Algérie : Nouvelles écritures



Etudes littéraires maghrébines

N°15

 

 

 

 

 


Algérie : Nouvelles écritures

Colloque international
de l’Université York, Glendon,
et de l’Université deToronto,
13-14-15-16 mai 1999

 

 

 

Sous la direction de Charles BONN, Najib REDOUANE
& Yvette BÉNAYOUN-SZMIDT

 

 

 

 

 

 

L’Harmattan


 

Etudes littéraires maghrébines

Collection dirigée par Charles Bonn

 

N° 1 : Psychanalyse et texte littéraire au Maghreb. Sous la direc­tion de Charles Bonn et Yves Baumstimler. 1992. 124 p.

N° 2 : Bibliographie critique de la littérature judéo-maghrébine. Par Guy Dugas. 1992. 96 p.

N° 3 : Ecrivains maghrébins et modernité textuelle. Sous la direction de Naget Khadda. 1994. 128 p.

N° 4 : Rachid Mimouni : L'Honneur de la Tribu. Lectures algériennes. Sous la direction de Naget Khadda. 1995. 96 p.

N° 5 : Bachir Hadj-Ali. Poétique et politique. Sous la direction de Naget Khadda. 1995. 96 p.

N° 6 : L'Interculturel. Réflexion pluridisciplinaire. Sous la direction de Mustapha Bencheikh et Christine Develotte. 1995. 224 p.

N° 7 : Littératures des Immigrations. 1)Un espace littéraire émergent. Sous la direction de Charles Bonn. 1995. 208 p.

N° 8 : Littératures des Immigrations. 2) Exils croisés. Sous la direction de Charles Bonn. 1995. 192 p.

N° 9 : Répertoire international des thèses sur les littératures maghrébines. Sous la direction de Charles Bonn. 1996. 356 p.

N° 10 : Bibliographie de la critique sur les littératures maghrébines. Sous la direction de Charles Bonn. 1996. 155 p.

N° 11 : Bibliographie Kateb Yacine. Sous la direction de Charles Bonn. 1997. 184 p.

N° 12 : Jean, Taos et Fadhma Amrouche. Relais de la voix, chaîne de l'écriture. Sous la direction de Beïda Chikhi. 1998. 190 p.

N° 13 : Cahiers Jamel-Eddine Bencheikh. Sous la direction de Christiane Achour. 1998. 232 p.

N° 14 : Paysages littéraires algériens des années 90 : Témoigner d’une tragédie ? Sous la direction de Charles Bonn et Farida Boualit. 1999. 185 p.          


 

Remerciements

Nous tenons à exprimer notre reconnaissance et notre profonde gratitude

au Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada,

à l’Ambassade de France au Canada,

au Consulat Général de France à Toronto, Services culturels

à la Fondation Canada-Israël pour les échanges académiques

au Ministère des Affaires étrangères & commerciales internationales (Canada),

à l’université York (York Ad Hoc Committee,

Bureau de la Conseillère sur le Statut des femmes,

le Centre de recherche féministe, l’École sur les Études des femmes),

et les Départements d’études françaises de Glendon-Université York,

et de l’Université de Toronto,

sans l’aide généreuse desquels nous n’aurions pas pu organiser ce colloque international.

 


Nos plus chaleureux remerciements vont aussi aux personnes suivantes :

 

Jean Mel OUBECHOU (Attaché culturel, Consulat Général de France, Toronto)

François WAKENHUT (Attaché linguistique, Consulat Général de France, Toronto)

Alain GOLDSCHLÄGER (Directeur, Fondation Canada-Israël)

Roseann RUNTE, Présidente (Victoria University)

Brian MERRILEES (Directeur, Centre Northrop Frye, Victoria University)

Janet PATERSON (Directrice, Études françaises, Université de Toronto)

Claude TATILON (Directeur, Études françaises, Université York-Glendon)

Louise LEWIN (V.P. Affaires étudiantes, Glendon-Université York)

Myriam OBADIA-HAZAN (Études françaises, Université York-Glendon)

Sylviane de ROQUEBRUNE.

 

Enfin, saluons les précieux relecteurs d’épreuves bénévoles de dernière minute : Yvette BÉNAYOUN-SZMIDT, Charles BONN, Michel LEGRAS, Claude RODA-DANIEL, ainsi que ceux et celles dont les corrections nous sont arrivées trop tard.

 

Ch. B., N. R. et Y.B-S.


 

 

 

Table des matières

              

Introduction. 9

Charles BONN, Najib REDOUANE  et Yvette BÉNAYOUN-SZMIDT.. 9

Voix de la résistance. 23

Trajectoire d’un pays, trajectoire d’une écriture : itinéraires croisés. Le cas de Rachid Mimouni 25

Mehana AMRANI, Université de Sétif 25

Roman blanc, écrit(ure) noir(e) :  « Les Agneaux du Seigneur » de Yasmina Khadra  39

Beate BURTSCHER-BECHTER, Université d’Innsbruck. 39

Les Voix de la résistance au féminin : Assia Djebar, Maïssa Bey  et Hafsa Zinaï-Koudil 51

Susan IRELAND, Grinnell College. 51

Ecrivaines de l'im/émigration, écrivaines algériennes : écritures politiques  63

Nicole BUFFARD-O’SHEA, Oakland University. 63

Le rôle de la mémoire chez quelques écrivaines algériennes de l’autre rive  75

Birgit MERTZ-BAUMGARTNER, Université d'Innsbruck. 75

Espaces littéraires problématiques. 89

Séfaradité algérienne de l’errance dans l’œuvre d’Albert Bensoussan  91

Richard AYOUN, Cátedra de Estudos Sefarditas « Alberto Benveniste » Lisbonne. 91

Féminité, masculinité,  et communauté kabyle  119

Daniela MEROLLA, Université de Leyde & INALCO, Paris. 119

L'écrivain post-colonial en France et la manipulation de la figure de l'auteur :  Chimo, Paul Smaïl, Ahmed Zitouni 131

Michel LARONDE, University of Iowa. 131

Code, camouflage et verlan : l’innovation linguistique dans « Ils disent que je suis une beurette » et « Salut cousin ! »  145

Patricia GEESEY, University of North Florida. 145

La mémoire de l’œil :  Images de l’immigration algérienne  au cinéma  157

Ida KUMMER, Collège des Nations Unies et Paris-3. 157

Ecritures algériennes en Amérique du Nord :  Les études françaises à l’époque de la mondialisation  165

Winifred WOODHULL, University of California, San Diego. 165

L’œuvre récente d’Assia Djebar. 177

Ecrire la résistance pour réécrire la vie  179

Edson ROSA DA SILVA, Université Fédérale de Rio de Janeiro. 179

De l’écriture au cinéma  189

Serge D. MENAGER, Université du Natal 189

Silences dévoilés : femme, histoire et politique dans l’écriture d’Assia Djebar  201

Vera Lucia SOARES, Universidade Federal Fluminense (Brésil) 201

Voix féminines multiples dans « Oran, langue morte » : représentation d’une (re)conquête de l’espace par les femmes  209

Mina AÏT’MBARK, The Queen’s University of Belfast 209

« Les Nuits de Strasbourg »,  ou l’entre-deux du discours romanesque maghrébin  219

Robert ELBAZ, Université de Haïfa. 219

« Les Nuits de Strasbourg »,  ou l’érotique des langues  231

Marc GONTARD, Université de Rennes 2. 231

La lumière de soi (La figure de l’auteur chez Assia Djebar)  241

Hassan WAHBI, Université d’Agadir 241

Résumés. 253

Les collaborateurs. 253


Introduction

Charles BONN, Najib REDOUANE
et Yvette BÉNAYOUN-SZMIDT
 

Un colloque décentré qui consacre la fin d’une dynamique « postcoloniale » ?

Le colloque Littératures Algériennes contemporaines : Écriture Nouvelle Écriture, qui s’est tenu à Toronto du 13 au 16 mai 1999, est le troisième volet d’un triptyque né de la prise de conscience des carences dans les recherches et les programmes d’études universitaires canadiens en ce qui concerne le vaste champ des littératures de la francophonie et notamment celles des pays du Maghreb. Ce colloque voulait donc contribuer au développement en Ontario et au Canada d’une meilleure connaissance des littératures de la francophonie hors des frontières canadiennes. Et il se situait de ce fait en continuité avec deux précédents colloques organisés à Toronto.

En effet, après les colloques sur La Traversée du français dans les signes littéraires, culturels et artistiques marocains en 1994 et sur La Traversée du français dans une Tunisie plurielle en 1996, qui ont mis en évidence les spécificités de ces littératures dans le contexte maghrébin en particulier et dans celui de la francophonie en général, il était impératif de clore le cycle avant la fin du siècle par le troisième pôle maghrébin. L’objectif majeur était de présenter les littératures de chacun des trois pays du Maghreb dans leurs spécificités.

Chacun de ces trois colloques à Toronto avait ses particularités propres. À cet égard, celui sur les littératures algériennes contemporaines demeure un événement tout spécial puisqu’il a dépassé en demandes de participation et en nombre d’inscriptions les deux précédents réunis. Outre cette portée numérique, la présence considérable d’écrivains algériens, de chercheurs, de critiques et d’étudiants est une preuve incontestable de l’existence d’un réseau international, de la collaboration précieuse entre différentes institutions universitaires et surtout entre des êtres qui ont transcendé les séparations et les distances, œuvrant avec la même conviction pour de nouvelles perspectives et méthodes d’analyse.

Ce colloque qui comportait une série de séances plénières, des tables rondes, plusieurs sessions de conférences, des rencontres avec des écrivains (Abdelkader Djemaï, Malika Mokeddem, Leïla Marouane, Réda Bensmaïa et Alek Baylee Toumi) ainsi que des spectacles théâtraux et poétiques, a permis aux professeurs, chercheurs et au grand public canadien d’échanger des réflexions, de découvrir de nouvelles œuvres littéraires et de nouveaux écrivains algériens. Il a également favorisé la rencontre de chercheurs chevronnés et de jeunes chercheurs issus de divers horizons géographiques et théoriques. Les intervenants ont été invités à centrer leurs réflexions sur la littérature algérienne contemporaine, c’est-à-dire grosso modo postérieure à la mort du Président Boumédiène en 1978, et surtout contemporaine des événements sanglants dont l’Algérie est le théâtre depuis 1988. Les sujets présentés ont offert de nombreux éléments d’appréciation et des grilles d’analyses diverses. Ce qui a contribué à apporter un éclairage plus intense sur la variété et la richesse des littératures algériennes contemporaines et sur cette Nouvelle Écriture qui marque ce corpus depuis les années 80. Par-delà les mots, cette rencontre à Toronto, dont l’étymon signifie en langue amérindienne lieu de rassemblement, a permis aux participants venus de pays et continents proches et lointains de réaliser un voyage collectif à travers le temps et l’espace à la rencontre d’hommes et de femmes qui ont façonné le fait littéraire en Algérie et la littérature du Maghreb.

Une des ambitions du colloque était d’examiner les divers aspects des littératures algériennes de langue française depuis les années 1980 selon une pluralité de perspectives. Les Actes qu’on en présente ici sont l’illustration de cette diversité, tant dans le corpus que dans les méthodes d’approche. En effet, si un nombre important de communications ont permis d’approfondir la connaissance de l’œuvre d’écrivains aussi consacrés qu’Assia Djebar ou Rachid Mimouni, ce colloque met en évidence la place de plus en plus importante qu’occupent des corpus nouveaux, comme la littérature dite « de la seconde génération » de l’émigration, ou le cinéma, ou encore les innovations linguistiques de cette même « seconde génération ». Il s’ouvre aussi à des champs plus anciens mais parfois ignorés, comme la littérature juive. Il consacre, enfin, le surgissement de chantiers nouveaux, qui à leur tour posent des problèmes intéressants de lecture, comme l’articulation entre l’écriture littéraire et l’écriture cinématographique chez Assia Djebar, ou plus généralement le statut de la littérarité lorsque l’horreur du quotidien peut faire paraître dérisoire à certains l’activité littéraire.

Enfin, que ce colloque se soit tenu à Toronto, c’est-à-dire fort loin de l’« axe » traditionnel France-Maghreb de la plupart des colloques sur la littérature maghrébine, rejoint bien la dissémination « post-moderne » pour certains, qu’on peut également décrire dans l’évolution récente d’une littérature qui ne peut plus être considérée, ni comme « émergente », ni peut-être même comme « postcoloniale ». Plus encore : ce décentrement relatif a lieu dans un état anglophone, ce qui permet aussi d’établir des distances avec une autre des dynamiques traditionnellement porteuses de ce type de manifestations : la francophonie. Et bien entendu la plupart des participants à ce colloque étaient nord-américains, c’est-à-dire non-concernés, du moins dans leur biographie personnelle, par le courant « postcolonial » si prisé comme objet d’études dans les universités américaines. Deux des dynamiques collectives les plus fréquentes lors de telles manifestations se trouvaient de ce fait mises à distance, permettant peut-être des lectures renouvelées.

 

* * *

Ce volume d’Actes ne présente qu’une partie des communications du colloque, et leur ordre n’est plus celui des ateliers dans le cadre desquels ces communications ont été dites. On n’a retenu que les textes rendant compte de l’actualité de la création algérienne. C’est-à-dire de la production littéraire postérieure à la mort du Président Boumédiène en 1978, et contemporaine donc, en grande partie, des événements sanglants à travers lesquels malheureusement l’Algérie se fait connaître depuis de trop nombreuses années. Ces communications ont ensuite été regroupées en trois ensembles :

Voix de la résistance

Plus que dans les deux pays voisins du Maghreb, la littérature en Algérie n’est presque jamais séparable d’un contexte politique particulièrement chargé et dur. Et l’Algérie est en même temps, de ces trois espaces, celui qui a toujours suscité les plus vigoureux espoirs, fait preuve de la plus grande générosité, tant parmi ses créateurs que parmi tous ceux dans le monde que ce pays fascine. La génération précédente cependant pouvait dire sa désillusion dans un discours relativement cohérent, même si littérairement sa subversion se caractérisait souvent par un éclatement généralisé des formes. La génération qui nous occupe ici est confrontée quant à elle à une perte des repères, des clés pour une explication du monde. Le contexte n’est plus seulement politiquement condamnable : il n’est même plus politique. Le sens s’est absenté, et l’écriture qui se voulait subversive, celle des « monstres sacrés » dont Rachid Boudjedra pouvait être lu comme un des prototypes en Algérie, dans la foulée plus ancienne de Kateb Yacine, n’a plus d’objet pour sa subversion. Post-modernisme, avons-nous dit plus haut ? Mort en tout cas d’une certaine modernité littéraire qui caractérisait la littérature maghrébine dans les années 70 : et si l’idée même de littérature, depuis vingt ans, avait tout simplement perdu sa signification, peut-être parce que l’horreur du quotidien s’est banalisée au point d’échapper même à tout discours cohérent ?

On peut voir un bon exemple de cette évolution vers l’in-signifiant de l’horreur dans l’itinéraire singulier d’un écrivain comme Rachid Mimouni, dont l’œuvre se confond pratiquement avec le processus qu’on suggère ici. Son itinéraire entre la contestation très littéraire encore du Fleuve détourné [1] et la brutalité du réel "tel qu'en lui-même" dans Tombéza [2], en l'espace de deux ans seulement (de 1982 à 1984) est significative. L'évolution littéraire de Mimouni illustre bien ce qu’on a pu appeler ailleurs [3] le "retour du réel" dans la littérature maghrébine des années quatre-vingt. Le regard lucide qu'il pose sur les horreurs de la société dans laquelle il vit procède cependant d'une exigence littéraire dont le modèle de Kateb n'est pas loin. Mais progressivement le réel "brut", après avoir investi de manière fort intéressante l'élaboration littéraire même dans Tombéza ou L'Honneur de la Tribu [4], vient en quelque sorte à bout de cette élaboration littéraire dans La Malédiction [5], roman qui n'est même plus politique, de même que la qualité du texte n'a plus rien à voir avec celle des précédents du même auteur. L'œuvre de Mimouni peut ainsi apparaître comme une sorte de transition entre deux envahissements de l'écriture par l'horreur, qui correspondent aussi à deux états sans commune mesure de cette dernière : celle que pointaient ses meilleurs romans était politique, celle dans laquelle s'enlise La Malédiction ne l'est même plus [6]. Le littéraire et le politique, ici, seraient-ils indissociables ? Les grands écrivains comme Mohammed Dib qui savent d'emblée se placer en-dehors de cette question sont rares en tout cas. Et ils ne sont pas ceux que l'opinion publique retient le plus, précisément parce qu'ils en deviennent atypiques.

La première étude de cet ensemble, celle de Mehanna Amrani, sera donc consacrée à la trajectoire de l’œuvre de Mimouni. Et l’on ne sera guère étonné que le critique, ici, lise en partie l’œuvre de Mimouni dans cette période à travers une familiarité récurrente de l’auteur avec la mort. Ouverture fort peu réjouissante de ce recueil, certes, mais cette mort, qui est aussi celle de la signification, qu’on vient de souligner, n’est-elle pas une caractéristique majeure de cette époque ? C’est donc dans une optique comparable, somme toute, que Beate Burtscher-Bechter analysera l’écriture blanche du roman noir chez Yasmina Khadra. On sait que les romans policiers à forte charge politique avec lesquels Yasmina Khadra est entré avec fracas dans la littérature algérienne récente en constituent aussi un des événements littéraires majeurs, et le jeu de l’auteur, dont on vient d’apprendre en l’an 2000 qu’il s’agit en fait d’un officier supérieur de l’armée, avec son pseudonyme féminin, est aussi, en un certain sens, un jeu littéraire. Pourtant Beate Bechter peut montrer ici, à partir du concept barthésien d’écriture blanche, comment Les Agneaux du seigneur, roman de cet auteur qui colle le plus avec la banalisation de l’horreur dans un village quelconque de l’Algérie en proie à un terrorisme qui n’en est même plus un, que de même que ce roman n’est plus un roman policier, son écriture, pour coller plus efficacement à l’in-signifiance de l’horreur banale qui l’habite, se débarrasse ostensiblement de tout signal de littérarité.

Si l’« engagement », tel qu’on le concevait dans les années soixante, n’a plus vraiment de sens ici, car l’adversaire alors était identifiable, et l’idéologie fournissait un cadre discursif rassurant, on préfère donc pour donner malgré tout un sens à ces textes surgis de l’horreur et collant davantage à ce référent qu’à une cohérence discursive ou littéraire, utiliser à leur propos le terme de résistance. Or ce concept, moins idéologique que celui d’engagement, moins lié à des stratégies de pouvoir, caractérise assez bien également le surgissement depuis une vingtaine d’années d’écritures féminines en Algérie, ou à propos de l’Algérie. Les femmes sont certes les premières concernées dans leur quotidien par la violence de celui-ci. Ecrivaient-elles moins avant cette dissémination du sens et cette banalisation du référent qui caractérisent ce qu’on pourrait appeler notre postmodernité ? Il est sûr en tout cas qu’elles publiaient moins lorsqu’Assia Djebar était en quelque sorte une de leurs seules voix reconnues. Mais l’attente du public qui leur permet à présent d’émerger en nombre participe en tout cas de ce retour du référent déjà signalé : comme si des écritures féminines avaient, peut-être, davantage vocation que des écritures masculines, à « coller » à l’épaisseur d’un vécu quotidien, trivial ou intime, que les lecteurs « post-modernes » recherchent davantage maintenant que la subversion formelle qui caractérisait les « monstres sacrés » à la virilité scripturale exacerbée des années soixante-dix [7].

Or cette attente n’oblitère en rien la qualité des textes. Autant que les récentes recherches d’Assia Djebar sur la pluralité des voix dont chacune de ses nouvelles œuvres se veut de manière différente un espace de croisement, et auxquelles on consacre ici une section à part, les voix de ces nouvelles écrivaines sont singulières et fécondes, qu’elles se développent sur le sol algérien ou dans l’émigration. Par contre on constate que la plupart des communications ici rassemblées les examinent par groupes avant de les étudier isolément : signe que ces écritures féminines sont encore perçues sous l’angle de l’émergence littéraire, dans laquelle le groupe est un élément dynamique important ? Dans son étude sur « Les voix de la résistance au féminin », Susan Ireland commence par nous décrire trois voix féminines dans leur rapport à l’actualité sanglante, et souligne à la suite d’Assia Djebar, incluse dans cette lecture, la dimension groupale de celles que cette dernière appelle les « nouvelles femmes d’Alger », en l’occurrence ici Maïssa Bey et Hafsa Zinaï-Koudil. Or il est intéressant de voir qu’elle établit d’emblée une comparaison avec la figure emblématique d’Antigone, symbole reconnu s’il en est de la résistance féminine à l’inhumanité d’un ordre viril. C’est également la dimension politique, des écritures féminines de l’émigration cette fois, que développe Nicole Buffard-O’Shea à travers un corpus dont l’hétérogénéité est en elle-même révélatrice de ce que la perception de ces auteures comme ensemble peut avoir d’artificiel. Pour les trois créatrices choisies ici (Nina Bouraoui, Farida Belghoul et Tassadit Imache), le qualificatif d’écrivaines de l’émigration est en effet discutable, ce que souligne le titre de la communication. Mais cette ambiguïté identitaire est bien une des dimensions subversives majeures de ces textes, que renforce l’utilisation même du langage poétique « comme instrument de réappropriation du pouvoir lié à la notion même de discours, comme l’a montré Michel Foucault. ». La même ambiguïté identitaire subversive se trouve dans la dénomination de cet ensemble d’écrivaines « de l’autre rive », Malika Mokeddem, Leïla Marouane et surtout Latifa Ben Mansour, chez qui Birgit Mertz-Baumgartner montre, enfin, que la violence du quotidien qu’elles décrivent repose grandement sur une occultation de la mémoire, collective ou culturelle, dans la constitution faussée d’une identité nationale usurpée, essentiellement virile, d’où les voix des femmes comme celle de l’histoire ou des cultures multiples de l’espace algérien ont été grandement bannies. Or « la mémoire culturelle, dit Régine Robin, est potentiellement polyphonique », et c’est bien à cette revendication féminine d’une polyphonie des voix mémorielles que l’on assiste ici.

Ces « voix de la résistance », très souvent mais pas exclusivement féminines, sont donc aussi, par-delà l’ici et maintenant d’un quotidien insupportable et amnésique, un concert polyphonique mettant en cause les définitions identitaires univoques, et terroristes de ce fait. Elles introduisent donc aussi à une réflexion sur les espaces culturels non définis encore, ou non acceptés par la doxa dominante, et qui pourtant font vaciller les définitions identitaires closes par leur rappel quotidien de leur évidence non-nommée, « sous-décrite », pour reprendre l’expression de Jacques Berque parlant des « cultures de l’immigration ». C’est à ces « espaces littéraires problématiques » que sera consacrée la seconde partie de ce volume.

Espaces littéraires problématiques

L’ensemble suivant nous amène donc à réfléchir entre autres sur la délimitation du corpus de littérature algérienne. On sait la polémique qu’avait suscitée dès les premières années de l’Indépendance la publication sous la direction d’Albert Memmi de la célèbre Anthologie des écrivains maghrébins d’expression française [8], parce que les écrivains français du Maghreb n’y figuraient pas. La question se pose aussi dès cette époque pour la littérature d’écrivains juifs du Maghreb. On connaît moins l’épisode révélateur de la langue de bois identitaire des années 70 dans lequel l’écrivain et universitaire tunisien Tawfik Baccar réussissait en 1971 le tour de force de faire une présentation de la littérature tunisienne sans citer Albert Memmi… [9]. Mais l’on sait les tensions jamais résolues autour de l’identité kabyle, ainsi que la difficile expression de la féminité dans une littérature algérienne où Assia Djebar fut longtemps une des rares femmes à écrire.

Or la littérature, particulièrement lorsqu’elle peut être considérée comme ici dans un contexte d’émergence, aussi bien littéraire que politique, joue bien entendu un rôle symbolique évident pour la production identitaire. Une identité culturelle ou politique sera d’autant plus facilement reconnue qu’elle pourra exhiber une littérature. Mais inversement l’inscription de textes littéraires dans un espace de référence problématique amène aussi à se poser la question, non seulement de leur littérarité propre, mais encore de la littérarité en général : une littérature n’est-elle pas d’autant plus facilement reconnue comme telle qu’elle s’appuie sur un espace culturel, sur une antériorité littéraire visible ? Ainsi Jacques Berque qualifiait-il l’émigration d’espace sous-décrit en littérature, et l’on sait combien la critique a eu, et a encore, de difficulté à accepter l’existence d’écritures de qualité au sein d’espaces traditionnellement décrits comme déculturés. Dès lors une littérature en rapport privilégié avec des espaces à la reconnaissance problématique permettra peut-être aussi de poser plus qu’une autre la question de la littérature, au sens de modernité littéraire : la marginalité du créateur par rapport au « discours social » n’est-elle pas, quelque part, plus visible lorsqu’elle rejoint la marginalité d’espaces culturels mal définis, enjeux contestés d’une élaboration identitaire parfois contradictoire ?

C’est donc autour de la visibilité d’espaces littéraires marginalisés ou émergents que s’organise cette section, en une époque où les dires identitaires, toujours virulents certes dans l’actualité, sont peut-être moins dominés que dans les années soixante ou soixante-dix par une raideur idéologique tournant volontiers le dos à la complexité du réel. Et s’ils nous entretiennent d’espaces littéraires encore inhabituels dans le champ de la critique littéraire à l’université, ils se situent également pour cette approche au carrefour de la critique littéraire avec d’autres sciences humaines : l’étude de la réception certes, mais aussi l’histoire, la sociologie, ou encore l’évaluation du système d’enseignement lui-même dans lequel nous fonctionnons.

Le texte de Richard Ayoun s’appuie ainsi sur une présentation de l’œuvre d’Albert Bensoussan pour replacer la culture séfarade si longtemps occultée dans une perspective historique fort érudite, qu’illustrent plusieurs textes de l’auteur traité. Et la copieuse bibliographie qu’il fournit à l’appui de son étude sera désormais le point de départ incontournable pour qui voudra analyser cet auteur essentiel. C’est quant à elle dans l’optique des « gender studies » que se situe Daniela Merolla, lorsqu’elle associe de façon assez novatrice pour un lecteur européen, la démarche générique et linguistique d’écrivaines kabyles comme Fadhma et Taos Amrouche, Djura, Laura Mouzaïa et Fettouma Touati, à leur double conscience de minoritaires, comme femmes et comme kabyles.

Michel Laronde quant à lui se place sous l’angle de la réception critique assez perverse d’écrivains « immigrés » comme Chimo, Paul Smaïl et Ahmed Zitouni, à travers la manipulation médiatique de leur figure d’« auteurs », s’opposant à leur réalité d’« écrivains ». Or cette manipulation dit bien la difficulté décrite plus haut de reconnaître ces écrivains hors-normes comme l’espace littéraire dont ils se réclament. D’ailleurs Patricia Geesey montre bien dans son étude de l’innovation linguistique dans cet espace culturel combien il s’agit là de discours non encore codés par l’institution littéraire, et pourtant tellement féconds ! Aussi les exemples qu’elle choisit sont-ils à la fois un roman, Ils disent que je suis une beurette de Soraya Nini, récemment porté au cinéma, et un film : Salut cousin !, de Merzak Allouache. C’est bien dans une transgression constante de la frontière inter-générique que s’effectue cette innovation linguistique par laquelle l’espace « beur » se forge un nouveau système de codes. Aussi ne sera-ton pas étonné si, plus que la littérature, le cinéma est un des modes d’expression privilégiés dans cette culture émergente. Au point qu’Ida Kummer peut déjà en dresser, dans le texte qui suit, un premier inventaire tout à fait convaincant. Les espaces culturels émergents posent donc plus que d’autres le problème de leur réception, non seulement par le public, mais aussi par l’institution universitaire. Ainsi, Winifred Woodhull part-elle dans la dernière étude de ce deuxième ensemble d’une approche d’écrivains algériens vivant et enseignant aux Etats-Unis comme Réda Bensmaïa et de leur thématique de l’exil, pour appliquer le concept deleuzien de « littérature mineure » à une description de la réception universitaire américaine des littératures francophones, en rapport entre autres avec le concept de « postcolonial studies » auquel Michel Laronde fait référence d’une autre manière.

Cette section du volume nous montre donc, s’il en était encore besoin, combien l’approche des textes littéraires, particulièrement lorsqu’ils sont issus d’espaces à la reconnaissance problématique, est désormais inséparable des sciences humaines, même si son compartimentage parfois rapide dans des secteurs dont l’approche littéraire n’est pas la plus pratiquée risque d’en camoufler la littérarité. Elle nous amène donc à envisager le fait littéraire, non seulement comme une rencontre entre un texte et son référent, mais aussi comme une rencontre entre texte littéraire et autres langages, et leur fécondation réciproque.

L’œuvre récente d’Assia Djebar

C’est bien d’abord comme phénomène de réception universitaire américaine qu’apparaît ici l’importance donnée dans ce colloque à l’œuvre d’Assia Djebar. Certes il s’agit de l’une des voix les plus importantes de la création algérienne depuis les années cinquante, et des plus inscrites dans l’évolution récente de l’écriture dans ce pays. Mais cette observation ne vaut-elle pas au moins autant pour un auteur majeur comme Mohammed Dib, probablement le plus grand écrivain algérien, dont les textes les plus récents peuvent être considérés comme les plus importants, et qui est totalement absent du présent ensemble ? Ou alors ce silence est-il à interpréter comme un hommage a-contrario : cette œuvre si imposante fait-elle tellement peur qu’on craint de la trahir, de ne pas être à sa hauteur ?

Plus prosaïquement on peut peut-être supposer aussi que, quelles que soient les qualités de l’écriture en perpétuelle recherche d’Assia Djebar, le fait qu’elle soit privilégiée en Amérique par rapport à d’autres écrivain(e)s s’explique aussi par des raisons non littéraires. Non seulement Assia Djebar enseigne dans une université américaine, mais de plus elle est femme, et anciennement colonisée, passée de la violence coloniale à celle de la barbarie islamiste... Elle répond donc à son corps défendant à des attentes peut-être plus prévisibles dans le système universitaire américain qu’ailleurs ?

Cependant si tel était le cas et si leur nombre n’était explicable que par ces raisons non-littéraires, les études ici rassemblées porteraient probablement davantage sur les premiers romans d’Assia Djebar, ceux précisément qui l’ont fait connaître comme l’une des rares femmes écrivant en Algérie colonisée, que sur les textes de recherche plus récents qui sont prioritairement traités ici, dans l’optique très littéraire, de plus, de cette rencontre si particulière de voix singulières et plurielles à laquelle chaque nouveau texte de l’auteure apporte des variations nouvelles et souvent inattendues. Ne peut-on pas dire de ce fait que l’œuvre récente d’Assia Djebar s’énonce depuis un point ténu et capital de jonction entre l’actualité la plus lourde et le poids de l’histoire d’une part, et d’autre part un constant renouvellement générique, pour trouver à chaque fois, dans des espaces référentiels variés et des modes d’expression divers, la parole la plus juste pour le vécu le plus intime de la violence de l’histoire ?

Et enfin, cette attitude a-priori sur la réception américaine privilégiant Assia Djebar est plus que contredite ici par le fait qu’aucun des intervenants de cette dernière section du volume n’est nord-américain ! Par contre il nous est agréable de laisser Edson Rosa da Silva, professeur à l’Université fédérale de Rio de Janeiro, ouvrir cette section en commençant par inscrire l’œuvre récente d’Assia Djebar, et plus précisément Le Blanc de l’Algérie, dans le contexte d’une actualité tragique qui dépasse même le seul cadre de ce pays meurtri, et y dégager l’écho entre elles de ces multiples voix « qui assiègent » l’écrivaine, dirait-on pour paraphraser le titre d’un autre de ses textes récents [10], et s’interroger de façon judicieuse sur la relation générique entre le texte littéraire et l’histoire : éclaté par la blessure d’une histoire sanglante, Le Blanc de l’Algérie pose en effet avec acuité la question théorique de la relation entre genre littéraire et histoire.

On retrouve cette question générique et son inscription de et dans l’histoire à travers la lecture des films d’Assia Djebar par Serge Ménager, dans leur rapport avec l’écriture. Non seulement cette communication analyse une production cinématographique encore peu étudiée par les critiques, mais il inverse de façon fort nouvelle la relation habituellement décrite du texte littéraire vers le film, pour montrer la relation inverse, particulièrement en ce qui concerne Loin de Médine, qu’on ne pourra plus lire désormais sans cette référence à l’activité de cinéaste de la romancière. Car l’œuvre d’Assia Djebar est bien d’abord un espace de rencontre de voix : celles, éternellement tues, des femmes desquelles Vera Lucia Soares récapitule ensuite comment l’œuvre récente de l’écrivaine les dévoile, ce qui lui confère une évidente dimension politique, mais permet aussi d’évaluer ce dévoilement dans la double perspective du rapport à l’histoire et de sa lecture à travers les concepts deleuziens de littérature « majeure » ou « mineure ». Cette double mise en évidence de la rencontre, dans l’œuvre d’Assia Djebar qu’on peut lire décidément comme un espace de résonance des plus féconds, se retrouve dans la lecture des nouvelles d’Oran, langue morte par Mina Aït’Mbark, laquelle tente d’y caractériser cette voix plurielle des femmes en reconquête d’espace, qui est probablement la dimension majeure de toute l’œuvre de l’écrivaine. Pluralité de voix qu’un recueil de nouvelles, par ailleurs, illustre encore plus qu’un roman.

Les Nuits de Strasbourg est avec Oran, langue morte, tous deux publiés en 1997 chez Actes Sud, le texte de création littéraire le plus récent que nous connaissions à ce jour d’Assia Djebar. Pourtant on consacre déjà ici à ce dernier roman une sorte de mini-dossier, avec les deux lectures fort différentes mais complémentaires de Robert Elbaz et de Marc Gontard. Si le premier, dans la continuité de ses recherches bien connues sur l’inachèvement du discours narratif chez les écrivains maghrébins, tente d’y caractériser les différentes paroles qui s’y croisent, leur poudroiement et leur inaboutissement, le second met en valeur ce qui, déjà présent dans d’autres textes d’Assia Djebar, semble bien devenir ici une caractéristique majeure de cette écriture qui a tant su donner voix au corps : l’érotique des langues en présence. On aura reconnu là une thématique avec laquelle nous ont déjà familiarisés d’autres écrivains maghrébins, et surtout Abdelkébir Khatibi, chantre marocain de la bi-langue et de l’aimance. C’est donc dans une ouverture logique encore une fois de l’espace comme des genres qu’on terminera ce volume avec la dérive poétique sur la figure de l’auteur dans les textes récents d’Assia Djebar que nous propose d’Agadir Hassan Wahbi, dont on connaît bien aussi les travaux sur Khatibi, précisément. Le cycle commencé à Toronto en 1994 avec un premier colloque consacré aux écritures marocaines se referme ainsi harmonieusement, de même que cette échappée marocaine à propos d’une écrivaine algérienne emblématique est aussi fusion poétique entre la lecture critique et la créativité.

 


Voix de la résistance

 


Trajectoire d’un pays, trajectoire d’une écriture : itinéraires croisés.
Le cas de Rachid Mimouni

Mehana AMRANI,
Université de Sétif

Il nous arrive souvent de transporter dans notre esprit, longtemps après la lecture d’un roman, l’écho de fragments de phrases qui se transforment, peut-être à notre issu, en un appel, un cri qui ne cesse jamais de nous hanter. La chute du roman de Rachid Mimouni L’honneur de la tribu, « Je crois que j’ai bien envie de mourir », n’a pas cessé de nous interpeller. Car, à l’évidence, l’envie de mourir est loin d’être une position banale quel que soit le mode sur lequel on tente de la décliner. Alors, s’agit-il d’une attitude philosophique ? D’un subterfuge littéraire ? Ou encore d’un ras-le-bol trivialement social ? Qu’importe ! Ce type d’énoncé par sa charge interrogative et énigmatique sollicite bien une lecture ruminante dont le philosophe Nietzsche a autrefois fait l’éloge.

Cette entrée en la matière nous permet de dire que nous avons effectivement longtemps ruminé les écrits de Mimouni, avant d’avoir à les interroger dans une démarche plus analytique. Deux fils conducteurs ont été suivis pour explorer cette œuvre : Le parallèle entre la trajectoire de l’Algérie et la trajectoire de l’écriture de l’écrivain, d’une part ; et la thématique de la mort en tant que mythe personnel permettant d’interpréter le sens des œuvres de Mimouni, d’autre part. Dans le présent travail, nous avons superposé les textes des différents romans de Mimouni afin de saisir leurs sens dans leur interrelation. C’est donc une lecture intertextuelle (une intertextualité interne) qui est ici tentée.

I/ Une littérature qui interpelle la société. Une littérature interpellée par la société

1- Une œuvre-témoignage sur quatre moments de l’histoire de la société algérienne

Quand la critique, particulièrement en Algérie, s’avise à reprocher à Rachid Mimouni la véhémence des propos de ses romans, celui-ci répond : « Mais c’est la réalité qui exagère ! ». Par cette réponse, l’écrivain laisse clairement entendre que son œuvre s’élabore à partir d’un regard sur la société algérienne. Du reste, dans toutes les interviews qu’il avait accordées à la presse algérienne, Rachid Mimouni se réclame ouvertement d’un vérisme littéraire. A la question de savoir s’il récuse la position de l’historien Mohamed Harbi qui considère que ses romans mettent en scène en quelque sorte l’histoire présente de l’Algérie et que ses textes serviront de témoignage, Rachid Mimouni répond :

Ah non ! Absolument pas puisque je crois que Harbi a tout à fait raison. Je conçois le rôle de l’écrivain comme un rôle de conscience. L’écrivain comme disait Mouloud Mammeri a un pouvoir de vérité. Il doit dire les choses telles qu’elles sont et non pas telles qu’on aimerait. Par conséquent je crois que l’écrivain a le devoir de dénoncer, de mettre le doigt sur la plaie, de dire ce qui ne va pas et ça c’est son devoir de conscience, son devoir de vérité. Mais il a aussi, pour reprendre l’expression de Harbi, un devoir de témoin et je suis tout à fait d’accord avec cette acception de l’écrivain, c’est qu’il doit effectivement donner une image d’un moment donné, c’est assez souvent un historien du présent. C’est quelqu’un qui décrit et ce sont des témoignages dont on aura toujours besoin par la suite. [11]

Cette formule « historien du présent » peut être vérifiée et confortée par la lecture des romans de Mimouni. Ceux-ci prennent en charge et interpellent quatre moments de l’histoire de l’Algérie. Le Printemps n’en sera que plus beau qui ouvre le cycle romanesque de Rachid Mimouni couvre la période de la guerre de libération. Un référent historique, « aujourd’hui, un peuple en liesse est descendu dans les rues fêter sa liberté enfin retrouvée » [12], clôt le récit et permet en même temps de délimiter la période que le roman prend en charge. Le récit s’achève donc en 1962, au moment de l’indépendance. UnePaix à vivre, deuxième roman de Mimouni, mais paru après Le Fleuve détourné en raison de la situation de l’édition en Algérie à l’époque (roman, du reste, largement mutilé selon l’auteur), s’intéresse aux premières années de l’indépendance à travers le récit de jeunes normaliens en butte à la rude tâche de réapprendre à vivre la paix. Le Fleuve détourné pointe une temporalité plus longue qui peut s’étaler sur toute la période des années 60 et 70. Cependant, un indice dans le roman suggère que le récit s’achève à la fin de l’année 1978. L’excipit du roman ne justifie-t-il pas une telle interprétation, sinon que viendrait faire la mort de Staline dans un récit qui interpelle une réalité algérienne de l’après indépendance ?

Aux premières lueurs du jour, un homme aux allures furtives est venu nous annoncer la mort de Staline, la fin du cauchemar et l’aube d’une ère nouvelle. [13]

Cette explication corrobore d’ailleurs la réponse de Mimouni quand il a été questionné sur la fin de son roman Le Fleuve détourné pour savoir s’il ne s’agit pas d’une deuxième mort de Staline :

Quand Staline est mort le système politique en URSS lui a longtemps survécu. Ce système est peut-être en train de mourir avec les initiatives de Gorbatchev actuellement. Je crois que l’on peut faire, peut-être, le même raisonnement pour ce qui nous concerne. [14]

La mort de Staline dans Le Fleuve détourné ne fait-elle pas de ce fait allusion à la mort de Boumediène en décembre 1978 ? Tombéza et L’Honneur de la tribu peuvent aussi bien s’appliquer aux années 60 et 70 qu’aux années 80 car les référents sociaux et politiques, utilisés dans ces romans de manière massive, sont ceux de tout le système politique issu de l’indépendance et qui a perduré au-delà des changements de présidents et de gouvernements. La Malédiction est un roman directement inscrit dans l’actualité dramatique vécue à Alger en 1991. Des événements réels sont romancés comme la prise de l’hôpital Mustapha à Alger par les islamistes. Il faut peut-être mettre à part le roman Une Peine à vivre qui s’élabore du lieu d’une république bananière.

