Racines historiques, op.cit., p.474.

[284] Propp cite le livre d’Ankermann B. Die Verbreitung und Formen des Totemismus in Afrika, ZfE, 1915, Bd.47. Sur les totems des berbères à l’époque préhistorique, voir JOLEAUD L. « Animaux-Totems Nord-Africains », matérieux du Premier Congrès de la Fédération des Sociétés Savantes de l’Afrique du Nord, 10-11 juin 1935, in Revue Africaine, 1935, 1-2 trim., pp.325-348. Nous songeons également de la fête du vautour à ? ? évoquée par J.Arnaud, op.cit., p.

[285] PROPP V., op.cit., p.219.

[286] Notons que ce zoomorphisme de l’ancêtre totémique donnera probablement le motif antique et moyennageux des marques animales du roi, voir MILIN G. Le Roi Marc aux oreilles de Cheval, Genève : Droz, 1991, p.27 et suiv.

[287] Ibid., p.412.

[288] Ibid., p.192. La même raison explique l’omniprésence de Keblout dans les pensées de Si Mokhtar et Rachid.

[289] Voir PROPP V., p.328.

[290] PROPP V., op.cit., p.144.

[291] Ibid., p.146.

[292] Traduction de ce passage est à nous, d’après l’édition russe: PROPP V. Istoritcheslie korni volchebnoi skazki, Moscou: Labyrinthe, 2000, p.97.

[293] PROPP V., op.cit., p.423.

[294] Il est curieux que Rachid dans ses réflexions sous le figuier compare sa langue à “un édifice infesté de dragons”(p.133). La thématique du dragon, une figure caractéristique du mythe et aussi du carnaval maghrébin, est développée dans Le cadavre encerclé: “Le tas de cadavres demeure en vie, parcouru par une ultime vague de sang, comme un dragon foudroyé rassemblant ses forces à l’heure de l’agonie”, in Le Cercle des représailles, op.cit., p.16.

[295] PROPP V., op.cit., p.180.

[296] Ibid., p.176.

[297] Ibid., p.112.

[298] Ibid., p.348.

[299] Voir chez PROPP les témoignages des chamanes sibériens, op.cit., p.121.

[300] TIKHAIA M., citée par PROPP, op.cit., p.427.

[301] Ibid., p.120.

[302] Voir Brunel P. Essai sur la Confrérie réligieuse des Aîssâoûa au Maroc, op.cit.

[303] PROPP V., op.cit., p.120.

[304] PROPP V., p.363.

[305] Voir MARCHAND H. « Masques carnavalesques et Carnaval en Kabylie », op.cit., p.808.

[306] Voir Westermarck E. Ritual and Belief in Morocco, t.II, pp.80-86, cité daprès VAN GENNEP A. Le Folklore français, op.cit., p.788.

[307] Ce geste nous envoie au rituel d’aspersion de l’urine pratiqué pendant les fêtes carnavalesques (voir le chant de l’Achoura à Kairouan, première partie), ainsi qu’au geste de Gargantua qui arrose d’urine les parisiens dans le Livre premier.

[308] Dictionnaire des lettres françaises. Le XXe siècle, Paris : Le Livre de poche, p.696

[309] Voir DOUTTE E. Marrakech, op.cit., pp.28-31.

[310] L’été, surtout sa fin est marquée par « la vie de la société qui bat dans toute son intensité », écrit R.MAUNIER:« c’est la période des fêtes, des échanges, des réjouissements de toutes sortes», « Leçon d’ouverture d’un cours de sociologie algérienne », in Hespéris, 1922, t.II, 1-2e trim., p.100.

[311] LE COEUR Ch. « Les rites de passage d’Azemmour », op.cit., pp.134 et 136.

[312] Voir SERVIER J. «Les rites du labour en Algérie », op.cit., p.185.

[313] L’âne est une monture carnavalesque par excellence au Maghreb , comme en Europe: voir CHEVALIER J, GHEERBRANT A. Dictionnaire des symboles(1969), éd. revue et corr. Paris : Robert Laffont/Jupiter, 1982, p.41 et DOUTTE E. Magie et religion, op.cit., p.563-564.

[314] Mannhardt W. Wald-und Feldkulte, Berlin, 1875.

[315] Voir JOLEAUD L. « Animaux-Totems Nord-Africains », op.cit., p.345.

[316] DOUTTE E. Marrakech, op.cit., p.30; voir aussi VAN GENNEP Rites de passage, op.cit., p.39.

[317] Dans certaines tribus berbères le barbier était chargé de conserver les prépuces coupés salés, une coutume qui souligné encore plus la nature magique de son métier. Voir LE COEUR Ch. « Les rites de passage d’Azemmour », op.cit., p.136.

[318] Sur la figure du barbier maghrébin, voir DOUTTE Magie et religion, op.cit., p. 40.

[319] Ibid., p.500.

[320] DOUTTE E. Marrakech, op.cit., p.31.

[321] MILLIOT L. « Le qanoun des M’atqa », in Hespéris, 1922, t.II, 3e trim., pp. 198.

[322] Voir entre autres ARNAUD J. Recherches sur la littérature maghrébine de la langue française, op.cit., p. 680.

[323] BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., p.160.

[324] Avant commencer l’analyse, rappelons que le texte de Nedjma est fort hétérogène, et à côté des chapitres percés par le souffle carnavalesque il y a ceux où on a affaire à un type de discours opposé, le discours mythique qu’on a évoqué dans le chapitre précédent. L’opposition de deux modes de représentation a été constamment soulignée par Bakhtine dans tous ses ouvrages traitant de la littérature carnavalesque. Voir, notamment, « Dopolnenia i izmenenia k « Rable » (Suppléments et corrections au livre sur Rabelais) », in l’Oeuvre complète, op.cit., v.5, p.80.

[325] GONTARD M. Nedjma de Kateb Yacine. Essai sur la structure formelle du roman. Paris : L’Harmattan, 1985.

[326] BIARNAY S.  « Notes d’histoire et de littéarture berbères », in Hespéris, 1925, t.V, 2e trim, p.227.

[327] Dans son livre L’étoile d’araignée : une lecture de Nedjma de Kateb Yacine (Paris : Publisud, 1986) Kristine Aurbakken remarque justement que c’est l’espace de l’entre-deux qui est privilégié dans le roman (p.60), elle dégage soigneusement toutes les apparitions du seuil comme élément à la fois « narratif et thématique » (p.42). Mais il manque à ces remarques un concept de synthèse qui pourrait les rassembler dans une interprétation cohérente, comme notamment celui de l’espace carnavalesque de Bakhtine.

[328] BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., p.151.

[329] ARNAUD J. Recherches sur la littérature maghrébine, op.cit., p.681.

[330] A notre connaissance, M.Nabile Farès propose l’analyse de Si Mokhtar en tant que roi détroné comme exercise à ces étudaints de la première année à l’Université Stendhal de Grenoble.

[331] Voir DOUTTE sur le carnaval à Biskra : « Un indigène[...]enlève une des mah’rimât (hommes déguisées en femmes); son époux de met à sa recherche, la retrouve, puis armé d’un solide bâton fait semblant de frapper le ravisseur qui tombe à la grande joie des assistants», in Magie et religion, op.cit., p.502.

[332] « Si Abdelkader se cure les dents./ Si Salah et Si Abdelkader se regardent./ Si Mustapha parlait (mais il ne parle plus)... », p.28.

[333] Le Petit Robert, t.1, Paris : Dictionnaire Le ROBERT, 1984, p.759.

[334] DOUTTE E. Magie et religion, op.cit., p.497.

[335] Voir à ce sujet l’article de BAKHTINE « Satire », in l’Oeuvres complètes, v.5, op.cit., pp.12-13.

[336] Voir COMPAGNON A. Le Démon de la théorie, Paris : Seuil, 1998, p.44.