Le premier moment historique, celui de la guerre de libération, est quelque peu positivé. Cependant, il est dépourvu de tout l’esprit cocardier dont parle Mostefa Lacheraf à propos du roman maghrébin. [15] Le deuxième moment laisse déjà entrevoir, parfois nettement comme dans l’excipit du roman Une paix à vivre, le désenchantement. Le troisième moment de l’histoire est celui de la mise au pas global de la société et sa destruction y compris dans la topographie des lieux. Le quatrième moment est celui de la plongée dans le drame, le fratricide (Kader, le médecin tué par son frère islamiste, symbolise bien cette époque). Si ces quatre époques historiques, qui évoquent la trajectoire du pays depuis la guerre de Libération jusqu’à l’émergence de la crise profonde que nous vivons, se détachent nettement dans l’œuvre de Mimouni interrogée dans sa globalité, il est, néanmoins, possible de les lire dans la perspective d’un processus historique unique. Une telle démarche est d’ailleurs plausible dans la mesure où tous les romans de Mimouni ont en commun leur évocation, sur le mode d’un flash-back itératif, d’un temps historique de référence, celui de la guerre de libération. Aussi l’analepse fonctionne-t-elle largement dans toute l’œuvre de cet écrivain. La trajectoire du pays telle que perçue par l’œuvre de Mimouni se caractérise par une évolution catastrophique. Le scénario-catastrophe est attesté par le fait que l’espoir né de la guerre de Libération se transforme, quelques années après l’indépendance, en drame. Une littérature qui témoigne d’une telle trajectoire dramatique du pays ne va-t-elle pas, elle aussi, se transformer à l’épreuve de l’évolution de la société ? Il faudrait donc voir dans quelle mesure la littérature de Mimouni se transforme.

2- L’évolution de l’écriture de Mimouni

Certes, d’autres données que celles liées à l’évolution de la société algérienne sont à l’origine de l’évolution de l’écriture de Mimouni, telles que le passage de l’écrivain d’une période d’apprentissage et d’imitation à la maturation, ou le choix d’un éditeur parisien après l’expérience malheureuse de la publication de ses premiers romans en Algérie… On peut, en effet, penser que la censure a largement joué dans le ton global des premiers romans de Mimouni où son propos semble retenu et comme étouffé. Il est aussi possible d’observer que, libéré de la censure en publiant ses romans en France, l’écrivain a adopté un nouveau ton, particulièrement acerbe. Cependant, dans la mesure où nous avons affaire à une littérature de témoignage, il est difficile de ne pas voir de liens entre l’évolution de la société et la transformation de l’écriture de Mimouni. Quoiqu’il en soit, nous avons pris en compte six indicateurs pour fixer les transformations opérées dans l’écriture de Mimouni : Les titres des romans, les personnages, la structuration des récits, les espaces des récits, le ton de la contestation et de la révolte, et enfin les thématiques.

2.1. Les titres : Du Printemps à La Malédiction.

La mise en vis-à-vis des titres des romans de Mimouni est une démarche qui nous paraît particulièrement fructueuse car les titres donnent l’impression de s’appeler et se répondre. Le titre Le Printemps n’en sera que plus beau – tout un programme, un beau programme – ne rencontre, au terme d’une véritable descente aux enfers, que La Malédiction, titre du dernier roman de Mimouni. Ainsi, à la bisémie, joie et liberté, du premier titre, répond, en écho, la bisémie, drame et malheur, du dernier titre. Dans l’intervalle entre son premier et son dernier roman, Mimouni, à travers les titres de ses autres romans, nous donne à lire un parcours initiatique éprouvant et douloureux. Le titre Une Paix à vivre qu’il faut lire dans une perspective intertextuelle avec le contenu du roman qu’il coiffe mais aussi avec le premier roman de l’auteur, délivre, au-delà de la formulation presque anodine de cet énoncé, un non-dit que nous proposons de formuler sous forme d’une interrogation : la paix est-elle facile à vivre ? A travers la mort du personnage principal, le jeune Djabri – une mort presque souhaitée – Mimouni répond à cette terrible interrogation – de manière implicite il va sans dire – par une position non moins terrible : il est difficile de vivre la paix. Si l’on veut creuser davantage cette question et superposer les textes du premier et du second roman, on arrive à dégager l’idée suivante : il est plus facile de vivre la guerre que la paix. Cette position terrible nous rappelle un constat prémonitoire de Kateb Yacine livré en 1986 soit deux années avant les émeutes d’octobre 1988 :

Si, maintenant nous laissons l’oppression et l’hypocrisie s’installer, les algériens de demain hériteront d’une Algérie pire que celle que nous avons connue au temps du colonialisme et à ce moment-là, il n’aura servi à rien ni de vivre, ni d’écrire. [16]

Le Fleuve détourné est un titre allégorique qui suggère l’idée de la déstructuration de toute la société sur le plan des mentalités, des comportements quotidiens et même de la topographie. Le Fleuve détourné peut être relié au titre de Une Paix à vivre. Car le fleuve est le lieu où coule l’eau. Or, l’eau est source de toute vie. Et c’est tout le sens de la vie qui se trouve justement ébranlé dans ce roman. Avec Tombéza, l’étrangeté du nom achève de défigurer la société dans son ensemble. Tout est sens dessus dessous. L’Honneur de la tribu sonne comme une interrogation, pour peu qu’on mette ce titre en rapport avec les autres romans : reste-t-il à cette société façonnée, à son corps défendant, d’une drôle de manière, assez d’honneur pour survivre ? Mais, « Les racines sont toujours vivaces. Vois les pousses qui prennent. Survivront-elles ? » [17] Une Peine à vivre est un titre qui répond au titre UnePaix à vivre. La paix se transforme en peine. Si Une Peine à vivre est un roman qui parle du lieu d’une république bananière, le rapport avec l’Algérie n’est, néanmoins, pas totalement absent. A notre sens, ce roman sonne comme un avertissement : attention, le pays pourrait se transformer en république bananière où chacun aura de la peine à vivre même s’il était Maréchalissime. Enfin La malédiction couronne la suite des titres pour répondre aux promesses du printemps du premier roman de Mimouni.

2.2. Les personnages : les personnages négatifs remplacent les personnages positifs.

Il est intéressant de voir la variation des types des personnages principaux de Mimouni. Une évolution est enregistrée entre les premiers et derniers romans de l’auteur.

Dans les trois premiers romans, le personnage principal est positif. Si dans les deux premiers romans, la société se montre bienveillante vis-à-vis des personnages de Hamid, Djamila, Malek, Si Hassen et Djabri, dans Le Fleuve détourné, le personnage principal – qui n’est pas nommé – rencontre une hostilité ouvertement déclarée, bien qu’il soit un ancien maquisard. C’est que, entre temps, l’environnement social aura été totalement et négativement changé.

Avec Tombéza, la société est entrevue à travers des personnages monstrueux, totalement négatifs, de vrais forbans. La même remarque s’applique au personnage de Omar El Mabrouk de L’Honneur de la tribu et du Maréchalissime de Une Peine à vivre. Cependant, l’écrivain n’accable pas ces personnages mais les considère eux aussi comme des victimes d’un ordre social dont ils ne sont que les pantins. Le recours à des personnages totalement négatifs, après avoir privilégié des personnages positifs, donne le ton à l’évolution suicidaire de la société. Car celle-ci, après avoir confié son destin à des personnages positifs, a changé d’orientation en mettant son sort aux mains de véritables crapules.

2.3. La structuration des récits : De l’influence katébienne à la recherche d’une voie personnelle.

Le premier roman de Mimouni porte la marque trop visible, trop manifeste de l’influence de Nedjma de Kateb Yacine. Les soliloques alternés des personnages de Le Printemps n’en sera que plus beau semblent largement répondre en écho à ceux des personnages de Nedjma. L’expérimentation d’une écriture en spirale, où début et fin du récit se ressemblent, est également empruntée.

Une Paix à vivre adopte les atouts d’un roman classique dans sa structuration linéaire.

A partir du roman Le Fleuve détourné, Mimouni recourt à une structuration plus complexe à travers l’alternance entre deux récits : l’un individuel du personnage principal et le second collectif des personnages pensionnaires du camp, espace du déroulement d’une grande partie de la fiction. Une passerelle est jetée entre les deux récits puisque le personnage principal, mis en valeur comme un cas typique à travers un récit personnel, fait aussi partie du groupe des pensionnaires du camp et partage leur situation. Le récit personnel, qui fixe le parcours de l’ancien maquisard, fonctionne sur le mode de la technique cinématographique du gros plan.

Tombéza, L’Honneur de la tribu, Une Peine à vivre et La Malédiction adoptent une autre stratégie d’écriture dans la mesure où la narration prend plus d’espace. L’analepse fonctionne massivement puisque au soir de leurs vies les narrateurs reviennent sur leurs itinéraires qui s’entrecroisent avec la trajectoire du pays.

2.4. Les espaces des récits. La prédominance des espaces clos.

Les fictions des romans de Mimouni, à l’exception notable du premier roman, se déroulent dans des espaces clos. Dans Une paix à vivre le récit a pour espace l’école normale. Dans Le Fleuve détourné le camp est l’espace dominant. Les fictions de Tombéza et La Malédiction ont pour lieux un hôpital. Le récit de Une Peine à vivre a pour espace le palais d’un dictateur, véritable pétaudière où s’exerce le pouvoir personnel, l’intrigue et l’arbitraire. L’Honneur de la tribu a pour théâtre un village isolé. Par rapport au monde moderne le village de Zitouna est un espace clos. En somme, l’écrivain Mimouni a manifestement une prédilection pour les espaces clos. Ce sont de tels espaces qui contribuent à la dramatisation des récits car ils offrent peu de liberté de mouvements aux personnages. En fait, ces espaces clos dramatisent d’autant plus les récits qu’ils jouent sur une ambivalence remarquable. L’hôpital dans Tombéza et La Malédiction fonctionne sur la bisémie vie/mort. L’école normale de Une Paix à vivre se décline sur le mode du couple savoir/conditionnement militant. Le palais du Maréchalissime offre la double image du faste et de son revers, la terreur. Le village de Zitouna dans L’Honneur de la tribu est coincé quelque part entre le repli sur soi et l’ouverture forcée sur le monde moderne.

Si dans Le Printemps n’en sera que plus beau l’espace urbain des villes d’Alger et d’Oran permet l’ouverture sur la liberté, le grand air, tous les autres romans de Mimouni suggèrent, à travers la dominance des espaces clos, l’idée de l’enfermement de la société sur elle-même… Tout se passe comme si, une fois l’indépendance acquise, le pays s’était recroquevillé sur lui-même.

2.5. Le ton de la contestation et de la révolte.

A l’état velléitaire dans Le Printemps n’en sera que plus beau et Une Paix à vivre, par moments assez visible dans le deuxième roman, la dimension de la contestation et de la révolte éclate littéralement à partir du roman Le Fleuve détourné. Le propos prend alors un ton ouvertement acerbe à travers le vocabulaire employé, les scènes décrites.

A une écriture plutôt pudique et ténue dans les deux premiers romans, succède une écriture véhémente à partir du Fleuve détourné qui déborde furieusement. Dans ce roman, certains passages caractérisés par un délire sexuel incestueux ne sont pas sans rappeler les écrits [18] de Georges Bataille. Tout se passe comme si Mimouni, après avoir donné un sursis à la société algérienne dans les deux premiers romans, s’était mis en devoir de dénoncer dès le troisième. Ensuite, l’actualité dramatique du pays l’ayant conforté dans sa démarche de mise à nu de la réalité sociale, l’écrivain lâche totalement les brides dans les romans suivants.

2.6. Evolution de la thématique de l’écrivain : les thèmes du viol, de l’inceste et de la bâtardise font leur apparition.

C’est à partir du troisième roman que Mimouni commence à évoquer des thèmes dérangeants pour la situation politique de l’époque. La falsification de l’histoire, la déstructuration de la société, les questions du pouvoir, le statut de la femme et de la jeunesse… sont des thèmes qui font leur apparition. Dès lors, la question fondamentale du pouvoir prend un relief très accentué dans les autres romans de Mimouni. Avec Tombéza, puis L’Honneur de la tribu, les thèmes du viol, de l’inceste et de la bâtardise sont interrogés.

Pris dans l’exigence de l’écriture de l’urgence, La Malédiction pointe l’actualité brûlante du pays à l’orée des années 90 avec la montée en puissance de l’islamisme. Le thème du suicide collectif est nettement suggéré par ce roman. Une Peine à vivre offre une véritable radioscopie du pouvoir dictatorial d’une république bananière. Ce thème est envisagé en rapport avec la question de l’amour.

En résumé, sur le plan thématique nous pouvons dire que l’écriture de Mimouni a largement évolué puisque, après avoir traité de thèmes récurrents dans la littérature algérienne – le thème de la guerre de Libération par exemple –, l’écrivain s’est mis à questionner des sujets plus sensibles, plus actuels et qui mettent surtout en cause la nature du pouvoir.

II/ Le mythe personnel de Mimouni : la mort, la révolte et la contestation

En accompagnant la trajectoire de l’Algérie de la période de la guerre de libération jusqu’à la montée de l’islamisme dans les années 90, l’écriture de Mimouni s’est transformée dans sa structuration, sa thématique, le choix des personnages et le ton global de son propos.

Progressivement, elle s’est muée en une littérature de la contestation et de la révolte. Cette dimension, peut-être essentielle dans l’œuvre de Mimouni, nous proposons de l’appréhender à travers le thème de la mort. Cette thématique constitue, ce nous semble, une clé tout indiquée pour explorer l’œuvre de Mimouni. Cette idée de clé pour ouvrir le sens d’une œuvre est suggérée par l’écrivain italien Alberto Moravia :

Chaque écrivain a une clé pour ouvrir la porte de la réalité, la clé de Balzac c’est l’argent, à travers l’argent, il réussit à décrire l’amour, la société, la politique etc. La clé de Dostoïevski est l’homicide, il y a vraiment chez lui une vision de l’homicide comme clé pour comprendre le réel. La clé de Conrad pour tout le reste, c’est la mer. Dans mon cas, j’ai une clé qui est le sexe. Mais cette clé me fait comprendre la politique, la société, tout en somme. » [19]

En fait cette idée de clé renvoie à la notion du mythe personnel forgée autrefois par Charles Mauron. La notion, du reste, semble pertinente pour interroger la thématique de la mort chez Mimouni, qui par son caractère itératif dans toute son œuvre, nouvelles y-compris, revient et intervient de manière obsessionnelle.

1. Chutes de textes, chutes de vies

C’est un fait hautement significatif que de repérer chez Mimouni la récurrence de la thématique de la mort. L’écrivain envoie volontiers ses personnages ad patres. Hamid et Djamila, les héros du Printemps n’en sera que plus beau, sont tués par les soldats. Djabri, le jeune personnage de Une Paix à vivre, atteint de leucémie, est promis à une mort imminente, après avoir perdu ses quatre sœurs emportées par la maladie et assisté à la mort de ses parents déchiquetés par une bombe. Dans Le Fleuve détourné, le personnage principal est en butte à une mort civile, plus terrible que la mort physique. Dans La Malédiction, Palsec, le gavroche algérois est tué par une balle perdue, Kader le héros du roman est assassiné par son frère, alors que son amie Louiza n’est pas sûre de pouvoir se remettre à vivre. Dans L’Honneur de la tribu, la mort est au rendez-vous à plusieurs reprises et le narrateur lui-même désire tirer sa révérence au terme de son récit. Tombéza, devenu valétudinaire, revit son passé au soir de sa vie dans un débarras d’hôpital. Le Maréchalissime déroule, dans Une peine à vivre, le film de sa vie face au peloton d’exécution.

Ces fins exemplaires le sont d’autant plus qu’elles sont souhaitées par les victimes.

2. La valorisation de la mort : un hymne à la vie

Il faudrait ici insister : la mort chez Mimouni est explicitement valorisée. Elle est magnifiée, presque célébrée. Car, invariablement, d’un roman à un autre, les personnages ne sont point tristes de quitter la vie. Au contraire, ils ressentent une délivrance, un soulagement, la fin du calvaire. Ils sont plutôt heureux de quitter la vie-enfer.

Voici ce que ressent Djabri, dans Une paix à vivre devant l’imminence de la mort :

Il sentit toute l’amicale tendresse de cette mort qui viendrait le saisir pendant son sommeil. Il sut que désormais il allait employer chacune de ses journées comme si ce devait être la dernière. Et il comprit brusquement que la promesse de cette mort prochaine le libérait de toutes ses frayeurs, de toutes ses timidités et qu’elle seule enfin était parvenue à exorciser tous les démons de son enfance. Il comprit aussi qu’il allait pleinement vivre le temps qu’il lui restait, qu’il saurait jouir de chaque instant, de chaque minute qui passerait et que cela valait bien toute une vie. Il se laissa gagner par le grand vide qui envahissait son être, fit le silence en lui, il s’ouvrit à la conscience du monde. Pour la première fois enfin, il se sentit pleinement heureux, à l’abri de toute atteinte des hommes et du sort. [20]

Tombéza lui aussi n’est pas mécontent de mourir :

Une joyeuse férocité dégouline du sourire de Batoul. Tu peux rigoler, sombre crapule, je n’ai pas peur de la mort. Dans l’état où je suis, c’est encore ce qui peut m’arriver de mieux. J’ai vécu sans vergogne, et je crèverai sans drame, sinon sans remords. [21]

Le narrateur de L’Honneur de la tribu exprime son désir de quitter le monde à la fin de son récit :

Si tu veux bien me soutenir, j’irai marcher un peu dans les champs et respirer l’odeur de l’herbe. Ce récit a réveillé mes souvenirs de jeunesse… Bien longtemps… Je crois bien que j’ai envie de mourir. [22]

Dans La Malédiction, Louiza, après la mort de son ami Kader assassiné par son frère, paraît désemparée sur le choix à faire entre la vie-enfer et la mort-délivrance :

Aurait-elle désormais le courage de recommencer à vivre comme autrefois ? Serait-elle seulement capable d’accomplir les gestes quotidiens les plus banals, se laver, s’habiller, acheter du pain, faire la vaisselle ? Revenue dans la grande maison de son enfance, Louiza se sent de nouveau seule au monde. Aura-t-elle la force de survivre ? [23]

Tout heureux de quitter la vie est également le Maréchalissime de Une peine à vivre :

En fait, je ne suis pas mécontent d’en finir avec la vie. Mes couilles ne me démangeront plus. Je ne sentirais plus cette odeur du tabac qui n’a jamais cessé, sauf à de rares instants, d’empuantir mon haleine et d’imprégner ma salive d’amertume. Je vais enfin me reposer…. Quelle vie ! Face aux fusils qui menacent ma poitrine, j’ai toujours envie de dégueuler. Peut-être réussirai-je enfin à évacuer cette masse visqueuse qui encombre mes entrailles ? Non, ce n’est pas l’imminence de la mort qui dérange mes boyaux. Je ne ressens en ce moment qu’une indifférence mâtinée de lassitude. Je n’éprouve que mépris pour la vie, et les êtres que j’ai sacrifiés, innocents ou coupables, n’ont jamais troublé ma conscience. Et, aujourd’hui, l’idée de ma propre fin ne parvient pas à m’émouvoir. [24]

Cela peut paraître paradoxal, mais la valorisation de la mort chez Mimouni ne participe pas d’une concession faite au morbide ou à l’esprit cocardier. Ce n’est pas un attentat contre la vie. Elle prend plutôt la résonance assourdissante d’un véritable cri de révolte contre une vie impossible, une vie-cauchemar. Ces personnages qui accueillent la mort avec bienveillance n’expriment pas, par ce comportement, une farouche témérité, mais c’est parce la vie les a atteints dans leur dignité, dans leur naissance, dans leur sort, dans leur chair… qu’ils désirent quitter le monde qui les a humiliés. La signification des excipits des romans de Mimouni, où les personnages n’éprouvent aucun regret à mourir, doit donc être cherchée dans les itinéraires douloureux des personnages. S’ils souhaitent mourir, c’est parce qu’ils ont souffert au-delà de l’indicible. Cette mort désirée sonne comme une protestation parfaitement audible contre une certaine vie, une vie d’enfer telle que décrite dans les romans de Mimouni. Mais le désir de répudier cette vie-enfer cache aussi la nostalgie d’une autre vie. En somme la valorisation de la mort chez Mimouni est un hymne à la vie car elle est quête d’une autre vie, d’un autre espace, d’un autre monde. Nous comprenons alors pourquoi les habitants de Zitouna, dans L’Honneur de la tribu, rêvent de « la vallée heureuse ».

Ces vies qui s’achèvent sans gloire relèvent aussi du sentiment de l’absurde, autre dimension fondamentale dans l’œuvre de Mimouni. Contrairement à ce qu’il est chez les écrivains existentialistes, l’absurde chez Mimouni n’est pas le produit d’une méditation philosophique sur le sens/non-sens de l’existence prise dans l’absolu. Le sentiment de l’absurde se construit ici à la suite d’une expérience sociale vécue toujours dans l’épreuve et la douleur. C’est pourquoi nous avons parlé de l’absurde contingent. Le personnage du roman Le fleuve détourné fait l’expérience de l’absurdité du monde, à son retour dans son village natal, quand il découvre que son nom est inscrit sur le monument aux morts. L’absurde, c’est de construire un pont qui n’enjambe nul cours d’eau. L’absurde, c’est de demander, avec insistance, à un homme bien vivant de se considérer comme mort. L’absurde, c’est d’offrir l’occasion à un simple portier dans un hôpital de gérer l’établissement. L’absurde, c’est de nommer des édiles analphabètes pour s’occuper des affaires de la cité. Et les exemples foisonnent tout au long de l’œuvre de Mimouni.

Conclusion

Par son vérisme littéraire, Rachid Mimouni constitue un cas exemplaire par rapport aux autres écrivains algériens. Jamais une œuvre d’un auteur algérien ne s’est efforcée de coller de si près à la réalité du pays ; réalité interrogée à travers quatre étapes de sa trajectoire historique. Œuvre-témoignage, la littérature de Mimouni l’est assurément. Mais cet aspect documentaire, souvent et injustement décrié, ne doit pas reléguer au second plan la dimension du questionnement philosophique auquel nous convie l’œuvre. La prise en charge sur un mode tautologique et obsessionnel de la thématique de la mort et sa valorisation – en dépit du sens commun qui n’est pas forcément en littérature le bon sens – est la clé qu’affectionne particulièrement Mimouni pour interroger le destin collectif. Et si le sentiment prégnant qui se dégage de l’œuvre demeure celui de la désillusion, du désenchantement, voire du pessimisme profond qui confine au tragique des grandes œuvres universelles, il n’est que le prix à payer à une lucidité, aiguisée nous semble-t-il jusqu’au tourment. Mais ce chagrin, qui naît du sentiment de l’absurde, est peut-être celui du pessimisme de l’intelligence. En cela, Mimouni reste très actuel. Preuve que la littérature documentaire, loin d’être un genre mineur, pose des questions essentielles à la société.

Bibliographie

BATAILLE, Georges, Ma Mère, Paris, Union Générale d’Editions, 1983.

DEJEUX, Jean, Culture algérienne dans les textes, Alger, ENAL, 1978.

GAFAITI, Hafid, Kateb Yacine. Un homme, une œuvre, un pays, Alger, Laphomic, 1986.

MIMOUNI, Rachid, Le Printemps n’en sera que plus beau, Alger, ENAL, 1978.

MIMOUNI, Rachid, Une Paix à vivre, Alger, ENAL, 1983.

MIMOUNI, Rachid, Le Fleuve détourné, Alger, Laphomic, 1986.

MIMOUNI, Rachid, Tombéza, Alger, Laphomic, 1985.

MIMOUNI, Rachid, L’Honneur de la tribu, Alger, Laphomic, 1990.

MIMOUNI, Rachid, Une Peine à vivre, Paris, Stock, 1993.

MIMOUNI, Rachid, La Malédiction, Alger, EAP, 1993.

NIETZSCHE, F. Par-delà le bien et le mal, Réédition : Paris, Union Générale d’Editions, 1973.


Roman [C1] blanc, écrit(ure) noir(e) :
« Les Agneaux du Seigneur » de Yasmina Khadra

Beate BURTSCHER-BECHTER,
Université d’Innsbruck

Après cinq romans noirs parus entre 1990 et 1998, [25] Yasmina Khadra a publié, en août 1998, son premier « roman blanc », comme l'auteur désigne lui-même son ouvrage Les Agneaux du Seigneur [26]. Dans ce roman classique contraire de « noir », presque rien – sauf le thème principal, c'est-à-dire les horreurs de la guerre civile en Algérie – ne rappelle, à première vue, les romans précédents de l'auteur, ni les remarques ironiques du protagoniste de la série noire, ni les passages humoristiques et les jeux de mots drôles mais critiques. Dans Les Agneaux du Seigneur, le lecteur ne trouve plus de personnage principal qu'il suit avec émotion et curiosité, mais un grand nombre de personnages dont il poursuit les cruautés et la léthargie sans vouloir croire que de telles réactions soient possibles. Parallèlement au changement du genre et à l'aggravation de la situation en Algérie, se sont durcis, dans Les Agneaux du Seigneur, l'écrit et l'écriture de Yasmina Khadra, et ce « roman blanc » semble, au niveau du contenu et de la présentation des événements, plus « noir » que les précédents. [27]

Cette impression servira de point de départ à nos réflexions, et nous retracerons donc d'abord, dans la première partie de notre étude, l’« écrit(ure) noir(e) » de Yasmina Khadra dans Les Agneaux du Seigneur en nous interrogeant, d'une façon très générale, sur le contenu et la façon dont les événements sont présentés dans l'ouvrage. Puis nous approfondirons nos réflexions, en montrant, dans la deuxième partie de notre contribution, que l'écriture de Yasmina Khadra n'est pas uniquement une écriture noire, mais qu'elle peut aussi être désignée d’« écriture blanche », telle que Roland Barthes la définit dans Le Degré zéro de l'écriture [28], et qui de ce fait distingue Les Agneaux du Seigneur des autres œuvres.

Écrit(ure) noir(e)

C'est à Ghachimat, petite bourgade algérienne, tranquille et paresseuse, « assise en tailleur au milieu de ses vergers, pour se croire l'épicentre du monde » [29], que se déroule l'action des Agneaux du Seigneur. Dans les premiers chapitres, rien, sauf le nom du village qui signifie « mort de misérables », [30] n'annonce les événements horribles qui, au cours du roman, bouleverseront ce village paisible que rien ne distingue d'autres villages algériens. À Ghachimat, on se connaît depuis l'enfance, on se dispute une place au café, on bavarde, on se jalouse, on s'affronte pour obtenir la main d'une fille, on étouffe sous le poids des traditions, on envie ceux qui ont réussi et on méprise ceux qui sont restés dans la misère. Mais les événements d'octobre 88, le déchaînement de la violence et la montée des intégristes – personnifiée par le retour au village du cheikh Abbas, un jeune imam de grande réputation – changent la vie quotidienne et les structures anciennes du village, même si les habitants ne veulent pas encore y croire :

Depuis octobre 88, qui a vu Alger s'insurger contre les ogres du régime, les Frères musulmans émergent inexorablement de la clandestinité. La hiérarchie tribale qui gérait le destin du douar, qui plaçait le droit d'aînesse au-dessus des uns, et la piété filiale par-dessus tous, se voit chaque jour bousculée par les jeunes contestataires. Les Anciens tentent de revenir à la charge, mais leurs fréquentes tergiversations permettent aux ouailles du cheikh de gagner du terrain, boulimiques, dangereusement expansionnistes. [31]

Peu à peu, les intégristes écartent les notables et les Anciens du village, des amitiés se brisent, des opprimés se transforment en des personnes ayant un avenir. Rien ne peut plus cacher que l'ordre du village est bouleversé, que « [l]a bête immonde se réveille » [32], et rien n'arrêtera le cours des événements. Le FIS gagne les élections communales, l'ancien maire de Ghachimat, représentant local de « l'État FLN », est remplacé par un membre du FIS, le hijab est imposé et la barbe exigée. Le village se mue en forteresse, et la bonhomie de naguère se découvre de l'agressivité. [33] Le café, lieu de rendez-vous des habitants de Ghachimat, ressemble à un mouroir, [34] et il devient donc le miroir des événements et des mutations de mentalités. Les intégristes commencent à constituer une armée parallèle ; la guerre sainte est décrétée à Ghachimat, et les premiers cadavres cruellement mutilés apparaissent. « Le règne de la terreur a commencé. La vallée entre dans un monde parallèle, jalonné d'atrocités. » [35] Systématiquement, les « barbus » expulsent tous ceux qui ne partagent pas leur foi et liquident les étrangers qui refusent de quitter le village. Mais au lieu de réagir ou de condamner les horreurs, les gens restent indifférents et ont plutôt tendance à justifier les tueurs et à légitimer leurs actes cruels. Ce n'est qu'après deux ans de tuerie, que les habitants de Ghachimat commencent à se rendre compte de ce qui se passe dans leur village, et ils s'aperçoivent que ce sont toujours les plus pauvres qui sont tués et que plus personne n'est vraiment à l'abri. [36] Comme le pouvoir d'Alger brille par son absence – Allal, le jeune policier du village, exerce ailleurs –, la résistance armée qui demande vengeance et lutte ardemment contre les adhérents du FIS commence à s'organiser. Mais ce n'est qu'après l'intervention de l'armée que l'opinion publique se détourne complètement du FIS, sans que cela ait vraiment des conséquences, et à la fin du roman, aucune solution ne se dessine : « Ghachimat retient son souffle. Il ne sait rien faire d'autre, Ghachimat. Il cohabite avec sa claustrophobie. » [37]

Comme il le fit dans sa « trilogie noire », Yasmina Khadra, dans Les Agneaux du Seigneur, décrit, de près et dans toute sa cruauté inimaginable, le drame algérien. Mais contrairement à ses romans précédents, où la structure du roman noir servait de force motrice à l'action, ce récit n'a besoin que d'une seule pulsion pour se mettre en mouvement. Une fois mise en marche, la machine ne peut plus être arrêtée, et les événements s'ensuivent irrésistiblement. Dans le déroulement du récit, tout personnage a sa place et son rôle défini par son passé et par l'Histoire, et chacun devient un rouage de la mécanique féroce et impitoyable qui entraîne l'action. Tandis que les uns, les « agneaux du Seigneur », se transforment en bêtes sauvages incontrôlables, les autres, voire la plupart des habitants, se cachent derrière leur crédulité et tombent en léthargie. Ne restent que de rares individus qui comprennent et qui résistent, mais qui trouveront bientôt la mort. Indépendamment du destin individuel, les personnages sont tous angoissés et enfermés – le village cohabite avec sa claustrophobie –, et personne n'arrive à se libérer. Irrésistiblement, le petit bourg plonge dans l'obscurité, dans le noir, et la violence collective se poursuit selon une logique quasi mathématique dans le microcosme qu'est Ghachimat.

La rigueur impitoyable du récit trouve son pendant dans l'écriture des Agneaux du Seigneur, écriture qui, épurée de toute sentimentalité et privée de tout ornement et de tout lyrisme, paraît aussi brute que les événements décrits. Cette absence poétique intensifie les cruautés démontrées au cours du roman. Parallèlement au déroulement des événements, s'accélère aussi le rythme rapide des phrases. Il se dynamise, se transforme en un élément structurant le roman et il semble même reprendre les tirs rapides des mitrailleuses, tandis que le choix des mots rappelle les lames des couteaux qui atteignent avec précision et les victimes et le lecteur.

Le contenu du roman et la façon dont l'action est prescrite, le rythme des phrases et le choix des mots, l'écrit et l'écriture se complètent parfaitement dans Les Agneaux du Seigneur et dévoilent les aspects les plus noirs du conflit sanglant. Mais ce n'est pas là que réside toute l'originalité du roman, elle ne se révèle que si l'on pousse plus loin l'analyse de l'écriture noire de Yasmina Khadra en la comparant à ce que Roland Barthes désigne par « écriture blanche ».

Écriture blanche

C'est en 1953 que Roland Barthes a publié son premier ouvrage théorique intitulé Le Degré zéro de l'écriture. Barthes y distingue d'abord la langue (« un corps de prescriptions et d'habitudes, commun à tous les écrivains d'une époque » [38]) du style (expression de « la mythologie personnelle et secrète de l'auteur » [39]). Tandis que la première peut être désignée, selon Barthes, comme horizon, voire ligne de transgression, comme l'aire d'une action, la définition et l'attente d'un possible, [40] le deuxième a une dimension verticale, il plonge dans le souvenir clos de la personne, et ses références se trouvent au niveau d'une biologie ou d'un passé, non d'une Histoire. [41] Suivant Barthes, il s'y ajoute une troisième dimension – « une autre réalité formelle » [42] –, celle de l'écriture. À côté des « forces aveugles » que sont la langue et le style, l'écriture est le lieu d'un choix et d'une liberté pour l'écrivain. Tandis que la langue et le style sont des données antécédentes à toute problématique du langage, le produit naturel du Temps et de la personne biologique, l'écriture est, selon Barthes, l'expression de l'identité formelle de l'écrivain et elle s'établit en dehors de l'installation des normes de la grammaire et des constantes du style. Elle est le ton, le débit, la fin, la morale, le naturel de la parole de l'écrivain ; mais elle est aussi le choix d'un comportement humain et l'affirmation d'un certain Bien. [43] Ainsi, l'écriture est aussi « le rapport entre la création et la société, elle est la forme saisie dans son intention humaine et liée ainsi aux grandes crises de l'Histoire. » [44]

Selon Barthes, ce n'est qu'après la révolution de 1848, après la rupture avec l'écriture bourgeoise et son idéologie, que les écritures commencent à se multiplier. Se développent alors une « écriture artisanale » (fondée par Flaubert), une « écriture réaliste » (pratiquée par Maupassant, Zola et Daudet) et ce que Barthes désigne par « silence de l'écriture » (réalisé chez Mallarmé), puis aussi une « écriture blanche » (inaugurée par L'Étranger de Camus), c'est-à-dire une écriture neutre « libérée de toute servitude à un ordre marqué du langage » [45], écriture que Barthes appelle « le degré zéro de l'écriture » et qu'il qualifie de « dernier épisode d'une Passion de l'écriture qui suit pas à pas le déchirement de la conscience bourgeoise » [46].

Examinons plus attentivement ce que Barthes entend par « écriture blanche », notion qui servira de base aux réflexions suivantes à propos de l'œuvre de Yasmina Khadra. Selon Barthes, l'écriture blanche pourrait être comparée à une écriture de journaliste « si précisément le journalisme ne développait en général des formes optatives ou impératives (c'est-à-dire pathétiques) » [47]. Contrairement à ces tendances de l'écriture de journaliste, l'écriture blanche est une écriture neutre :

La nouvelle écriture se place au milieu de ces cris et de ces jugements, sans participer à aucun d'eux ; elle est faite précisément de leur absence ; mais cette absence est totale, elle n'implique aucun refuge, aucun secret ; on ne peut donc dire que c'est une écriture impassible ; c'est plutôt une écriture innocente. [48]

À l'opposé d'autres formes de l'écriture, l'écriture blanche n'implique ni une opacité de la forme ni une problématique du langage et de la société, et elle retrouve réellement la condition première de l'art classique, c'est-à-dire l'instrumentalité.

Mais cette fois, l'instrument formel n'est plus au service d'une idéologie triomphante [comme l'était l'idéologie bourgeoise] : il est le mode d'une situation nouvelle de l'écrivain, il est la façon d'exister d'un silence ; il perd volontairement tout recours à l'élégance ou à l'ornementation, car ces deux dimensions introduiraient à nouveau dans l'écriture, le Temps, c'est-à-dire une puissance dérivante, porteuse d'Histoire. Si l'écriture est vraiment neutre, si le langage, au lieu d'être un acte encombrant et indomptable, parvient à l'état d'une équitation pure (...) alors la Littérature est vaincue, la problématique humaine est découverte et livrée sans couleur, l'écrivain est sans retour un honnête homme. [49]

Mais, selon Barthes, rien n'est plus infidèle qu'une écriture blanche, et l'état d'équilibre et de liberté qu'elle suscite est de courte durée puisque des automatismes s'élaborent et s'établissent à l'endroit même de la liberté, les formes se durcissent et perdent de plus en plus la fraîcheur première du discours. Petit à petit, l'écrivain devient l'épigone de sa création, le prisonnier de ses propres mythes formels. [50] Correspondant à cette définition, l'écriture blanche ne peut se manifester que dans des œuvres singulières, elle ne peut être, dans le ciel littéraire, qu'un éclair, une lumière vive mais brève.

Les Agneaux du Seigneur de Yasmina Khadra nous paraît être un tel « éclair d'écriture blanche » et ses particularités se manifestent sur plusieurs niveaux. Dans son compte rendu du roman, la critique Michèle Gazier évoque quelques caractéristiques du récit qui nous paraissent typiques de l'écriture blanche telle qu'elle se manifeste dans Les Agneaux du Seigneur. L'extrait suivant de son compte rendu servira donc de point de départ à nos explications :

La force de l'auteur (...) est de conserver tout au long du récit un double regard de sociologue et d'écrivain. Au-delà des passions, des douleurs, des rancœurs, Yasmina Khadra n'oublie jamais son rôle d'observateur. Rien ne sert de dénoncer, de hurler, de pleurer. Il faut donner à voir jusqu'à l'épouvante, et même au-delà. Donner à voir pour donner à comprendre, pour écarter l'irrationnel, le magique, la fatalité. [51]

C'est de la position d'un observateur extérieur et omniscient que le narrateur poursuit les événements dans Les Agneaux du Seigneur, qu'il décrit les habitants du village, évoque leur passé et raconte leur vie quotidienne. Mais il est intéressant de constater que l'instance narratrice des Agneaux du Seigneur évite tout jugement et jette toujours un regard neutre sur les événements et les personnages. Comme dans la tradition du nouveau roman, elle paraît même s'effacer devant le récit et son regard ressemble à celui d'un cameraman.

La tentative par l'auteur de s'approcher sans préjugés du sujet se reflète non seulement dans la perspective de la narration que Yasmina Khadra choisit pour son roman, mais aussi dans le fait que nous ne trouvions plus de protagoniste dans Les Agneaux du Seigneur. Nous avons déjà mentionné cette caractéristique dans notre introduction, et nous y avons souligné qu'elle nous paraît d'autant plus remarquable que les romans précédents de Yasmina Khadra se construisaient tous autour d'un personnage principal, le Commissaire Llob, protagoniste et narrateur auto-diégétique de la série. Dans Les Agneaux du Seigneur, il n'y a plus de héros mais seulement des acteurs, des complices, des témoins et des victimes de la guerre civile en Algérie. Nous voyons de nombreux personnages, des représentants divers du conflit, dont les histoires personnelles divergent les unes des autres et dont la motivation de participer ou de renoncer au combat s'explique de façon multiple. Dans ce contexte, il est aussi intéressant de constater que le récit de Yasmina Khadra est dominé par de nombreux dialogues entre les personnages. Ceux-ci se caractérisent aux cours des entretiens, expliquent leurs actions et défendent leur position. Leurs opinions différentes coexistent les unes auprès des autres, et cette polyphonie des voix et des opinions donne aussi un caractère objectif et neutre à la manière dont le conflit algérien est présenté dans l'ouvrage. La prépondérance des passages présentés de façon mimétique fait reculer le narrateur en tant qu'intermédiaire et intensifie l'impression que les événements sont décrits par un sociologue qui observe l'évolution dans sa patrie, donne divers avis et accumule des donnés sans les interpréter.

Selon Michèle Gazier, c'est « au-delà des passions, des douleurs, des rancœurs » que Yasmina Khadra décrit les événements en Algérie et comme si l'auteur était convaincue – et nous revenons de nouveau au compte rendu de Gazier – que « rien ne sert de dénoncer, de hurler, de pleurer ». Ce n'est ni un cri ni une écriture d'urgence que nous avons dans Les Agneaux du Seigneur, puisque ne s'y trouve aucune émotion, aucune sentimentalité ni au niveau du contenu ni à celui de l'écriture. Le récit ressemble plutôt à un inventaire où les événements sont énumérés de façon distante et sans qu'une seule cruauté ne soit oubliée. « Il faut donner à voir jusqu'à l'épouvante, et même au-delà », écrit Michèle Gazier à propos des Agneaux du Seigneur, « donner à voir pour donner à comprendre, pour écarter l'irrationnel, le magique, la fatalité. »

C'est surtout au niveau de l'écriture que se manifeste cette libération de tout élément irrationnel ou magique, l'épuration de toute sentimentalité et ornementation que nous avons déjà notée dans la première partie de notre contribution. En étudiant l'écriture de Yasmina Khadra à l'aide de la définition que propose Roland Barthes, nous constatons que l'écriture des Agneaux du Seigneur n'est pas du tout allusive ou ambiguë, elle est directe, elle dit tout, sans faux semblant. Elle est le contraire d'une écriture poétique, les mots n'ont pas la fonction de faire surgir quelque chose qui se cacherait au-dessous, ils disent ce qu'ils disent, ils décrivent ce qu'il faut démontrer. Sans ornement, sans enjolivement, sans détour, sans recours à l'élégance, Yasmina Khadra réussit à rendre ses paroles transparentes à l'extrême. Il devient donc évident que c'est dans la concrétisation du sujet, dans le ton et l'expression individuelle de Yasmina Khadra, dans son écriture, que résident la force de son récit et aussi son engagement. L'auteur ne pousse plus de cris mais elle « donne à voir jusqu'à l'épouvante » sans rien cacher de la réalité algérienne ni au niveau du contenu ni au niveau de l'écriture et sans prendre parti pour un côté ou pour un autre. Comme toute écriture blanche, l'écriture de Yasmina Khadra se place elle aussi au milieu des cris et des jugements et ne participe à aucun d'eux.