[337] Citons l’ouvrage classique : DEJEUX J. Djoh’a hier et aujaurd’hui, Sherbrooke(Québec) : Naaman, 1978, ainsi que l’avant-propos du même auteur au recueil de A.Moulièras Les Fouberies de Si Djeh’a, contes Kabyles, Paris : La Boîte à Documents, 1987.

[338] DEJEUX J. « Jeh’a ou la saillie(Nadira) », in Psychanalyse et le texte littéraire au Maghreb, sous la dir. de Ch.Bonn, Paris : l’Harmattan, 1991, p.107.

[339] Le bain comme lieu de cette farce magique ne nous étonne pas, puisque nous savons qu’à l’époque de Léon l’Africain les garçons d’étuves formaient une confrérie avec leurs propres coutumes et fêtes, dont l’origine se perd dans l'antiquité païenne. Une fois par an les garçons des étuves sortaient en une foule hors de la ville, accompagnés de musiciens jouant à la trompette et au fifre, d’où il amenaient un oignon de scille (probablement une plainte sacrificielle) qu’ils accrochaient à la porte de l’étuve en lui souhaitant la prospérité (Léon l’Africain Description d‘Afrique, op.cit., p.190).

[340] BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., p.137.

[341] BAKHTINE M. « O Flobere » (A propos de Flaubert), in L’Oeuvre, v.5, op.cit., p.133.

[342] Nous empruntons ce terme chez HAYMAN D. « Au-delà de  Bakhtine », op.cit., p.93.

[343] Voir la remarque de Ch.Bonn à propos du rire katebien dans l’épisode de « pèse-couille » dans Le Polygone étoilé, in Le Roman algérien de la langue française, op.cit., p.203.

[344] Sur ce genre du comique populaire qui a influencé la poétique des grandes oeuvres carnavalesques voir BAKHTINE M. L’Oeuvre de François Rabelais, op.cit., pp.419-421 et l’article « Rabelais et Gogol », in Esthétique et théorie du roman, op.cit., p.479-480.

[345] Nous avons affaire ici au regard étranger, « touristique », qui crée souvent le comisme de déscription : un certain nombre d’ouvrages ethnographiques en donnent des exemples, dont le traité de Léon l’Africain (qui est écrit quand l’auteur n’est plus musulman, mais converti en catholique). Ce type de description carnavalise (souvent inconsciemment) son objet. En parlant du climat de l’Atlas favorable à la santé et à la longévité, Léon remarque que sa fraîcheur extrême provoque la toux qui en étant une affection assez innocente, arrive à profaner l’exercice du culte: « Quand le prêtre en est à la plus belle partie de son sermont, s’il advient que quelqu’un tousse, un autre se met à tousser et ainsi de suite, si bien que tout le monde tousse presque en même temps jusqu’a la fin du sermon et qu’on part sans que personne ne l’ait entendu », Description de l’Afrique, op.cit., p.60.

[346] BAKHTINE M. L’Oeuvre de François Rabelais, op.cit., p.424.

[347] Ibid., p.18.

[348] BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., p.147.

[349] La série de reportages « Fêtant l’Aïd-el-Kebir en terre sainte » a été publiée sous le pseudonyme de Saïd Lamri durant tout le mois de novembre 1949. Voir KATEB Y. Minuit passé de douze heures, Paris : Seuil, 1999, pp.41-79. Faute de volume, nous ne pouvons pas s’y lancer.

[350] Bakhtine M. Dostoïevski, op.cit., p.135.

[351] L’analogie entre la torture de Lakhdar par l’eau du tuyau d’arrosage et « la blague » avec la bouteille du rhum que subie la bonne nous paraît très significative.

[352] Cette image sera élaborée chez Khaïr-Eddine dans Histoire d’un Bon Dieu (Paris : Seuil, 1968) où nous le verrons métamorphosé en clochard qui sens l’urine, l’alcool à brûler et le kif.