Mais là ne s'arrête pas le lien entre l'écriture blanche décrite par Roland Barthes et l'écriture de Yasmina Khadra. Il se prolonge dans l'instrumentalité et l'engagement de l'écriture puisqu'en évitant toute opacité au niveau de la forme, en repoussant tout recours à l'élégance et à l'ornementation et en choisissant, au niveau de l'instance narratrice, un regard « neutre », Yasmina Khadra réussit à livrer la dimension universelle du conflit algérien. C'est grâce à une écriture blanche, qu'elle arrive à montrer que – et nous citons une dernière fois Michèle Gazier – « le village de Ghachimat n'y [dans Les Agneaux du Seigneur] est plus seulement le symbole de l'Algérie ; [qu'] il nous conte une histoire de mort qui pourrait s'enraciner dans n'importe quelle géographie, dans bien des pays de notre planète... » [52]

Conclusion

À propos de l'instance narratrice des Agneaux du Seigneur, nous avons brièvement évoqué l'affinité entre la technique du nouveau roman et la façon dont Yasmina Khadra décrit les événements et les personnages. Cette ressemblance qui pourrait être étudiée de façon plus exhaustive s'explique facilement si on retient que Roland Barthes compare l'œuvre d'Alain Robbe-Grillet à celles de Mallarmé et de Blanchot, représentants du silence de l'écriture et de l'écriture blanche, [53] et qu'il considère l'auteur du nouveau roman comme un représentant d’« une sorte de blancheur de l'écriture » [54]. D'autres rapports peuvent être établis entre l'œuvre de Yasmina Khadra et celle d'Alain Robbe-Grillet. Il y a, par exemple, une proximité au niveau du genre si on prend en considération que Yasmina Khadra a publié une série de romans noirs avant d'écrire son premier roman blanc et que les premiers romans d'Alain Robbe-Grillet (Le Voyeur, La Jalousie et Les Gommes) jouent avec le genre du roman policier. En outre, nous avons démontré ailleurs, que, dans sa trilogie française, Yasmina Khadra a une manière très particulière (que nous avons désignée de « technique de l'instantané ») de décrire la terreur qui règne dans sa patrie. [55] Sa technique de « focalisation » surtout ressemble à celle qu'Alain Robbe-Grillet utilise dans son petit ouvrage intitulé Instantanés [56]. Finalement, les deux auteurs partagent la même volonté de décrire les objets, les personnages et les événements sans privilégier telle ou telle de ses qualités, sans donner plus de poids à tel ou tel détail, volonté de peindre une image épurée de tout élément dérivant, aussi réaliste et neutre que possible. En comparant ce roman avec les ouvrages précédents de Yasmina Khadra, nous constatons, dans Les Agneaux du Seigneur, une intensification de cette volonté, intensification qui se manifeste surtout au niveau de l'écriture. Afin de résumer cette évolution de l'écriture de Yasmina Khadra, revenons à Alain Robbe-Grillet et citons ce qu'il écrit à propos du nouveau roman :

Lorsqu’ une forme d'écriture a perdu sa vitalité première, sa force, sa violence, lorsqu'elle est devenue une vulgaire recette, un académisme que les suiveurs ne respectent plus que par routine ou paresse, sans même se poser de question sur sa nécessité, c'est bien un retour au réel que constituent la mise en accusation des formules mortes et la recherche de formes nouvelles, capables de prendre la relève. La découverte de la réalité ne continuera d'aller de l'avant que si l'on abandonne les formes usées. (...) Il ne s'agit plus de 'faire mieux', mais de s'avancer dans des voies encore inconnues, où une écriture nouvelle devient nécessaire. [57]

Bibliographie

BARTHES, Roland. « Il n'y a pas d'école Robbe-Grillet » (1958), in Œuvres complètes. Tome I 1942-1965, Paris, Seuil, 1993, pp. 1241-1244.

BARTHES, Roland. « Le Degré zéro de l'écriture » (1953), in Œuvres complètes. Tome I 1942-1965, Paris, Seuil, 1993, pp. 137-187.

DUPONT, Pascal. « Lettres d'Algérie », in L'Express, 10 septembre 1998.

ETTE, Ottmar. « Barthes, Roland », in Ansgar NÜNNING (ss. la dir. de), Metzler Lexikon Literatur- und Kulturtheorie. Ansätze – Personen – Grundbegriffe, Stuttgart–Weimar, Metzler, 1998, p. 36-37.

ETTE, Ottmar. « Roland Barthes », in Kritisches Lexikon zur fremdsprachigen Gegenwartsliteratur – KLfG. 33. Nlg.

GAZIER, Michèle. « La Haine au village », in Télérama, 23 septembre 1998.

« Yasmina Khadra lève une part de son mystère ». Entretien avec Yasmina KHADRA, propos recueillis par Jean-Luc DOUIN, in Le Monde (10 septembre 1999).

« Yasmina Khadra se démasque ». Entretien avec Yasmina Khadra, propos recueillis par Jean-Luc Douin, in Le Monde, 12 janvier 2001.

KHADRA, Yasmina. Double Blanc, Paris, Baleine, 1998, 168 p.

KHADRA, Yasmina. L'Automne des chimères, Paris, Baleine, 1997, 181 p.

KHADRA, Yasmina. Les Agneaux du Seigneur, Paris, Julliard, 1998, 216 p.

KHADRA, Yasmina. Morituri, Paris, Baleine, 1997, 168 p.

KOELSCH, Doris. Roland Barthes, Frankfurt–New York, Campus Verlag (Einführungen, 1093), 1997, 173 p.

LAROUI, Fouad. « Une Littérature de témoignage et de combat », in Jeune Afrique, 13 au 19 octobre 1998.

LECLERQ, Pierre-Robert. « La Face cachée du drame algérien », in Le Monde, 2 octobre 1998.

LLOB, Commissaire. La Foire des enfoirés Alger, Laphomic, 1990, 144 p.

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ROBBE-GRILLET, Alain. Instantanés, Paris, Les Éditions de Minuit, 1962, 112 p.

ROBBE-GRILLET, Alain. Pour un nouveau roman, Paris, Gallimard, 1963, 191 p.


Les [C2] Voix de la résistance au féminin :
Assia Djebar, Maïssa Bey
et Hafsa Zinaï-Koudil

Susan IRELAND,
Grinnell College

Ces dernières années ont vu l’émergence d’une série de textes écrits par des Algériennes et qui ont comme sujet la situation actuelle en Algérie. Ces écrivaines, les « nouvelles femmes d’Alger », comme les appelle Assia Djebar [58], présentent leurs textes comme des œuvres de combat et insistent sur l’importance des femmes en tant que groupe qui refuse de se taire et de se soumettre à l’intimidation : « Enfermées, voilées, opprimées, aujourd’hui violées et assassinées, les créatrices algériennes considèrent leur œuvre comme un combat permanent » [59]. Quel que soit le genre qu’elles choisissent – chronique, journal, récit autobiographique, roman ou conte – elles prennent toutes la plume pour décrire et condamner la terreur qui règne en Algérie et la violence faite aux femmes en particulier.

Trois questions principales reviennent dans leurs textes : « Quand est-ce que la tuerie s’arrêtera ? », « Que réserve-t-il aux femmes, ce pays ? » [60] et « Comment lutter contre un ennemi sadique, cruel, que ne rebute aucun acte sanglant ? » [61] Et comme prolongement de la question posée par Imaksen, on pourrait rajouter : « quel est le rôle de l’écrivain et de l’écriture devant cette horreur ? » Comme réponse à la dernière question, les auteures se présentent comme des combattantes dans ce que Hafsa Zinaï-Koudil appelle « le combat dément du couteau contre la plume » [62]. Ainsi, « avec pour seules armes du papier, un stylo, une chanson, un poème, un pinceau » [63], elles s’opposent à un ennemi dont les « seuls moyens de communication » sont « le viol, la torture, les bombes, les balles et le couteau » [64]. Les trois textes que je vais examiner dans cet article – Au Commencement était la mer de Maïssa Bey, Sans Voix de Zinaï-Koudil, et « La Femme en morceaux » de Djebar – insistent tous sur l’importance de la parole comme « l’arme des femmes par excellence » [65] et les trois auteures emploient des références intertextuelles pour proposer des stratégies et des modèles de résistance. Dans chaque texte, une femme sert de symbole de l’Algérie, et dans les trois cas les résistantes évoquées comme modèles – Antigone, la fille de Nedjma, et Schéhérazade – trouvent leur origine dans un texte antérieur. Ainsi, en soulignant les thèmes de la transmission et de la réécriture, les allusions intertextuelles suggèrent le rôle joué par les mots dans le combat pour réécrire le destin de l’Algérie.

Quoiqu’elle s’inscrive surtout dans une tradition de rébellion au féminin, Zinaï-Koudil cite comme précurseur récent le poète et romancier Tahar Djaout, assassiné en 1993. Dans Sans Voix, elle le présente comme un symbole de la littérature d’opposition, et ses vers célèbres, « Si tu te tais, tu meurs. Si tu parles, tu meurs. Alors, parle et meurs » [66] reviennent comme un leitmotiv dans le livre. Ici, des femmes reprennent les paroles de Djaout pour créer le refrain qui encourage Aïcha à écrire : « Mais il faut dire avant de mourir. Ecris, Aïcha ! » [67].

En tant que « faiseur de mots » et « diseur de vérité » [68], Djaout devient l’emblème de tous ceux dont les écrits s’opposent aux « assassins du verbe, qui ne tolèrent pas de voir leurs thèses intégristes détruites par la vérité des mots » [69]. Tout au long de Sans Voix, les allusions à l’œuvre de Djaout soulignent la nécessité de prendre la relève et de continuer la lutte malgré les risques : « Du fond de mon rêve, la voix du poète disait : ‘Résistez ! Résistez ! » [70].

D’autre part, l’importance de parler et les dangers qui s’ensuivent se trouvent au centre de l’intrigue. Baya, la narratrice, vit en exil à Paris où elle travaille avec les membres du théâtre du Levant pour préparer « une pièce en hommage aux artistes algériens assassinés » [71]. Les autres personnages, des écrivains et intellectuels eux aussi, courent les mêmes risques que les artistes déjà tués. Aïcha, par exemple, a été condamnée à mort pour avoir lutté contre le sexisme et le terrorisme et surtout pour avoir fait un reportage intitulé Les Profanateurs de l’islam, reportage qui démasque « les horreurs que les terroristes faisaient subir aux femmes et petites filles enlevées puis violées et torturées » [72]. Zinaï-Koudil utilise la mère d’Aïcha, qui a pris les armes pendant la guerre de libération, pour créer un parallèle entre les deux époques et pour souligner l’ironie de la situation où, trente ans après l’indépendance, sa fille est obligée de demander asile en France. C’est cette même combattante d’une autre génération qui met sa fille en garde contre le sort qui attend les résistantes aujourd’hui : « Ferme bien ta porte. Et surtout n’ouvre à personne, ma fille ! Si jamais tes écrits tombent entre leurs mains, ils te découperont en petits morceaux ! » [73]. Ici, Zinaï-Koudil reprend le thème de la femme en morceaux, symbole traditionnel de la violence faite aux femmes, et le transforme en une image des victimes du terrorisme.

A la fois testament et témoignage, les écrits d’Aïcha, qui sont imbriqués dans le récit de Baya, racontent la vie tourmentée de ses amis en Algérie, et elle s’attribue ainsi le rôle de « diseur de vérité » incarné par Djaout. Consciente de la nécessité de transmettre et d’enregistrer les drames vécus quotidiennement par les Algériennes, elle « s’était donné pour mission d’être témoin et mémoire » [74], d’écrire « Pour laisser des traces » [75]. Avant tout, elle espère que ses textes participeront à la lutte contre l’oubli, et pour cette raison, ses amis insistent sur l’urgence de dire : « écris, Aïcha, pour que nos filles sachent » [76], « il faut que tu l’écrives pour qu’on sache ici et ailleurs » [77].

Les résistantes nommées dans Sans Voix à côté de Djaout comprennent des femmes réelles et légendaires, et suggèrent une lignée qui va de La Kahina et Schéhérazade à Lalla Fadhma N’Soumer et Djamila Debêche. Dans un passage qui renverse le silence suggéré par le titre du roman, Zinaï-Koudil réunit les voix de toutes ces combattantes afin de demander la justice et la liberté pour les femmes aujourd’hui :

Mais l’appel est lancé. Contre l’amnésie. II monte des entrailles de la terre. Dyhia la farouche et la rebelle Lalla Fadhma conjuguent leurs cris et réveillent ainsi Nedjma l’insaisissable et sa fille. Des hautes montagnes, des dunes de sable et des cités, des Djamila affluent et derrière elles, nos grand-mères et nos filles relèvent la tête et répètent à l’unisson, afin que nul n’oublie : « Nous voulons vivre. Dignes et libres. Répondez à nos cris ! » [78]

En liant les femmes aux « entrailles de la terre », Zinaï-Koudil en fait la voix de l’Algérie, et ce parallèle est renforcé par les références à Nedjma, « cette femme-patrie », « la Nedjma-Algérie » [79]. Cette comparaison se prolonge dans un autre épisode, où Zinaï-Koudil donne la parole à la fille de Nedjma et la lie au thème de la paix : « Je suis la fille de Nedjma, votre ancêtre. Vous devez m’écouter. Je suis porteuse d’un message, à vous adressé. Jetez vos armes à terre pour que je puisse vous parler ! » [80] Au nom de sa mère, « cette aimée de Kateb Yacine » [81], la fille maudit les hommes au pouvoir pour avoir commencé une guerre fratricide et se place du côté de la résistance, en opposant ses paroles aux armes des hommes.

Si la fille de Nedjma représente l’Algérie, Schéhérazade, évoquée à plusieurs reprises, reflète la situation des écrivaines comme Aïcha, qui risquent leur vie en écrivant : « Comme Schéhérazade, elle arrachait un sursis à sa mort certaine » [82]. En même temps, Schéhérazade et la fille de Nedjma ont en commun le fait qu’elles utilisent les mots pour essayer de combattre la violence ; cependant, tandis que la fille de Nedjma ne réussit pas à empêcher la guerre, Schéhérazade met fin à la violence et représente l’espoir pour l’avenir : « C’est par le verbe que Schéhérazade a tenu la mort en échec » [83].

En outre, avec ses histoires intercalées, ses mises en abyme, et ses multiples voix narratives, Sans Voix semble s’inspirer de la structure des Mille et une Nuits. Dans Sans Voix, de nombreuses femmes témoignent à tour de rôle ; leurs récits intercalés, et souvent fragmentés, qui racontent des drames individuels, sont juxtaposés pour créer une impression de solidarité, de force, et de lutte collective. Des allusions à « Le Horla », un conte de Maupassant qui décrit la folie d’un homme hanté par un être invisible – sorte de double annonciateur de la mort –, renforcent l’ambiance de cauchemar créée dans les récits des femmes. En particulier, les dédoublements et les glissements fréquents entre le présent et le passé, Paris et Alger, le réel et l’imaginaire, font ressortir le thème de la folie qui est lié à la fois aux événements en Algérie et à la vie en exil. Dans ce contexte, l’emploi de l’expression « l’exil et la folie » [84] suggère un renversement du titre et des idées exprimées dans le texte célèbre d’Albert Camus, L’Exil et le royaume. Houda, qui finit par sombrer dans la folie elle-même, fait le parallèle entre sa vie et celle de l’écrivain de Maupassant : « Moi aussi, quand j’écris, il me semble que quelqu’un rôde autour de moi. Je sens comme une présence, une respiration dans ma nuque » [85]. Dans le prolongement du jeu de miroirs, Baya, à qui Houda a passé le livre de Maupassant, sent la présence d’un « intrus » [86] à son tour, celle de son double Aïcha : « Mon Aïcha, mon autre moi. Mon double né de mes affabulations nocturnes et torturées » [87]. Ce double, qui lui tient compagnie pendant qu’elle écrit la nuit, renvoie également à Schéhérazade – « Aïcha-Schéhérazade... Baya-Aïcha, ou Aïcha-Baya » [88] – et ce dédoublement se trouve à l’origine des déchirements qui menacent de plonger Baya aussi dans la folie : – « J’étais, je suis. Elle et moi, à la fois, ici et là-bas » [89].

Finalement, quoique la pièce ne soit pas nommée dans le texte, le thème du théâtre et de la tragédie, et les références à « une fratrie divisée » [90] comme à un « corps [qui] restera sans sépulture » [91], suggèrent des parallèles avec Antigone. La nature du combat des femmes de Sans Voix les présente comme des descendantes d’Antigone qui a bravé la loi de Créon : comme elle, Aïcha s’insurge contre les interdits imposés par le Code de la Famille et les intégristes : « Interdit de rêver, de penser, de parler, d’écrire » [92]. Face aux interdictions, Aïcha a la même réaction qu’Antigone : refuser et dire « non » : « je dis non au silence. Non à l’oubli » [93], « Je refuse ! Je refuse cette interdiction... Je veux vivre et rêver ! » [94]. En disant « non », elle espère « briser le cercle de 1’interdit où l’on voudrait [la] murer » [95] et renverser ainsi le destin d’Antigone qui a été emmurée vivante.

Dans Au Commencement était la mer, le parallèle avec Antigone devient explicite. Ici, Bey transpose dans un contexte algérien le conflit entre Antigone et Créon, qui a fait d’Antigone un symbole de la résistance contre une loi injuste. Le roman de Bey fait écho à la pièce de Sophocle ainsi qu’à la version de Jean Anouilh qui, lui aussi, a récrit la tragédie classique en l’adaptant à la situation de la France pendant l’Occupation. Dans Au Commencement était la mer, Nadia, tout comme son prédécesseur chez Anouilh, est décrite comme « petite, toute petite » [96]. Comme Antigone aussi, elle veut vivre et rêver, et se demande quel sera son bonheur en Algérie. Le premier passage du roman, avec sa description lyrique de la nature et des émotions de Nadia qui s’est levée très tôt pour aller saluer l’aube rappelle la première scène de la pièce d’Anouilh où Antigone fait le même genre de promenade, et Bey établit ainsi le parallèle entre les deux femmes, amoureuses toutes les deux de beauté, de liberté, et de leur pays.

Là où Antigone s’oppose à Créon, Nadia doit faire face à deux hommes, qui représentent deux formes de la même loi. D’un côté, son amant Karim symbolise les traditions et le conformisme qui ont mené au Code de la Famille en 1984. Quoique Karim, un étudiant à l’université d’Alger comme Nadia, semble d’abord être du côté de la modernité et de la liberté des femmes, il abandonne Nadia quand ses parents refusent d’envisager leur mariage et se range du côté de la tradition. A travers cet épisode, où un jeune homme éduqué quitte la femme qu’il aime en affirmant que « le mariage est une affaire de famille » [97], Bey reproche aux hommes d’avoir sacrifié les femmes après l’Indépendance en perpétuant les attitudes du passé et en acceptant le Code. Lorsque Karim invoque un code pour justifier son abandon, il se place clairement dans le camp opposé à celui de Nadia et accède ainsi au rôle de Créon : « Il a parlé de code. Un code familial qu’il n’avait pas le droit – pas le courage ! – de transgresser » [98].

De l’autre côté, Djamel, le frère de Nadia, incarne les opinions religieuses et politiques des intégristes. Version plus extrémiste de l’attitude de Karim, il représente les édits qui mèneront à la tragédie : « Des lois [...] édictées chaque jour au nom d’un ordre nouveau » [99]. Ces édits concernent principalement les femmes :

Délit que de sortir sans voile [...] Délit que de parler librement [...] délit d’aimer et surtout de le dire, de le faire, de le chanter ou de l’écrire ! [...] Délit de penser, de rêver, d’espérer un autre monde [...] Délit d’être femme enfin et d’éclabousser par sa seule présence, sa seule existence, la pureté terrifiante du monde qu’ils veulent bâtir sur des ruines fumantes. [100]

La punition pour ceux qui transgressent, comme pour ceux qui s’opposent à la loi de Créon, est la mort : « Délits maintenant punis de mort. Sans jugement. Sans appel » [101]. Représentant intransigeant de ces lois, Djamel surveille constamment Nadia et attend une infraction de sa part. Quand elle rentre de sa promenade matinale, c’est Djamel qui l’attend et qui assume le rôle de la nourrice de l’Antigone d’Anouilh ; comme elle, il pose la question « D’où viens-tu ? » [102], mais à la différence de la nourrice, qui représente la protection et l’amour, Djamel fait sentir à Nadia qu’elle a été « Surprise en flagrant délit de liberté » [103], qu’elle a transgressé une loi.

Pour Nadia, étudiante en droit, ni Karim ni Djamel ne représentent la justice, et elle a le sentiment d’être emprisonnée, ensevelie sous « la somme écrasante de tous les interdits » [104] – emmurée vivante comme Antigone. Sa réaction, comme celle d’Aïcha, est de refuser le compromis et de braver les interdits : « Elle marche devant eux, la tête nue. Cela seul est un défi aux lois qu’ils veulent faire régner dans la cité. Son frère et les autres... » [105]. Sa transgression mène inéluctablement à sa mort quand elle raconte à son frère l’histoire de son amour pour Karim et l’avortement qui en a résulté, symbole de ses rêves détruits. Maîtresse d’elle-même et de son destin au moment où elle fait son récit, elle court librement sur la route avant d’être lapidée par son frère dont le geste rappelle à la fois la position des femmes sous le poids des interdits, le destin de tous ceux qui osent parler, et le sort de l’Algérie malmenée par les hommes qui la gouvernent ou cherchent à la gouverner.

La mort de Nadia la lie au thème des mots et de l’écriture aussi. « Toute petite », elle s’était rendue compte du « pouvoir », de la « force » et de la « passion » des mots, et était devenue la « faiseuse d’histoire » de la famille [106] ; plus tard, elle constate que les mots « sont plus dangereux que les armes » et arrive à la même conclusion que Djaout : « il faut se taire ou payer de sa vie » [107]. D’ailleurs c’est sa découverte de la pièce Antigone qui lui donne du courage et lui montre la voie à suivre :

Et quand elle découvre au hasard de ses lectures [...] criés par une autre au nom étrange d’Antigone, les mots qu’elle n’a jamais pu dire, quand elle retrouve, page après page, le même désir éperdu de beauté et de liberté, le même refus des mensonges et des compromissions, la même souffrance exacerbée à l’idée de dire oui à tout ce qui n’est pas juste, à tout ce qui n’est pas vrai, elle pleure enfin, délivrée de n’être plus seule. [108]

Lorsque Nadia raconte sa dernière histoire, celle de sa propre vie, elle se place dans la lignée d’Antigone et « les mots, comme un flot longtemps contenu jaillissent d’elle » [109]. A ce moment, elle parvient à la même stature tragique qu’Antigone et devient ainsi un symbole puissant du sort des femmes postées « entre les tirs croisés des lois du pouvoir et les sourates des intégristes [...], Antigone contre mille Créon » [110].

Djebar traite des thèmes semblables dans son conte intitulé « La Femme en morceaux » [111]. A la fois une réécriture de l’histoire de « La femme coupée en morceaux » racontée par Schéhérazade dans Les Mille et une Nuits et une fable politique sur le sort des femmes en Algérie, « La Femme en morceaux » de Djebar constitue un autre exemple de la lutte contre le silence, l’oubli et la mutilation. Le refrain récurrent, « un corps de jeune femme, un corps coupé en morceaux » [112], met le corps mutilé de la femme au centre du conte et établit un lien entre le passé et le présent, Bagdad et Alger, la femme en morceaux anonyme des Mille et une Nuits et Atyka, qui en 1994 raconte sa propre version de l’histoire imaginée par Schéhérazade. Atyka, qui est née de manière symbolique l’année où l’Algérie a obtenu l’indépendance, et qui enseigne le français, « une langue qu’elle a choisie, qu’elle a plaisir d’enseigner » [113], est condamnée à mort parce qu’elle raconte à ses élèves « des histoires obscènes » [114], les contes des Mille et une Nuits, en particulier « La Femme coupée en morceaux ». Le conte de Djebar, qui contient les histoires racontées par Atyka et Schéhérazade, est en même temps un texte lyrique qui pleure le « [corps] Non inhumé. Non pleuré » de la femme en morceaux [115] et un hommage aux conteuses dont les histoires sauvent des vies. A tous les niveaux du texte, ceux narrés par Djaffar, Schéhérazade, et Atyka, on fait appel à « une imagination [...] ‘sous menace’ » pour sauver quelqu’un d’une « sentence de mort ». [116] Tout comme Schéhérazade « risque sa vie chaque nuit » [117], Atyka risque la sienne chaque jour en allant enseigner le français au lycée. Pourtant, à la différence de Schéhérazade, qui arrive à mettre fin à la décapitation des femmes du Sultan en racontant l’histoire de « La Femme coupée en morceaux », Atyka est décapitée devant ses élèves parce qu’elle a discuté avec eux le conte « subversif » de Schéhérazade. Atyka avait espéré conter la dernière des mille et une nuits, celle où le Sultan accorde « la vie sauve » [118] à Schéhérazade, mais en Algérie aujourd’hui les décapitations n’ont pas encore cessé et Atyka à son tour devient « Atyka, tête coupée [...] Atyka, femme en morceaux » [119], et se confond ainsi avec la première femme.

Cependant, même en lui coupant la tête, les ennemis d’Atyka ne parviennent pas à la réduire au silence, et elle continue à raconter l’histoire après sa mort jusqu’à ce qu’elle arrive au moment où l’épreuve de Schéhérazade prend fin. Ainsi, les dernières pages du conte insistent sur la question de la voix : « Le corps, la tête. Mais la voix ? Où s’est réfugiée la voix d’Atyka ? » [120]. En reprenant l’histoire et en devenant conteuse à son tour, Djebar sauve les deux femmes en morceaux du silence et de l’oubli, et demande combien de femmes de plus doivent mourir avant que la violence ne s’arrête. En attendant, une histoire, celle racontée par Djaffar, reste en suspens. Emblématique de l’impossibilité de conclure qui caractérise la plupart des textes algériens contemporains, le conte inachevé de Djaffar, le récit de la réconciliation possible de deux frères ennemis, évoque la lutte qui divise l’Algérie et suggère l’avenir incertain du pays.

En conclusion, les textes récents des « nouvelles femmes d’Alger » [121] racontent l’histoire de leur résistance à une situation où le fait même d’écrire entraîne la menace de la mort. Cependant, ces femmes refusent de déposer leurs armes et insistent sur la nécessité de prendre la relève et de devenir conteuses à leur tour : « Naïma, ils t’ont massacrée parce que tu écrivais. Mais la source qui t’abreuvait n’est pas tarie. Et je m’y plonge tout entière afin de cueillir les mots qu’ils ne tolèrent pas d’entendre » [122]. En acceptant de prendre la relève, les femmes continuent à écrire « comme si demain était possible » [123], comme si leurs écrits pouvaient influencer le dénouement de l’histoire laissée en suspens. C’est dans ce sens qu’elles sont « filles de Schéhérazade » [124], des « Schéhérazade des jours d’encre ». [125] En tant que telles, elles assurent que « Le récit continuera [...]. Le récit, non le silence ». [126]

Bibliographie

ANOUILH, Jean. Antigone, Paris, La Table Ronde, 1946, 123 p.

BEY, Maïssa. Nouvelles d’Alger, Paris, Grasset, 1998, l78 p.

__________.Au Commencement était la mer, Paris, Marsa, 1996, 73 p.

CAMUS, Albert. L’Exil et le royaume, Paris, Gallimard, 1957, 187 p.

DJEBAR, Assia. Oran, langue morte, Arles, Actes Sud, 1997, 378 p.

FATIAH. Algérie, chronique d’une femme dans la tourmente, La Tour D’Aigues, L’Aube, 1996, l45 p.

HAYAT, Nina. La Nuit tombe sur Alger la Blanche, Paris, Tirésias, 1995, 117 p.

IMAKSEN, Naïla. La Troisième Fête d’Ismaël, Casablanca, Le Fennec, 1994, 208 p.

MAUPASSANT, Guy de. Le Horla, Paris, Rééd. Albin Michel, 1984, 214 p.

MOKEDDEM, Malika. Des Rêves et des assassins, Paris, Grasset 1995, 224 p.

OUAMARA, Achour. Oublier la France, La Tour d’Aigues, L’Aube, 1997, 100 p.

ZINAI-KOUDIL, Hafsa. Sans Voix, Paris, Plon, 1997, 201 p.

 



Ecrivaines [C3] de l'im/émigration, écrivaines algériennes : écritures politiques

Nicole BUFFARD-O’SHEA,
Oakland University

Dans une étude précédente, j'avais pris le parti de me concentrer sur la valeur métaphorique de trois textes écrits [127] par des écrivaines dites de l'immigration ou de l'émigration, selon qu'on se place dans un contexte français ou algérien. Je démontrais comment la métaphore, entité double à l'infini [128], exprimait la complexité du problème de l'identité chez chacune des écrivaines étudiées. Or, cette étude manquait d'aborder un point essentiel, celui de la valeur politique du langage.

C'est pourquoi j'examine ici comment la forme poétique du langage a la capacité de perturber le système de valeurs dans le contexte duquel il se situe. Je veux considérer le langage poétique comme un acte politique dans son sens large, c'est-à-dire « relatif au pouvoir et à la lutte autour du pouvoir », selon la définition du Petit Robert. Je veux traiter de l'écriture en tant qu'instrument de réappropriation du pouvoir lié à la notion même de discours, comme l'a démontré Michel Foucault dans L'Archéologie du savoir [129]. Mon corpus d'investigation se constitue de deux des textes que j'avais étudiés précédemment : La Voyeuse interdite de Nina Bouraoui et Georgette ! de Farida Belghoul et du roman que Tassadit Imache a publié récemment : Je Veux rentrer [130].

Quand Nina Bouraoui a choisi d'utiliser des métaphores essentiellement sexualisantes, il est clair qu'elle voulait choquer. Il est clair aussi que son roman présente une ambiguïté inhérente étant donné le caractère potentiellement sensationnel de son titre racoleur (La Voyeuse interdite) et de sa couverture [131] : le regard à la fois mystérieux, séduisant et effrayé, peut-être, d'une femme algérienne. Sensationnel potentiel présent aussi dans le sujet même du roman. On peut se demander en effet si le livre de Bouraoui exploite à des fins commerciales l'image de la femme algérienne. Que ce soit celle, voluptueuse, idéalisée, que Delacroix a fixé dans les esprits européens du dix-neuvième siècle par son célèbre tableau Femmes d'Alger dans leur appartement. Ou que ce soit celle contemporaine, émouvante, angoissée et réaliste redessinée par Assia Djebar dans un roman pour lequel elle a repris, ironiquement, le titre même du tableau de Delacroix. On peut se demander si le choc produit par le roman de Bouraoui, a pour but de déranger et de plaire à la fois. Serait-il finalement érotique ?

Or, une lecture du texte montre qu'avec ses personnages féminins, métonymies pour toutes les femmes cloîtrées, Bouraoui crée une image de la femme algérienne qui l'éloigne aussi bien de celle d'Assia Djebar que de celle de Delacroix. Elle crée des femmes dont les formes boursouflées en font des êtres repoussants, à l'image de la mère et de la tante de la narratrice, figures maternelles grotesques :

Une chevelure brune rebondit sur son dos, des ongles démesurément longs prolongent ses boudins de chair congestionnés par des bagues trop brillantes, un paquet de peinture sèche sur ses cils et tombe parfois en poudre bleu marine sur le trait grossier d'un khôl sombre. Un rouge gras entoure sa bouche en forme de sexe et se faufile dans des narines si béantes qu'on peut voir se dresser dans les cavités obscures une tapisserie de poils drus. Son corps ! un édredon dans lequel on aimerait bien s'enfoncer tant sa texture semble moelleuse et confortable, mais en regardant de plus près, on oublie vite son empressement ! En effet, des veines éclatées dessinent sur sa peau des petits ruisseaux de sang asséchés qui me donnent une soudaine envie de vomir [132].

Elle dessine une image répugnante de ces êtres qui peuvent être effrayants comme Zohr, sœur de la narratrice, cassante et sèche, image même de la mort :

Inutile de l'appeler [Zohr] c'est elle [la mort] qui parlait à sa place, et qui se nourrissait du peu de chair qui lui restait ! la mort avait choisi son masque, sans le savoir, Zohr la transportait dans toute la maison et s'endormait dans ses bras [...] La mort déversait lentement dans le corps de ma sœur sa lymphe empoisonnée afin que celle-ci puisse l'apprécier chaque jour de sa jeunesse, elle avait glacé son sang, durci ses veines et dessinait sur son visage à l'encre indélébile des fissures au coin de sa bouche, quatre étincelles étirant la fente de ses yeux et, sous son cou, une nouvelle peau, pendante et rugueuse coupée en son milieu par deux cordes de muqueuses blanches [133].

Elle crée une narratrice, Fikria, « vieille adolescente fripée avant l'âge », qui passe ses nuits à mutiler son corps, à le détruire pour le transformer en un objet répugnant, une plaie suintante, représentation métaphorique d'un sexe repoussant.

Avec ses images effrayantes et repoussantes de la femme algérienne, Nina Bouraoui prend ses lecteurs à leur propre piège. Dans une dénonciation purulente de tout érotisme associé à la femme voilée ou cloîtrée, elle leur renvoie, elle nous renvoie nos fantasmes, suintants de pourriture. Avec ses métaphores, Bouraoui fait échouer le caractère apparemment sensationnel du livre.

Ces métaphores ont une deuxième fonction : elles usurpent le pouvoir d’un certain discours traditionnel musulman algérien en l’infiltrant de la dégradation la plus complète. Dans sa vie douloureuse de femme cloîtrée, souillure et pourriture sont les deux seules armes dont dispose Fikria pour affronter ceux qui la gardent enfermée. Elle combat la douleur par la douleur, l'interdit par l'interdit, le mal par le mal, la souillure par la souillure : « on imagine, on souille » déclare-t-elle [134]. C'est pourquoi elle mutile son corps, elle torture l'expression même de sa féminité honteuse, elle détruit la source de sa douleur, cause de son confinement. C'est pourquoi elle souille métaphoriquement son environnement, ceux qui sont responsables de son enfermement ; elle noie tout dans le sang, l'urine et une sexualité suintante.

Dans le premier passage que j'ai cité, la narratrice souillait la Tante K. d'une « bouche en forme de sexe » et de « veines éclatées » qui « [dessinaient] sur sa peau des petits ruisseaux de sang asséchés ». Elle la transformait en un sexe dont les sécrétions sanglantes et asséchées ne pouvaient que donner « envie de vomir ». En d'autres termes, elle en faisait un interdit. Dans un autre passage du livre, c'est la tenue impeccable et la droiture du père, « le géniteur », qu'elle souille en lui mettant dans les mains un grain de muscat, gonflé, juteux qui éclate et devient un sexe féminin, celui de sa propre fille, qui se vide là, devant lui [135]. Père qu'elle oblige métaphoriquement à enfreindre l'interdit. La narratrice souille irrémédiablement les objets de son observation, la Tante K. et le père par exemple, ainsi que le système de valeurs dont ils sont les âpres défenseurs, avec cela même qui constitue l'interdit le plus absolu : l'exhibition d'une sexualité féminine suintante, donc dangereuse pour tous.

En souillant l'image de la femme algérienne, c’est-à-dire l’image même de la femme orientale dans l’esprit français, les métaphores de Bouraoui souillent également l'image de l'orient. Ces métaphores acquièrent une troisième fonction : elles infiltrent et usurpent le discours orientaliste, le vieux mythe européen de l'orient dont l'existence même est ainsi contestée puisqu'après tout, comme l'a magistralement démontré le critique Edward Saïd [136], l'orient n'est qu'un mythe dans l'esprit européen. Orient, dont Alger a longtemps été le centre dans l’esprit français et qui se transforme de la façon suivante dans le texte de Bouraoui :

[Alger] muse, modèle, savante un peu folle, mère nourricière, amoureuse grisée, elle fut le berceau des audaces, de la joie et de la gloire... Désormais vieille fille, flétrie par les années, piétinée par les nouveaux hommes, elle ne livre son secret qu'à ceux qui savent regarder. Son ventre refuge des inspirés, catacombe ouverte au public, cosmos du vieux monde, porte trop d'enfants, nourrit trop d'affamés. Il tombe comme une poche percée par l'épée d'un braconnier déversant ainsi sur les rues, les chaussées, les impasses et les plus belles avenues, un amas d'entrailles moisies qui s'entassent en montagnes de vies mortes et de souvenirs desséchés. Les enfants incultes jouent avec les derniers vestiges du passé dans le noir de ses yeux cernés, entre deux cuisses fatiguées, qui s'écartent encore pour bénir les fruits pourris de la patrie mourante... [137]

Orient dont l'image idéale, voluptueuse et glorieuse éclate pour être recréée sous la forme d'une « vieille fille, flétrie », comme Fikria précédemment, dont le corps violenté par la symbolique « épée du braconnier » n'engendre que misère et pourriture. Corps dévasté, « piétiné par les nouveaux hommes », Alger l'orientale aux yeux cernés de noir, aux cuisses fatiguées, pourries, ne peut enfanter que la mort, comme la mère de Fikria. Les métaphores de Bouraoui détruisent simultanément ces deux images de l'orient et de la femme orientale traditionnellement chargées de sens, de signification et de sensualité, dans l'esprit européen.

Avec La Voyeuse interdite, Nina Bouraoui perturbe délibérément et profondément les deux systèmes de valeurs auxquels elle se réfère : le système algérien, qui constitue le contexte du roman, et le système français, contexte de la publication du livre. En utilisant des métaphores qui souillent et pourrissent son texte Nina Bouraoui infiltre les pouvoirs de référence en les envahissant d’éléments essentiellement destructeurs. Dans son ouvrage Infiltrating culture : Power and Identity in Contemporary Women's Writing, Mireille Rosello considère ce phénomène en terme d'infiltration qui se pose comme la marque d'une usurpation politique insidieuse et malhonnête, c'est-à-dire qui s'opère avec les armes mêmes du ou des pouvoirs dominants de référence [138]. Infiltration qui « n'est jamais éloignée du dégoût » et dont « l'humidité [est] probablement la forme la plus courante [...] en tant que phénomène naturel [et se trouve] le plus souvent associée à toute une série d'éléments néfastes qui n'ont apparemment aucun rapport entre eux : la mort, la maladie, la pourriture, la jungle, et pourquoi pas l'élément féminin » [139]. Pour répondre à la question que je posais d’entrée ce n'est pas d'érotisme dont il est question ici mais de dégoût, d'inconfort, de gêne et de confusion, que peut ressentir tout lecteur, français ou algérien. Ce n'est pas d'érotisme dont il est question ici mais de démence et de délire qui habitent chaque ligne, chaque interstice de ce livre violent.

Démence et délire imprègnent également le tissu narratif du roman de Farida Belghoul Georgette !, qu'on ne peut cependant pas taxer de sensationnel. Texte schizophrène pour une narratrice schizophrène, le roman de Belghoul est l'expression même de la schizophrénie. Texte hallucinant, dédoublé à l'infini, contradictoire au sein même de ses contradictions, il se constitue lui-même en métaphore de la schizophrénie. Comme la métaphore, il n'est ni une ni deux, il est un et deux en même temps et ainsi de suite [140]. Le roman de Belghoul est l'expression même de la dimension politique du discours, de ce que Foucault décrivait comme : « la parole muette, murmurante, intarissable qui anime de l'intérieur la voix qu'on entend, qui rétablit le texte menu de l'invisible qui parcourt l'interstice des lignes écrites et parfois les bouscule » [141].

Texte profondément anarchique, Georgette ! perturbe les règles de tout acabit, en particulier les règles grammaticales et syntaxiques. Grammaire et syntaxe sont en effet constamment bousculées, violentées dans Georgette ! où sa narratrice de 7 ans donne à Farida Belghoul l'excuse de mettre en scène les erreurs, signale justement Sylvie Durmelat dans son article : « L'apprentissage de l'écriture » [142]. En remaniant les règles grammaticales et syntaxiques, la narratrice, Farida Belghoul violente l'autorité même de la grammaire, dénonce son caractère arbitraire et par là-même sa dimension politique. En remaniant la syntaxe, la narratrice de Farida Belghoul se réapproprie le pouvoir qu'elle détient et conteste la tradition qu'elle représente. Farida Belghoul soulève ainsi une nouvelle fois la question que posait Michel Foucault dans L'Archéologie du savoir :

Faut-il admettre dans ces conditions que la grammaire ne constitue qu'en apparence une figure cohérente ; et que c'est une fausse unité que cet ensemble d'énoncés, d'analyses, de descriptions, de principes et de conséquences, de déductions, qui s'est perpétué sous ce nom pendant plus d'un siècle ? [143]

Avec Georgette !, c'est l'autorité de tout langage au pouvoir qui est mise au défi, car à tous moments de la narration, à une syntaxe et une orthographe revisitées s'ajoutent expressions familières, argotiques et vulgaires. A tout instant, la narratrice salit son texte, le macule de taches linguistiques et métaphoriques qui contredisent les intentions de propreté de la narratrice. Propreté qui représente clairement l'adoption du système au pouvoir, obéissance aux règles omnipotentes du pouvoir, acception de la narratrice par le pouvoir en place. En salissant son texte, la narratrice, ou plutôt Farida Belghoul opère le phénomène d'infiltration dont il était question plus haut avec des éléments considérés comme essentiellement provocateurs par les pouvoirs de référence : le pouvoir familial algérien et le pouvoir scolaire français.

En guise d'exemple, j'ai choisi un passage qui contient ce phénomène omniprésent dans le roman :

Je me prépare. Mes cheveux sont attachés et ma blouse impeccable. J'ai des ongles transparents et aucune crotte dans les deux yeux [144].