[353] Les dénominations du fou sont nombreuses au Maghreb : possédé par les démons, frappé par une force extérieure, devenu sans raison, faible d’esprit non agressif, « secoué », etc. Voir DEJEUX J. « Jen’a ou la saillie(Nadira) », op.cit., p.108.

[354] BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., p.138.

[355] Voir les entretiens du KATEB Y. Le Poète comme un boxeur, Paris : Seuil, 1994.

[356] GONTARD M. Nedjma de Kateb Yacine, op.cit., p.32. « Le cercle est pour moi fondamental », dit-il dans un interview, in Poète comme un boxeur , op.cit., p.41.

[357] KHAIR-EDDINE M. Le temps des refus. Entretiens 1966-1995. Réunis et prés. par A.Abboubi. Paris: L’Harmattin, 1998, p.27.

[358] Cette ville est connue aux européens sous le nom de Santa Cruz à partir de XV-ème siécle (Encyclopédie de l’Islam, tome V, p.1180). En berbère Agadir signifie ruine, débarras (SALTANI B. Le bestiaire dans l’oeuvre de Khaïr-Eddine, op.cit., p.40). Dans le sud du Maroc il est employé pour désigner plutôt “une casba ou une maison fortifiée”, voir sur l’étymologie du mot, qui semble être punique, Doutté E. En tribu, op.cit., pp.50-53. Ajoutons qu’en mettant Agadir en titre de son roman, Khair-Eddine ne mentionnera nulpart ce mot dans le texte.

[359] KHAIR-EDDINE Agadir (1967), Paris: Seuil, 1992. Les pages des citations sont données d’après cette édition.

[360] Remarquons que tous les fragments du “thème royale” sons présentés dans Agadir en tant que scènes théâtrales.

[361] Voir sur la symbolique de l’arbre CHEVALIER -GHEERBRANT Dictionnaire des symboles, op.cit., pp.62-68; sur le fer à cheval au Maghreb: Doutté E. Magie et réligion, op.cit., p.42.

[362] Sur les reflèts de cet évennement dans l’oeuvre de Khaïr-Eddine, voir Arnaud J. “Khaïr-Eddine, le Sudiste » in Présence Francophone, automne 1980, n 21, p.10. A noter que Khaïr-Eddine conteste l’apparténance arabe du personnage et l’attache au monde Africain.

[363] Le Petit Robert, op.cit., p.788.

[364] Voir Casenave M.(sous la dir. de) Encyclopédie des symboles; Paris: Livre de poche, 1996, p.581.

[365] Dictionnaire de l’Islam, religion et civilisation. Paris : Encyclopédie Universalis et Albin Michel, 1997, pp.195-198.

[366] Voir Doutté E. En tribu, op.cit., pp. 96-97.

[367] MUSSO J.-C.«Masques de l’Achoura en Grande-Kabylie », op.cit., p.271-272.

[368] Voir LOUIS A. Tunisie du Sud : ksars et villages de crêtes, Paris : Éditions du CNRS, 1975.

[369] Comme l’a dit Khair-Eddine dans un intervieu, il a repris l’image de bouc dans le roman omonyme de Driss Chraibi “pour designer les travailleurs qui émigrent en France”. KHAIR-EDDINE M. Le temps des refus., op.cit, p.29.

[370] Selon l’Islam, le Roi (Al-Malik) est un Nom divin “correspondant essentiellement à la fonction du jugement”. CHEVALIER J, GHEERBRANT A. Dictionnaire des symboles, op.cit., p.819.

[371] Il est intéressant de remarquer que le choix que propose le troupeau à notre personnage est celui du fameux Roi des Bois de J.G.Frazer, voir Le Rameau d’Or(1890), nouv.éd. Paris: Laffont, 1981, t.I, pp. 15-36.

[372] Bakhtine M. L’Oeuvre de François Rabelais, op.cit., p.19.

[373] Encyclopédie des symboles, op.cit., p.88.

[374] Le bouc noir (ainsi qu’un taureau noir) était préféré dans les sacrifices de fêtes agraires ou les rites de la pluie, voir Doutté E. Magie et réligion, op.cit., p.463.

[375] Voir Gaignebet C. Le Carnaval, op.cit., p.12.

[376] BAKHTINE M. Dostoïevsky, op.cit., p.155.

[377] “L’universalisme philosophique de la ménippée débauche sur une structure à trois plans: l’action et les syncrèses dialogiques nous conduisent de la terre sur l’Olympe et aux enfers”, cité d’après l’édition du Seuil, BAKHTINE M., Poétique de Dostoïevski, 1970, p.162.

[378] D’après la confession de l’auteur, cette utopie veut « dénoncer le totalitarisme et ses conséquences » : KHAIR-EDDINE M. Le temps des refus., op.cit, p.29.

[379] Voir Le TOURNEAU R. L’Histoire du Maroc moderne, Aix-en-Provence: Publications de l’Université de Provence, 1992, pp.103-106, 128-130 (nous tenons à rémércier notre directeur, M.Saltani pour nous indiquer cet ouvrage).

[380] Naga, connu dans l’antiquité sous les noms de Basilic et de Serpent royal, est un des anciens totems nord-africain, notamment, au Sud de Maroc, la patrie de l’écrivain. Voir JOLEAUD L. “Animaux-Totems Nord-Africains”, in op.cit., pp.337-338. 

[381] Ce qui vient peut-être de son oppostion à tout ce qui est “officiel”? L’Ecume des jours de Vian, comme beaucoup d’autres oeuvres vianesques, donnent exemple de formes trés variées de la derision sur la bureaucracie. Voir notre mémoire de maîtrise L’Ecume des jours de Boris Vian dans le contexte de la théorie du carnaval de Bakhtine, 1999, Paris-VIII - Moscou, Collège Universitaire Français, sous la dir. de Claude Mouchard, ch.1 et 3.

[382] KHAIR-EDDINE M. Le temps des refus. op.cit, p.60. Sur la violence commu “métacatégorie”, voir IMBERT G. “La presse et le désordre”, in Le réenchantement du monde. La métamorphose contemporaine des systèmes symboliques, Actes du colloque « Sociologies-IV », t.II, Paris : L’Harmattan, 1994, p.275.

[383] Le jeu des mots à Khair-Eddine: “L’ETRANGER: C’est étrange”(p.52). Comme remarque Doutté dans Magie et réligion, op.cit., en arabe (comme en français) les nuances sémantiques entre deux mot dévoilent la même méfiance par rapport à l’homme d’une autre culture, dont “toute innovation est hérétique,” p.49.

[384] Traduction est à nous, sélon BAKHTINE M. Problemi poetiki Distoievskogo, 2ème éd. russe, Moscou: Hudozhestvennaya literatura, 1972, p.208.

[385] La symbolique du cordon ombilical, racine par laquelle l’être humain en gestation est relié à la terre-mère (CHEVALIER-GHEERBRANDT, op.cit., p.288) est un autre leitmotif  de l’oeuvre de Khaïr-Eddine, voir par exemple Soleil arachnide (Paris: Seuil, 1969).

[386] Dans un interview Khair-Eddine a expliqué pourquoi il s’est adressé à cette figure: “Je fait apparaître Kahina pour symboliser l’émancipation de la femme et aussi pour rappeler la grandeur de l’organisation primitive chez les Berbères: il existait chez eux une véritable démocracieKHAIR-EDDINE M. Le temps des refus. Entretiens 1966-1995, op.cit, p.27.

[387] Sa figure, surtout sa liason avec la terre, est analysée chez Arnaud J. « Khair-Eddine, le sudiste », op.cit., p.13, ainsi que dans « Culture et tradition populaire dans l’oeuvre de Knaïr-Eddine », Itinéraires et contacts de cultures, Paris : L’Harmattan, v.1, 1982, p.105.

[388] Voir DOUTTE E. Magie et religion, op.cit., p.452.