La présence dans ces quelques lignes du nom « crotte » détonne ici, il salit le texte, contredit les intentions de propreté de la narratrice, son désir de se conformer aux règles scolaires. Il contient l'agressivité et le caractère anarchique de ce texte qui ne respecte aucun pouvoir. Ce petit mot se pose en métonymie des phénomènes de salissement et d'infiltration omniprésents dans le texte de Belghoul. Non seulement il trahit une force qui contredit la confusion, la faiblesse et l'impuissance, sur laquelle la critique (moi y comprise) s'est essentiellement penchée, mais il bouscule la propreté, c'est-à-dire le langage au pouvoir, et se réapproprie ainsi son autorité. Il signale que l'écriture de Belghoul usurpe insidieusement le contrôle du ou des discours dominants et se trouve ainsi en position d'autorité vis-à-vis de son lecteur.

Avec Je Veux rentrer, Tassadit Imache se place également en position d'autorité en usurpant, dans un premier temps, le contrôle de l'attente de son lecteur. Catégorisée romancière beurre depuis la parution de son premier roman, Une Fille sans histoire (1989) [145], on peut se demander en effet si elle n'a pas décidé de prendre son lecteur au piège de son conditionnement médiatique et idéologique. Lecteur pour lequel une romancière « beure » écrirait invariablement un roman autobiographique qui se développerait autour de la dichotomie culturelle française et algérienne [146]. Pour ce lecteur-là, pour moi, le titre Je Veux rentrer signifierait immédiatement « je veux rentrer en Algérie ». Cela impliquerait donc que Tassadit Imache aurait écrit une suite à Une Fille sans histoire qui se termine avec un dialogue entre la narratrice et son frère dans lequel il est question d'un voyage, d'un retour éventuel en Algérie. Or, si Je Veux rentrer est l'expression même d'une recherche, c'est de celle qui caractérise le roman en général, pas seulement le roman beur, dont il est question, c'est-à-dire la quête du moi, celle de Sara, la narratrice, qui veut rentrer, qui veut se retrouver, ne pas se perdre. Est-ce que la décision d'Imache de donner à son roman un titre manifestement ambigu ne relèverait pas d'une intention de donner le change, de donner l'impression qu'elle accepte une identité essentiellement marginalisante ? Le titre du roman d'Imache fonctionne en fait comme un subterfuge qui ressort, lui aussi du phénomène d'infiltration qui selon Mireille Rosello devient finalement un moyen de récupérer ou de mettre en évidence la mauvaise foi de ceux qui détiennent le pouvoir [147]. L'ambiguïté du titre peut être comprise comme la marque d'un refus d'appartenance, la marque d'une départenance, pour reprendre un autre terme de Rosello, à ce qu'on a appelé dans les années 80 la littérature beure. Le titre du roman d'Imache se constituerait donc en réaction à la domination du discours académique français ou autre, et mettrait en évidence sa mauvaise foi vis-à-vis de ce qu’il considère comme la marge. De plus, il signale la présence d'un phénomène qui couvre l'ensemble du roman, celui de la réécriture du discours au pouvoir.

Ton caustique, ironie et violence infiltrent l'écriture de Tassadit Imache. Texte acerbe et dur Je Veux rentrer se constitue en roman de la réécriture, de la réappropriation d'une certaine écriture détentrice d'autorité et porte-parole de ceux que la narratrice appelle les « nantis ». Comme les textes de Belghoul et de Bouraoui, celui d'Imache fait preuve d'une violence et d'une agressivité qui sont la marque première de la réaction politique. A tous les niveaux du récit, la narratrice de Tassadit Imache s'insurge contre le discours dominant qui permet de maintenir l'exclusion de l'individu sur la base de son origine socio-politique ; celui qui maintient la dichotomie nantis/ouvriers à des fins politiques évidentes. Dichotomie qui s'établit immédiatement en termes conflictuels dans le texte d'Imache comme l'indiquent les lignes suivantes où La Fontaine représente à la fois les nantis et le discours académique dominant : « Malgré sa vie de feignant et ses manières de pique-assiette, il avait toujours plu aux ouvriers, La Fontaine » [148].

Réappropriation d'une certaine écriture détentrice de pouvoir qui se fait par la réécriture d'un conte de Perrault Le Petit Poucet. On le sait, l'analyse textuelle et psychanalytique d'un conte canonique tel que Le Petit Poucet révèle indéniablement les valeurs de la société et de l'époque à laquelle il a été écrit. Une telle analyse montre qu'il est représentatif d'un certain discours, détenteur de pouvoir. Toute révision d'un conte de stature canonique, tel que Le Petit Poucet se met donc immédiatement en position de lutte contre ce pouvoir.

Dans la réécriture d'Imache, Poucet n'est plus ce brave petit garçon qui persévère malgré la cruauté du destin, et de ses parents ; qui, dans sa magnanimité, s'empresse de passer l'éponge à la fin du conte et fait la fortune de ceux-là même qui l'avaient condamné. Dans la réécriture de ce conte, ce n'est pas du courage de Poucet dont il est question mais de son entêtement à vouloir retrouver ses « salauds de parents » :

Tout de suite est apparu, d'une pâleur caricaturale de conte de fées, le museau futé du Petit Poucet. Enfant, elle n'avait jamais compris l'entêtement de ce garçon à retrouver le chemin de sa maison. Jugeait risible son ingéniosité, son indécrottable attachement à ses salauds de parents.

Ce n'est pas sur sa générosité et sa persévérance qu'insiste la narratrice mais sur son « manque de sensibilité » et « son absence de générosité envers [ô surprise] l'épouse de l'ogre » :

Quelqu'un avait-il entendu Poucet dire merci ou demander pardon à la bonne femme ? Qu'il le dise et l'on pourra encaisser la chose, que Le Petit Poucet n'est pas une histoire vraie. Sinon, on sera obligé de voir que l'enfant abandonné connaît la vraie nature des parents, en temps de disette, des ventres vides incapables de résister... [149]

En exposant le caractère essentiellement fallacieux de ce conte, la réécriture de Tassadit Imache entreprend de rétablir son message véritable. Par sa réécriture Tassadit Imache fait resurgir le caractère profondément démagogique de ce type de discours. Démagogie dont un des buts est de convaincre l'opprimé, quel qu'il soit, qu'il ne doit pas remettre en question son oppression : il doit la maintenir, au contraire, et même la chérir. Elle expose le fait que non seulement les parents de Poucet, opprimés par la dynamique sociale du 17ème siècle, ne sont absolument pas capables de concevoir le caractère révoltant de leur résignation, dont le prix serait la vie de leurs propres enfants, mais que Poucet lui-même, bien qu'il réussisse à déjouer le plan cruel de ses parents, s'avère tout aussi conditionné par sa situation de dominé puisqu'il ne peut que récompenser ceux-là même qui ont voulu sa perte au lieu de ceux qui l'ont aidé à survivre, comme la femme de l'ogre.

Il m'a toujours été difficile de ne pas penser que les parents de Poucet avaient effectivement agi comme des salauds et que Poucet lui-même était vraiment « indécrottable ». De même, qu'enfant, il m'a longtemps été impossible de ne pas me convaincre que cette histoire devait avoir une morale acceptable étant donné son statut canonique dans la littérature enfantine. En réinscrivant le message essentiellement révoltant de ce conte, la réécriture d'Imache dissout ce malaise, cette trace de ma soumission au pouvoir des textes canoniques, elle fait donc échouer le but pernicieux et démagogique du type de discours qu'il représente.

Chacun des trois textes analysés ci-dessus redéfinit trois types de discours : le discours orientaliste, qu'il soit européen ou algérien, le discours grammairien ou linguistique et le discours académique. Chacun de ces trois textes se pose en réaction à la dynamique de ces discours et se réapproprie ainsi, momentanément, le pouvoir qu'ils détiennent. De cette façon, Nina Bouraoui, Farida Belghoul et Tassadit Imache font aussi échouer une attitude critique potentiellement paternaliste vis-à-vis la littérature de l’im/émigration.

Textes cités

BELGHOUL, Farida. Georgette ! Paris, Eds. Barrault., 1986. 163 p.

BOURAOUI, Nina. La Voyeuse interdite. Paris, Gallimard, 1991. 143 p.

BUFFARD-O’SHEA, Nicole. « Métaphores identitaires chez Tassadit Imache, Farida Belghoul et Nina Bouraoui », Le Maghreb Littéraire, Toronto, Vol. 1, N° 2, 1997, p. 45-60.

DURMELAT, Sylvie. « L’Apprentissage de l’écriture ». In Michel LARONDE (Dir.), L’Ecriture décentrée. La langue de l’autre dans le roman contemporain, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 33-54.

FOUCAULT, Michel. L'Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969. 218 p.

GORDON, Paul. The Critical Double. Figurative Meaning in Aesthetic Discourse. Tuscaloosa, the University of Alabama Press, 1995. 177 p.

IMACHE, Tassadit. Je Veux rentrer. Arles, Actes Sud, 1998. 137 p.

________, Une Fille sans histoire. Paris, Calmann-Lévy, 1989. 142 p.

LARONDE, Michel. « La littérature de l’immigration et l’institution en 1996 : Réflexions à partir du paratexte de Lila dit ça ». Etudes Francophones. Vol. XIV, N° 1, Printemps 1999, p. 5-21.

ROSELLO, Mireille. Infiltrating Culture. Power and Identity in Contemporary Women's Writing. Manchester, Manchester University Press, 1996. 205 p.

SAID, Edward. Orientalism. New York, Vintage Books, 1979. 368 p.


Le [C4] rôle de la mémoire chez quelques écrivaines algériennes de l’autre rive

Birgit MERTZ-BAUMGARTNER,
Université d'Innsbruck.

Préliminaires

La mémoire compte parmi les thèmes les plus fréquemment abordés dans les littératures post­coloniales puisqu'elle est liée de façon inextricable à l'idée de l'Identité et à une redéfinition de celle-ci. « La mémoire est génératrice d'identité » [150], écrit l'historien allemand Otto Gerhard Oexle en introduction à son ouvrage sur la mémoire et la culture. Et dans une étude intitulée Memory and identity : the history of a realtionship John R. Gillis souligne :

(...) the notion of identity depends on the idea of memory, and vice versa ; the core meaning of any individual or group identity (...) is sustained by remembering ; and what is remembered is defined by the assumed identity. [151]

Nous pouvons constater que le thème du souvenir et de la mémoire est surtout répandu chez les écrivains des diasporas multiples de la deuxième moitié du XXe siècle, chez des auteurs qui – loin de leurs patries et conscients du peu de probabilité voire de l'impossibilité d'un retour – essaient de rassembler les signes épars de leurs passés et de leurs cultures. C'est dans ce sens que Robert Berrouët-Oriol comprend les écritures migrantes comme « écritures (...) du corps et de la mémoire » [152]. Dans son essai Migrancy, culture and identity, le philosophe Iain Chambers tente d'expliquer que la migration ainsi que l'expérience de l'exil comportent toujours une prise de conscience qui re-voit, re-lit, re-travaille, re-pense et re-écrit constamment le passé. [153] Il s'agit d'un processus de « re-membering », d'un réassemblage de fragments et de traces antérieurs à l'occasion d'une situation actuelle d'urgence grâce à la puissance de la mémoire. [154] La mémoire devient ainsi une charnière entre présent et passé, entre pays d'accueil et pays d'origine, le symbole par excellence de la migration qui permet le voyage virtuel entre deux temps et deux espaces en construisant une identité migrante qui « n'en est pas une ».

Dans le dernier recueil de l'écrivain algérien exilé en Allemagne Hamid Skif, se trouve un conte portant le titre Les souvenirs [155] qui s'ouvre sur la phrase suivante : « Pour que la paix revienne, il faut renvoyer les souvenirs de la guerre, décida le Conseil des Anciens. » [156] Au cours du récit, ce sont les femmes qui refusent d'obéir à cet ordre et réclament le droit de protéger et de faire vivre les souvenirs même les plus douloureux puisque ces « souvenirs [sont] les leurs » [157] et font partie de leur passé-présent-avenir. Le nombre de romans publiés ces dernières années par des femmes écrivains autour du thème de la mémoire confirme bien ce refus des femmes de « renvoyer leurs souvenirs » – traité par Hamid Skif dans le cadre d'une fiction – et est une preuve du « plaisir de faire vivre ce que les hommes condamnaient à l'oubli. » [158]

Au cours de cette étude, nous nous interrogerons donc sur les différents rôles de la mémoire chez quelques écrivaines algériennes de la migration : nous présenterons d'abord brièvement deux romans de Malika Mokeddem et de Leïla Marouane (L'Interdite et Ravisseur) qui abordent, tous les deux, mais de manière opposée, le rapport conflictuel entre mémoire et oubli. La partie principale sera consacrée ensuite à l'analyse du Chant du lys et du basilic et de La Prière de la peur de Latifa Ben Mansour, deux romans qui nous semblent particulièrement significatifs dans le contexte de nos réflexions. Nous reprendrons, lors de nos analyses, la terminologie et les bases théoriques introduites par Maurice Halbwachs dans les années 20 et développées, dans les années 90, par Jan et Aleida Assmann ; Assmann distingue entre la mémoire communicative qui règle l'appartenance à un groupe dans la vie quotidienne et la mémoire culturelle ; dans une culture sont « cristallisées », selon Assmann, les expériences collectives ; la mémoire culturelle (textes, rites, monuments, etc.) dispose donc également d'une puissance d'unification identitaire. Régine Robin par contre parlera dans ce cas-là de « mémoire collective ». Elle réserve le terme de « mémoire culturelle » pour cerner un type de mémoire qui se manifeste surtout dans la fiction et qui se caractérise – contrairement à la notion de Assmann – par son éclatement et par son refus de la re-totalisation. [159]

Entre mémoire et oubli : L'Interdite de Malika Mokeddem et Ravisseur de Leïla Marouane

La mémoire peut être considérée comme une des constantes dans l’œuvre entière de Malika Mokeddem: tandis que son premier roman Les Hommes qui marchent (1990) ne se révèle comme roman mémoriel que sur les dernières pages du roman, la mémoire joue un rôle fondamental au niveau du contenu et de la forme dans Le Siècle des sauterelles (1992), L'Interdite (1993) et son roman le plus récent N'Zid (2001).[160] Dans le deuxième roman de l'auteure, Le Siècle des sauterelles, la mémoire influe considérablement sur la structure textuelle en faisant de toute la première partie du texte une suite de retours en arrière.

Provoquée par la mort violente de sa femme ainsi que par le mutisme soudain de sa fille Yasmine, la remontée des souvenirs de Mahmoud sert avant tout à approfondir la psychologie du prota­goniste masculin, à esquisser une pré-histoire qui plante l'idée centrale de la ven­geance. Dans L'Interdite, l'auteure reprend le thème de la mémoire et lui donne, cette fois-ci, comme contexte immédiat une quête identitaire féminine. Au début du roman, la protagoniste Sultana, se sent déchirée entre passé et présent, entre son pays natal, l'Algérie, et son pays de résidence, la France, puisqu'elle est en permanence « dans l'entre-deux, sur une ligne de fracture (...) » [161]. Grâce au retour au pays natal et grâce à ses souvenirs, elle arrive à revoir un passé refoulé et à lui donner une présence réelle dans sa vie actuelle. Ces souvenirs – intercalés dans le récit à intervalles réguliers dans les chapitres racontés par Sultana – sont réveillés, à la manière de la madeleine de Proust, par le son d'une flûte, les toiles de son ancien amant, les lieux de son enfance et de sa jeunesse de telle manière que « [s]a mémoire s'affole entre passé et présent. Le temps subit une contraction, une condensation » [162].

Le souvenir de la mort de sa mère, surtout, qui s'insère comme dernière pièce dans le puzzle de son enfance et qui s'enrichit et se complète grâce à la mémoire des autres femmes, lui permet de « redonner une chair de réalité » [163] à sa mère et de « recomposer un passé émietté » [164]. En même temps, cette mémoire – lien entre passé et présent – rend possible à Sultana de se réconcilier avec elle-même et d'accepter définitivement sa double appartenance. L'Interdite fait donc se retrouver deux thèmes traditionnellement liés, la mémoire et l'identité. Néanmoins, chez Malika Mokeddem, l'identité perd sa signification d'unité, d'homogénéité et de permanence pour s'inscrire désormais sur une ligne de fracture et se situe, comme la mémoire, dans l'entre-deux des temps et des espaces. Ici, c'est la reconstitution de l'histoire personnelle passée qui – bien que douloureuse – ouvre définitive­ment la voie vers l'avenir et vers une identité nouvelle.

Cette fonction très positive d'une mémoire fondatrice d'identité est violemment remise en question dans Ravisseur de Leïla Marouane. Comme le titre le suggère, la trame narrative du roman raconte la disparition d'une mère de famille répudiée et remariée au voisin. Elle relate donc l'histoire d'un « rapt ». Bien que le destin de la mère crée le suspense, c'est vers le sort de la narratrice, fille aînée de la famille, que l'attention du lecteur est progressivement tirée. Dans la galerie des « portraits à défauts » de son père, cette narratrice, Samira nous est présentée comme « sournoise, fugueuse, menteuse », une jeune femme de 19 ans « à la mémoire soi-disant trouble » [165]. « D'ailleurs », dit-elle, « j'étais réputée pour avoir la mémoire fragile (...). » [166] Le lecteur est associé à cette mémoire « trouble » et fragile, à cette amnésie partielle de la narratrice – qui n'est pour son père qu'un mensonge [167] – ainsi qu'à la remontée, par bribes, de son histoire, puisque son regard reste, tout au long du récit, étroitement lié à celui de Samira. De cette façon les premières allusions à la tragédie personnelle de Samira ne peuvent être comprises dans leur totalité, ni par le lecteur, ni par la narratrice elle-même ; dans une conversation avec sa belle-sœur, Samira cherche par exemple « en vain une cohérence dans les propos [de celle-ci] » ; il reste, chez le lecteur, un pressentiment déconcertant, voire angoissant et chez Samira « [d]es visions d'épouvante, d'insaisissables réminiscences » qui « percutèrent [s]es lobes frontaux » [168]. Samira vit une amnésie volontaire qui lui permet de refouler une mémoire refusée ; il s'agit du souvenir cauche­mardesque d'un viol qui, au début, ne surgit de l'inconscient de Samira qu'à l'occasion d'un mauvais rêve pour rejoindre tout de suite « les limbes de [s]a mémoire » [169]. Par une cruelle ironie du sort ce sont les coups terribles, presque mortels de son père qui font remonter, d'un coup, chez Samira, le souvenir du viol et de la grossesse non-désirée : « Tandis que l'agonie me courtisait et me séduisait, les souvenirs celés au tréfonds de ma conscience se libérèrent (...) » et « je sus (...) » [170].

La mémoire refoulée et récusée ainsi que le retour de cette mémoire s'accompagnent donc tous les deux d'un acte d'agression masculine. Les tourments à nouveau infligés au corps féminin, le visage défiguré sous les coups du père, le crâne scalpé font surgir (de l'inconscient) les souvenirs douloureux et destructeurs du viol ; la souffrance physique de la femme torturée par son père se double ainsi d'une blessure psychique également causée par la violence masculine. Tandis que l'oubli volontaire (« En réalité, je n'avais pas vraiment oublié. » [171]) lui a permis de mener une vie « normale », cette mémoire d'où surgissent « d’écœurants, de révulsants personnages » [172] la détruit à petit feu, la maintient dans un délire irré­parable, dans un état de folie sans issue. Dans Ravisseur, l'oubli – habituellement considéré comme négatif – devient un élément fondateur et vital, tandis que la mémoire s'imprègne de violence et se transforme en métaphore de la destruction et du ravage de l'espace féminin.

De la mémoire individuelle à la mémoire culturelle : Le Chant du lys et du basilic de Latifa Ben Mansour

Le Chant du lys et du basilic de Latifa Ben Mansour est également une chronique des tensions entre la mémoire et l'oubli, avec cependant un point de départ nettement différent. Il s'agit de l'histoire de Mériem, une jeune fille de 15 ans, qui – à la suite d'un accident – est tombée dans le coma et se trouve à l'hôpital en soins intensifs. Contrairement aux deux romans présentés ci-dessus Le Chant du lys et du basilic est un vrai « roman mémoriel » (dans le sens de Régine Robin) [173] dans lequel la mémoire est non seulement le thème central, mais où elle sert aussi de trame au roman. [174] En fait, c'est l'inadéquation entre le temps de la narration s'étendant sur deux jours à l'hôpital et le temps narré sous formes de souvenirs-flashs couvrant une période de 15 ans qui donne au texte sa structure caracté­ristique. Ce contraste entre la durée de l'action-cadre et celle des souvenirs relatés correspond à une autre opposition concernant l'état de la protagoniste : Dans l'action-cadre, le narrateur insiste à maintes reprises sur l'immobilité et le mutisme de Mériem, sur sa vaine tentative de communiquer avec les gens qui l'entourent ; il lui semble impossible de briser « le rempart dressé par ses lèvres » [175], « ses lèvres scellées comme les pyramides sur les sarcophages des pharaons » [176]. Mais son état comateux, caractérisé par l'impossibilité de bouger et de s'exprimer par la parole, est en contraste avec la vivacité et la mobilité de son esprit et de ses souvenirs qui se libèrent, gambadent, la submergent et l'entraînent dans un rythme tourbillonnant : « (...) son cerveau (...) profitait de son immobilité pour faire remonter à la surface tout ce qu'elle avait tenté désespérément d'oublier » [177].

Les souvenirs de Mériem émergent d'une mémoire représentée dans le texte par les métaphores du dédale [178], du labyrinthe [179], des méandres [180] ou du puzzle [181], qui se caractérise donc par sa sinuosité, des courbes, où l'on risque de s'égarer ainsi que par sa composition fragmentaire. Ainsi, la trame du roman se compose d'une multitude de fragments mémoriels qui essaient de ravauder – par bribes et épisodes – l'histoire d'une enfance éclatée sur fond de guerre. Souvent, les souvenirs ramènent Mériem vers Derb Messoufa, le quartier arabe de Tlemcen, où sont ancrés tous les événements importants de sa vie : la mort de son père (quand elle n'avait que 4 ans), la détention du grand-père par l'armée française, l'assassinat d'Ami Ambarak, l'épicier-ami, le « mardi noir » où « Tlemcen baignait dans le sang de ses enfants » [182], les expériences douloureuses à l'école française, etc. Le narrateur résume : « Aussi loin qu'elle puisse remonter dans sa mémoire, il n'y avait que mort et sang. » [183]

L'histoire individuelle de Mériem et de sa famille, reconstituée dans un état d'urgence actuel (I. Chambers), est une suite de pertes, de peurs et d'espoirs souvent déçus, qui – plus d'une fois – se présente au lecteur comme pars pro toto, comme raccourci de l'histoire collective de l'Algérie pendant la guerre d'indépen­dance. L'histoire privée, basée sur une mémoire individuelle, devient ainsi le miroir d'une histoire collective complétant l'image officielle par son histoire « inofficielle ».

Si l'on fait référence aux quatre types de mémoires distingués par Régine Robin, on a affaire, dans Le Chant du lys et du basilic, à la mise en forme narrative d'une mémoire culturelle, d'une mémoire-fiction, d'une « autre façon d'écrire l'histoire » [184]. D'après Régine Robin, la mémoire culturelle est – comme la mémoire collective – un tissu de mémoires, même si celles-ci sont éclatées ; mais contrairement à la mémoire collective, la mémoire culturelle n'est pas identitaire, ne cherche pas à retotaliser, n'est pas toujours désireuse de donner sens au passé. [185] En fait, Latifa Ben Mansour cherche à retracer la complexité de l'histoire algérienne en évitant soigneusement tout jugement à l'emporte-pièce, toute réduction à l'uni-dimensionnel. Elle ne désire pas restituer une identité algérienne, mais rassembler les multiples facettes de l'histoire – souvent douloureuse – d'un peuple, creuset de cultures et de religions, témoin de combats séculaires. Elle souhaite raconter le passé sans donner de totalité aux fragments, sans combler les lacunes de la mémoire, sans s'en tenir à l'exactitude historique. Ainsi se dessine devant les yeux du lecteur le cheminement d'un pays vers l'indépendance, un cheminement sinueux, incertain, plein d'espoirs et d'angoisses symbolisé par la fin ouverte du roman qui ne fixe en rien le destin de la protagoniste.

La mémoire culturelle, dit Régine Robin, est « potentiellement polyphonique » [186], comme l'est le roman de Latifa Ben Mansour. D'un côté, l'histoire de Mériem est accompagnée par d'autres destins et voix de femmes de Tlemcen, de l'autre côté le récit se nourrit d'une riche tradition orale intégrant des versets du Coran, des Chants Hawfis, des légendes, des devinettes et des poèmes. Entamée dans Le Chant du lys et du basilic, cette écriture mémorielle et polyphonique est reprise et parachevée dans La Prière de la peur.

Mémoire polyphonique et écriture mémorielle : La Prière de la Peur de Latifa Ben Mansour

Dans une brève analyse du roman, Christiane Chaulet-Achour résume l'intention de l'auteure comme un « double projet de restitution de mémoires individuelles et d'une mémoire collective » [187]. Je préfère, de nouveau, remplacer « mémoire collective » (dans le sens de Maurice Halbwachs) par « mémoire culturelle » (dans le sens de Régine Robin) puisqu'il ne s'agit pas de la reconstruction d'une identité close, mais du témoignage – comme le souligne Latifa Ben Mansour elle-même – d'une « Algérie ouverte et diverse, dans le temps et dans l'espace » [188]. Encore plus que dans Le Chant du lys et du basilic, La Prière de la peur met l'accent sur les identités multiples de l'Algérie, sur la coexistence de différentes cultures et religions qui lui donne sa physionomie typique, et s'oppose radicalement à l'image d'une Algérie « uni-dimensionnelle », arabo-musulmane fondamentaliste. « Le roman lutte », comme le souligne Chaulet-Achour, « contre une culture livrée à la réduction » [189].

La Prière de la peur s'inscrit dans la lignée des romans qui racontent le passé, lointain et proche, à partir d'une situation d'urgence, la trame narrative étant ancrée dans l'Algérie de nos jours. Il s'agit d'un roman qui choisit la fiction historique, lieu privilégié de la mémoire culturelle selon Robin. [190] Dans un entretien, Latifa Ben Mansour confirme :

Ce n'est pas un livre d'Histoire : je n'écris pas un livre à la gloire de... Bien sûr je parle de l'histoire des miens (...). Mais je me permets de changer certaines données (...) Je veux parler de lieux que j'aime sans raconter de contre-vérités, en restant dans la vraisemblance mais pas nécessairement dans l'exactitude historique. [191]

Comment pourrait-on mieux traduire le concept d'une identité plurielle que dans une structure polyphonique du récit – également caractéristique de la mémoire culturelle, comme nous venons de le voir. Mikhaïl Bakhtine entend par « polyphonie » la multiplicité de voix et de consciences autonomes qui se rejoignent dans l'unité d'un événement sans fusionner entièrement. De même qu'au niveau du contenu où il s'agit de créer un monde polyphonique, Bakhtine préconise une structure qui sait rassembler des éléments hétérogènes et incompatibles dans l'unité de la construction romanesque et s'oppose ainsi au récit homogène et clos. [192] De ce point de vue, La Prière de la peur se caractérise par une double polyphonie : D'un côté, la trame narrative perd son homogénéité et sa continuité chronologique par la présence simultanée de rétrospectives et l'insertion fréquente de légendes, de contes, de Chants Hawfis, de versets du Coran et de poèmes, expressions d'une polyphonie à la fois culturelle et générique. De l'autre côté, le récit n'est pas mené par un narrateur/une narratrice, mais est organisé par une chaîne de voix féminines, comme l'aïeule, Hanan I et sa cousine de même nom Hanan II [193]. Hanan I, rentrant de France au pays natal, est la victime d'un attentat à la bombe à l'aéroport ; après une amputation des pieds, elle se prépare à mourir bientôt à Aïn el Hout, « lieu de ses ancêtres », en compagnie de son aïeule, dans la mémoire de laquelle « logeaient plusieurs livres » [194]. Hanan I se propose donc de rassembler dans un manuscrit « les morceaux épars de [s]a vie éclatée » [195], de mettre par écrit sa vie et ses expériences pour triompher ainsi « de la mort et de la barbarie » [196] ; parallèlement elle souhaite transcrire par l'intermédiaire de l'aïeule la mémoire de ses ancêtres [197], fixer par l'écriture les légendes et les poèmes racontés et récités par l'aïeule. Cela constituera effectivement la première partie du texte. Par la suite, c'est Hanan II qui – de retour au pays natal avec son mari et ses deux enfants – prend la relève de Hanan I et prête sa voix à la défunte et aux mémoires polyphoniques du manuscrit en le lisant à haute voix, selon le vœu de sa cousine, lors de la veillée funèbre. Comme dans une vraie polyphonie – qui fait entendre, comme le dit Bakhtine, toutes les voix conjointement et simultanément [198]se mêlent à cet acte de transmission de la voix de sa cousine et des ancêtres les sonorités de sa propre voix. Grâce aux histoires transmises, Hanan II arrive à se libérer et « elle se [met] sans le savoir à raconter à l'assemblée sa propre histoire » [199].

Au-delà de ces histoires enchevêtrées et de ces mémoires superposées, symboles de la pluralité et de la diversité, La Prière de la peur contient également le récit de leur transmission en insistant sur le passage de la mémoire à l'écriture. Bien que la tradition orale dispose d'une mémoire, c'est l'écriture qui, d'après Ian Assmann, peut seule garantir une mise en mémoire sûre et durable. L'oralité, dit-il, représente une tradition non-visible que l'écriture rend perceptible et, par conséquent, plus facilement conservable. [200] C'est grâce à Hanan I que l'oral passe à l'écrit, mais pour être ensuite réintégré dans l'oralité par un geste rituel, la lecture à haute voix du manuscrit-testament.

Il nous semble significatif que La Prière de la peur se termine sur la mort de l'aïeule ; ce n'est certainement pas par hasard qu'elle est décapitée par les « fous d'Allah » [201] qui lui coupent cette tête « qui avait appris des livres entiers » [202], lui arrachant ainsi son savoir et sa mémoire : « Qui transmettra les chants des filles d'Ève, de Sarah et de Hadja ? (...) Qui relatera les perles tréfilées en une chaîne magique et envoûtante ? (...) Qu'es-tu devenu, ô mon pays ? » [203], se lamente la narratrice-auteure. Bien qu'elle entonne, à la fin du roman, une complainte sur la tentative de meurtre d'une mémoire culturelle polyphonique, elle persiste à espérer : « Tu revivras, Algérie ? (...) De tes cendres, tu renaîtras, Algérie. » [204] C'est justement sur cette mémoire passée de l'oralité à l'écriture, transmise, semble-t-il, surtout par des femmes que Latifa Ben Mansour fonde ses espérances. Et c'est également dans ce projet d'écriture mémorielle qu'elle reconnaît sa mission de femme écrivain. Mnémosyne, déesse grecque et mère des muses, est donc à l'origine d'une écriture mémorielle qui, pour Latifa Ben Mansour, signifie avant tout « re-naissance » [205].

Conclusion

Pour conclure, nous pouvons constater que, dans les quatre romans étudiés ici, c'est toujours une situation actuelle d'urgence qui déclenche le processus de la mémoire. Cette situation d'urgence a pour coulisse, dans trois des quatre textes, les événements sanglants de l'Algérie contemporaine.

Il s'agit toujours d'une reconstruction de traces dans le passé, d'un processus de « re-membering » (I. Chambers), qui contribue à la restitution d'une histoire individuelle et/ou collective. Dans L'Interdite ainsi que dans La Prière de la peur les résultats de ce processus mémoriel sont jugés positifs (malgré la mort des protagonistes de La Prière de la peur) puisqu'ils représentent le point de départ d'un avenir possible. Celui-ci est étroitement lié à un concept identitaire nouveau basé sur l'idée de la diversité qui se retrouve, dans les deux romans, à la fois au niveau du contenu et au niveau de la forme. Tandis que La Prière de la peur s'inscrit dans la tradition du roman polyphonique (comme nous venons de le voir), L'Interdite est un roman à deux voix, cultivant un jeu intelligent de dédoublements et d'inter­textualité (comme je l'ai démontré ailleurs [206]). Le Chant du Lys et du basilic revisite, à travers une mémoire individuelle, l'histoire de l'Algérie à l'époque de la guerre d'indépendance, re-écrit, d'un point de vue nuancé et multiple, sa représentation. Ravisseur, enfin, met en scène une jeune femme déchirée entre mémoire et oubli, entre amnésie volontaire et remon­tée subie d'une mémoire dévastatrice. Il nous paraît intéressant que Ravisseur soit le seul texte qui attribue une fonction positive à l'oubli permettant parfois la survie.

Pour finir, nous aimerions souligner que la mémoire est présentée dans les romans étudiés comme un élément-moteur qui met les choses en branle et qui s'oppose à l'immobilité de la pensée, de l'image et de la représentation ; une mémoire motrice qui reste étroitement liée à des consciences et à des voix féminines comme celle de Latifa Ben Mansour : « Je récupérais dans ma mémoire une transmission assurée par les femmes de la famille par les chants et les contes. Je prenais place dans cette chaîne de femmes. » [207]

Bibliographie

Textes

BEN MANSOUR, Latifa. La Prière de la peur, Paris, Éditions de la Différence, 1997, 380 p.

Le Chant du lys et du basilic, Paris, Éditions de la Différence, 1998 (1990), 355 p.

MAROUANE, Leïla. Ravisseur, Paris, Julliard, 1998, 190 p.

MOKEDDEM, Malika. Des Rêves et des assassins, Paris, Grasset, 1995, 229 p.

L'Interdite, Paris, Grasset, 1993, 264 p.

SKIF, Hamid. Citrouille fêlée ou Amar fils du mulet, Paris, 00h00, 1999, 134 p.

Ouvrages de référence

ASSMANN, Aleida – HARTH, Dietrich (s. la dir. de). Mnemosyne. Formen und Funktionen der kulturellen Erinnerung, Frankfurt a. M., Fischer TB, 1991, 400 p.

ASSMANN, Jan – HÖLSCHER, Tonio (s. la dir. de). Kultur und Gedächtnis, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1988, 371 p.

ASSMANN, Jan. « Kulturelles Gedächtnis als normative Erinnerung. Das Prinzip 'Kanon' in der Erinnerungskultur Ägyptens und Israels », in Otto Gerhard Oexle (s. la dir. de), Memoria als Kultur, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1995, pp. 95-114.

BACHTIN, Michail. Probleme der Poetik Dostoevskijs, München, Carl Hanser Verlag, 1971, (fr. Problèmes de la poétique de Dostoïevski), 320 p.

CHAMBERS, Ian. Migration, Kultur, Identität, Tübingen, Stauffenburgverlag, 1996, (angl. Migrancy, culture, identity), 184 p.

CHAULET-ACHOUR, Christiane. Noûn. Algériennes dans l'écriture, Biarritz, Atlantica, 1998, 245 p.

GILLIS, John R. « Memory and identity : the history of a relationship », in John R. Gillis (s. la dir. de), Commemorations. The politics of national identity, Princeton, Princeton University Press, 1994, pp. 3-24.

OEXLE, Otto Gerhard (Dir.). Memoria als Kultur, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1995, 427 p.

ROBIN, Régine. Le roman mémoriel, Longueil, Le Préambule, 1989, 196 p.

 


Espaces littéraires problématiques


Séfaradité algérienne de l’errance dans l’œuvre d’Albert Bensoussan

Richard AYOUN,
Cátedra de Estudos Sefarditas « Alberto Benveniste » Lisbonne.

Il convient de rappeler que des Juifs ont vécu en Algérie près de deux millénaires. Une présence juive antique est attestée par des inscriptions latines et hébraïques [208]. Les Berbères judaïsés ont joué un rôle dans la résistance armée à l’expansion arabe à la fin du VIIe et au début du VIIIe siècle, qu’évoque le grand historien médiéval Ibn Khaldûn [209]. Au XIIe siècle, le raz-de-marée almohade avec la politique d’extermination physique ou de conversion forcée des Infidèles (chrétiens et juifs), explique que l’Algérie paraisse « vide de juifs » aux XIIIe et XIVe siècle.

Le renouveau intervient en 1391, avec l’arrivée des immigrants espagnols, l’élément immigré s’imposant à l’élément autochtone, par son importance numérique, par son mode d’organisation et son patrimoine spirituel. Pendant la période turque, les Juifs d’Algérie sortent irrémédiablement de l’ombre. C’est avec la capitulation d’Alger, le 5 juillet 1830, que l’on constate vraiment l’entrée en force des Juifs d’Algérie sur le devant de la scène où en une génération, ils passent de la condition médiévale de sujets tolérés à celle de citoyens français. Avec la guerre d’indépendance qui débute en 1954, les Juifs d’Algérie s’interrogent sur leur présence en terre algérienne. Les responsables communautaires d’Algérie sont convaincus, dès 1958, que la permanence du Judaïsme dans ce pays est compromise. Leurs coreligionnaires français, sans doute parce qu’ils sont moins dépendants des aléas de la politique algérienne du gouvernement, s’interrogent plus longtemps. Schématiquement, on pourrait dire qu’en quittant l’Algérie, de nombreux Juifs se comportent comme s’ils ne faisaient que changer de département français.

 

Un des écrivains ayant le mieux évoqué cette histoire est Albert Bensoussan : il a bâti dans la cohérence mais aussi dans l’obsession romanesque, un univers qui doit tout à l’Algérie, terre promise et refusée. Ainsi, dans un de ces derniers livres : L’œil de la Sultane [210], Albert Bensoussan recompose un passé tout à la fois réel et mythique. Il retourne dans la ville de son enfance, Tlemcen, et il explore grâce à une mémoire infidèle l’» Algérie heureuse » où les communautés se côtoyaient sans haine, échangeant leur langage et épousant leur culture.

Nous avons en cet écrivain un représentant de la culture séfarade en terre algérienne. A ce propos, il convient de rappeler que le terme « Séfaradité » pose un problème de définition pour l’histoire, la culture ou la littérature séfarades. Les séfarades tirent leur nom du pays où vécurent leurs ancêtres au Moyen Age. En effet, le terme hébreu Sefarad désigne traditionnellement l’Espagne. C’est un hapax de la Bible, dans Le Livre d’Obadia (I, 20), qui annonce que « l’exil de Jérusalem, qui est en Sefarad, héritera des villes du Néguev » [211]. De nos jours, trois définitions sont essentiellement données.

Le Premier Symposium d’études séfarades, tenu à Madrid du 1er au 6 juin 1964, retient des Séfarades une définition spatio-temporelle limitative : sont séfarades les descendants des Juifs expulsés d’Espagne en 1492. Cette définition est précisée en 1988, comme suit, au sujet des Études séfarades : « Fondamentalement, la langue, l’histoire et les créations culturelles des Juifs originaires d’Espagne ou assimilés à eux, produits en tout pays depuis la première génération des émigrés jusqu’à nos jours et ce, à condition qu’ils perpétuent des éléments judéo-espagnols dans leur culture. » [212].

Une deuxième définition est donnée dans l’article de l’Encyclopaedia Judaica : « Descendants des Juifs qui vivaient en Espagne et au Portugal avant 1492 ». C’est en 1917, sous le mandat britannique, que s’établit définitivement, en Terre Sainte, la dualité rabbinique [donc rituelle ou liturgique] ashkénaze-séfarade, laquelle entraîna l’affiliation de tous les non-ashkénazes au groupe séfarade et créa la confusion sémantique actuelle en Palestine et dans la diaspora, confusion maintenue et entretenue ensuite en Israël [213]. Le troisième point de vue est celui de la Rencontre d’Amsterdam, organisée du 14 au 17 janvier 1971 par la Fédération séfardite mondiale qui a pratiquement fait sien le pragmatisme israélien : « J’appelle sefardim tous ceux qui ne sont pas achkenazim », déclarait Élie Eliyachar [214].

Aujourd’hui en Israël, pour faire face à une certaine confusion, on joint à la notion de « séfarades », celle de « Juifs orientaux » (edoth hamizrah[215]. Toutefois les échanges, tant commerciaux et démographiques que culturels, qui de tout temps, avant et après l’expulsion de 1492, ont eu lieu entre les communautés juives vivant sur les rives du Bassin méditerranéen, ont élargi la zone d’influence. On pourrait alors parler de « séfaradisation » et de « région séfarade ».

Au Moyen Age déjà, si la civilisation des séfarades est différente de celle des Juifs de l’Europe du Nord, elle est très proche de celle des Juifs d’Afrique du Nord et d’Orient. Le « territoire » séfarade englobe au Moyen Age l’Espagne et bien d’autres pays parmi lesquels l’Égypte, l’Afrique du Nord en général et la Provence. Les déplacements et les migrations entre ces régions sont fréquents. Des familles nord-africaines, passent en Espagne, d’autres quittent la Péninsule pour l’Égypte ou la Terre Sainte. Des liens familiaux, commerciaux, épistolaires, unissent ces communautés.

Lorsque le philosophe cordouan Moïse Maïmonide, qui séjourne à Fès au Maroc, s’arrête quelque temps en Acre en Terre Sainte avant de s’installer à Fostat au Caire, il donne ainsi les dimensions de l’aire géographique séfarade médiévale. Il définit encore son identité en signant ses épîtres : « Moïse fils de Maïmon d’entre les fils de l’exil de Jérusalem se trouvant en Espagne » ou, plus brièvement : « Moïse fils de Maïmon, le séfarade ». Il convient donc de considérer comme littératures séfarades, les littératures des Juifs issus non seulement de l’Espagne médiévale, mais aussi de communautés ayant développé une même civilisation sur le littoral méditerranéen.

Les distinctions historico-culturelles ne sont pas faciles à établir notamment pour les créateurs, les artistes et les romanciers. Comme l’a écrit Guy Dugas « Le séfardisme, qui est donc à la fois loin d’avoir créé l’ensemble des connivences judéo-arabes et d’en avoir constitué l’ultime exemple, offre toutefois l’image de leur plus éclatante réussite, et a ensuite continué à les influencer, à les colorer constamment [216] ».

 

Cette recherche du passé, nous la retrouvons chez Albert Bensoussan qui a écrit : « A l’heure des définitions personnelles, des nationalités morcelées et des racines authentiques, au moment où chacun, sous l’œil inquisitorial, est sommé de dire qui il est et d’où il vient, à l’issue d’un colloque beaubourien sur les cultures juives de la Méditerranée succédant à un colloque sur la culture [yiddiche], il nous faut revenir à Sépharad et tenter, sans passion et avec la seule arme du bon sens, de définir ou préciser ce terme archaïque. Sépharad, c’est l’Espagne en hébreu, tout comme Sarphat est la France. Si on adopte un point de vue linguis­tique, les seuls Sépharades sont ceux qui parlent espagnol, ou plu­tôt judéo-espagnol, langue comme chacun sait en agonie. C’est le point de vue de l’Institut Arias Montano de Madrid, pour des raisons d’essence scientifique, c’est aussi le point de vue de Haïm Vidal Séphiha qui déclare péremptoirement que « le séfardisme est une culture véhiculée par une langue, l’espagnol » [217]. Pour notre auteur : « Dès lors, tous nos Juifs maghrébins qui se sont dits Sépharades depuis des générations et des siècles se voient amputés de leur étiquette » et, dans cette perspective, il estime du même coup, « que le grand-rabbin sépharade d’Israël pourrait bien n’être qu’un usurpateur » [218].

Albert Bensoussan se prononce pour un point de vue qui est culturel. « Il y a ceux qui se délectent de carpe farcie et ceux qui n’en mangent pas ; ces derniers sont sépharades. Il y a la musique : qu’elle soit du Maroc ou de Syrie, un même plectre fait pleurer le loud sépharade. Il y a, par-là même, un rituel, une façon de prier commune, bavarde et familiale, avec des inflexions semblables et le fameux coup de glotte à l’andalouse qui caractérise le service sépharade dans tout le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient ».

Albert Bensoussan reconnaît que cette culture était espagnole, mais, rappelle-t-il « ne l’oublions pas à une époque où l’Espagne s’appelait aussi Al-Andalous et où les Juifs dans leur splendeur et leur rayonnement écrivaient plus souvent en arabe et en hébreu qu’en castillan. Si fidélité il y a, elle doit légitimement renvoyer à l’Age d’Or hispano-maghrébin et non à la seule Cour de Castille. Il y a moins de distance entre un Yéménite et un Sépharade d’Argentine qu’entre un Sépharade de tout horizon et un Ashkénaze, sur le plan culturel, s’entend » [219].

Qui est cet auteur, qui a écrit :

Je me suis dépouillé de mon enfance par lambeaux successifs que j’ai appelés livres. Chaque livre publié était livre de ma chair arrachée, de ma mémoire abolie [220].

Albert Bensoussan est né à Alger, en 1935. Sa famille originaire de Debdou au Maroc s’était installée dans la région de Tlemcen au XIXe siècle, après l’occupation française de la ville, en 1842 [221]. Tlemcen a été louée par Ibn Khaldoun qui, la voyait comme une fiancée sur son lit nuptial. Elle est aussi connue des historiens comme la perle du Maghreb, la Jérusalem de l’Occident [222]. Pour Albert Bensoussan, cette cité est « la petite perle des Mérinides [223].

La branche paternelle est de Nemours [Ghazaouet], un petit port de pêche (sardines et anchois) et de commerce à l’embouchure de l’oued El Marsa, près de la frontière marocaine. Dans ses écrits, Albert Bensoussan utilise ce toponyme de Ghazaouet, quand Juifs et Arabes n’étaient pas absorbés par la vie coloniale. El Bekri mentionne cette ville comme un port défendu par une forteresse et un ribat. A l’époque turque, cette cité portait le nom de Djemaa Ghazouet (la réunion des pirates).

Quant à la branche maternelle de notre auteur, elle est de Remchi, petit village à une cinquantaine de kilomètres d’Oran, à propos duquel l’auteur se remémore ses souvenirs d’enfance auprès de ses grands-parents, oncles et tantes maternels. Dans ce village, le grand-père Mesrod installe sa demeure. Et « Le soir de la fête, après le kiddouche et le chehyanou qui nous assurait longue vie et pérennité, il s’installait là pour la semaine. Mangeant, priant, buvant, dormant et surtout riant, riant comme un enfant qui se déguise avec les vêtements de ses parents. Ce jeu primitif le raccordait à l’obscure lignée des franchisseurs de rivière, des passeurs de mer, Hébreux de Berbérie ou Juifs de Sépharad. Il se retrouvait nomade, lui qui ne savait trop d’où venaient les siens, de l’Ouest chérifien ou de l’Est sahélien ? Et après avoir recueilli au fond des grands sacs du magasin la fleur de froment de son négoce et empli ses barils de la première huile de l’année, il faisait fête au Seigneur et jouait filialement entre les saules du torrent. En répétant ainsi la geste d’Israël et de l’errance sinaïque dans la somptueuse précarité de sa soukka, Mesrod nous apprenait la vertu du nomadisme et la constance face à l’inéluctable transplantation) » [224]. Remchi est baptisé de l’un de ces « beaux noms que Doulce France avait choisi pour banaliser son chemin colonial » [225].

Albert Bensoussan évoque le village natal de sa mère Benayoun, Nédroma, située à cinquante-cinq kilomètres de Tlemcen au fond d’un cirque verdoyant au revers nord du djebel fillaoussene et au pied du col de Taza. Cette région est le lieu d’origine des Almohades, c’est un sanctuaire maraboutique célèbre, évoquant pour les Juifs et Musulmans la légende de Josué, fils de Noun, mort à Nédroma et dont le tombeau a été l’objet d’un culte très répandu par les deux communautés. Ce lieu de syncrétisme religieux, que notre auteur parcourt lors de son service militaire lors de la guerre d’indépendance de l’Algérie, rappelle à Albert Bensoussan son enfance quand sa mère chantonnait « dans ses casseroles, comme elle le fait toujours, une vieille berceuse de son enfance berberhébraïque » [226].

Notre auteur écrit :

J’ai lu parmi mes livres que Nédroma, berceau des Almohades, ton village (ou est-ce une ville ?), natal, maman, accueillit au XVe siècle les exilés de la Reconquista, nos Berbères chassés d’Espagne, qui juifs, qui musulmans, qui un peu des deux. Peut-être notre sang a-t-il battu aux tempes de ce vallon depuis cette date, peut-être avant. Ainsi me dis-je que nos racines ont cinq siècles durant plongé dans cette terre parmi les vérandas blanc et bleu et les terrasses roses de ce Nédroma où l’ironie du sort me fit m’élancer, à l’aube de l’Indépendance de l’Algérie, au printemps 1962, à l’assaut de maigres bannières d’un F.L.N. vert et blanc, frappées d’un croissant rouge embrassant une étoile à cinq branches. Nous pourchassions, avec l’extrême mollesse propre à l’imminence d’une solution de paix, les rebelles. J’accompagnais une petite harka, j’étais le seul « Européen » sur ce groupe de cinq ou six hommes, et si je mets cette européanité entre guillemets, c’est que nous étions tous, absolument tous – absurdement – de même terre et de même race, les harkis, les habitants frondeurs ou chagrins du village, et moi, fils de Nédroméenne, élevé à la dignité de Français et d’Européen par la grâce d’Adolphe Crémieux cela faisait alors quelque cent années. Je garderai à jamais celle belle ultime image de notre terroir antique. [227]

Lors de l’évocation de Nédroma, Albert Bensoussan nous fait part du sentiment de révolte que lui procure cette guerre d’indépendance de l’Algérie : « Oui [dit-il] j’avais honte de cette guerre, de cette confrontation et maintenant, après tant d’années, je me dis toujours : pourquoi et comment, mon Dieu, Israël s’est-il séparé d’Ismaël. Me revient justement l’imprécation du saint, le marabout de la zaouïa de Nédroma toujours vénéré et de tombe fleurie, qui, alors que les musulmans s’en prenaient aux Juifs, peut-être à cause des privilèges de citoyenneté, avait déferlé dans sa colère sur le peuple amassé et hostile sur la place juste en face des tabacs de tonton Tmoyel, en s’écriant : Malheur à toi, fils d’Ismail si tu touches un cheveu aux Banou Israïl !

Voilà ce que tu m’apprenais, maman, dans ta vieillesse et ton exil, alors que remontait en moi le seul souvenir digne de mémoire de ma guerre d’Algérie, tournant et retournant sans cesse la noria de nos amours anciennes : Nédroma, l’altière cité de notre peuple berbère. [228]

Son indignation pour la guerre, Albert Bensoussan la proclame déjà quand il a terminé son service militaire, lors de son premier récit « Les Bagnoulis » :

Mais je sais bien, moi, que je nie la guerre si je verse mon sang pour sauver l’ennemi, si j’en fais, malgré lui, malgré nous, un ami et un frère. La forêt gronde à l’approche de l’incendie. L’eau est pourpre et jaillit aux arêtes des digues effritées. Les fauves bondissent sur l’écume et se font poissons. Les hommes en mutation peuvent-ils jamais se vouloir grenouilles ? La guerre, toujours la guerre et même de cette grille qui délimite l’illusoire frontière on dit qu’elle hérisse ses dents. Mais l’ennemi a disparu et l’hiver est d’hier. L’enfer est au milieu de cette joute farouche d’un ridicule bâillement de la terre et d’une trombe circulaire qui croule alentour. La dérive se poursuit, le monde entier bascule sous les prédictions horrifiantes des mages vernaculaires. L’Abagnoulie disparue, nous la portons en notre chair comme une paupière béante. [229]

Montagnac est un des villages de ses grands-parents, où le jeune Albert a passé plusieurs étés et où il a connu la « compénétration » judéo-arabe. Il écrit : « Grand-père, à l’heure de la sieste, couvrait de nattes le sol de sa boutique où prenaient place, relevant leur gandoura et croisant les jambes, toutes babouches retirées ses amis du village. Alors, il n’était plus l’épicier juif plongeant ses mains dans les hauts sacs de froment ou de semoule, pompant l’huile à l’énorme bidon graisseux, ou pesant d’un cornet délicat les petits piments rouges qui, à moins d’un mètre, faisaient éternuer – debbous ! un coup de bâton sur ton nez ! – non. Mesrod, mon grand-père, tenait salon avec les caïds et les bachagas, et même le dernier des fellahs, à l’ombre du rideau de fer aux trois quarts abaissé la grosse théière de cuivre circulant autour des raphias » [230].

 

Albert Bensoussan est issu de la petite classe moyenne. La plupart des membres de sa famille sont de petits artisans : tailleur, maréchal-ferrant, forgeron, bourrelier. Ils ont les mêmes professions que la plupart des Juifs d’Algérie du début du siècle [231]. L’armée française va servir la promotion sociale de ce petit monde, en modifiant ce que notre auteur appelle « le déterminisme de la naissance et de l’ethnie cloisonnée » [232]. C’est le cas du père de notre écrivain Samuel qui, avant d’être employé à la compagnie des chemins de fer algériens, est militaire de carrière.

Cet auteur écrit :

C’est l’armée qui nous tira du sous-développement, de Ghazaouet, Nédromah et Remchi où s’étoilaient les branches de notre famille. Lorsque la grande guerre t’appela en service commandé, papa, tu n’avais rien que tes dix doigts et cette belle écriture régulière que tu as toujours eue, en ronde, en pointue et en sergent-major, et qui te fit choisir par ce bachaga de l’Atlas pour tenir ses livres et rédiger ses missives. La longue descendance qui t’était promise allait-elle se satisfaire de ces petits métiers de la Golah, de drogman et de scribe ? Même avec les honneurs de la garde personnelle du Seigneur maugrèbe qui t’accompagnait pour les Fêtes de notre rite par les lacets secrets de Beghaoun et la frontière. Il nous fallait une meilleure terre d’intégration, une vraie mère des arts et des lois, et l’armée t’engagea, t’éduqua, te haussa jusqu’à la mitoyenneté [sic] des métropolitains. Ça et le décret Crémieux, faut pas oublier. Et que mon cœur se déchire aux roses de Ronsard ! [233]

Pour accéder socialement à la « modernité coloniale », Samuel Bensoussan quitte en 1923 son village, et s’installe avec sa femme à Alger. La ville va aussi attirer progressivement la famille. L’enfance et l’adolescence d’Albert Bensoussan sont donc imprégnées de spiritualité juive et de culture française. L’Algérie est le bonheur passé où revivent les rires, les farces et les drames de l’enfance, la tendresse d’une famille, la complicité ombrageuse des communautés, qui cohabitent tant bien que mal, entre synagogue, église et mosquée, dans un climat de gaieté populaire et de ferveur sacrée.

Peut-être, l’Algérie du vingt-et-unième siècle, acceptera-t-elle, un jour, de se souvenir que des non-musulmans ont aimé ce pays et ont contribué à enrichir l’histoire et la littérature de ce pays.

Bibliographie d’Albert Bensoussan

Romans, récits, études

L’Humanisme dans la pensée juive médiévale, essai, Alger, Éd. du Congrès Juif Mondial et de la Commission culturelle juive d’Algérie, 1957, 10 p.

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Au Nadir, Paris, Flammarion, 1978, 233 p.

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Le dernier devoir, Paris, L’Harmattan (coll. « écritures arabes »), 1988, 115 p.

Mirage à trois, Paris, l’Harmattan (coll. « écritures arabes »), 1989, 165 p.

Jouer pour apprendre l’espagnol, coordonné avec Claude Le Bigot, Rennes, Presses universitaires de Rennes-2, 1989, 201 p.

Visage de ton absence, Paris, L’Harmattan (coll. « écritures arabes »), Paris, 1990, 111 p.

Septièmes assises de la traduction littéraire : (Arles 1990) : retraduire Dickens et Proust, domaine japonais, la formation du traducteur littéraire, Arles, Actes sud, 1991, 174 p.

Le marrane ou la confession d’un traître, Paris, L’Harmattan (coll. « Écritures arabes »), 1991, 159 p.

Djebel-amour ou L’Arche naufragère, Paris, L’Harmattan, (coll. « écritures arabes »), 1992, 159 p.

La ville sur les eaux, Paris, L’Harmattan, (coll. « écritures arabes »), 1992, 121 p.

Versification espagnole et petit traité des figures, avec Mathilde Bensoussan, Rennes, Presses Universitaires de Rennes (coll. « didact »), 1992, 170 p.

L’Échelle Séfarade, Paris, L’Harmattan, (coll. « écritures arabes »), 1993, 172 p.

Une saison à Aigues-Les-Bains, Paris, Maurice Nadeau, 1993, 108 p.

Le Félipou, Contes de la sixième heure, Paris, L’Harmattan (coll. « écritures arabes »), 1994, 127 p.

Confessions d’un traître, essai sur la traduction, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1995, 130 p.

L’oeil de la Sultane, Paris, L’Harmattan (coll. « écritures arabes »), 1996, 95 p.

Les anges de Sodome, Paris, Maurice Nadeau, 1996, 132 p.

Les eaux d’arrière-saison, Paris, L’Harmattan (coll. « Écritures »), 1996, 109 p.

Poetas espagnoles del siglo veinte, avec Claude Le Bigot, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1996, 304 p.

Le chant silencieux des chouettes, Paris, L’Harmattan (coll. « écritures arabes »), 1997, 108 p.

Tengo espagnol 2e : livre du professeur, avec Georges Le Gac et Jésus Alonso, Paris, Delagrave, 1997, 250 p.

Le chemin des aqueducs, Paris, L’Harmattan (coll. « écritures arabes »), 1998, 192 p.

Tengo espagnol 1re : livre du professeur, avec Georges Le Gac et Consuélo Martin-Garcia, Paris, Delagrave, (coll. « G. Le Gac »), 1998, 174 p.

Le retour des caravelles, Lettres latino-américaines d’aujourd’hui, Rennes, Presses universitaires de Rennes, (coll. « Interférences »), 1999, 228 p.

Tengo espagnol terminale : livre du professeur, avec Henri Ayala, Georges Le Gac, Paris, Delagrave, 1999, 174 p.

Pour une poignée de dattes, Paris, M. Nadeau, 2001, 120 p.

L’échelle algérienne (voies juives), Paris, L’Harmattan (coll. «Écritures arabes»), 2001, 156 p.

 

Traductions

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- La passion selon San Pedro Albuena : qui fut tant de fois Pierre et ne put jamais renier personne, avec Micheline Maurel Lescure, Paris, Flammarion (coll. « Barroco »), 1980, 270 p.

CABRERA INFANTE Guillermo,

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- Histoire de Mayta, Paris, Gallimard (coll. « Du monde entier »), 1986, 320 p.

- Qui a tué Palomino Molero ? Paris, Gallimard (coll. « Du monde entier »), 1987, 162 p. ; Le Grand livre du mois, 1987 et 1988, 162 p. ; France loisirs, 1988, 162 p. ; Gallimard (coll. « Folio »), 1989, 189 p. ; 1993, 189 p.

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- « Rimbaud le corrupteur », Rimbaud, un coeur sous une soutane, Lima, Campodonico, 1989, pp. 15-20.

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- Le fou des balcons, Paris, Gallimard (coll. « Le manteau d’Arlequin »), 1993, 98 p.

- Le poisson dans l’eau, Paris, Gallimard (coll. « Du monde entier »), 1995, 505 p. ; (coll. « Folio »), 1997, 724 p.

- En selle avec Tirant le Blanc, Paris, Gallimard (coll. « Arcades »), 1996, 146 p.

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- L’utopie archaïque : José Maria Arguedas et les fictions de l’indigénisme, Paris, Gallimard, 1999, 401 p.

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- Jolis yeux, vilains tableaux, Paris, Gallimard, (coll. « Le Manteau d’Arlequin »), 2000, 69 p.

BARROSO Miguel,

- Des fourmis plein la bouche, Paris, Seuil, 2000, 299 p.

BRYCE ECHENIQUE Alfredo,

- Un monde pour Julius, Paris, Métaillé (coll. «Suite hispano-américaine»), 2001, 580 p.

NAJAR Jorge,

- Gravures sur maté, avec Mathilde Bensoussan, Bédée, Folle avoine, 1999, 61 p.

PADILLA Ignacio,

- Amphitryon avec Anne-Marie Casès, Paris, Gallimard, (coll. «Du monde entier», à paraître en août 2001

PÉREZ-REVERTE Arturo,

- Les aventures du Capitaine Alatriste, vol 1. Le capitaine Alatriste, Paris, Seuil (coll. «Points»), 2000, 261 p.

- Les aventures du Capitaine Alatriste, vol 2. Les bûchers de Bocanegra, Paris, Seuil (coll. «Points»), 2000, 288 p.

- Les aventures du Capitaine Alatriste, vol 3. Le soleil de Breda, Paris, Seuil (coll. «Points»), 2000, 290 p.

VARGAS LLOSA Mario

- Les cahiers de don Rigoberto, Paris, Gallimard, (coll. «Folio»), 2000, 434 p.

Présentations, préfaces

CABRERA INFANTE Guillermo. La Havane pour un infante défunt, Paris, Seuil (coll. «Points»), 1999, 603 p., I-VI.

CELA Camilo José, La famille de Pascal Duarte, Paris, Le Seuil (coll. « Points »), 1997, 145 p., pp. I-IV.

COLOANE Francisco, Cap Horn, trad. de François Gaudry, Paris, Le Seuil (coll. « Points »), 1996, 182 p., pp. I-VI..

CUNQUEIRO Álvaro, Les chroniques du sous-chantre : entre Galice et Bretagne, trad. de Juan José Fernandez, Paris, L’Harmattan (coll. « Récifs »), 1991, 187 p., pp. 7-12.

GARCÍA MÁRQUEZ Gabriel, Cent ans de solitude, trad. de Claude et Carmen Durand, Paris, Le Seuil (coll. « Points »), 1995, 437 p., pp. I-IX.

MENDOZA Eduardo, L’année du déluge, trad. de François Maspero, Paris, Le Seuil (coll. « Points »), 1995, 162 p., pp. I-V.

MIGDAL Alicia, Historia quieta, Histoire immobile, trad. de Jérôme Dolivet, Paris, L’Harmattan (coll. « L’autre Amérique »), 1998, 126 p., pp. 5-8., pp. 5-8.

SIMON Emmanuelle, Sépharades de Turquie en Israël, Éléments d’histoire et de culture des Judéo-Espagnols, Paris, L’Harmattan, 1999, 195 p., pp. 5-7.

VARGAS LLOSA Mario, La ville et les chiens, traduit par Bernard Lesfargues, Paris, Gallimard (coll. « Folio »), 1986, 530 p. ; 1989, 529 p. ; 1995, 529 p., pp. 7-10.

VARGAS LLOSA Mario, Sur la vie et la politique : entretiens avec Ricardo A. Setti, trad. de Jean Demeys, Paris, Belfond (coll. « Entretiens »), 1989, 195 p., pp. 9-16.

ZAPATA Monica. L’œuvre  romanesque de Puig, Paris, L’Harmattan, 1999, 269 p., pp. 13-15.

 

Collaborations à des ouvrages collectifs, Articles

« Une littérature juive, pourquoi ? », Tribune juive, Paris, n° 300, 29 mars 1976, pp. 13-19.

« Kippour au Grand Temple tel qu’il m’en souvient », Information juive, Paris, n° 264, août-septembre 1976, p. 1.

« Les traces de mes dispersés », Les Nouveaux Cahiers, Paris, n° 47, hiver 1976-1977, pp. 29-30.

« Aïcha », Droit & Liberté, Paris, n° 355, février 1977, p. 29.

« Pessah hier », Information juive, Paris, n° 270, mars 1977, p. 1.

« Rebaïne l’horloger », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 353, 6 mai 1977, p. 14.

« L’agonie des judéo-espagnols », Information juive, Paris, n° 272, mai 1977, p. 10.

« Mémoires d’un Maghreb ancien », (Sur Pierre Silvain Guedj et Jean Daniel), Les Nouvelles Littéraires, Paris, 2-9 juin 1977, p. 4.

« Mesrod le conteur », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 357, 1er juillet 1977, p. 10.

« La soukka de grand-père », Information juive, Paris, n° 274, août-septembre 1977, p. 1.

« L’évocation d’une cohabitation judéo-arabe à la fois fraternelle et ombrageuse », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 360, 9 septembre 1977, p. 3.

« La fille du Chemash », Les Nouveaux Cahiers, Paris, n° 50, automne 1977, p. 59.

« Mesrod et le devoir des corps », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 365, 18 novembre 1977, p. 11.

« Réconcilier Israël avec l’Orient », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 367, 16 décembre 1977, p. 6.

« Résurgences judéo-espagnoles », Information juive, Paris, n° 281, avril 1978, p. 12.

« Je suis un étranger », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 377, 5 mai 1978, p. 9.

« Une culture à l’agonie ? », (sur La mémoire brisée des Juifs du Maroc de Victor Malka), La terre retrouvée, Paris, n° 15, ler juin 1978, p. 8.

« Ce chien de Dreyfus ! », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 379, 2 juin 1978, pp. 6-7.

« Le retour de Roro à Bab-el oued », Information juive, Paris, n° 285, sep­tembre-octobre 1978, p. 12.

« Hanouka de guerre à Alger », Information juive, Paris, n° 287, décembre 1978, p. 7.

« Au Nadir », L’AIgérianiste, n° 4, 15 décembre 1978, p. 38.

« Banquets maghrébins », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 390, 29 dé­cembre 1978, p. 7.

« Images de l’ancien Alger », Information juive, Paris, n° 288, janvier 1979, p. 4.

« Le cimetière de Saint-Eugène », Le Journal des Commu­nautés, Paris, n° 605, janvier 1979, p. 13.

« Retour en Algérie », Information juive, Paris, n° 289, février 1979, p. 6.

« Redis nous le monde, Benjamin, [sur le voyage de Benjamin de Tudèle] », Le journal des Communautés, Paris, n° 607, mars 1979, pp. 16, 22.

« Nédroma », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 327, 6 avril 1979, p. 7.

« Alger sous les couleurs du Maréchal », Information juive, Paris, avril 1979.

« L’image du Sépharade dans l’œuvre d’Albert Cohen », Les Temps Modernes, Paris, n° 394 bis, mai 1979, pp. 396-409.

« Le coup de sirocco », Information juive, Paris, n° 292, mai 1979, p. 11.

« Pourquoi nous sommes-nous tus ? », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 402, 15 juin 1979, p. 6.

« Portrait d’un rapatrié », Information juive, Paris, n° 294, juillet-août 1979, p. 5.

« La Kahéna toujours », Information juive, Paris, n° 296, octobre 1979, p. 8.

« La grande Guerre vue de chez nous », Information juive, Paris, n° 297, novembre 1979, p. 2.

« L’Algérie française pour mémoire », Information juive, Paris, n° 298, dé­cembre 1979-janvier 1980, p. 2.

« Hadamakan et mon chapeau », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 409, 28 décembre 1979, p. 6.

« Les Xuetes de Majorque : aperçu sur une micro-minorité », Pluriel, n° 22, C.N.R.S, L’Harmattan, 1980, pp. 51-56.

« En ce temps-là », Information juive, Paris, n° 299, février 1980, p. 5.

« L’Algérie française pour mémoire » (fin), Information juive, Paris, n° 303, juin 1980, p. 10.

« Daniel Leconte, Les Pieds-noirs », Information juive, Paris, n° 303, juin 1980, p. 10.

« Regard sur l’antisémitisme verbal en Algérie », Information juive, Paris, n° 303, juin 1980, p. 10.

« Les babouches mémorieuses », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 423, 12 septembre 1980, pp. 7, 9.

« A la recherche du Temple perdu », Le journal des communautés, Paris, n° 624, octobre 1980, pp. 20-21.

« Pour en finir avec le Peyrefittisme », Information juive, Paris, n° 306, octobre 1980, p. 2.

« Un amour de Djelfa », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 427, 7 novembre 1980, p. 7.

« Enseigner le génocide dans les écoles », Tribune juive, Paris, n° 647, 21-27 novembre 1980, pp. 30-31.

« Une journée sur l’enseignement du génocide », Information juive, Paris, n° 307, novembre 1980, p. 5.

« Fidélité à Sépharad », Le journal des Communautés, Paris, décembre 1980, pp. 12-13.

« Présentation de 150 recettes et mille et un souvenirs d’une Juive d’Algérie de Léone Jaffin et d’Images et traditions juives, de Gérard Silvain », Information juive, Paris, n° 308, décembre 1980, p. 9.

« Les rapatriés d’Algérie : une minorité sans territoire ? », Pluriel, n° 25, Université de Haute-Bretagne, Rennes II, 1981, pp. 42-46.

« La chance de grand-père », Presse Nouvelle Hebdo, Paris, n° 432, 23 janvier 1981, p. 7.

« Un achkénaze en Sépharad », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 3, mars 1981, p. 12.

« Christophe Colomb : le soupçon judaïque », Information juive, Paris, avril 1981, p. 11.

« Mes écoles algéroises », L’Algérianiste, n° 14, 15 mai 1981, pp. 47-49.

« Albert Cohen le perturbateur », Les Nouveaux Cahiers, Paris, n° 66, automne 1981, pp. 42-47.

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« Jules Isaac à Alger », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 12, février 1982, p. 7.

« Le judaïsme sépharade dans la littérature française d’aujourd’hui », Sillages, Jérusalem, n° 6, printemps 1982, pp. 61-78 (Texte d’une conférence, Groupe Jules Isaac d’amitiés judéo­-chrétiennes de Rennes, 1981).

« Les jeunes écrivains », Cultures juives méditerranéennes et orientales, Paris, Syros, 1982, pp. 315-318, 327, 329.

« Aîcha-Élise », L’Algérianiste, Narbonne, n° 17, 15 mars 1982, pp. 37-39.

« Un colloque sur les Juifs d’Algérie », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 14, avril 1982, p. 7.

« Alger vingt ans après », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 16, juin 1982, pp. 1 et 4.

« Relire Élissa Rhaïs », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 17, juillet 1982, p. 10.

« Les cendres mouillées », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 18, août-septembre 1982, p. 11.

« La tomate dans la tête », Les Pieds-Noirs, (collectif), Éd. Philippe Lebaud, Paris, 1982, pp. 72-76.

« L’Algérie des écrivains », L’Arche, Paris, n° 306-307, septembre-octobre 1982, pp. 170-173.

« Les pieds-noirs à l’heure du bilan », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 19, octobre-novembre 1982, p. 5.

« Sur un proverbe judéo-maghrébin », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 21, janvier 1983, p. 5.

« Une Carmen à la juive », La Presse Nouvelle, Paris, n° 3, janvier 1983, p. 4.

« La vérité sur la fin de l’amiral Darlan », Information Juive, Paris, nouvelle série, n° 23, mars 1983, p. 12.

« Le bonheur est dans la plaine comme une branche de figuier », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 24, avril 1983, p. 14.

« Djerba ou la fidélité », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 25, mai 1983, p. 7.

« La maison d’Israël », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 26, juin 1983, pp. 1, 4.

« Le peuple juif à la source », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 26, juin 1983, p. 5.

« Littératures juives : la famille algérienne, la hara tunisienne, le mellah marocain » L’Arche, Paris, n° 318-319, septembre-octobre 1983, pp. 116-117.

« L’humour juif sépharade », La Rassegna mensile di Israel, Rome, Vol. XLIX, n° 9-12, (3e série), septembre-décembre 1983, pp. 705-716.

« Un héros de la Grande Guerre », La Rassegna mensile di Israel, Rome, Vol. XLIX, n° 9-12, (3e série), septembre-décembre 1983, pp. 736-738.

« Le regard en arrière », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 29, octobre-novembre 1983, p. 7.

« La responsabilité face au nazisme », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 30, décembre 1983, p. 6.

« Les scribes de Debdou », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 31, janvier 1984, p. 12.

« Un héros de la Grande Guerre », La Presse Nouvelle, Paris, n° 13, janvier 1984, p. 5.

« La terre mouillée de l’enfance », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 32, février 1984, p. 7.

« Le culte de la table dressée », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 32, février 1984, p. 9.

« La voix d’Israël sur les lèvres d’Ismaël », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 34, avril 1984, pp. 1, 5.

« La magie de l’enfance », Le Monde Sépharade, Jérusalem, n° 6, février-mars 1984, pp. 23-24.

« L’argent détergent », La Presse Nouvelle, Paris, n° 18, juin 1984, p. 5.

« De la confession à l’autobiographie : l’écriture juive actuelle », Les Nouveaux Cahiers, Paris, n° 77, Été 1984, pp. 11-19. (texte d’une conférence, Groupe Jules Isaac d’Amitiés judéo-chrétiennes, Rennes, 21 mars 1984).

« L’oranie française et l’Espagne », L’Algérianiste, Narbonne, n° 26, 15 juin 1984, pp. 4-5.

« Champs patriotiques », L’Algérianiste, n° 26, Narbonne, 15 juin 1984, p. 43.

« La destruction du Temple », Information juive, Paris, septembre 1984, nouvelle série, n° 38, p. 6.

« Avance sur regrets », La Presse Nouvelle, Paris, n° 21, novembre 1984, pp. 4-5.

« Comprendre l’histoire de l’Algérie », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 40, novembre-décembre 1984, p. 7.

« Isabelle la Juive », L’Algérianiste, Narbonne, n° 28, 15 décembre 1984, pp. 58-60.

« Champs patriotiques », J. Dejeux, D-H. Pageaux : Espagne et Algérie au XXe siècle, L’Harmattan, 1985, pp. 227-233.

« Une étude éclairante sur le roman colonial en Algérie », L’Algérianiste, Narbonne, n° 29, 15 mars 1985, pp. 61.-62.

« Jean-Pierre Millecam », « Marcel Moussy », en Écrivains francophones du Maghreb, Anthologie sous la direction d’A. Memmi, Seghers, 1985, pp. 228-230, 245-247.

« Le miracle du Rab », La Presse Nouvelle, Paris, n° 28, juin 1985, p. 5.

« L’aventure à Port-Say », L’Algérianiste, Narbonne, n° 30, 15 juin 1985, pp. 60-61.

« Le sens de l’histoire », La Presse Nouvelle, Paris, n° 30, octobre 1985, pp. 4-5.

« Conformément à l’ordre de nos chefs », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 50, novembre-décembre 1985, p. 9.

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« La sotte Tétouanaise », La Presse Nouvelle, Paris, n° 34, février 1986, pp. 4-5.

« Un feu de coeur », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 53, mars 1986, p. 8.

« Le retour des Sépharades », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 54, avril 1986, p. 8 ; Le Monde, Paris, 6 août 1986, p. 2.

« Sépharad, un amour partagé », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 56, juin 1986, p. 8.

« Voyage au Mellah du nouveau monde », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 58, septembre 1986, p. 7.

« La parole, terre promise », Les Nouveaux Cahiers, Paris, n° 87, hiver 1986-1987, pp. 54-59 (d’après une conférence donnée à la Bibliothèque Municipale de Rennes le 12 février 1986).

« Dans le cachot d’un grand amour », Les Nouveaux Cahiers, Paris, n° 87, hiver 1986-1987, pp. 59-60.

« Une patrie ethnique », Information juive, Paris, mars 1987, traduction d’un entretien de E. Gordon avec Camilo José Cela, Raïces, Madrid, n° 2, 1986, pp. 6-7.

« 1954 à Alger : le début de la fin », J. Laloum, J-L. Allouche : Les Juifs d’Algérie, Éditions du Scribe, Paris, 1987, pp. 80-82.

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« Chmoyel », La Presse Nouvelle, Paris, n° 43, janvier 1987, p. 4.

« Mort de Cohen d’Alger de Max Guedj : Dans cent ans, dans mille années », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 63, mars 1987, p. 9.

« Shalom et Salam », Ouest-France, Rennes, 10 avril 1987, p. l.

« L’Université française, ma patrie », L’Algérianiste, Narbonne, n° 38, juin 1987, pp. 96-100.

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« Bâtir le Temple », La Presse Nouvelle, Paris, n° 60, octobre 1988, p. 6.

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« L’identité juive au coeur de la balle », Information juive, Paris, nouvelle série, n° 79, octobre 1988, p. 13.

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« Bloom et Bloch » par Henri Raczymov, Information juive, Paris, nouvelle série, n° 126, mai 1993, p. 11.

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Féminité, masculinité,
et communauté kabyle

Daniela MEROLLA,
Université de Leyde & INALCO, Paris.

Je me propose d’examiner l’identification de la communauté kabyle en termes de féminité et masculinité [234] à travers les textes de quelques auteurs-femmes de Kabylie. Les œuvres autobiographiques ou de fiction d’écrivaines comme Fadhma et Taos Amrouche, Djura, Laura Mouzaïa, et Fettouma Touati, rejoignent par leur relation spécifique entre genre et communauté à la fois l’écriture féminine algérienne et les textes des écrivains hommes d’origine kabyle dans ce que j’appelle l’espace littéraire kabyle [235]. Le cadre de ces interactions littéraires est donné par les rapports entre le nationalisme, les revendications féminines et ce qui est souvent appelé régionalisme (localism). Il est également nécessaire de considérer le cadre des interactions littéraires liées au multilinguisme et aux relations entre oralité et écriture dans le contexte maghrébin [236].

Le berbère est parlé dans plusieurs régions maghrébines et une de ces régions est la Kabylie dans le nord-est de l’Algérie. Le kabyle a été pour longtemps une langue de culture orale, bien que maintenant il soit aussi utilisé à l’écrit. En Kabylie la jeune génération est souvent trilingue : kabyle, arabe et français. Jusqu’à une période très récente toutefois la plupart des écrivains originaires de Kabylie ont écrit en français suite à la colonisation et pour toute une série de raisons historiques, politiques et sociales. Ces quelques indications d’ordre général nous disent déjà que les productions des auteurs de langue maternelle kabyle entrecroisent plusieurs langues et littératures de tradition orale et de tradition écrite.

L’espace littéraire kabyle

Si l’on considère l’ensemble de la production narrative en français par les écrivains d’origine kabyle, on peut reconnaître des éléments récurrents. J’ai considéré en particulier les œuvres d’une quarantaine d’auteurs kabyles. Dans une large majorité, disons soixante-dix pour cent, on y retrouve une caractérisation linguistique donnée par l’interaction entre français et kabyle. Le kabyle constitue le substrat linguistique et il est utilisé directement pour des expressions et mots ou en traduction. La référence récurrente au patrimoine oral kabyle est aussi reliée à la caractérisation linguistique des textes. De même, on retrouve une caractérisation narrative donnée par la qualification de lieux et des personnages en tant que pays et personnages kabyles.

Si l’on considère l’interaction linguistique entre kabyle, arabe et français, et la centralité de la langue kabyle et du pays kabyle dans les productions kabyles orales, on peut reconnaître qu’on est en présence d’un ensemble littéraire et j’ai appelé cet ensemble « espace littéraire kabyle ». La définition comme espace littéraire kabyle (Merolla 1995) indique que la problématique berbéro-kabyle en constitue une des lectures pertinentes, bien que cet ensemble soit posé dans un domaine d’appartenances multiples par rapport à l’interaction entre oralité et écriture et par rapport aux différentes traditions littéraires du contexte multilingue algérien (le kabyle et les autres dialectes berbères, l’arabe classique et dialectal, le français).

Nationalisme et régionalisme

En ce qui concerne le rapport entre nationalisme et régionalisme, plusieurs chercheurs depuis Benedict Anderson nous ont indiqué que c’est la conceptualisation de la nation qui a créé ce qui est défini en tant que régionalisme. Il ne s’agit pas alors d’individualiser ce qui serait essentiellement différent, mais d’en comprendre les éléments à l’intérieur des processus sociaux et culturels d’affirmation du nationalisme dans le cadre de l’expansion européenne et de la colonisation. Désormais, les nations en tant qu’entités politiques sont entrées dans une période de crise et l’attention est souvent attirée par la reconnaissance des autonomies régionales ainsi que par les fédérations entre nations. Quoi qu’il en soit, la nation est encore le modèle hégémonique puisque les différentes communautés tendent à se reconstruire elles-mêmes sur cette forme. Le conflit OTAN-Serbie sur le Kosovo, par exemple, nous indique encore une fois les contradictions profondes du modèle nationaliste. Au Maghreb, le contraste entre nationalisme et régionalisme s’est développé durant la colonisation et il a été exacerbé après l’indépendance par la politique centralisatrice du pouvoir algérien. Dans ce cadre, l’attention donnée à la Kabylie dans les romans des auteurs originaires de cette région a été interprétée comme un élément régionaliste et ethnographique dans la littérature algérienne.

La communauté kabyle dans les œuvres des auteurs femmes de Kabylie

Au niveau de la construction de la communauté on retrouve, dans les œuvres des écrivains hommes, des exemples bien connus de représentation de la nation en termes féminins par les métaphores « Femme-Nation » et « Mère-Afrique ». Mais si la représentation est féminine, la construction est masculine. Dans ces textes nation et femme deviennent les objets d’un projet masculin : la catharsis des personnages féminins, qui fonctionne comme métaphore de la régénération nationale, est présentée comme la conséquence de l’action des personnages masculins (Schipper 1987, Stratton 1988). Une forme complexe et très célèbre du trope « Femme-Nation » algérienne a été créée par Kateb Yacine dans Nedjma (1956), et il va de soi que le personnage Nedjma est devenu le symbole pour les femmes et pour l’Algérie en tant que nation [237].

Toute communauté, et pas seulement les nations, tend à se construire en termes de féminité et masculinité : on retrouve une telle tendance aussi dans les productions en français des auteurs kabyles. Par exemple dans L’opium et le bâton de Mouloud Mammeri (1965), le personnage féminin symbolise une berbérité qui s’enracine dans le mythe, et de même dans les textes de Nabile Farès (1974, 1976), des personnages féminins telles l’ogresse et la Kahina expriment à la fois l’impossibilité d’une unité monolithique de l’Algérie et du retour aux origines [238].

On a dit que les œuvres en français des auteurs kabyles, hommes et femmes, se rejoignent dans la position centrale attribuée à la communauté kabyle par la caractérisation linguistique et narrative. Cependant, des éléments caractérisant les textes féminins nous permettent de les différencier par rapport aux œuvres des écrivains hommes : l’agent qui raconte l’histoire est une femme ou, là où le narrateur est hétérodiégétique [239], le narrateur partage le point de vue des personnages féminins (souvent des héroïnes). De même, dans les textes de ces auteurs femmes on ne retrouve pas le trope « Femme-Nation ».