[389] Sur l’histoire de Marrakech, le rôle de Youssef dans sa fondation voir Doutté E. Marrakech, op.cit., pp.227 et suiv. Sur l’empreinte contemporaine de cette ville dans l’imaginaire occidental voir l’article de Monneyron F. “L’imaginaire de Marrakech” in L’imaginaire méditerranéen, actes du colloque de Grenoble, 18-20 mars 1996, Paris: Maisonneuve et Larose, 2000, pp.94-100.

[390] Cette caractèristique de Kahina fait allusion à ses capacités divinatoires aussi bien qu’à ses appétits sexuels, voir GAUTIER E.-F. “Un passage d’Ibn Khaldoun et  du Bayan”, in Hespéris, 1924, t.IV, 3e trim., pp.307-312.

[391] BAKHTINE M. Dostoievski, op.cit, p.152-153.

[392] ARNAUD J. “Khaïr-Eddine, le sudiste”; op.cit., p.11.

[393] Encyclopédie des symboles, op.cit., p.584.

[394] Sur la puissance destructrice des images chez Khair-Eddine voir SALTANI B. Le bestiaire dans l’oeuvre de Khair-Eddine, op.cit.,p.70.

[395] Ce sentiment est connu à beaucoup d’artistes de notre «siècle malfaiteur », si on reprend l’expression de Khaïr-Eddine. Nous pensons à une des chansons du poète et chansonnier russe Vladimir Vissotski écrite aux années 70 et intitulée «l’Inquiétude ». Elle est percée de la même douleur aiguë, qui vient des capacités d’un artiste d’être susceptible à tous les malheurs humains. Ce qui est surtout curieux, ce que nous trouvons dans cette chanson les mêmes images de la faune pélagique, porteurs de ce sentiment de l’«omni-participation », que dans Agadir. Chez Vissotski il s’agit d’un dauphin éventré par hélice d’un bateau et chez Khaïr-Eddine au milieu du fameux passage «mon sang » l’héros évoque suicide des baleines(p.109).

[396] CENIVAL P. “La Légende du juif Ibn Mechal et la fête du Sultan des Tolba à Fès”, op.cit., pp.144-145.

[397] Art.“Ahmad al-Mansor”, in Encyclopédie de l’Islam, op.cit, tome I, pp.297-298 et “Al-Maghrib”, op.cit, tome V, p.1180.

[398] Si on juge d’après les entretiens, Khair-Eddine était un marxiste malgré lui: “A vrai dire, je ne m’intéresse pas au marxisme; je ne m’y intéresse pas du tout. Tout ce qui m’intéresse, c’est la poésie et la vie bien vécue”, in KHAIR-EDDINE M. Le temps des refus., op.cit, p.17.

[399] Art. “Iblis”,  in Encyclopédie de l’Islam, op.cit., tome III, p.690,

[400] Nous rémercions notre directeur M.Saltani de nous indiquer quelques signes d’identification probable.

[401] Article “Al-Maghrib”, in Encyclopédie de l’Islam, op.cit, tome V, p.1182.

[402] BAKHTINE M. Dostoievski, op.cit, p.175.

[403] Ce qui est souligné par la métamorphose du roi en chair et en os en une voix : « Le même personnage, maintenant invisible, continue de parler »(p.76).

[404] Le Petit Robert, op.cit., p.1159.

[405] Schiller F. “Sur la poésie naive et sentimental”, voir BAKHTINE M. “Satire”, commentaires, in L’Oevre, v.5, op.cit., p.408.

[406] BAKHTINE M. Dostoievski, op.cit., p.156.

[407]  Ibid., p.161.

[408] C’est lui qui a été accusé en enlèvement à Paris du leadeur-syndicaliste Ben Barka en 1967; son nom fut encore prononcé à propos de deux attentats sans succès contre Hasan II. Voir art.“Al-Maghrib”, in Encyclopédie de l’Islam, op.cit, tome V, p.1185.

[409] BAKHTINE M. Dostoievski, op.cit, p.155.

[410] CENIVAL P. “La Légende du juif Ibn Mechal et la fête du Sultan des Tolba à Fès”, op.cit., p.208.