Au niveau de la relation entre genre et communauté, les textes des auteurs femmes décrivent le passage de la quête identitaire en termes individuels vers une recherche socialement élargie. Dans les œuvres de Fadhma et Taos Amrouche publiées entre 1947 et 1975, les rôles féminins et les relations hommes/femmes sont vus comme une conséquence de la personnalité des individus et de leurs histoires de vie individuelles. Dans les textes publiés depuis 1984, la condition des femmes est représentée comme socialement construite et la société kabyle est stigmatisée. Dans ce cadre, les parcours individuels introduisent seulement des nuances dans la critique de la construction sexuée de la communauté. Le problème central des textes les plus récents se situe dans le dilemme entre communauté et féminité, être kabyle et être femme, et c’est la crise de définition du féminin et des relations entre femmes et hommes qui déclenchent la mise en discussion et le renouvellement de toute la communauté. Dans leur critique violente, ces textes essaient d’inventer une alternative à la fois aux modèles féminins conventionnels et à ceux qui sont imposés, ou proposés, par « l’Autre » dans la confrontation/échange avec la France.

 

Dans le roman de Taos Amrouche, Rue des Tambourins (1960) et du roman de Laura Mouzaia, Illis u meksa (La fille du berger) (1990), des indices saillants quant à la définition de la communauté envisagée sont révélés par les interactions linguistiques et les références à la production orale kabyle, ainsi que par les qualifications narratives du cadre, des personnages et du style de vie. Toutefois, entre les deux textes il y a des différences importantes. Le texte de Taos Amrouche est écrit dans un français apparemment épuré des interactions linguistiques, et il n’y a que trois noms qui signalent la « différence » : Le mot kabyle pour mère, Yemma, écrit en capitales comme s’il s’agissait d’un prénom ; le nom de la grand-mère, Gida ; et l’usage emblématique du terme « le Pays », écrit également en capitales, et qui réfère au pays des parents, la Kabylie [240]. Mais comme le dit Jacqueline Arnaud (1986 : 100-101), l’auteur a eu aussi recours à la richesse des genres oraux dans l’utilisation d’expressions et de proverbes kabyles. On peut dire alors que la présence du substrat linguistique dans le texte de Taos Amrouche indique une « différence » par rapport au français standard et que les références à l’oralité marquent la continuité culturelle dans la discontinuité linguistique. Par ailleurs, il y a plusieurs références à la kabylité et à la Berbérité dans les qualifications du cadre narratif et des personnages. La Kabylie est mentionnée dans la dédicace, au début et à la fin du roman, et dans les longues descriptions du village du père de l’héroïne. La langue kabyle est aussi évoquée, par exemple lorsque le narrateur dit que la grand-mère parle une langue « qui n’est pas l’Arabe », que Yemma chante dans « notre langue dure et sucrée », et que les parents parlent leur « langue ancestrale » (pp. 17, 19, 317). De plus, à l’école, l’héroïne découvre l’existence historique des Kabyles, c’est-à-dire qu’elle découvre que « le pays sans nom » n’est pas seulement un lieu, mais un espace culturel. La quête identitaire de l’héroïne du roman de Taos Amrouche va certainement au-delà de la référence au Pays [241], mais la Kabylie est un point de repère indéniable depuis le début du roman qui est structuré comme une longue rétroversion [242].

En ce qui concerne communauté et féminité, on trouve ici et là des remarques critiques [243], mais en général il y a une sobriété relative de la critique, ce qui est lié à deux éléments. L’émigration permet à la mère de l’héroïne d’être l’intermédiaire entre les normes kabyles et le changement. En second lieu, toutes les œuvres narratives de Taos Amrouche expriment le drame en termes individuels. De la même façon que dans l’autobiographie de sa mère Fadhma, ceci est dû à la situation familiale exceptionnelle de ces personnages qui sont liés à – mais étrangers dans – différentes communautés, puisque ce sont des Kabyles professant la religion chrétienne et avec une éducation française [244]. Dans la crise de définition de Soi, la référence à la langue maternelle est un guide mais n’est pas suffisant pour créer stabilité ou unité. Ce conflit est posé par toutes les héroïnes des romans de Taos Amrouche.

Quelques modifications apparaissent dans le dernier ouvrage de Taos Amrouche, Solitude ma mère. La violence exercée par les parents de l’héroïne est par exemple présentée explicitement comme une violence masculine enracinée dans le pays, la Kabylie, et endurée par ses femmes depuis des siècles (p. 49) [245].

 

Le titre en kabyle du roman de Mouzaia [246] (Alger 1990) montre immédiatement l’interaction linguistique entre kabyle et français La présence du kabyle est ensuite très marquée dans presque chaque page du roman. En même temps, le continuum social et littéraire entre le pays d’origine et l’émigration kabyle est signalé par le fait que Mouzaia, qui vit en France, publia son roman en Algérie.

La définition de la communauté comme kabyle peut être ensuite déduite des qualifications narratives. Illis u meksa présente une famille kabyle, mais dans la Kabylie pendant la guerre de libération, et la Kabylie reste toujours le centre des romans, point de comparaison avec la ville d’Alger et la France. En général, lieu de naissance, genre féminin, âge et langue sont les qualifications fondamentales des personnages féminins dans ce roman. Il vaut la peine de souligner que dans ce roman la définition de la communauté kabyle inclut la continuité entre la Kabylie et l’Algérie. Cependant, cette continuité est associée à une mise entre parenthèse des aspects contradictoires de l’identité kabyle en Algérie [247].

Si la communauté kabyle est principalement envisagée dans ce roman, l’adjectif « kabyle » est toutefois synonyme de traditionalisme lorsque il est utilisé dans des narrations d’événements, des descriptions et des commentaires concernant la vie féminine. Dans Illis u meksa la critique autour de la kabylité se concentre sur l’idéologie masculine de la communauté. Les hommes kabyles, « les hommes de chez nous », sont ironiquement qualifiés par une pruderie physique et intellectuelle qui requiert le silence des femmes et qui, pour le narrateur, révèle en fait le désir d’annihiler l’existence même des femmes (pp. 34, 47, 72). Cependant, le dilemme entre kabylité et féminité n’incite pas les jeunes personnages féminins à nier l’identité kabyle mais, presque paradoxalement, à l’affirmer complètement.

Le véritable dilemme entre être kabyle et être une femme, est ressenti exclusivement par les jeunes filles, et la question de l’identité kabyle est soulevée explicitement, toujours par des filles, par rapport à l’émigration en France. Cependant, l’Autre ne peut pas représenter une alternative culturelle réalisable. Et pourquoi ? C’est parce que, dans la narration, le dilemme identitaire peut être surmonté uniquement par la modification de la définition du masculin et du féminin dans une communauté renouvelée.

Dans le roman de Mouzaia, la contradiction entre kabylité et féminité peut se résoudre par la mise en place d’une définition alternative de l’être kabyle. Ce qui est recherché à la fois dans le changement de la communauté et la persistance des aspects les plus féminins de l’héritage culturel [248]. La domination masculine dans la communauté est personnifiée par le père, référentiel « homme de ma tribu » en négatif, et le narrateur affirme son désir de tuer le père. Cependant, la médiation avec les hommes de la communauté est suggérée par un appel adressé aux hommes kabyles en tant que pères et frères, auxquels le narrateur demande d’abandonner leur privilèges pour prendre leur femmes par la main et marcher ensemble (p. 165-166). C’est donc la réconciliation entre le changement et la continuité historique et culturelle qui caractérisera la nouvelle communauté et ouvrira un nouvel « horizon » pour les femmes mais aussi pour les hommes.

On peut dire alors qu’en étant à la recherche d’une nouvelle définition de « femme kabyle », les jeunes héroïnes dans Illis u meksa proposent une identité alternative pour toute la communauté. Malgré le fait que les ambiguïtés et les contradictions entre féminité et kabylité ne sont pas complètement résolues dans ce roman, son discours révèle l’esquisse d’un projet féminin pour la construction d’une communauté kabyle renouvelée.

La construction sexuée de la communauté dans l’espace littéraire kabyle et l’écriture féminine dans la littérature algérienne

Evidemment, plusieurs éléments des textes de Fadhma et Taos Amrouche, comme de ceux de Djura, Mouzaia et Touati, correspondent au discours de l’écriture féminine dans la littérature algérienne en général. On peut mentionner par exemple le refus du silence des femmes, un refus qui passe par l’écriture [249] et la revendication féminine qui est « au sein et non contre une communauté masculine » (voir Achour 1990, Achour et alia 1991 : 10). En plus, toute l’écriture féminine prête attention à la différentiation et à la multiplicité des femmes, en contraste avec une écriture masculine qui tend à uniformiser et unifier « les femmes » ainsi qu’on l’a vu dans le cas de la métaphore Femme-Nation. Néanmoins, l’étude des œuvres des auteurs femmes de Kabylie a montré que le développement du discours d’identité est axé sur l’interaction spécifique entre kabylité et féminité. En fait, dans les romans comme dans les autobiographies ou le récit de vie, la communauté kabyle est une référence irremplaçable.

La description détaillée des mœurs et des coutumes dans les textes des auteurs d’origine kabyle est souvent liée à un mécanisme narratif dans lequel le narrateur et le narrataire (et le lecteur postulé qui serait de culture française) sont associés lorsqu’une distance s’établit entre le narrateur et les personnages décrits, c’est-à-dire les membres de la communauté à la fois du narrateur et de l’auteur. Ce phénomène a été décrit comme une tendance ethnographique, ou plutôt « autoethnographique », due à l’interférence avec le système discursif, littéraire et non littéraire, acquis dans les écoles françaises pendant la colonisation et même après l’indépendance de l’Algérie (Achour 1984, 1986, Bonn 1985, Colonna 1967, Oumeziane 1981).

Cependant, je crois qu’il faudrait réfléchir sur deux aspects. En premier lieu, les descriptions fréquentes et même obsessionnelles de la Kabylie et de personnages kabyles se retrouvent dans les œuvres des auteurs kabyles les plus célèbres, comme Feraoun et Mammeri, mais également dans la plupart des œuvres des auteurs moins connus, du début de la production écrite jusqu’à nos jours en français et en kabyle. En deuxième lieu, l’on constate que cette attitude dite ethnographique est une constante dans l’espace littéraire kabyle puisqu’on la rencontre dans la production traditionnelle orale comme dans la chanson moderne et en général dans presque tous les genres et types de productions des auteurs kabyles avant, durant, et après la colonisation.

Au-delà des mécanismes et des stratégies narratives spécifiques dans les différentes œuvres, et même si cela a été perçu dans un cadre « ethnographique » pour certains romans en français, il faut se demander si une telle caractérisation doit être vue dans le sens de ce que Anderson (1983) appelle « the narrative of identity », c’est-à-dire le besoin des communautés de se narrer pour se construire. L’étiquette ethnographique collée à ces œuvres d’auteurs kabyles les classe ainsi suite à une attitude fossilisée dans le passé, et ne fait pas ressortir la modernité de la « narration de la communauté » dans le tout de l’espace littéraire kabyle. Par rapport à la nation algérienne, ensuite, la plupart des productions littéraires des auteurs kabyles contemporains expriment une solidarité construite durant la guerre, mais avec des contradictions non résolues étant donné que ce lien n’a pas été cultivé pendant l’indépendance [250].

Conclusion

En ce qui concerne la construction sexuée de la communauté, les œuvres des auteurs femmes de Kabylie sont fermement axées sur le binôme kabylité-féminité qui est pourtant très problématique. Notons qu’on retrouve cette tendance aussi dans l’écriture en kabyle. Par exemple, je peux annoncer le titre d’un roman à paraître, écrit en kabyle par Fatiha Merabti (Yir tagmat), titre qu’on peut traduire par « mauvaise fraternité », ce qui nous donne déjà une indication sur le thème de la communauté identifiée en termes de « genre » masculin et féminin. Ainsi, les textes de la « jeune » génération, tout en recherchant d’autres horizons pour les femmes, tracent un projet féminin pour un possible renouvellement de toute la communauté kabyle. Il semble que la réalisation d’un tel projet, imaginé avant la situation de conflit armé et sanglant qui a surgi à partir du 1992 en Algérie, soit destinée à se faire attendre encore…

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L'écrivain [C5] post-colonial en France et la manipulation de la figure de l'auteur :
Chimo, Paul Smaïl, Ahmed Zitouni

Michel LARONDE,
University of Iowa.

Dans la littérature arabo-française contemporaine qui fait suite au roman beur des années 1980, on développe dans le corps du texte ou dans le paratexte, des représentations nouvelles de la figure de l'auteur d'origine maghrébine. Trois romans publiés en 1996 et 1997 signalent une évolution de la représentation de l'auteur dans la littérature liée à un esprit post-colonial en France. Les deux romans de Chimo, Lila dit ça en 1996, suivi l'année suivante de J'ai peur [251], publiés aux Editions Plon, mettent en place une figure de l'auteur qui se démarque du canon français, le second roman servant à contrer l'image créée par l'Institution dans le premier. En 1997, Vivre me tue [252], le premier roman de Paul Smaïl, publié aux Editions Balland, accentue la prise en main de sa propre représentation par l'écrivain post-colonial. La question de la place qu'occupe, dans un contexte interne à la Culture française, l'auteur identifié comme étant d'origine ethno-culturelle en partie exogène, se pose depuis les débuts du roman beur des années 80, de façon institutionnelle.

Le corpus est alors classé grossièrement à l'époque comme 'ethnographique'. La figure d'un auteur non-canonique et non-français est mise en avant. L'existence d'un auteur beur, identifié à partir de ses origines (ethniques, sociales, géographiques, culturelles), est ipso facto une présence quasi naturelle comme cause d'une écriture censée faire œuvre de témoignage sociologique, prendre la forme du genre autobiographique dont le contenu est généralement perçu comme authentique. Les médias resserrent le pacte autobiographique au point où il ne reste aucun écart entre auteur et écrivain, ce qui a pour conséquence de ranger presque systématiquement, parfois à raison mais souvent à tort, les textes beurs dans le domaine des écrits autobiographiques : la confession, le récit de vie, le journal, le témoignage. Mettre en avant ce type de figure de l'auteur d'origine immigrée provoque l'effacement de l'écrivain derrière une identité précontrainte imposée à l'écriture ; cette image identitaire limite à son tour la portée créatrice de l'écriture au niveau de sa réception par le public. Pour l'Institution, l'individu-auteur – la Personne sociale et, ici, ethnique, qu'est l'auteur – est perçu comme moteur de l'écriture ; ceci éclipse le travail de l'écrivain qui n'est plus qu'un reflet (ou un effet) de la vie de l'individu-auteur. Les conséquences sont importantes dans la mesure où les maillons de la chaîne écrivain-auteur, où l'auteur s'efface normalement 'derrière' l'écrivain, sont inversés. Faisant passer l'auteur au premier plan, l'Institution se fait forte d'écarter de la littérature franco-française (ou au moins de l'en détacher) tout un corpus identifié à partir de la situation ethno-sociale de l'individu-auteur et non à partir de l'art de l'écrivain.

 

Un « avertissement de l'éditeur » permet de suivre avec Lila dit ça la manière dont l'Institution – le monde de l'édition relayé par la presse – agence un discours qui résume par une rhétorique explicite (jusque-là il fallait interroger d'autres stratégies éditoriales : paratextes divers, présentations médiatiques, mise en place de collections spéciales) une politique de mise à l'écart qui aura bientôt vingt ans. Examiner l'avertissement montre comment les médias manipulent la représentation de l'auteur quand ils organisent un cadrage particulier de l'écriture. Afin de débouter ce discours, dans le second roman, J'ai peur, l'écrivain post-colonial s'approprie en l'incorporant à l'écriture la figure de l'auteur d'origine maghrébine, Chimo, montée par l'Institution. Ce qu'il faut déterminer est peut-être alors s'il s'agit d'une auto-présentation de l'auteur par l'écrivain où une adéquation serrée entre personnage, écrivain et auteur correspondra au bout du compte assez bien au montage institutionnel, auquel cas il n'y aura pas contre-discours. Par contre, s'il s'agit d'une auto-représentation qui établit une distance entre les supports du dialogisme de l'écriture (personnage, écrivain et auteur redeviennent alors des entités distinctes), l'écriture risque d'y gagner en épaisseur.

La représentation de l'auteur post-colonial observée dans le cadrage paratextuel de Lila dit ça fait par la maison d'édition (l'avertissement) se retrouve inscrite dans l'écriture romanesque (le texte) des trois romans de Paul Smaïl et de celui d'Ahmed Zitouni, Attilah Fakir [253], publié dix années plus tôt, en 1987. Ce glissement du paratexte au texte permettra de rassembler la dialectique et d'ouvrir une perspective diachronique sur l'évolution du corpus qui justifierait le glissement terminologique (et idéologique) de « roman beur » à « littérature arabo-française », dans la perspective d'un discours, ou d'un esprit, post-colonial en France.

 

Avec le premier roman attribué à Chimo, Lila dit ça, l'anonymat (présumé) de l'auteur est annoncé par un paratexte, un « avertissement de l'éditeur » [254], Olivier Orban, qui prévient que l'auteur, Chimo, « désire rester dans l'anonymat » et que lui-même ne l'a « jamais rencontré » et ne « sait rien de lui ». Le paratexte permet d'orchestrer une dialectique institutionnelle sur l'auteur. Puisqu'il est dit dans l'avertissement que le nom de l'auteur « se trouve dans le texte », le Chimo-personnage serait le support qui permet de construire la figure de l'auteur anonyme, Chimo. Or, toute une dialectique nouvelle pourrait bien reposer sur l'inconnue fondamentale qui alimente les controverses médiatiques : le pseudonyme est si bien maquillé qu'on ne peut guère enfermer l'auteur dans une origine ethnique précise. Si l'on peut affirmer que Chimo n'est pas un nom typiquement 'français', on ne peut non plus dire qu'il est typiquement 'arabe' ; la nominalisation tient du pseudonyme à allure de prénom plutôt que de nom et ne renvoie à aucune référence culturelle particulière si ce n'est qu'elle sonne déjà quelque part 'étranger'. Comme le reflètent les nombreux articles de presse qui suivent la parution du roman, cet anonymat permet de construire de l'extérieur (fabriqué par l'éditeur, le paratexte est un hors-texte) une figure qui est en opposition à celle de l'auteur canonique français et devient elle-même, par contrecoup, stéréotypique. En encadrant le texte de l'écrivain par un paratexte, la maison d'édition s'attache à cristalliser en creux un stéréotype de l'auteur immigré d'origine maghrébine à travers une analyse plus que schématique de l'écriture du roman. L'argument sur l'identité de l'auteur est construit sur une double opposition binaire qui en appelle à l'image médiatique : est-il auteur connu ou inconnu, professionnel ou amateur ? Ou encore, selon les termes de l'avertissement, « [s]'agit-il d'un auteur confirmé ou du premier roman d'un jeune écrivain talentueux ? » Mais le champ rhétorique se ferme déjà lorsque l'avertissement conclut que, le texte étant d'une « étonnante qualité littéraire », l'auteur ne peut être qu'un « auteur confirmé », ce à quoi la quatrième de couverture ajoute : l’œuvre d'un « inconnu surdoué », « un grand écrivain masqué ». Dans Le Monde du 27 avril 1996 (« Chimo, mystérieux écrivain débutant, ou supercherie littéraire ? »), Olivier Orban, le directeur des Editions Plon, confirme le dérapage idéologique : « [l]a construction et les métaphores filées de façon savante ne sont pas le fait d'un amateur mais révèlent un écrivain chevronné », ce qui l'amène à conclure : « [j]e suis de ceux qui pensent que c'est une mystification ». Or, dans l'édition française de Flair du 8 juillet, Olivier Orban semble préciser ce qu'il entend par « mystification » : « Si demain on me disait que c'est un jeune beur qui l'a écrit, j'en serais le premier étonné, même si ce n'est pas impossible. Mais moi, quand j'ai lu le livre, je me suis tout de suite dit qu'il était l’œuvre d'un écrivain confirmé ». Le raisonnement à allure de syllogisme conclut que l'auteur ne peut être arabo-français puisque l'écriture a une valeur esthétique. On renchérit par un argument complémentaire : puisque la valeur de témoignage sociologique authentique qui est l'horizon d'attente du roman des immigrations est mise en doute par les médias, alors le texte ne peut avoir été écrit par un auteur arabo-français [255].

En résumé, le cadrage institutionnel fait autour de Lila dit ça a une double conséquence politique. C'est la première tentative montée par une maison d'édition et disséminée par la presse de rayer polémiquement l'auteur post-colonial de la littérature contemporaine en France. L'oblitération se consomme dans le tour de force rhétorique qui consiste à manipuler doublement l'anonymat de l'auteur : si on écarte l'auteur post-colonial en affirmant la valeur esthétique de l'écriture et en rappelant l'incapacité de l'auteur arabo-français à faire œuvre esthétique, on déplore aussi l'absence de valeur documentaire qui était jusque-là sa signature. C'est la mise en place de l'anonymat par l'Institution qui signe la « mort » de l'auteur arabo-français. Ecartée par le cadrage institutionnel fait autour du premier roman, la figure de l'auteur arabo-français, on le voit, est pourtant réaffirmée en pointillés dans sa rigidité initiale : pour 'exister', l'auteur arabo-français est averti qu'il doit se maintenir dans les limites de son rôle d'ethnographe de banlieue. Peut-être en réaction à cette mise en avant de l'image omniprésente et omnipotente de l'auteur que dénonçait Roland Barthes dans « La mort de l'auteur » [256], et à son durcissement car on lui ajoute une dimension où l'origine ethnique est un critère d'évaluation important, les romans arabo-français contemporains s'attachent à défaire cette image stéréotypée et à la redisséminer en lui donnant d'autres valeurs esthétiques et politiques. Pour l'écrivain post-colonial engagé dans la Culture française en particulier, il faut briser le contrat autobiographique qui ressoude l'auteur et l’œuvre dans un tourniquet tautologique, où l’œuvre étant (à) l'image de l'auteur, l'écrivain est censé ne pouvoir produire que ce type de texte-là. Pour redonner une place à l'écriture, l'écrivain doit ouvrir un espace entre l'auteur et l’œuvre. Sa tâche consistera alors à renverser la relation de cause à effet instaurée par l'Institution qui veut que l'auteur soit l’œuvre et que l’œuvre ne dépasse pas l'auteur. Pour enfoncer un coin entre l’œuvre et l'auteur, l'écrivain va faire que l'écriture devienne la cause de l'existence d'une figure de l'auteur, qui en sera l'effet.

 

Cette figure de l'auteur arabo-français en déshérence dans le premier roman signé Chimo est récupérée par l'écrivain dans le second sous la forme d'un personnage, le même Chimo, support éponyme de la figure de l'auteur depuis le premier roman. Le premier chapitre de J'ai peur reprend le cadrage institutionnel organisé par les médias et l'éditeur autour de la publication du premier roman. Il rappelle le succès médiatique en France et à l'étranger, le nom et le rôle d'Olivier Orban l'éditeur, les doutes sur la personne de l'auteur, les accusations de plagiat qui s'en prennent elles aussi directement à l'image de l'auteur. S'il n'en a pas la forme, le premier chapitre a donc, de par son contenu, la fonction d'un paratexte (ce serait alors un semi-paratexte ?) qui met en abyme un roman par rapport à l'autre et, par décentrage ironique, une figure de l'auteur par rapport à une autre. Le paratexte camouflé permet à l'écrivain de construire un discours antithétique à (l'absence de) la représentation de l'auteur arabo-français agencée par la critique institutionnelle. Subtilement, la contre-attaque commence par un oubli : tout en dénonçant la construction médiatique qu'on a faite de lui comme auteur, l'écrivain néglige cependant de commenter la mise à l'écart de la possibilité que l'auteur anonyme du premier roman (qui est aussi, à cause de l'intertexte, écrivain du second) ait pu être arabo-français. L'argument est évité dans le premier chapitre mais il fait retour, camouflé dans les plis de l'écriture : Chimo, auteur du premier roman, écrivain du second, et personnage des deux, serait bien d'origine arabo-française [257].

 

Ironiquement, quelque part, l'origine ethno-culturelle reste l'angle à partir duquel va s'organiser un contre-discours sur l'auteur post-colonial à l'intérieur de la Culture française. La stratégie de l'écrivain pour défaire la construction officielle consiste en gros à accaparer cette figure en l'assimilant à l'écriture, pour ensuite la 'dénaturaliser' à coup de petites touches ironiques. C'est un processus à deux étapes auquel participe chacun des deux romans. La première étape est le stéréotype créé avec Lila dit ça où l'éditeur agence hors du discours romanesque une figure de l'auteur à partir du personnage central du roman (l'« avertissement » prévient que le nom de l'auteur « se trouve dans le texte »). Sur ce stéréotype s'appuie la deuxième étape qui consiste à créer un personnage-écrivain. Dans le premier chapitre de J'ai peur, la figure de l'auteur est construite par le discours romanesque à partir des deux étapes qui présentent conjointement une figure de l'écrivain et de l'auteur post-colonial : le personnage Chimo se positionne comme auteur du premier roman et aussi comme écrivain du second.

 

Dans Vivre me tue, le premier roman de Paul Smaïl où le personnage est là encore écrivain, l'écriture et le canon de la littérature (les allusions au Moby Dick de Melville sont constantes) retrouvent une place dans le discours sur l'auteur. La revalorisation de l'écriture par le personnage-écrivain post-colonial, Paul Smaïl, qui est aussi le nom de l'auteur du roman (là encore les médias parlent d'éponymie et d'anonymat), permet de contrer l'oblitération de l'auteur arabo-français effectuée avec le cadrage institutionnel du premier Chimo. En effet, le personnage-écrivain se livre à une appréciation de l'écriture et de la littérature canoniques qui met en place par déport une figure de l'auteur post-colonial arabo-français qui est en contradiction avec le stéréotype de l'absence de valeur esthétique monté par l'Institution avec Lila dit ça. Pour retrouver chez Paul Smaïl les deux étapes du discours présentes ensemble dans le second Chimo, celles du personnage-écrivain et du personnage-auteur, il faut attendre le deuxième roman, Casa, la casa (1998). La technique fait boule de neige avec le troisième roman, La Passion selon moi (1999) [258]. L’œuvre des deux auteurs suit ainsi le même schéma dialogique qui permet de comprendre la stratégie selon laquelle la représentation de l'auteur passe dans l'écriture pour décentrer le montage médiatique. Dans un premier temps, l'écrivain post-colonial manifeste sa présence dans l'écriture par l'entremise d'un personnage-écrivain : c'est le cas du premier roman de chaque auteur, Lila dit ça et Vivre me tue. Dans un second temps, le personnage-écrivain se dédouble en personnage-auteur, ce qui génère une dialectique sur la représentation de l'auteur et sur une critique de l'Institution et du canon littéraire français. Ainsi, trois des romans, Casa, la casa, La Passion selon moi de Paul Smaïl et J'ai peur de Chimo, rouvrent la distinction entre auteur et écrivain, écart nécessaire pour élaborer un discours critique de la figure canonique de l'auteur. Pour rendre graphiquement le processus de prise de parole critique contre l'Institution littéraire par l'écrivain post-colonial, on peut imaginer ce schéma très simple :            

monde réel

monde romanesque

monde réel.

l'écrivain

[personnage-écrivain
–> personnage-auteur]

l'individu-auteur.

 

Un discours de l'écrivain post-colonial attaché uniquement à la représentation de l'auteur serait inapte à fournir une critique de l'Institution ; la structure qu'on a ici a en plus pour objet de construire un contre-discours sur le canon de la littérature franco-française (et l'inclusion d’œuvres francophones ou étrangères à l'écriture participe à son décentrage). L'intention est visible dans les références insistantes à Melville et à d'autres auteurs dans Vivre me tue, et dans les questions sur l'écriture que se posent les personnages-écrivains de tous les romans. Ainsi, pour décrire le champ complet du contre-discours post-colonial, aux deux premières étapes du processus il faudrait en ajouter une troisième. Celle selon laquelle l'écrivain, après avoir inscrit dans son écriture l'image de l'auteur post-colonial construite par l'Institution, l'utiliserait pour déplacer la figure de l'auteur canonique par des stratégies de décentrage. Il déboucherait ainsi sur une mise en question du canon littéraire à partir de sa représentation iconique institutionnelle, l'image de l'individu-auteur.

 

C'est dix ans en arrière, dans le noyau beur de la littérature arabo-française, chez Ahmed Zitouni, que se trouve le meilleur développement de cette dernière étape. Dans Attilah Fakir (1987), le tri selon lequel le personnage-écrivain Attilah Fakir inscrit les auteurs dans un panthéon est marqué avec insistance et envahit une bonne partie de l'espace textuel. A tel point qu'on pourrait considérer le roman comme une apologie visant à justifier, ou à défendre, la place qu'occupent les auteurs dans le panthéon littéraire ; mais il faudrait pour cela ignorer les multiples procédés ironiques de l'écriture d'Ahmed Zitouni.

Dans le texte, la figure de l'autorité littéraire est identifiée par un titre à valeur d'hypostase : le terme arabe d'« Hadj » vient caractériser les auteurs reconnus comme référentiels de LA littérature, il sert à effectuer le triage qui sélectionne les 'bons' auteurs, ceux qui vont entrer dans le canon. Outre son sens religieux qui dénote le statut du pèlerin ayant accompli le voyage de La Mecque, le titre d'« Hadj » connote la reconnaissance d'un accomplissement, apporte une crédibilité qui semble bien convenir à la figure de l'auteur canonique. On est averti dès le paratexte de la fonction hypostatique du terme « Hadj » comme valant pour l'auteur canonique avec les deux citations en exergue signées « Hadj Chester Himes » et « Hadj Vladimir Maïakovski », la première insistant bien sur le statut institutionnalisé du domaine littéraire : « Si Jésus-Christ voulait publier les Evangiles aujourd'hui, il ne trouverait pas d'éditeur ». Dès le paratexte, on est aussi averti de la dimension ironique, de la prolifération que subit l'image de l'auteur (Jésus-Christ), du fait qu'elle dépassera les frontières de l'Institution et de la Culture françaises (Chester Himes, Vladimir Maïakovski). Ainsi, une section du roman explique le processus d'intronisation d'un nouvel auteur : « Chaque fois qu'un nouveau livre est admis, son auteur accédant au lourd et prestigieux titre de Hadj, Attilah Fakir prodigue ses commentaires et ses recommandations » (p. 36). On s'évertue à hiérarchiser les auteurs : « occupation première : assigner sa juste place au nouveau Hadj (...) un petit espace dégarni, sur la surface réservée à la grande compagnie des Hadj de la première heure. A bonne distance des Correspondances de Hadj Rainer Maria Rilke, le serre-file de la rangée » (p. 38). Le tri fait l'objet de rites strictement respectés par le personnage-écrivain, « habituelle mise en scène, tenant lieu de protocole d'admission » (p. 37). Attilah Fakir « s'interroge sur la place qui doit revenir au Mars de Fritz Zorn » (p. 36). « Bien sûr, il n'a pas la classe de Hadj Charles Baudelaire » (p. 37), dit-il, mais « il a le droit d'habiter là-haut... même si, dans un premier temps, il faut le mettre un peu à l'écart, une période de probation, le temps de s'habituer à son auguste voisinage… » (ibid.) ; « la période de probation varie de un à trois mois » (p. 38).

La présentation en quatrième de couverture cible avec précision l'initiation médiatique qui attend Attilah Fakir, le personnage-écrivain dont le roman La Balade du bicot vient d'être publié. Il « doit passer, le vendredi, à une célèbre émission littéraire » à Paris, « en direct », « et sur un plateau ». Le roman couvre les quarante-huit heures qui précèdent l'émission, durée pendant laquelle Attilah Fakir « se prépare à affronter les projecteurs et les caméras ». Le titre de la quatrième et dernière section du roman, « Dans les entrailles du monstre » (p. 195), dont le contenu est l'émission elle-même, ferait alors allusion aux studios de la télévision. Quand le roman d'Ahmed Zitouni sort en 1987, Bernard Pivot est l'animateur de l'émission littéraire la plus célèbre des années 1980, « Apostrophes ». Le sous-titre du roman, « Les derniers jours d'un apostropheur », confirmerait cet écho de la vie culturelle française tout en reflétant admirablement la dimension ironique de l'écriture. « Apostropheur » serait un nom à deux épaisseurs, l'une sémantique, l'autre culturelle. Tout d'abord, greffé sur la racine grecque apostrophê, il signifierait bien dans le sens rhétorique celui qui interpelle une personne, ou une chose personnifiée (la figure stéréotypée de l'auteur ?). La dimension rhétorique est présente dans le discours satirique sur la figure de l'auteur canonique maintenu tout au long du texte sous forme de débats et plaidoiries internes entre le personnage-écrivain Attilah Fakir et « la Voix » qui a un rôle dialogique d'intermédiaire avec l'Institution. La satire s'intensifie dans la dernière partie du texte, « Dans les entrailles du monstre », lorsque le dialogue intérieur (ou le monologue dialogué) entre le personnage-écrivain et « la Voix » commente sur les invités de l'émission littéraire, effigies du monde littéraire contemporain du personnage-écrivain. C'est là où la même appellation, « apostropheur », prend une dimension culturelle contemporaine, celle de celui qui participe à « Apostrophes ». L'allusion à l'émission télévisée du vendredi soir dont le public se compte par millions (entre 2 et 5 selon les estimations) et qui en est environ à sa 600ème présentation en 1987, soit à la date de publication du roman, est claire. Attilah Fakir se présente à un débat animé par « l'arbitre », dit-il, « le maître de cérémonie, appelons-le : Officiant » (p. 199). Autour de la table, les « invités » dont les pseudonymes à valeur de fonction ramassent les figures de l'auteur sous les différents chapeaux qui constituent l'Institution littéraire, suffisamment transparents pour se passer de traduction : Filousophe, Critiqueutard, Ecrivendeur, Romanteuse, Pantouphlet, Sorbonnagre. Or, Bernard Pivot avait coutume d'inviter des auteurs aptes à couvrir l'étendue de la Culture française. Dans la pure tradition de Bernard Pivot, l'Officiant commence par donner un titre à « ce deux millième numéro de l'émission : ‘thèmes et anathèmes’ » (p. 210) puis annonce les participants et leurs textes. Pour sa première apparition en public, Attilah Fakir est présenté comme écrivain, non comme auteur, « un écrivain qui nous vient avec un livre bouleversant, dont on ne sort pas indemne, La balade du bicot, aux éditions Grangrigou » (p. 217) ; mais la figure de l'auteur d'origine maghrébine se dessine déjà derrière la suite du commentaire : « le témoignage lyrique du douloureux itinéraire d'un Maghrébin de nos paysages suburbains » (ibid.). Attilah Fakir, « tassé sur son fauteuil », se tient coi. L'Officiant fait encore quelques commentaires sur La Balade du bicot, en vain : Attilah Fakir ne prendra jamais la parole. Non pas qu'il reste passif car le dialogue intérieur avec « la Voix », procédé qui soutient l'écriture du roman, a repris. Il occupe toute la durée de l'émission et confirme définitivement la « mort » de toutes les formes institutionnelles de l'individu-auteur canonique : le critique, le philosophe, le romancier, le professeur. Piques acerbes, échanges venimeux, auto-analyses prétentieuses, dénigrements réciproques, critiques vicieuses, au fur et à mesure de l'émission, chaque 'écrivain' disparaît derrière une image de plus en plus caricaturale et grimaçante de l'individu-auteur. Au bout de quarante-cinq minutes, Attilah Fakir le personnage-écrivain du texte d'Ahmed Zitouni, se lève, ramasse les deux copies de son roman sur la table, et quitte le plateau, confirmant le nécessaire anonymat dans lequel doit rester l'écrivain pour ne pas devenir l'une de ces exécrables images présentées ici sous la forme d'une galerie d''auteurs', archétypes des fonctions de la littérature. Il semblerait qu'à ce point, en quittant sans un mot le plateau de télévision, le personnage-écrivain choisisse de refuser une existence médiatique pour ne pas s'annihiler dans la figure du personnage-auteur. « La Voix », qui nous initie aux mécanismes institutionnels, perd littéralement Attilah Fakir à ce moment-là (« je n'ai pas retrouvé Attilah Fakir depuis », p. 247), ce qui signe symboliquement une forme particulière de la « mort » de l'auteur : le refus de la part de l'écrivain d'assumer la fonction sociale d'auteur.

 

Selon le schéma proposé plus haut, le roman correspondrait alors, dans le monde réel, au point précis où se développe la dialectique de l'écrivain en passe de devenir une figure publique, c'est-à-dire de devenir un individu-auteur. Ahmed Zitouni serait un précurseur en cela qu'il introduit dans son écriture romanesque un discours contre l'Institution qu'on ne retrouve que plus tard dans le roman arabo-français (il est d'ailleurs symptomatique que son œuvre n'ait pas la place qu'elle mérite dans la littérature). Aurait-il pressenti et esthétisé de façon magistrale dix ans avant l'heure toute la dialectique qui semble toucher aujourd'hui à la place de l'auteur post-colonial dans l'Institution ? C'est donc par le détour de l'analyse du roman d'Ahmed Zitouni que je propose de lire le premier chapitre du roman signé Chimo, J'ai peur, dans une perspective similaire. On se souvient que le premier chapitre a un statut de paratexte camouflé puisqu'il commente l'expérience du Chimo auteur du premier roman, Lila dit ça. Dans cette 'introduction', le personnage-auteur est pris dans une dialectique où la figure de l'auteur orchestrée par l'Institution entrave la reconnaissance de la présence de l'écrivain post-colonial dans l'architecture du littéraire. Le personnage se tient à la fourche qui met le doigt sur une incompatibilité initiale entre le statut d'auteur tel qu'il est construit par l'Institution et la fonction d'écrivain en situation de post-colonialité interne à la France. Reprenant la dialectique de l'« avertissement » qui encadre le premier roman, Chimo le personnage-auteur résume le conflit par une antithèse :

D'un côté ils disaient Chimo est un écrivain, ça me mettait le cœur dans la bouche, et puis tous ils disaient d'accord c'est bien le livre mais c'est pas de moi c'est d'un autre, forcément un vieux vicelard qui se cache, même un plié de l'Académie, ou Untel machin, ou alors même Orban l'éditeur (p. 10).

L'antithèse se résorbe en une formule involutive lapidaire : « Comme si moi j'étais un écrivain mais j'avais pas le droit de l'être » (p. 11).

Développer succinctement la formule en reprenant l'optique adoptée au début pour cette analyse sera le dernier mot de ma lecture. Avec l'auteur post-colonial en France, si d'une part, les médias semblent resserrer le pacte autobiographique au point où il ne resterait aucun écart entre auteur et écrivain, et si d'autre part le travail esthétisant de l'écrivain est annulé par la mise en avant de la figure de l'auteur d'origine immigrée, le « Moi » ici ne serait-il pas situé au point où l'Institution subordonne l'écrivain à l'image de l'auteur ? Point de rencontre entre l'écrivain et l'auteur, le « Moi » ne serait-il pas alors le lieu du conflit où l'Individu perdrait sa qualité d'écrivain (ne pas avoir le droit de l'être) dès lors que la Culture lui accorderait le statut social d'auteur ? Car – l'avertissement de l'éditeur est suffisamment explicite –, si l'individu-auteur est d'origine immigrée, il ne peut être reconnu comme faisant œuvre littéraire ; inversement, si « Chimo est un écrivain », il ne serait donc pas concevable que l'individu-Chimo soit un auteur arabo-français : le « c'est pas de moi c'est d'un autre » confirmerait une nouvelle fois l'exclusion de l'individu-auteur d'origine exogène du Gotha littéraire à l'intérieur d'une construction institutionnelle où la personne physique de l'auteur serait emblématique de la valeur littéraire.

Pour éviter l'impasse, Ahmed Zitouni va forcer la situation. Le refus du statut d'auteur n'est plus uniquement une initiative institutionnelle pour victimiser l'écrivain post-colonial mais, par un détournement typique des stratégies de résistance aux discours de pouvoir, le personnage-écrivain Attilah Fakir (valant-pour vraisemblable de l'écrivain Ahmed Zitouni) redirige ce refus contre l'Institution. En quittant le plateau de l'émission littéraire, il rejette pour lui-même le statut d'auteur. Il a en effet compris que l'enjeu du passage à la télévision est le remplacement de l'anonymat de l'écrivain par la figure publique de l'auteur, substitution qu'il perçoit comme une perte d'identité, comme une mutation :

ce n'est pas un passage à la télévision qui me terrifierait, mais endosser une nouvelle image, me fondre dans une nouvelle peau, sous d'autres attitudes, derrière un autre vocabulaire. (...) Quelle horreur ! quel crime ! quelle atteinte à la dignité. (p. 47).

Le personnage-auteur Chimo repousse la même figure dans les mêmes conditions, celles d'une éventuelle apparition à la télévision aux côtés des auteurs encensés par les médias qu'il dénigre, lui aussi, à outrance : « Il y a des mecs qu'on voit partout à la télé, surtout la nuit, ils parlent comme des pots d'échappement, total dans leurs livres y a rien que des couloirs avec du vent » (p.12). Il prévient donc que son choix est fait : « On m'a pas vu, on me verra pas. Je suis pas là pour me montrer et pour parler, je suis mal instruit de toute manière et puis j'ai peur des journalistes, qui ont l'air toujours de tout savoir et d'être en colère de t'inviter » (ibid.). L'analyse explicite faite par Attilah Fakir m'incite-t-elle à aller trop loin quand j'interprète le refus du personnage-écrivain Chimo de se démasquer comme la reconnaissance que l'écrivain post-colonial se doit de rester anonyme sous peine de perdre sa fonction d'écrivain ? Le titre d'un article intitulé « Le retour de Chimo » lors de la parution de J'ai peur, titre qui à lui seul reconstruit la figure de l'auteur après l'avoir déconstruite, serait-il un écho ironique de la polémique sur l'auteur post-colonial intégrée aux romans ? Sans compter que les ironies prennent naissance dans l'anonymat de l'auteur et que les équivalences entre monde réel et monde romanesque circulent librement. Ainsi, il n'est pas besoin de chercher à la fois la « mort » et le « retour » de l'auteur plus loin que dans les titres. L'expression Vivre me tue est « la première phrase » d'« un grand roman d'aventures » commencé par le personnage-écrivain qui n'est « pas allé beaucoup plus loin que la première phrase » (p. 140), et c'est aussi le roman que nous offre Paul Smaïl. L'ironie est enfin à déplacer dans la réalité du monde médiatique. Si l'on peut pressentir un valant-pour de l'émission « Apostrophes » dans le roman d'Ahmed Zitouni, Lila dit ça a été dans la réalité le coup médiatique de l'année 1996 organisé par le monde de l'édition. Le 24 avril, dans un article intitulé « Chimo » d'auteur(s) », le journal Le Canard Enchaîné annonce pour le lendemain 25 la sortie en librairie par les Editions Plon d'un « coup d'édition », celui d'un roman écrit « par un illustre inconnu nommé Chimo », et pour le surlendemain 26, la présence à l'émission télévisée de Bernard Pivot, « Bouillon de Culture », de l'éditeur Olivier Orban, responsable de la maison d'édition. Le thème du jour de l'émission est de « découvrir des personnages exceptionnels ».

Bibliographie

BARTHES, Roland. « La mort de l'auteur », Le bruissement de la langue, Paris, Le Seuil, 1984, p. 63-69.

CHIMO. Lila dit ça, Paris, Plon, 1996, 174 p.

_____. J'ai peur, Paris, Plon, 1997, 244 p.

LARONDE, Michel. « La littérature de l'immigration et l'institution en 1996 : Réflexions à partir du paratexte de Lila dit ça », Etudes francophones, University of Southwestern Louisiana, Vol. 14, No 1, printemps 1999, p. 5-25.

L.R. « Le mystère Chimo », Flair (ed. française), 8 juillet 1996.

RN. A. « Chimo » d'auteur(s) », Le Canard Enchaîné, 24 avril 1996.

SMAIL, Paul. Vivre me tue, Paris, Balland, 1997, 188 p.

_____. Casa, la casa, Paris, Balland, 1998, 207 p.

_____. La Passion selon moi, Paris, Robert Laffont, 177 p.

VAN RENTERGHEM, Marion. « Chimo, mystérieux écrivain débutant, ou supercherie littéraire ? », Le Monde, 27 avril 1996.

ZITOUNI, Ahmed. Attilah Fakir. Les derniers jours d'un apostropheur, 1987, Ed. Souffles, 250 p.


Code, camouflage et verlan : l’innovation linguistique dans « Ils disent que je suis une beurette » et « Salut cousin ! »

Patricia GEESEY,
University of North Florida

« Beurette : sœur du Beur....mot voisin : burette. Pourquoi pas ! »
Ecarts d'identité, Azouz Begag et Abdellatif Chaouite.

« La guérilla du verbe n'est pas près de s'éteindre. »
Olivier Cachin.

Si les années 80 sont appelées la décennie des Beurs, grâce à leur présence notable dans le monde de l'édition littéraire, les années 90 seront sans doute remarquées pour la floraison de la culture des cités et des banlieues. Cet épanouissement d'une culture métisse et multi-ethnique se manifeste non seulement à partir des ouvrages littéraires appelés « beurs », mais aussi à travers la musique populaire, le cinéma, la télévision, et la langue française. Il n'est pas inouï d'entendre certains spécialistes parler d'une renaissance de la culture française en général grâce aux contributions venues d'ailleurs. La base de cette renaissance culturelle est une dynamique de métissage et de ré-appropriation linguistique dont les sources se trouvent dans les zones urbaines de la France d’aujourd'hui. Evidemment, tout le monde en France n'est pas ravi par cette tendance innovatrice. Peu après son élection à la mairie de Vitrolles, Catherine Mégret (du parti FN), parlant de la situation des banlieues, a déclaré à un journaliste allemand : « On va mettre un petit peu d'ordre dans la culture, parce que la culture tag et rap, ce n'est pas notre tasse de thé. Elle est débilitante ». Cet entretien a été repris dans un numéro spécial sur « La Culture Rap en France » du Nouvel Observateur (voir Bibliographie, infra). Le commentaire du journaliste du Nouvel Obs est catégorique : Mégret rêve d'une impossible (et peu souhaitable) « purification esthétique », et ceci au moment où la France devient la deuxième patrie du mouvement hip-hop. Pour les journalistes du Nouvel Observateur, la culture tag, rap, et hip-hop des cités est plutôt une « culture splendidement impure. ».

 

Publié en 1993, le roman Ils disent que je suis une beurette par Soraya Nini offre non seulement un récit qui semble autobiographique, mais ce texte joue avec les discours de banlieue afin de créer un espace linguistique et littéraire dans lequel la narratrice peut s'exprimer comme elle veut. Cette œuvre défie l'attribution des étiquettes et des identités toutes faites. Déjà dans le titre, une distance entre celle qui raconte sa propre histoire et « tous les autres » est suggérée par l'emploi du pronom « ils », c'est-à-dire ceux qui cherchent à imposer une étiquette identitaire aux jeunes femmes franco-maghrébines. Concerné aussi par l'innovation linguistique et le métissage des discours et des éléments culturels, le film Salut Cousin ! (1997) du cinéaste algérien Merzak Allouache, met en scène un jeune homme franco-maghrébin qui aspire à une carrière de chanteur de rap. Le dialogue du film contient beaucoup de verlan et d'argot, et en plus, ce sont les fables de La Fontaine qui fournissent l'inspiration pour les créations rap de Mokrane, appelé Mok.

Pour Mireille Rosello, l’aspect des pratiques d'hybridité et de métissage dans les banlieues européennes n'est pas simplement un résultat de la réalité de l'immigration. Au contraire, comme le constate Rosello, la présence des immigrés et la visibilité de leurs contributions culturelles et linguistiques révèlent que les sociétés occidentales ont toujours préféré exister dans un état de ce qu'elle nomme « amnesiac creolity », [la créolité amnésique]. Elle veut dire que c'est la perception de l'altérité à l'intérieur des frontières imaginaires d'une nation qui fait apparaître les fractures et les fissures qui existent depuis toujours dans cette même société. La plupart des récits qui aujourd'hui font partie de la littérature dite « beure » s'engagent dans « des pratiques d'hybridité » qui défient l'autorité de la société dominante, laquelle cherche à construire des frontières culturelles dites et non-dites. Les récits beurs résistent surtout aux limites imposées qui cernent ou cherchent à nommer l'Autre par des étiquettes toutes faites. Un exemple récent qui illustre parfaitement cette tendance de subvertir les discours identitaires est le roman Vivre me tue de l'auteur qui signe par Paul Smaïl.

Michel Laronde et Susan Ireland ont déjà souligné le rapport entre la culture beure et le contexte de la banlieue. La narratrice de Ils disent que je suis une beurette est Samia Nalib, la sixième de huit enfants nés dans une famille Algérienne immigrée qui habite une cité dans la banlieue d'une ville du sud de la France. Samia a douze ans quand le roman commence et elle est âgée de 17 ans à sa conclusion. Dès les premières pages, le récit, les personnages, et les jeux de mots sont intimement liés à la banlieue. Au début du roman, Samia rencontre une équipe de journalistes qui travaille pour une chaîne de télévision. Ils arrivent à la cité « Mon Paradis » pour faire une enquête sur la violence, les jeunes, et la banlieue. L'arrivée des journalistes ainsi que leurs intentions signalent l'établissement dans une série de raisonnements binaires qui construisent les discours de banlieue, à savoir l’opposition entre le dedans et le dehors. Grâce au rôle du parler métissé et aux soucis identitaires de la narratrice, le roman de Nini attire l'attention des lecteurs sur la nature artificielle des discours officiels et médiatiques sur la banlieue.

A leur approche, Samia se trouve assise devant l'immeuble ; un des journalistes lui pose une question, qu'elle perçoit comme rhétorique : « Bonjour ! Tu habites ici ? » Elle répond : « Oui, bonjour ! Pourquoi, ça ne se voit pas ? » (p. 9). Samia rétorque aux journalistes qu'elle a tout de suite constaté qu'ils étaient « ceux qui habitent dehors », qu'ils n'étaient pas résidents du Paradis. Le processus d'identification instantanée qu'emploie Samia a un rapport direct avec les frontières visibles et invisibles qui marquent les territoires d'appartenance spatiale et culturelle. Samia peut facilement identifier ceux qui viennent du dehors, elle comprend que c'est un processus réciproque : « Ceux qui habitent dehors, ils le voient tout de suite, eux aussi, qu'on vient de la cité ». Samia déclare ici ce qui paraît être un lieu commun, mais tout d'un coup elle défie cette idée reçue en rappelant aux journalistes que « Pourtant, c'est pas écrit sur notre front qu'on habite la cité... » (p. 9).

Cette distinction entre dehors et dedans en ce qui concerne la cité, marque aussi le rapport entre la société dominante et les marges. Cette scène du roman rappelle la scène du film La Haine (1995), où l'équipe de journalistes venue après les émeutes est chassée avec les cris : « On n'est pas des animaux... ». Samia attend en vain de regarder le reportage à la télé. Elle décide que sans doute « ils » ne veulent pas voir où « nous » les résidents vivons parce que, comme elle le dit : c'est « si moche de toute façon. » (p. 15).

Dans leur étude Quartiers sensibles, Azouz Begag et Christian Delorme notent que la prolifération des discours sur les banlieues provoquée par les politiciens, les chercheurs, et les journalistes, a transformé le mot « banlieue » « en un terme générique désormais valable sur tout le territoire national... » (p. 14). Pour Soraya Nini, en situant son récit dans la banlieue, un espace urbain qui est devenu presque synonyme avec la culture et la littérature « beures », la banlieue devient un site potentiel de métissage culturel. Une fois en-dehors de « Mon Paradis » Samia et ses sœurs seront peut-être identifiées comme « beurettes » mais au sein de la famille et la communauté de la cité, chacune s'efforce de trouver un moyen plus personnel et original de communication. Ainsi, on peut suggérer que la banlieue devient un site de création, de réappropriation, de « déconstruction », et de dissémination des appartenances culturelles.

Dans le roman de Nini, les jeux linguistiques de ses personnages représentent la façon la plus originale de marquer un espace individuel de communication. Une variété de stratégies linguistiques sont employées telles le camouflage, le bricolage, l'argot, et le transcodage. Samia raconte sa vie et ses expériences dans un français parsemé d'expressions très familières et argotiques, par exemple : « Je ne le sens pas, ce L.E.P., je ne sens rien du tout, c'est trop la galère, cette histoire » (p. 74). Cette façon de s'exprimer crée l'impression chez le lecteur que la jeune fille parle dans sa vraie voix. De plus, Mireille Rosello a déjà souligné le lien étroit qui existe entre « l'usage de l'argot et l'affirmation de l'identité beure. » (« Beur Nation », p. 18). En ce qui concerne le plan de ce roman, l'itinéraire de Samia rappelle d'autres textes beurs : une jeune fille en échec scolaire qui rencontre un racisme ouvert envers les franco-maghrébins à l'école et dans les administrations. En plus, la narratrice ne sait pas toujours choisir entre les exigences de ses parents et la culture française. Adolescente, elle se rebelle contre sa famille et contre la société dominante. Puisque le trajet de l'héroïne nous paraît si familier, la voix dans laquelle elle nous parle, assume une plus grande importance.

 

Pour comprendre l'importance de la voix et du parler dans Ils disent que je suis une beurette, il faut analyser le lien entre le langage du roman et le milieu de la banlieue. Dans un compte rendu du film La Haine, Thierry Jousse remarque que c'est la langue de ce film –le parler « branché » de banlieue – qui lui donne sa puissance, sa vérité et son énergie. D'après Jousse, c'est cette langue-mouvement du film de Kassovitz qui est aussi « sa façon à lui de s'ancrer profondément dans la banlieue... ». On pourrait faire le même commentaire pour le roman de Soraya Nini. Le langage, et plus précisément les innovations linguistiques, reflètent non seulement la présence de la banlieue, mais sont aussi un signe de la force créative de Samia en tant que narratrice de sa propre histoire. L'ethnologue David Lepoutre constate qu'aujourd'hui, il est possible de parler « d'une culture de l'éloquence » (p. 41) en ce qui concerne les banlieues françaises. La maîtrise du lexique verlan et argot est valorisée, aussi bien qu'une capacité narrative supérieure. On privilège « le beau tchatcheur » qui trouve sa meilleure incarnation dans le rappeur, ou même, on pourrait ajouter, dans l'écrivain « beur. » Le talent de manier le verlan et le transcodage offre à Samia et ses sœurs la possibilité d'assumer pour elles-mêmes, une petite part de cette autorité de prendre la parole.

Dans son essai « Faux et défaut de langue », Sylvie Durmelat analyse le talent de certains écrivains beurs de bricoler, de « parasiter », et de s'approprier les discours. Pour les autorités scolaires il s'agirait plutôt de « défauts de langue », mais Durmelat nous rappelle que ces soi-disantes erreurs sont une stratégie de narration et de communication qui doivent être considérées comme « des jeux du sujet, comme la marque d'une créativité et d'un maniement des codes » (p. 31). Ainsi pour Samia et ses sœurs, la manipulation du français, de l'argot, de l'anglais, et de l'arabe est une marque de créativité aussi bien qu'une stratégie pour survivre dans une famille où les filles sont étroitement surveillées par un frère aîné autoritaire.

Samia et trois de ses sœurs se réunissent pour lutter contre ce frère et la surveillance des parents. Samia raconte qu'au début, elle n'a rien de spécial à cacher à sa famille. C'est seulement qu'elle et ses sœurs désirent « préserver notre esprit, notre histoire » ainsi que leur propre espace que le frère aîné se fait un point d'honneur d'enquêter de plus en plus sévèrement, surtout après la fugue d'une sœur aînée. L'enquête du grand frère ne se limite pas à surveiller les allées et venues des filles de la maison. Une vraie brute, il bat ses sœurs pour la moindre infraction aux règles de comportement. Samia et ses sœurs développent une langue qu'elles appellent « langue s », s pour « sécurité », pour communiquer entre elles (p. 111). Ce langage est un mélange de verlan, d'argot, et d'anglais (appris à l'école et à travers la musique populaire). Un parler métisse, la création et l'utilisation de cette forme de communication dans Ils disent que je suis une beurette montre une grande affinité avec les autres innovations linguistiques qui caractérisent ce récit.

En jouant à nommer et à donner des étiquettes, Samia et ses sœurs créent des sobriquets pour identifier des membres de la famille. Quand une tante arrive d'Algérie pour un long séjour chez eux, son apparence et sa « différence » fascinent les enfants. L'altérité de la tante se trouve projetée sur un autre référent : les enfants la baptisent « Géronimo. » Voici comment Samia décrit sa tante : « On n'imaginait pas qu'elle était comme ça. On dirait un indien, ceux qu'on voit dans les films de cow-boys. Elle a deux tresses de chaque côté de la tête et ses cheveux sont presque tout gris. En plus, elle est tatouée à la figure, au front, au menton, et même aux mains » (p. 27). Une deuxième tante qui vient en visite est appelée « Cochise. » Les tantes, comme la mère de Samia, ne parlent pas français ; Samia et ses sœurs ne parlent pas vraiment arabe, alors la communication avec les tantes en visite se passe avec difficulté. Mais, les enfants prennent beaucoup de plaisir à initier les visiteuses au bonheur du parler banlieue. Par exemple, un matin en passant, Samia demande à sa tante : « Alors, Géronimo, ça va pour toi ? Ça gaze comme tu veux ? (p. 28). Si Samia essaie de parler à sa tante en arabe, elle trouve le chemin bloqué. Comme lui explique un frère plus âgé, en tant qu'enfants des immigrés nés en France, ils « parle[nt] l'arabe en français, ça veut dire avec l'accent français (p. 28). ».

Ce ne sont pas seulement les tantes qui sont affublées de surnoms. Le frère agressif devient « le KGB » (p. 42) ou « l’œil de Moscou » (p. 70). La mère de famille est appelée « la mother », le père, « le father. » Le récit de Samia présente de nombreux usages innovateurs et humoristiques du langage. Quand Samia ou une de ses sœurs accompagne la mère dans ses « démarches administratives », elle dit que c'est servir de « mot de passe » (p. 28) ou de « passeport » (p. 180) pour la mère. La cuisine devient « le quartier général » (p. 101) parce que c'est là où la mère tient ses réunions lors des crises dans la famille. Foued, le frère cadet, baptise Samia « MLF » (p. 221) parce que les livres qu'elle lui prête sont peuplés d'héroïnes indépendantes. Même la mère de famille montre son talent pour manipuler la langue d'une façon innovatrice. Elle refuse de céder devant l'échec scolaire de Samia. La mère insiste pour que toutes ses filles aient « un bagage », c'est-à-dire un diplôme qui leur permettra de réussir (et de voyager ?) dans la vie.

Au sein de la famille, l'agressivité du frère aîné provoque des débats explosifs et des scènes de violence. Samia appelle cela « semer » ou « foutre le why à la maison » (p. 129), et elle reproche à son frère de créer « une atmosphère nucléaire » (p. 129). La langue dite « s » est employée par Samia et ses sœurs dans leurs efforts pour préserver une zone de protection dans les disputes familiales. Pour avertir Samia d'un orage qui s’annonce avec le frère, une sœur lui dit : « La mother a téconra au KGB que tu treren tous sel srios présa eighteen o'clock ! » (p. 112). Traduction donnée dans le roman : « La mother a raconté au KGB que tu rentres tous les soirs après dix-huit heures ! » (p. 112). Samia et ses sœurs espèrent que leur langue « s » leur donnera une plus grande liberté de s'exprimer. Mais, bientôt, Samia se rend compte qu'au fond, cette langue ne réussit pas à les libérer des contraintes physiques imposées par le tyrannique grand frère. Samia découvre une plus grande liberté symbolique à travers ses lectures et son journal intime qui devient pour elle un refuge contre les pressions familiales et scolaires. Une vraie liberté physique et émotionnelle se présente pour Samia quand elle s’attache à trouver une place pour l'été comme animatrice dans une colonie de vacances pour enfants. A la fin du roman, Samia prépare sa valise – ceci est aussi le fameux « bagage » dont lui parlait sa maman – et elle quitte le foyer familial, malgré les protestations de sa mère, pour trouver un espace plus ouvert et plus libre.

Dans Ils disent que je suis une beurette, le frère cadet Foued trouve une liberté d'un autre genre. Avec ses amis de la cité, ils créent un groupe de rap. Le concert-spectacle a lieu dans le centre de jeunesse de la cité. Samia est étonnée par le talent de son petit frère et de l'importance de son message :

« Mon père ne comptait pas du tout. /.../ Moi je compte pour du beurre./ On me fait croire que je suis important/ Parce qu'on m'appelle BEUR, / Dans les journaux, à la télé, partout ! / Pour moi, BEUR égale LEURRE ! / Je les écoute me raconter mon histoire qui finit mal ! » (p. 250)

Foued continue en rappant que la seule « histoire » qu'il choisit pour lui-même et les autres minorités auxquelles il s'identifie dans sa chanson est l'histoire de « LA DESINTEGRATION » (p. 250). Le rap de Foued résume le leitmotiv de Ils disent que je suis une beurette. Comme Samia, Foued refuse à l'Autre le pouvoir de lui attribuer des étiquettes et des identités toutes faites. A travers son talent de jouer avec la langue française en tant que rappeur, Foued s'approprie le droit de raconter sa propre histoire. Par « désintégration », Samia et Foued veulent dire qu'ils prennent le chemin de métissage, de la troisième voie – ni 100% français, ni 100% « Beur » –, un mot qui se présente trop souvent dans la bouche des autres. Le départ de Samia, loin de la cité et de sa famille avec sa valise pleine de ses cahiers qui lui servent de journaux intimes, signale le début de sa quête pour une « appartenance » définie autrement que par le mot « beurette. ».

 

Le film Salut Cousin ! de Merzak Allouache, présente aussi des personnages qui font preuve d'une grande habileté linguistique. Ce film nous narre l'histoire de deux cousins, Mokrane, appelé Mok, et Alilo. Mok a grandi en France, dans la cité des Courtilières ; Alilo arrive d'Alger pour récupérer une valise de robes haute couture, à savoir « le trabendo », ou « le bizness. » Ce film très original souligne le rôle innovateur que joue le langage dans la création des identités et même des rapports inter-personnels dans un Paris qui est de plus en plus métissé. Dès l'arrivée d'Alilo à Paris, le dialogue entre les cousins est parsemé d'expressions argotiques qui viennent des rues de Paris mais aussi des rues d'Alger. Mok rêve de faire carrière comme chanteur de rap. Il crée ses chansons de rap à partir des fables de La Fontaine. De ce fait, le film Salut Cousin ! prend comme sous-titre la fable « Le Rat de Ville et le Rat des Champs ». Mok sert de guide à son cousin venu « du bled. » Très vite le spectateur voit Mok assumer le rôle de professeur dans un cours de langue étrangère pour son cousin qui n'est pas familier avec tous les usages linguistiques à la mode à Paris. Mais Alilo lui aussi, a des choses à apprendre à son cousin « citadin ».

Le personnage de Mok présente des aspects curieux. A la fois rêveur et fabulateur, Alilo apprend vite que tout ce que raconte Mok n'est pas nécessairement la vérité. En introduisant Alilo dans son quartier du 18e arrondissement à Paris, Mok insiste sur le fait que ce coin « vâchement métissé » est « l'avenir de Paris ». Mok présente son quartier comme un endroit « artistique et intello ». Vers la fin du film, Fatoumata corrige cette vue trop naïve en expliquant à Alilo qu'ici, c'est « La Moscova », un quartier des pauvres et des immigrés, qui va bientôt être démoli pour faire place à une rénovation urbaine qui repousse les pauvres dans les cités des banlieues. Dans le film, le talent de Mok en tant que rappeur est montré sous un angle comique. Quand Mok retourne à la cité Les Courtilières pour prendre part à une soirée-spectacle de rap, ses efforts sont hués par le groupe de jeunes qui n'apprécient pas beaucoup le rap basé sur La Fontaine. « On n'est pas à l'école primaire », est un des cris méprisants lancé à Mok pour le chasser de la scène.

La scène qui suit son échec montre l'angoisse de Mok d'avoir été chassé par « cette petite frappe » de son ancienne cité, et sa colère se retourne contre son cousin Alilo. Exprimant sa frustration d'avoir toujours à lui « traduire » son parler verlan et argotique (« Je parle français, non ? » demande Mok avec irritation), Mok continue à vider la rage de son cœur en décrivant la situation tragique de sa famille : une mère dépressive, un père au chômage, des frères drogués et en prison, une sœur qui se prostitue... : il présente un portrait de famille banlieusarde plein de stéréotypes négatifs. Mais, c'est plutôt le metteur en scène, Merzak Allouache qui joue sur les sensibilités des spectateurs déjà peut-être trop naïfs – comme Alilo – et trop prêts à croire en la réalité de ce récit. Bientôt après cette scène, en rendant visite à la famille de Mokrane, Alilo apprend que le père est à la retraite, la mère se porte bien, les frères vont bien, et la sœur est chauffeur de taxi. Le voile levé, le spectateur devient ainsi conscient de ses propres idées reçues sur les banlieues et la vie des immigrés. Il a fallu vraiment peu d'effort de la part de Mok pour nous convaincre qu'il vit une situation malheureusement trop connue et déjà répertoriée.

Le contraste entre la chanson du groupe de rappeurs et celle de Mok est frappant. La chanson des premiers est un rap plein d'énergie avec un message important contre la violence qui touche l'Algérie depuis 1992. Mais que peut-on dire au sujet de Mok et de son rap sur « Le Rat de Ville et le Rat des Champs ? » Ce que les jeunes de la salle n'ont pas apprécié c'est que Mok cherche à être « rebel » et innovateur à son tour. Rapper sur une fable de La Fontaine peut être vu comme une tentative de parasiter et moderniser un texte de l'époque classique, pour avoir comme résultat, la création d'un texte hybride et métissé. Le choix de La Fontaine comme sujet de rap n'est pas aléatoire ; on se rappelle que cet écrivain classique figure bien dans le programme scolaire de l'éducation nationale en France. Rapper sur La Fontaine peut être considéré comme une ré-appropriation innovatrice d'un texte « classique » d'intégration et d'assimilation. Les spécialistes de l'histoire de l'immigration nous rappellent souvent que l'école nationale est censée être le lieu d'intégration par excellence. Le rêve de Mok de faire carrière de rappeur avec un répertoire de rap tiré de La Fontaine, joue sur la notion d'intégration réussie.

A la fin du film, Mok, qui prétend être citoyen français, est expulsé en Algérie pour avoir commis des infractions administratives. Alilo, trabendiste manqué, décide de rester en France parce qu'il est amoureux de Fatoumata et, de toute façon, il a perdu la fameuse valise à la gare. Le film montre que dans un Paris qui se transforme sans arrêt grâce aux apports culturels et linguistiques des habitants venus d'ailleurs, le seul « avenir de Paris » certain est celui de la continuation d'un métissage enrichissant où chacun doit trouver son chemin individuel.

Ouvrages cités :

ALLOUACHE, Merzak. Salut Cousin ! 1997.

BEGAG, Azouz et CHAOUITE, Abdellatif. Ecarts d'identité. Paris : Seuil, 1990.

––––––––––––– et DELORME, Christian. Quartiers sensibles. Paris : Seuil, 1994.

CACHIN, Olivier, « L'Age de raison du rap français », Qantara No. 30 (Hiver 98-99) : p. 46.

DURMELAT, Sylvie. « Faux et défaut de langue. » Francophonie plurielle. Actes CIEF Casablanca, 1993. Ginette Adamson et Jean-Marc Gouanvic, éditeurs. Québec : Hurtubise, 1995: p. 29- 37.

IRELAND, Susan. « Writing at the Crossroads : Cultural Conflict in the Work of Beur Women Writers. » The French Review 68.6 (May 1995) : p. 1022-1034.

JOUSSE, Thierry. « Prose Combat », Cahiers du Cinéma No 492 (juin, 1995) : p. 32-35.

LARONDE, Michel. Autour du Roman Beur : immigration et identité. Paris : L'Harmattan, 1993.

LEPOUTRE, David. « Cœur de cité : la culture adolescente », Qantara No. 30 (Hiver 98-99) : p. 41-42.

NINI, Soraya. Ils disent que je suis une beurette. Paris : Fixot, 1993.

Le Nouvel Observateur « La Culture Rap en France. » No 1688 (du 13- 19 mars, 1997) : p. 4-12.

ROSELLO, Mireille. « The Beur Nation : Toward a Theory of Departenance. » Research in African Literatures 24.3 (Fall 1993) : p. 13-24.

–––––––––––––––  « Introduction » Paragraph Special Issue : « Practices of Hybridity. » 18.1 (March, 1995) : p. 1-12.

SMAÏL, Paul. Vivre me tue. Paris : Editions Balland, 1997.


La mémoire de l’œil :
Images de l’immigration algérienne
au cinéma

Ida KUMMER,
Collège des Nations Unies et Paris-3

« L’immigré est photogénique » [259], déclarait non sans quelque ironie Tahar Ben Jelloun. Le réalisateur égyptien, Youssef Chahine, a repris pour son compte cette formule laconique dans son film El Mouhajjer, L’émigré, qui raconte la singulière histoire de Joseph, exilé-émigré en Égypte, et dans lequel Chahine analyse la question de l’identité de l’émigré, pris dans un complexe réseau de contradictions et d’allégeances difficilement compatibles.

À son tour, l’immigration algérienne en France a trouvé de nombreuses représentations au cinéma. Des cinéastes tels qu’ Ahmed Rachedi avec Ali au pays des Mirages, Ali Ghalem avec Mektoub ? ou Okacha Touita pour Les Sacrifiés, se sont penchés sur le sort fait à la première génération, celle du bâtiment et des usines, et ont axé leur propos sur les affres du quotidien et les perspectives pour le moins problématiques d’un retour au pays. Plus récemment, les autoproclamés Beurs apportent leurs propres témoignages au cinéma. Sur le mode comique, tragique ou intimiste, des cinéastes comme Yamina Benguigui avec son incontournable Mémoires d’Immigrés en 1994 ou Bourlem Guerdjou avec le tout récent Vivre au Paradis, se partagent deux tendances : d’une part, placer le personnage de l’immigré dans une problématique de l’indécidable retour au pays, d’autre part, représenter une génération beur, qui ne se situe plus dans la résolution positive du dilemme départ-retour et qui recherche l’intégration.

Le deçà et le delà, ici-là-bas

Dans de nombreux films traitant de l’immigration, les personnages sont représentés entre le deçà et le delà de la Méditerranée, dans une impossible réconciliation entre mémoire et oubli.

Ainsi, dans le documentaire de Yamina Benguigui, Mémoires d’Immigrés, Saïd raconte cette ambiguïté dans un long plan, où la caméra effectue un travail de sur-place, comme pour accentuer la difficulté d’avancer et d’être : « J’ai aimé la langue française, mais je suis toujours resté un Mohamed. »[260]

Ahmed Lallem, cinéaste algérien, a tourné en Algérie en 1966, un documentaire intitulé, Elles, portraits de quatre lycéennes algériennes en terminale. Ce documentaire a servi de base à Algériennes, 30 ans après. film que Lallem tourne en 94. Comme le laisse pressentir le titre du film, le réalisateur, grâce à un montage très parlant, suit le destin de ces quatre femmes, trente ans plus tard. L’une d’elles, Hassina, se souvient de la période de son arrivée à Paris comme « d’un mur d’oubli, une amnésie qui a duré un an » [261] comme si cette perte momentanée de mémoire lui avait servi de transition, entre l’espace de départ et l’espace d’arrivée.

Dans Mémoires d’Immigrés, l’impossible réconciliation de l’« ici-là-bas » se résume dans la juxtaposition poignante et presque cocasse de ces deux affirmations, prononcées par une femme algérienne immigrée qui a monté sa propre entreprise : « Oui, je retourne à Alger chaque année mais je commence à respirer quand l’avion se pose à Orly. Être enterrée en France dans un cimetière français, ça, je ne veux pas » [262].

Bourlem Guerdjou nous montre cette difficile tension entre terre d’accueil (mot contestable ?) et terre d’origine dans son film Vivre au Paradis. Le cinéaste a choisi d’évoquer l’univers des bidonvilles de Nanterre, naguère décor du film Les Sacrifiés d’Okacha Touita. Habilement, le réalisateur ne fait pas de son héros Lakhdar un militant du FLN, l’homme intouchable de la juste cause, pour la bonne conscience de l’Histoire. Au contraire, le héros, un père de famille, est l’emblème de la majorité silencieuse des immigrés algériens, peu politisée, uniquement motivée par l’espoir d’un mieux-vivre personnel (travail, logement, argent, vie familiale) avant de déchanter. Le film a également comme toile de fond historique les dernières années de la lutte pour l’Indépendance, vues à travers le regard de la communauté immigrée. Celle-ci perd sur les deux tableaux. Elle vit dans un pays qui ne l’aime pas, uniquement intéressé par la main-d’œuvre, elle aide financièrement un pays qui lutte pour son indépendance et qui ne lui sera guère reconnaissant sitôt cette victoire acquise, lui reprochant de s’être déjà mise à l’écart du grand scénario de la reconstruction nationale.

Dans le plan très sombre qui montre l’arrivée de la famille sous une pluie battante, le seul éclat de lumière est constitué par la fine pluie de sable qui s’écoule des bottes trempées du fils de Lakhdar, vestige du sud algérien dont on comprend bien qu’il n’aura pas sa place dans ce nouveau monde. Lorsque l’Indépendance est proclamée, Lakhdar dit à sa femme : « En rawhou lel bled » (on rentre au pays) [263], pourtant l’impossibilité de retour est dans le plan fixe qui filme Lakhdar et sa femme, et dans le long drap blanc qui assombrit et bouche toute perspective de retour et d’amélioration.

Le « déracinement croisé », a aussi passionné Dominique Cabrera. Réalisatrice française d’origine pied-noire, elle fait écho à Merzak Allouache dans son film L’autre côté de la mer, 1996 et nous montre des personnages qui, quel que soit le lieu d’où ils parlent, sont en état de tension avec l’autre côté de la Méditerranée : Georges Montero, Pied Noir, est resté en Algérie, il vient en France pour y subir une opération de la vue. Le chirurgien qui l’opère est un Beur, Tarek qui n’a plus aucun lien avec sa culture d’origine. Le Pied-Noir parle l’arabe mais pas l’immigré. La réalisatrice s’explique :

Les deux personnages ont mal à l’Algérie, qui sans être jamais montrée, reste omniprésente. J’ai fait ce film, comme un récit sur l’aveugle et le paralytique, rebaptisé : le rapatrié et l’immigré, le Gaouri et le Beur [264].

Dans ce film, la profondeur de champ sert à traduire une irrésolution entre ici et là-bas. L’arrière-plan toujours un peu flou traduit la superposition des générations, le présent et le passé, le deçà de la mer et son delà. Le cadrage, très important dans ce film, sert également le propos : certaines scènes sont filmées dans le cadre, plus dedans qu’autour, évoquant ainsi une tentative de réconciliation, ce qui se vérifie aussi dans la symbolique de l’opération chirurgicale : c’est Tarek, le chirurgien beur, qui redonne la vue au Gaouri.

La problématique de l’indécidable qu’a vécue au moins la première génération d’immigrés, et qui joue sur des référents spatio-temporels, se trouve magistralement exposée dans Mémoires d’Immigrés : le film est conçu comme l’histoire de l’immigration racontée par les principaux intéressés. Dans ce récit ternaire, les pères, les mères, les enfants s’expriment chacun à leur tour. La force de ce travail tient à la vérité des images ainsi qu’au parti pris de la réalisatrice de gommer toutes les questions des interviews, ce qui a pour résultat de faire apparaître ces témoignages comme des confidences, des confessions.

C’est aussi d’avoir croisé ces vies amputées, ces parcours atrophiés, avec les propos gênés des responsables, recruteurs et autres organisateurs de mouvements migratoires. Nous comprenons mieux ainsi la phrase de l’un des témoins qui résume le paradoxe de cette première génération d’immigrants : « du provisoire qui durera une vie » [265].

En mal d’un corps

Que ce soit dans les films de la première génération, Mektoub ?, d’Ali Ghalem, Les Sacrifiés d’Okacha Touita, Ali au pays des mirages, d’Ali Rachedi ou dans des films plus récents, Le Thé au harem d’Archimède, ou Miss Mona de Mehdi Charef, le corps immigré est appréhendé comme vecteur douloureux du récit cinématographique.

Érigée en système, l’immigration a enfermé l’expérience concrète des immigrés dans une distorsion de la dialectique du temps, ainsi que l’affirme Abdellatif Chaouite :

Le temps de l’immigration étant un temps compté, sa parenthèse devait se refermer avec l’extinction du besoin. Le regroupement familial a infléchi l’histoire de cette expérience en l’inscrivant dans une réalité de l’installation[266]

Corps chosifié, matière première, il devient denrée commerciale, ainsi que l’affirme sans équivoque ce recruteur :

Lorsqu’on allait recruter des types, on leur donnait une bonne poignée de main, ce n’était pas pour les saluer mais pour savoir s’ils avaient l’habitude de travailler (...) On recrutait beaucoup en région rurale, là où ils sont plus malléables, on n’avait pas d’histoire, il y avait très peu de déchets [267]

On constate ainsi qu’il n’y a pas d’immigré non travailleur, et dans les films montrant la première vague d’immigration, on s’aperçoit que quelle que soit sa situation familiale, un ouvrier immigré est toujours célibataire.

Corps entassés dans la précarité des baraquements dans Vivre au Paradis et Les Sacrifiés, corps cloîtré de Nora, l’épouse de Lakhdar, qui connaît le double enfermement du bidonville ainsi que l’interdiction de sortir de son taudis, pour se protéger du regard des autres Algériens.

Le spectateur témoigne chez de nombreux personnages masculins, d’une virilité à bout de souffle : « Je ne suis plus un homme » [268], dit Lakhdar qui quitte la file d’attente devant la baraque de la prostituée. Jusqu’à l’œil de Georges Montero, l’un des deux héros de L’Autre Côté de la Mer, qui figure lui aussi un corps meurtri :

Cet œil isolé dans le champ opératoire, cette pupille qui palpite, c’est Georges Montero tout entier et d’une certaine manière, ce sont tous les Pieds-Noirs en 62 [269].

Corps brutalisés dans Vivre au Paradis : la manifestation du 17 octobre 1961, tristement célèbre, est un des moments forts du film. On sent alors le retard du cinéma sur cet événement de l’Histoire, que le cinéaste nous transmet par le choix de l’abstraction stylisée, le lent travelling latéral qui glisse des manifestants figés aux forces de police et le gros plan sur un corps allongé, légendé d’une phase, qui rappelle que ce jour-là, plus de deux cents Algériens furent massacrés.

Si Vivre au Paradis n’est pas un film bavard, s’il ne cherche pas réellement à donner la parole aux immigrés, mais plutôt à leur conférer une dignité corporelle, on se doit de constater qu’ il s’agit pour les cinéastes de faire voir mais aussi de faire entendre l’immigration.

La langue renversée

Dans un désir de renouer avec un cinéma de réalisme populaire, dans lequel ni les accents, ni les inventions de langage ne sont gommés, certains réalisateurs nous donnent à entendre une langue renversée, détournée... Avec le terme « beur », dont le cinéaste algérien Rachid Bouchareb dit, non sans une pointe d’ironie, que le mot a été inventé pour « loukhoumiser » le mot « arabe », force est de constater que ce parler, au départ très marginal est passé « de la cité, à la téci, de la téci au monde, du monde aux films » [270].

Ainsi « beur », « reubeu », « céfran » et « bledman », peuplent désormais les films qui prétendent établir un état des lieux de l’immigration en France. Les personnages des films savent user de cette langue métissée à des fins identitaires.

Le cinéma, art populaire par excellence, se devait de traduire cette mouvance langagière. Boris Seguin et Frédéric Teillard ont consacré un ouvrage à cette question : Les Céfrans parlent aux Français, [271] ils nous montrent avec beaucoup de truculence qu’un des premiers modes d’intégration des jeunes Beurs, dans la cité, passe par la maîtrise de cette métalangue.

Dialogues de films syncopés, saccadés, faisant penser à du rap filmé, dont on avait déjà pu savourer la technique dans le film fondateur de ce qu’on n’appelait pas encore un cinéma beur, Le Thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef. « Nos pères, ils habitaient dans des cités-dortoirs, nous on habite dans une cité-patrie » [272], affirme l’un des personnages de Bye-Bye. Malik Chibane lui fait écho, à propos de ses deux films Hexagone et Douce France :

Il y a urgence à montrer la banlieue, les cités, sans forcer sur le misérabilisme. La cité est traversée par des frontières invisibles. Il est capital d’immortaliser la génération à laquelle on appartient, aujourd’hui, où l’impression prédominante est que les Beurs sont presque tous employés dans des casses. Il est important que ces personnages soient couvés des yeux et épiés des oreilles et que ressurgisse la polyphonie des banlieues14.

C’est sur une note semblable que se termine le film de Yamina Benguigui, avec un gros plan sur le visage de la jeune beurette :

Je te jure, j’ai des copains, ils sont Céfrans, et ils portent la main de Fatma contre le mauvais œil, y’en a même qui trouvent que c’est cool de faire le Ramadan, qui jurent sur Allah, qu’on appelle aussi Larbi [273].

S’il est vrai que la question des origines est présente derrière toutes les questions, les cinéastes de l’immigration se sont posé en images une autre question fondamentale : d’où parler, quand ce qu’on est, n’est plus ?

Il s’agit, en effet, de retrouver une filiation que l’exil a brisée, c’est-à-dire mettre en scène le manque. Pari difficile de la greffe réussie, car il suppose un exercice de haute voltige qui consiste à croiser métissage et mémoire, empreinte et intégration. Ce pari tenu en ce qui concerne la musique, trouve dans le cinéma une expression de choix. Art du mentir-vrai, il assure la circulation entre plusieurs mondes et la suture d’univers en rupture. Le mot de la fin revient à la cinéaste algérienne Farida Belghoul :

Je suis différente, mais par rapport à qui ? (….) Je maintiens que le droit à la différence est peut-être une forme voilée de l’exclusion. Car octroyer aux étrangers le droit de n’être pas comme tout le monde, revient, qu’on le veuille ou non, à les empêcher de prendre part à une égalité avec les Français. S’il faut absolument un slogan, je propose alors, « Vivre ensemble avec nos ressemblances quelles que soient nos différences » [274].

Filmographie

ALLOUACHE, Merzak. Omar Gatlato, Paris, 1976.

ALLOUACHE, Merzak. Un amour à Paris, Paris, 1986.

ALLOUACHE, Merzak. Bab el Oued City, Paris, 1994.

ALLOUACHE, Merzak. Salut, cousin, Paris, 1996.

BENGUIGUI, Yamina. Mémoires d’immigrés, Paris, 1994.

BOUCHAREB, Rachid. Segou, Paris, 1992.

BOUCHAREB, Rachid. Les années déchirées, Paris, 1996.

CABRERA, Dominique. L’autre côté de la mer, Paris, 1997.

CHAHINE, Youssef. El Mouhajjer, Le Caire,1994.

CHAREF, Mehdi. Le thé au harem d’Archimède, Paris, 1985.

CHAREF, Mehdi. Miss Mona, Paris, 1987.