[411] ZOUANAT Z. «Le Roi des étudiants », op.cit.,. p.79.

[412] SALTANI B. Le béstiaire dans l’oeuvre de Khaïr-Eddine, op.cit., p.80.

[413] VAHRUCHEV V. “Bahtinovedenie- osobii tip gumanitarnogo znaniya?” (Bakhtinologie – est-elle un type des sciences humaines à part?), Voprosi literaturi, 1997, n 1, p.300. 

[414] KHAIR-EDDINE M. Le temps des refus, op.cit., p.12.

[415] DOUTTE E. En tribu, op.cit., p.344.

[416] KHAIR-EDDINE M. Le temps des refus. Entretiens 1966-1995, op.cit, p.14.

[417] « cin « A la limite du rêve et de la folie »

[418] Nouveau Larousse Universel, Paris, 1949, t.2, p.741.

[419] BAKHTINE M. Dostoievski, op.cit, p.174.

[420] AZIZA C., OLIVIERI C., Sctrick R.Dictionnaire des symboles et des thèmes littéraires, Paris : Nathan, 1987, p.48.

[421] KHAIR-EDDINE M. Le temps des refus, op.cit, p.110.

[422] La même métaphorique de l’eau (et de la lumière) encadre l’épisode final au paradis dans le célébre roman sénégalais L’aventure ambigue de Cheikh Hamidou Kane, où d’ailleurs le protagoniste assasiné est aussi proclamé le roi. (Julliard, 1961), Paris: 10/18, 2000, pp.188-191.

[423] Les êtres difformes, entre autres, “constituent des parties et parcelles […] notamment de la culture du carnaval, une et indivise”. Bakhtine M. L’Oeuvre de François Rabelais, op.cit., p.12.

[424] En Europe les cordiers, comme les lépreux, appartenaient à une catégorie isolée du reste de la société. Voir Gaignebet C. Le Carnaval, op.cit., pp.65-84.

[425] Remarquons que Youssef emploie absolument les mêmes mots en parlant du peuple.

[426] Marc Gontard en parle à propos du dernier livre de Khair-Eddine Mémorial, in Le Moi étrange, Paris: l’Harmattan, 1993, p.80.

[427] BAKHTINE M. L’Oeuvre de François Rabelais, op.cit., p.29.

[428] Voir VAN GENNEP A. Les rites de passage, op.cit., p.29.

[429] Ibid., p.230.

[430] Un scénario semblable est décrit chez LE ROY LADURIE E. Le carnaval de Romans, Paris: Gallimard, 1979.

[431] BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., p.173.

[432] BAKHTINE M. L’Oeuvre de François Rabelais, op.cit., pp.34-35.

[433] Nous y voyons l’allusion parodique à la Cantique des Cantiques.

[434] GONTARD M. Le Moi étrange, op.cit., p.78.

[435] Nous empruntons cette idée à M.Saltani, notre directeur.

[436] SERVIER J. « Les rites de labour en Algérie », op.cit., p.177.

[437] Notamment, dans les chapitres 2-6 de L’Oeuvre de François Rabelais,op.cit.

[438] L’expression appartient à Vladimir Propp, dans « La réponse au professeur Lévi-Strauss », in Poétika folklora (Poétique du folklore), Moscou : Labyrinthe, 1998, p.221. 

[439] DURAND G. Introduction à la mythodologie. Mythes et société, Paris: Albin Michel, 1996, p.25.

[440] Dictionnaire des lettres françaises. Le XX siècle, Paris : Livre de Poche, 1998, p.696, ce qui d’ailleurs apparente les écrivains maghrébins à ce qu’on appelle l’avant-garde. 

[441] BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., p.158.

[442] KHATIBI A. Le roman maghrébin(1968), Rabat : SMER, 1979, p.102.

[443] Voir BAKHTINE M. Dostoïevski, op.cit., pp.139-140.

[444] Ibid., p.153.

[445] BAKHTINE, M. La poétique de Dostoievski. Op. cit, p.166.