CHIBANE, Malik. Hexagone, Paris, 1995.

CHIBANE, Malik. Douce France,Paris, 1995.

DOILLON, Jacques. Petits Frères, Paris, 1999.

DRIDI, Karim. Bye-bye, Paris, 1995.

GHALEM, Ali. Mektoub ? Paris, 1970.

GUERDJOU, Bourlem. Vivre au Paradis, Paris, 1999.

LALLEM, Ahmed. Algériennes, 20 ans après, Paris, 1994.

RACHEDI, Ali. Ali au pays des mirages, Paris, 1979.

TOUITA, Okacha. Les Sacrifiés, Paris, 1982.

Bibliographie

AMIEL, Vincent. Le corps au cinéma, Paris, Puf, 1999.

ARMES, Roy. Dictionnaire des cinéastes du Maghreb, Paris, ATM, 1996.

BEN JELLOUN, Tahar. La plus haute des solitudes, Paris, Seuil, 1977.

BOUDJEDRA, Rachid. Naissance du cinéma algérien, Paris, Maspero, 1976.

CHAOUITE, Abdellatif. « La Mémoire et l’Oubli ». in Qantara, Paris, no 30, Hiver 98.99.

CHARLOT, Monica. Mon avenir, quel avenir ? Paris, Casterman, 1978.

GOUDAILLER, Jean-Pierre. Comment tu tchatches. Dictionnaire du français contemporain des cités. Paris, Maisonneuve et Larose, 1997.

KHAYATI, Khémais. Cinémas Arabes, Topologie d’une image éclatée, Paris, L’Harmattan, 1994.

SEGUIN, Boris et TEILLARD, Frédéric. Les Céfrans parlent aux Français : chronique de la langue dans les cités. Paris, Calmann-Lévy,1996.


Ecritures algériennes en Amérique du Nord :
Les études françaises à l’époque de la mondialisation

Winifred WOODHULL,
University of California, San Diego.

Quand je parle des écritures algériennes en Amérique du Nord, j’entends non seulement les textes littéraires écrits par les Algériens qui habitent ce continent, tels Assia Djebar, qui passe une partie de l’année en Louisiane, et Réda Bensmaïa, écrivain et professeur à Brown University dans le Rhode Island. J’entends aussi la théorie et la critique littéraires générées en Amérique du Nord par ceux et celles qui lisent les textes algériens, quelle que soit leur nationalité. Je vais commencer par évoquer deux textes de Réda Bensmaïa, The Year of Passages [275], paru d’abord en traduction aux États-Unis, et par la suite en France dans une version très différente – on pourrait même dire que c’est un nouveau texte –, sous le titre Alger, ou la maladie de la mémoire, l’année des passages [276]. Ces textes posent un certain nombre de questions sur le temps, l’espace, l’histoire, l’expérience subjective et collective, questions qui nous invitent à réfléchir sur cette autre immigration, celle des Algériens en Amérique du Nord, et sur le rapport entre cette immigration-là et les changements qui s’effectuent actuellement dans le cadre institutionnel des études françaises, face aux forces de la mondialisation.

Alger, ou la maladie de la mémoire n’est pas un mémoire, encore moins une autobiographie, précise l’auteur dans un entretien. [277] C’est plutôt un texte qui contient des éléments autobiographiques, des souvenirs flous et partiels, des citations et des pastiches des ouvrages littéraires qui ont le plus marqué l’auteur ; c’est un montage d’écritures diverses, de différentes zones temporelles, culturelles, géographiques. En bref, c’est un ensemble de fragments duquel émerge, après-coup, une figure incertaine, la figure d’un moi, d’un soi possibles. C’est un moi ‹‹ heimatlos ›› [278] qui s’ancre pourtant dans différents lieux et dans l’histoire, un moi ‹‹ à court de joie ›› [279] face à ‹‹ une Algérie qui ne veut plus de certains de ses enfants ›› [280]. Mais c’est aussi un moi qui rit, qui se décide à couper l’herbe sous les pieds de tous ceux qui souhaitent la mort des écrivains, que ce soient des gouvernements ou des groupes armés iraniens et algériens qui ont condamné Salman Rushdie et assassiné Tahar Djaout, ou simplement des voisins de Golden Valley, Minnesota, qui veulent que le narrateur soit enterré vivant dans l’impasse Florida Court. C’est dans ce cul-de-sac de banlieue, qui ‹‹ s’est transformé en camp retranché pour hommes blancs, adultes, et civilisés ›› [281], que le narrateur est obligé de signer ‹‹ un contrat avec Chemlawn, une entreprise d’entretien des espaces verts (...) pour que les voisins [lui] fichent la paix pour [son] gazon ›› [282].

Comme Réda Bensmaïa, le narrateur d’Alger, ou la maladie de la mémoire, un ‹‹ écrivain en exil ›› [283] qui s’appelle tour à tour Mrad Ben K., Mourad Ben Kda, Rmaed, etc., voyage d’Alger à Paris, ensuite à Aix-en-Provence, à Alger de nouveau, avant de passer à San Francisco, à Londres, à Minneapolis, à Florence, et à Providence. Cette série de déplacements ne se présente pas de façon linéaire, mais plutôt comme une superposition d’époques, de lieux, de langues : aussi bien l’arabe, le français et l’anglais, ces deux dernières étant des langues que le narrateur a faites siennes, mais en même temps des langues étrangères qui coupent l’écrivain de son peuple tout en lui faisant courir le risque de ‹‹ ‘singer’ la langue de l’autre, sa littérature ›› [284]. En ceci le narrateur se rapproche de Kateb Yacine, qui écrit en français, et qui est si souvent comparé à William Faulkner. Se moquant à la fois de son rapport à ses propres ancêtres littéraires et de la singerie imposée à tant d’écrivains en exil, le narrateur de Bensmaïa fait souvent allusion à Kateb sur un ton satirique, disant par exemple, d’un certain petit âne dont il est question à un moment donné, que ‹‹ lorsqu’il rencontrait un âne du Mont Chenoua, il ne manquait jamais de le saluer et de lui demander des nouvelles du Vieux Keblout ›› [285]. Le narrateur de Bensmaïa, auteur des Lettres Mortes, caractérisées à un certain moment comme des ‹‹ feuilles sataniques ›› [286], se rapproche aussi de Salman Rushdie, l’Indien qui écrit ses Satanic Verses [287] en anglais, et de Franz Kafka, le juif tchèque qui se trouve devant l’impossibilité de ne pas écrire, l’impossibilité d’écrire en allemand, l’impossibilité d’écrire autrement qu’en allemand. Tous ces écrivains produisent ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari ont appelé une littérature mineure, c’est-à-dire une littérature qu’une minorité fait dans une langue dite ‹‹ majeure ›› [288].

Tel qu’il est développé par Deleuze et Guattari, le concept très utile de littérature mineure est paradoxal dans la mesure où il ne tient compte que des auteurs ‹‹ majeurs ›› qui font de la ‹‹ grande ›› littérature. Les choses étant ce qu’elles sont aujourd’hui, où tant d’écrivains produisent des littératures mineures dans des sociétés profondément marquées par des processus de transculturation, il est peut-être temps d’élaborer une poétique de la relation [289] qui mette les écritures algériennes en rapport non seulement avec les textes canoniques de la littérature mondiale, mais aussi avec les écrits non canonisés des groupes minoritaires en Europe et au nouveau monde, pour ne parler que de ces régions-là. La prolifération des littératures dites ‹‹ mineures ›› et le contexte mondial dans lequel elles circulent actuellement, mettent en relief le besoin de reconceptualiser le champ des études littéraires et, en particulier, celui des études françaises. Car l’étude des littératures de langue française, que ce soit en France, au Canada, ou aux États-Unis, est encore organisée selon des catégories désuètes qui remontent à l’époque coloniale, et qui ne sont pas du tout en mesure de répondre aux réalités textuelles, linguistiques, et sociales du présent, où les mouvements migratoires trans-nationaux non seulement des peuples mais du capital, l’emportent sur les identités nationales.

Dans les départements de français, la littérature française occupe toujours le centre, comme le font ses analogues anglaise et nord-américaine, dans les départements d’anglais. La plupart des professeurs et des doyens universitaires croient encore qu’il faut une armée de spécialistes de la littérature française (pourvu qu’il y ait suffisamment d’étudiants pour justifier l’existence des études françaises), mais, au maximum, dans un département donné, un seul spécialiste de la littérature ‹‹ francophone ››, chargé de s’occuper, dans ses cours, de toutes les autres littératures de langue française, quelles que soient les différences culturelles et historiques qui les distinguent les unes des autres.

Dans le domaine des recherches sur les littératures « francophones » on se spécialise pourtant, de sorte que la littérature québécoise occupe toujours une case à part, la littérature vietnamienne aussi. Les littératures maghrébines sont séparées des littératures dites ‹‹ africaines ››, bien que le Maghreb se trouve en Afrique. A la limite, on établit des liens entre les littératures africaines et antillaises, suivant, bien sûr, l’exemple des penseurs du pan-africanisme et de la négritude. Mais si les liens entre ces littératures sont d’ordre historique et politique plutôt que d’ordre racial ou naturel, pourquoi ne pas les multiplier, comme le fait Mohammed Dib déjà dans les années cinquante, dans son roman L’Incendie, où il compare un vieux fellah à ‹‹ un asiatique, avec ses pommettes saillantes, d’où partait tout un champ de rides ›› [290], et où il fait allusion à un hameau algérien qui s’appelle ‹‹ Négrier ›› [291], rappelant à la fois la traite des Noirs et les entreprises coloniales du vingtième siècle en Algérie et ailleurs, où les employés sont traités comme des esclaves ? Toutes ces littératures de langue française émergent à l’ombre de la littérature métropolitaine dans un contexte colonial, et se développent dans un contexte nettement néo-colonial, mais il est rare qu’on les mette en relation les unes avec les autres sans niveler les différences entre elles. Pourquoi ?

Un autre effet malheureux de la structuration coloniale des études françaises est que ce qu’on appelle les littératures de l’immigration en France sont étiquetées ethniquement, puis considérées séparément, chaque ethnie –algérienne, camerounaise, vietnamienne et ainsi de suite– se définissant uniquement par rapport aux Franco-Français, dans un contexte où la francité n’est pas reconnue comme une identité ethnique qui ait une histoire, elle aussi. [292] Le compartimentage critique des littératures de l’immigration n’est que superficiellement surmonté dans le processus de distribution. Telles qu’elles se présentent dans les librairies, en tant que marchandises, ces littératures ont pour fonction de célébrer l’hétérogénéité carnavalesque d’une société multiculturelle qui se veut démocratique et égalitaire, sans que les consommateurs soient invités à examiner les différences de pouvoir entre les groupes qui sont censés être représentés par ces littératures, ni surtout les possibilités de les mettre en relation les uns avec les autres, d’une manière critique.

De plus, jusqu’à présent, à ma connaissance, les littératures de l’immigration – algérienne surtout – sont considérées exclusivement dans le contexte de la France, bien qu’il existe des immigrations algériennes importantes ailleurs en Europe, notamment en Espagne et en Italie. Celles-ci demandent à être mises en relation non seulement avec l’immigration algérienne en France, mais, par exemple, avec l’immigration des Européens et des Asiatiques qui quittent les pays de l’ex-bloc soviétique, les républiques de l’ex-URSS, et les pays de l’Extrême-Orient pour s’installer en Italie et en Espagne. Toutes ces vagues migratoires, et la production textuelle qui en résulte, présentent une occasion de décentrer les études françaises et les études algériennes, de repenser les rapports entre la littérature d’une part, et l’histoire, les formations sociales, et la subjectivité d’autre part. En même temps, ces mouvements migratoires suscitent une réflexion sur la refonte des identités nationales partout en Europe. Pour ne citer qu’un exemple, Pasquale Verdicchio a écrit un livre intéressant sur la façon dont les figurations littéraires de l’identité nationale italienne se compliquent ces jours-ci, grâce aux écrits des migrants, que ce soient ceux des Maghrébins et des autres Africains résidant en Italie, ou ceux des descendants des Italiens qui ont émigré au Canada et aux États-Unis. [293] Verdicchio montre la façon dont le sud de l’Italie a été racialisé et orientalisé historiquement par les Italiens du nord, et inversement, la façon dont cette région a été adoptée par les immigrés méditerranéens, tel Salah Methnani, qui écrit dans Immigrato : ‹‹ Dès que j’ai quitté la gare centrale de Naples, encore ce sentiment de me trouver chez moi, en Tunisie. Des Maghrébins partout, et partout, le chaos. ›› [294] Verdicchio cite aussi le recueil Dove lo stato non c’è. Racconti italiani (Où l’état est absent. Contes italiens) [295] publié en italien par Tahar Ben Jelloun, ainsi que Volevo diventare bianca (Je voulais devenir blanche) [296] de Nassera Chohra, une jeune Marseillaise de descendance algérienne qui fait un voyage touristique en Italie et finit par s’y installer. Tous ces écrits italo-maghrébins signalent la nécessité de reconnaître que la littérature de l’immigration maghrébine ne se définit pas exclusivement par rapport à la France, qu’elle s’inscrit dans un réseau culturel plus complexe.

Quant au contexte nord-américain, où l’immigration algérienne est moins importante d’un point de vue statistique, d’autres relais sont possibles. Au Canada, la présence d’une population immigrée très variée à Montréal, à Toronto et à Vancouver a déjà modifié les termes des débats sur le statut du Québec et de la langue française. Et dans tout le Canada, le brassage des ethnies et des cultures pourrait provoquer une reconceptualisation des études françaises, des différentes littératures mineures de langue française et autre, et des relations entre elles. [297].

Aux États-Unis, la composante ‹‹ francophone ›› des études françaises est actuellement très prisée tant dans les cours donnés que dans les recherches parce qu’elle constitue un équipement de survie pour une discipline agonisante, hexagonisante. Puisque le français est presque une langue morte aux États-Unis, et qu’en général les études littéraires occupent une place de plus en plus marginale sur la scène culturelle, les départements de français ont été obligés de se réinventer, notamment en intervenant dans les débats actuels dans le domaine des études post-coloniales, centrées sur les cultures diasporiques et les enjeux de la croisée des cultures dans les sociétés d’aujourd’hui. Un spécialiste du français qui s’intéresse aux mouvements migratoires des peuples et des littératures de langue française peut entamer un dialogue avec des collègues et des étudiants qui tracent des mouvements comparables dans le cadre de la diaspora indienne, par exemple, et ses avatars britanniques, canadiens, états-uniens, et trinidadiens.

Ainsi, de nos jours, dans un cours sur la littérature antillaise, un professeur ne s’adresse pas exclusivement à des étudiants qui se spécialisent en français ; souvent, il y en a quelques-uns qui s’intéressent aux rapports entre les textes antillais de langue française et ceux qui sont publiés actuellement aux États-Unis, en anglais, par des femmes noires du Black Atlantic [298], telles Paule Marshall, fille d’immigrés barbadiens qui a passé son enfance à Brooklyn pendant la grande crise économique des années 30 ; Jamaica Kincaid qui vient d’Antigua ; Michelle Cliff, qui a quitté la Jamaïque pour aller à Londres avant de venir aux États-Unis ; et Edwige Danticat, une New Yorkaise qui est née en Haïti en 1969. D’autres étudiants lisent Aimé Césaire et Maryse Condé pour mieux comprendre, ou pour comprendre différemment, les Indo-Trinidadiens V. S. Naipaul et Samuel Selvon, aussi bien que Shani Mootoo, une Canadienne de descendance indo-trinidadienne dont le roman Cereus blooms at night [299] a connu un très grand succès récemment, tant pour ses pastiches de la littérature anglaise, surtout le roman de genre « gothic », que pour ses interrogations de la culture indienne à différentes époques. Le texte de Mootoo traite des rapports entre les colons anglais, les Indiens qui sont venus à Trinidad comme des travailleurs contractuels (indentured servants) après l’abolition de l’esclavage au dix-neuvième siècle, et les descendants des Africains qu’on avait fait venir de force auparavant. Le roman articule, d’une façon nuancée et parfois très humoristique, la complicité oppressive entre le colonialisme anglais et l’hétérosexualité normative de tous les groupes ethniques habitant au Trinidad aux dix-neuvième et vingtième siècles. En situant l’action dans l’île fictive de Lantanacamara, Mootoo propose non seulement de re-penser l’histoire coloniale des Antilles en tenant compte des questions de genre, de sexualité, et d’ethnicité, mais de produire un espace imaginaire qui nous encourage à inventer de nouvelles configurations subjectives et collectives.

Le roman de Mootoo et l’effervescence critique qu’il a suscitée font écho aux analyses de la littérature algérienne élaborées aux États-Unis par des chercheurs qui viennent de partout et qui branchent leurs écrits sur les courants critiques les plus prisés des années quatre-vingt-dix : c’est-à-dire les études post-coloniales ; les études des diverses sexualités féminines et masculines imbriquées dans tous les aspects de la vie corporelle, imaginaire, culturelle, et politique ; [300] les études cinématographiques et celles centrées sur les médias électroniques ; les études afro-américaines, qui comprennent toutes les cultures noires des Amériques ; et enfin, les études des mouvements migratoires en tant que phénomène mondial qui transforme actuellement toutes les sociétés. A l’Université de Californie où je travaille, et plus particulièrement dans le cadre du nouveau Center for Comparative Immigration Studies, la diaspora algérienne est mise en relation avec d’autres diasporas du Monde entier, y compris, aux États-Unis, la japonaise, la chinoise, la coréenne, et la mexicaine. Des recherches de ce genre, qui sont à la fois inter-culturelles et pluridisciplinaires, ont l’avantage de résister à l’habitude, honteusement répandue aux États-Unis, de supposer que l’anglais est la seule langue qui compte.

Dans le contexte où je travaille, on propose d’autres relais encore, par exemple les rapports qu’on pourrait peut-être faire entre les écrits des Algériens en Amérique du Nord et ceux d’autres groupes musulmans, ou de culture musulmane, qu’ils soient arabes, iraniens, ou autres. La présence musulmane en Californie et dans l’ouest des États-Unis produit déjà des effets dans plusieurs domaines. Dans celui des arts et des sciences humaines, on peut citer l’initiative de l’University of California Humanities Research Institute, qui est en train d’organiser, sur une période de trois ans, des groupes de recherches et des colloques sur l’islam dans le monde, dont certains seront consacrés à l’islam aux États-Unis. On pourrait signaler aussi l’influence des gens de culture musulmane dans l’enseignement secondaire et dans la culture populaire. Ainsi, dans le sud de la Californie, les résidents arabophones ont pu obtenir que des cours d’arabe soient donnés à leurs enfants dans les écoles publiques. Et les Iraniens sont si nombreux qu’ils ont eux-mêmes surnommé la ville de Los Angeles Irangeles[301] Certains d’entre eux croisent plusieurs frontières culturelles et linguistiques dans leur travail, leurs études, leur vie quotidienne. Par exemple, le chanteur pop Iranien-Arménien de Glendale, Andy, connaît depuis quinze ans un succès considérable en Iran, bien que le gouvernement iranien ait censuré sa musique. On estime qu’il a vendu environ 60 millions de disques piratés en Iran et au Moyen Orient. Cette star de la musique mondiale, qui est adulé, dit-on, ‹‹ d’Ouzbekistan au Ghana ››, est prêt à faire un disque en espagnol qui intéresserait, entre autres, les 400.000 millions d’habitants d’Amérique Latine [302].

La ville de Los Angeles – Nuestra Señora la Reina de Los Ángeles – a été fondée en 1769 par les conquérants espagnols, sur le site du village autochtone de Yang-na. Un peu plus tard, en 1781, la ville a été colonisée par quelques familles ‹‹ métisses ››, c’est-à-dire autochtones-espagnoles, ainsi que par des familles africaines-américaines et euro-espagnoles. De nos jours, les résidents hispanophones de Los Angeles ne sont plus espagnols, bien sûr ; ceux qui ne sont pas nés dans la cité des anges viennent plutôt du Salvador, du Guatemala, et surtout du Mexique. Au cours d’un voyage récent en Californie –celle qui se trouve au nord de la frontière mexicaine– le Président du Mexique, Ernesto Zedillo, a fait remarquer que Los Angeles est la deuxième ville mexicaine du monde, et que le gouvernement mexicain ne saurait se passer du soutien des émigrés californiens. Les réalités évoquées par Zedillo mettent en question les identités nationales des deux côtés de la frontière, tout en suggérant de nouvelles formes de solidarité basées sur des liens culturels et économiques.

La ville de Los Angeles a un statut emblématique actuellement grâce à son caractère multilingue et multiculturel, mais aussi grâce au fait que son économie politique mime celle de la planète toute entière. Dans la cité des anges, une petite minorité déjà fabuleusement riche s’enrichit de plus en plus aux dépens des classes moyennes, et surtout aux dépens des populations de toutes les ethnies qui ont les emplois les plus mal payés, les plus précaires, et les plus ingrats. Il y a même des négriers à Los Angeles, par exemple cette entreprise d’El Monte où des immigrés clandestins thaïlandais ont été enfermés par leurs employeurs, littéralement réduits à l’état d’esclaves travaillant plus de quatorze heures par jour, pendant une période de plusieurs années. Los Angeles, Irangeles, L.A. : cette ville emblématise les rapports de pouvoir aux États-Unis, en Amérique du Nord, et dans le monde entier. Mais elle incarne en même temps une superposition d’époques, de lieux, de langues qui rappelle le texte de Réda Bensmaïa dont il était question plus haut, et qui ouvre la possibilité que des mouvements migratoires mondiaux, des processus de transculturation, et des littératures post-coloniales, émergent des figures qui nous aident à imaginer et à construire d’autres moi, d’autres soi, d’autres mondes.

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L’œuvre récente
d’Assia Djebar


Ecrire [C6] la résistance pour réécrire la vie

Edson ROSA DA SILVA,
Université Fédérale de Rio de Janeiro

Marquée par la violence des guerres qui ont déchiré et qui déchirent encore la société en Algérie, la littérature algérienne est un lieu de réflexion des conflits sociaux et des conflits personnels : d’une part, elle réfléchit sur la situation de l’individu dans ce monde en déséquilibre où il essaie de survivre ; de l’autre, elle reflète et dénonce, à travers de nombreux témoignages, mais aussi par l’imagination et l’écriture, les secousses sociales et la souffrance du peuple algérien.

Cette communication cherche à s’interroger sur des thèmes, tels que la mort, la peur et la douleur, qui, dans plusieurs œuvres actuelles, nous permettent d’apprendre et de comprendre ce que signifient écrire et dire pour l’écrivain algérien aujourd’hui. En d’autres termes : si ces thèmes renvoient à la réalité cruelle des circonstances présentes, ils dépassent par contre leur simple fonction descriptive pour acquérir une dimension symbolique qui fait naître, de leur force poétique, de nouvelles possibilités et de nouveaux espoirs de vivre. Ces œuvres deviennent des lieux de parole qui proclament et mettent en scène une forme de résistance.

Double résistance, je dirais : si d'un côté la résistance joue aujourd'hui un rôle intérieur, faisant front aux mouvements intégristes de plus en plus violents dans le pays, de l'autre, la résistance à la menace extérieure, le colonisateur envahisseur, se fait encore présente dans le souvenir de la guerre de l'indépendance et dans la langue de la colonisation. L'écrivain maghrébin, d'une façon générale, se heurte à cette dernière question qui n'est jamais absente, malgré une grande évolution dans la compréhension de ce conflit, des textes critiques et poétiques de la littérature des pays colonisés. Il s'agit donc de discuter encore une fois la présence de l'histoire – l'histoire des résistances – dans le roman maghrébin, en essayant de comprendre le double rôle de la mémoire : en tant que source d'un passé personnel et en tant que dépositaire de moments d'une histoire vécue mais non institutionnalisée.

J'aimerais prendre comme support à cette discussion, et pour éviter toute prétention à la généralisation, un aspect de l’œuvre d'Assia Djebar, en ce qu'elle représente l'effort de ceux qui veulent dire non le passé mythique mais le passé réel, « par l'enquête historique au sein des récits d'archives, les correspondances, et les témoignages enregistrés au magnétophone » (voir ce que dit Jeanne-Marie Clerc [303], se référant aux films réalisés par l'écrivain), et encore par les incursions autobiographiques de ses romans. Pour pouvoir respecter les dimensions de ce texte, je ne m'occuperai que du récit publié en 1995, Le Blanc de l'Algérie [304], dont je reprends les deux premiers exergues : « Hâtez-vous de mourir, après vous parlerez en ancêtres... » (Kateb Yacine, dans L’œuvre en fragments) et « Si j'avais le pouvoir de donner une voix à la solitude et à l'angoisse de chacun d'entre nous, c'est avec cette voix que je m'adresse à vous. » (Albert Camus, dans une conférence, le 22.1.56).

Ce livre réunit ainsi, dès le début, deux aspects symboliques inséparables de cette littérature : la mort et la parole, ou la voix et l'angoisse. Et que fait-il, dans son développement, sinon déceler les rapports intimes qui s'établissent entre dire et mourir – pour ce qui est du domaine de la mort physique – et dire et ne pas mourir pour ce qui renvoie à la vigueur du discours poétique. Oui, il me semble que c'est du rôle des écrivains, des poètes, des artistes, des intellectuels et des révolutionnaires en général, en ce sens que ceux-ci disent également leur idéal, en ce sens qu'ils séduisent par leurs discours, il me semble, ou plutôt, j'en suis sûr, c'est d'eux que parle Le Blanc de l'Algérie.

 

Mais qu'est-ce que ce livre ? Un récit biographique ou autobiographique ? Un récit historique ? Récit réel ou imaginaire ? Un essai ? Un chant poétique ?

S'il fallait attribuer à ces questions une réponse unique et définitive, cette réponse serait impossible à trouver, car ce texte d'Assia Djebar déborde les limites des genres littéraires institués et se fonde en une sorte de chant singulier où se mêlent la mémoire personnelle, la mémoire collective, des faits historiques, des faits imaginés et un discours lyrique.

S'agit-il d'un récit biographique ? Dans un certain sens, oui. Non pas dans le sens d'une trajectoire personnelle qui supposerait l'exposition des événements les plus importants de la vie de quelqu'un, mais dans le sens de la reconstitution d'un événement marquant de la vie de plusieurs personnages de la société algérienne : leur mort.

S'agit-il d'un récit historique ? Non pas en ce sens que le récit historique officiel, vu comme le seul discours de la vérité, rétablit l'idéologie dominante et oublie l'histoire des opprimés, mais en ce sens qu'il nous permet de mieux connaître l'histoire, en ce sens qu'il est démocratique et ne cache rien. En racontant « le jour de l'assassinat et des funérailles » d'amis proches et d'un cortège d'écrivains d'Algérie, Assia Djebar ajoute une pierre à la construction d'un discours historique nouveau qui dit, sans peur de l'émotion ou d'une certaine subjectivité, une vérité politique. Se référant au caractère subjectif de l'histoire, l'historien Georges Duby affirme :

Je vous ai déjà dit que je suis persuadé de la subjectivité du discours historique, que ce discours est le produit d'un rêve, d'un rêve qui cependant n'est pas absolument libre, puisque les grands rideaux d'images dont il est fait doivent obligatoirement s'accrocher à des clous, qui sont les traces dont nous avons parlé. Mais, entre ces clous, le désir s'insinue [305].

Les clous du discours historiques sont les dates, les événements, les morts que l'on ne peut pas nier. Mais ce qui les relie, ce qui les récupère et les rend actuels à nos yeux, ce qui convoque notre émotion, dans ce récit, c'est le désir de l'écrivain qui les provoque.

Récit réel ou imaginaire ? Qu'importe si par moments les deux se fondent et s'entraident, si l'écrivain rétablit, conformément à ses propos, « le récit des jours – avec parfois des signes naïfs, des présages – à l'approche du trépas » (p. 11) ? Qu'importe si c'est exactement de ce double registre – d'une Algérie historique et d'une Algérie rêvée – que l'histoire se nourrit et se renouvelle. Nous savons que dans tous les pays l'histoire est contrôlée par l'idéologie dominante, ne devant dire ou raconter que ce qui confirme et protège les idées politiques du régime. Les annales du régime Pinochet parlent-elles de la répression politique, des tortures, des cimetières clandestins ? Et celles du régime militaire brésilien, parlent-elles de nombre d'intellectuels disparus ? Et celles du XIXe siècle au Brésil disent-elles la vérité sur l'esclavage, sur les lois qui ont précédé l'abolition de l'esclavage et même sur la loi qui a donné la liberté aux noirs venus d'Afrique ? L'histoire a toujours été écrite du point de vue des grands personnages, les plaintes des opprimés n'y figurant jamais. Ne faudrait-il pas combler les lacunes de cette histoire par un apport personnel, en y ajoutant les cris des torturés ou les plaintes des amis souffrants ?

 

Dans le chapitre intitulé « Procession 3 » Assia Djebar, en joignant sa voix à celles de ceux qui ont dénoncé la torture en Algérie, cite quelques témoignages et fait de son texte une page historique pleine de vérité. Le premier est celui de Maurice Clavel :

Sur les hauteurs d'Alger, autrefois, à El-Biar, au Clos-Salembier, dans de belles villas mauresques transformées en laboratoires humains, tenez, je pense soudain à ce fou romantique, à ce poète, écrivain, philosophe français qui est allé y voir de ses yeux, je veux nommer Maurice Clavel qui rapporta, de cette descente en enfer algérois, un roman, Djamila, qu'il m'offrit en 1958 dans les escaliers de mon éditeur [306].

Le deuxième, celui de Hadj Ali dans son texte L'Arbitraire, paru en 1991, où les tortionnaires sont décrits comme un « Sanglier, tête d'épingle sur un bloc très brun de chair et de graisse », ou comme « Belzébuth le singe Mouzaïa, caché toujours derrière ses lunettes noires et qui sautille nerveusement pendant les tortures », ou comme « la Gouape, chat sauvage que le silence du supplicié faisait enrager » et « à la tête de cette usine, le Rouquin, un tortionnaire socialiste soucieux de l'unité des militants révolutionnaires au sortir de la baignoire » [307].

Deux autres encore – La Question et Cahier noir d'octobre – contribuent à cette réflexion historique qui se met contre la torture et la dénonce. A quoi servent les récits de ces atrocités ? A quoi sert de dire la mort, la peur et l'angoisse des torturés dans un monde qui semble être de plus en plus violent ? A quoi servent l'art, la poésie, les livres quand les hommes oublient qu'ils sont des hommes ? Dans Notes de Littérature [308], où le critique allemand Theodor Adorno discute la fonction de l’œuvre engagée, la question que je viens de formuler prend une place importante. Se reportant à la pièce de Sartre, quand quelqu'un demande dans Morts sans sépulture si l'on peut voir un sens dans la vie alors que des hommes battent les autres jusqu'à ce que leurs os soient brisés, il dit qu'une autre question s'impose : l'art peut-il encore exister ?

La réponse à cette question d'Adorno je la trouve dans le texte qu'écrit Tahar Djaout sur Hadj Ali, dans Algérie-Actualité, quelques jours après sa mort, et que Assia Djebar convoque dans son récit :

Heureusement que les artistes ne vivent pas que par leur présence physique, qu'ils nous lèguent, au-delà de ce que la nature doit leur reprendre, les fruits des arbres qu'ils ont plantés. Car sinon, comment imaginer une Algérie sans Issiakhem, sans Mouloud Mammeri, sans Kateb Yacine, sans Mohammed Khadda et Bachir Hadj Ali [309].

Ne serait-ce pas cette part de rêve qui donnerait à ce récit un ton lyrique éloquent qui vient très nettement brouiller les limites de la narration et de la poésie ?

 

S'agit-il donc d'un chant poétique ? D'un chant poétique qui fait de la peur, de l'angoisse et de la mort les métaphores d'une lutte héroïque qui, réduite au silence par la force physique, résonne d'une force autre comme un chant d'espérance ? Le texte cite Youssef Sebti, l'une des victimes de la violence, qui disait : « La poésie n'est pas seulement de mots. Elle est une modalité d'être ». Pourrait-on dire qu'elle propose des changements ?

 

S'agit-il d'un essai ? En discourant sur la violence et les formes blanches de résistance, ce récit ne constitue-t-il pas un essai sur la non-violence ? Sur les formes possibles de résister et de réécrire la vie ?

Je diviserai ce récit en deux grands moments : le premier où l'on évoque ce cortège de morts héroïques et qui représente la mémoire historique (les dates, les faits) et la mémoire personnelle (la douleur et la plainte des amis) ; le deuxième est un essai qui se propose d'écrire le Blanc de l'Algérie. Moments d'évocation et de convocation qui ne se séparent pourtant pas, chaque évocation menant à la convocation.

Mais la convocation de la dernière partie est plus incisive. D'abord, le titre, infinitif à valeur impérative : ÉCRIRE. Ensuite par une série de réflexions sur l'état de la société et de la culture algériennes, et encore sur leur avenir, dans une tentative de scruter le problème et d'y trouver des solutions. Ecoutons le texte :

D'autres parlent de l'Algérie, la décrivent, l'interpellent ; ils tentent, s'imaginent-ils, d'éclairer son chemin. Quel chemin ?

La moitié de la terre Algérie vient d'être saisie par des ténèbres mouvantes, effrayantes et parfois hideuses.. Il n'y a donc plus seulement la nuit des femmes parquées, resserrées, exploitées comme simples génitrices – et ce des générations durant !

Quel chemin et quel avenir ?

D'autres savent, ou s'interrogent... D'autres, certains compatriotes, comme moi, chaque matin soucieux, tremblants parfois, vont aux nouvelles, eux que l'exil taraude.

D'autres écrivent « sur » l'Algérie, sur son malheur fertile, sur ses monstres réapparus. (p. 259)

Quelle autre possibilité existe-t-il encore outre ces formes de questionnements ?

D'autres parlent de l'Algérie qu'ils aiment, qu'ils connaissent, qu'ils fréquentent. Moi, grâce à quelques-uns de mes amis couchés là dans ce texte – et de quelques confrères, trop tôt évanouis –, le dernier jour, certains écrivaient encore : des poèmes, un article, une page en cours d'un roman destiné à rester inachevé –, moi, opiniâtre, je les ressuscite, ou je m'imagine le faire.

Oui, tant d'autres parlent de l'Algérie, avec ferveur ou avec colère. Moi, m'adressant à mes disparus et réconfortée par eux, je la rêve [310].

Mais que veut dire rêver l'Algérie ? Sortir de la réalité pour s'abandonner à l'inaction ? Oublier la lutte et rendre les armes ? Succomber au désespoir face à la violence ? Au contraire, ce verbe rêver, me semble-t-il, est utilisé ici dans l'acception de « désirer ». Non pas imaginer une Algérie idéale, mais la désirer, et, en la désirant, chercher à la fonder à nouveau. Voici ce que dit Assia Djebar dans son texte :

(...) je suis hantée pour ma part –- et ce, avant même ces orages – par un long et durable état de morbidité dans lequel se débat la culture algérienne, le discours sécrétant et attisant les ferments latents de discorde – non point seulement à cause de l'évidente usure à la fois du verbe politique, devenu très vite ratiocination, et du constat socio-théorique enfermé dans son savoir ou son jargon –, non.

Il m'a souvent semblé que, dans une Algérie de plus en plus fragmentée culturellement (où la ségrégation sexuelle de la tradition a accentué les verrous), toute parole de nécessité s'ébréchait avant même de se trouver, à la lueur tremblante de sa seule quête... Je ne suis pourtant mue que par cette exigence-là, d'une parole devant l'imminence du désastre.

L'écriture et son urgence.

L'écriture pour dire l'Algérie qui vacille et pour laquelle d'aucuns préparent déjà le blanc du linceul [311].

C'est le désir de l'écriture qui la meut, désir d'une parole capable de faire face, de toute urgence, à l'imminence du désastre. Cette sorte d'essai sur la production des écrivains algériens ou de ceux qui écrivent sur l'Algérie semble établir plusieurs niveaux de récits. Il y a une différence très nette entre écrire « sur » l'Algérie et écrire le blanc de l'Algérie : la construction verbale avec ou sans préposition implique un changement total de sens : écrire « sur » l'Algérie, renvoyant au contenu informatif qui peut être rapporté à propos de la situation du pays ; et écrire le blanc de l'Algérie, comme une possibilité de réécrire ou de réinventer la nation. Non pas parler de l'Algérie comme d’un objet éloigné, mais la reconstruire dans son cœur. Cette idée se confirme par la suite du texte :

Ecrire en Algérie pour la disparition ? En dépit d'elle, certes, et à la fois à côté d'elle ? A côté pour célébrer des noces, des rires, un éblouissement – autant dire, un soleil fixe. Peut-être autant (je perçois la métaphore parce que je suis femme) écrire au début, écrire le début (commencement de soi et des autres, je veux dire des sœurs, des aïeules réveillées, des fillettes échappées sur la route), écrire le départ amorcé, le seuil entrouvert, la route éclairée soudain jusqu'au ciel, le voyage étiré à l'infini, oh oui, ainsi écrire, ce serait garder au-dessus de sa tête, planant et placide, une lune pleine [312].

L'insistance du verbe écrire utilisé dans sa forme transitive directe (écrire le début plutôt qu'écrire au début) reprend l'idée d'une nouvelle fondation de la nation. La propriété mythique du Verbe, en tant que parole fondatrice, fait de ce texte une sorte de nouvelle genèse, capable de revoir les différences sociales et de rétablir un monde plus équilibré sur lequel planerait une « lune pleine », comme le dit le texte à un de ses moments d'envolée lyrique.

Ce lyrisme pourtant, preuve de l'émotion qui traverse ce récit si beau, est loin de diminuer la conscience critique et la compréhension nette d'un problème qui ne se résoudra pas sans l'union de toute la société.

 

Personnellement je me demande si le rôle de l'art est d'apporter une solution (y en a-t-il une ?) aux souffrances de l'homme ou à son drame tragique face à la conscience de la mort. Je me demande s'il n'est pas plutôt de récupérer la mémoire du parcours de l'humanité et d'en tirer des leçons. Si nous trouvons des trous dans le récit de cette mémoire (les idéologies dominantes y jouant un rôle prépondérant), il s'agit de les combler autrement, au moyen de récits personnels ou imaginés. Que nous apprend le récit des morts dans Le Blanc de l'Algérie ? Que, malgré ces violences, l'écrivain sauvera ces hommes, les éternisant à travers l'art ? Ou, plutôt, que le fanatisme idéologique empêche l'homme de respecter la liberté de l'homme ? Le rôle de la littérature et, qui plus est, de la littérature qui se sert de la réalité historique est de découvrir et de réinventer ce que le discours officiel a caché, et, ce faisant, de dénoncer la violence.

Et pour le faire, Djebar convoque les morts – des amis proches, des poètes, des écrivains, victimes des conflits de la société algérienne –, par la relation de leur mort, par la citation de leurs textes ; elle convoque également les vivants, hommes de la société, combattants, écrivains, journalistes, par le désir de changer que tous abritent au fond du cœur ; elle convoque encore les artistes par tout ce qu'ils peuvent annoncer. N'oublions pas la belle citation du tableau de Goya, L'exécution du 3 mai, au-dessus du lit de Youssef Sebti, métaphore prophétique de ce qui allait se passer dans cette chambre. Voici le récit souffrant et touchant d'Assia Djebar qui donne la parole à Youssef :

Ils sont enfin venus les messagers de quoi, de quelle haine ou de quelle trahison, de quel mépris, de l'inaltérable et permanente folie... Je suis, je demeure, vous trois m'aidez à assumer mon rôle commencé à la naissance, je suis l'immolé, je suis le nécessaire et fatal sacrifié, je ne m'appelle plus Youssef, mais Ismaël non remplacé à l'instant du sacrifice, ou alors je suis Youssef mais resté pour toujours au fond du puits, ou jeté pour de vrai par ses frères aux dents du loup et lacéré, éternellement lacéré !.

Vous m'immobilisez et je vous tends mon cou, vous me laisseriez à l'instant libre et je vous offrirais de moi-même ma gorge, ainsi que ma révolte irréductible !

Vous, enfin, venus ! [313]

 

Qu'est-ce que ce livre ? C'est la question que je me suis posée au début. Un récit, lisons-nous sous le titre. En jouant sur les mots, je dirais que ce texte si riche, à la fois récit personnel, collectif, historique, lyrique, récite un très beau poème. Chant lyrique ? Oui. Mais aussi un chant liturgique où la place de la victime sacrificielle est nettement accordée aux militants.

Et encore, plutôt qu'un poème lyrique, ou un chant liturgique, ce beau livre récite un poème épique.

En évoquant la voix de Kateb Yacine et celle d'Albert Camus au début du Blanc de l'Algérie, Assia Djebar paraît réaliser les vœux contenus dans leurs citations : elle accorde aux morts sa voix d'écrivain et leur permet de parler, de dire leur solitude et leur angoisse, de continuer leur écriture inachevée. Et, ce faisant, en reprenant leur parole interrompue, elle récite et fait réciter des pages de sa mémoire personnelle et de la mémoire de son peuple. Naît ainsi un texte hybride – mixte de bribes du passé et de jaillissements de l'imagination – qui recrée l'espoir de réécrire à nouveau l'histoire d'une Algérie rêvée : « Oui, tant d'autres parlent de l'Algérie, avec ferveur ou avec colère. Moi, m'adressant à mes disparus et réconfortée par eux, je la rêve. [314] »

Réécrire l'Algérie, ainsi pourrait s'appeler Le Blanc de l'Algérie : sur ce blanc écrire une nouvelle page, la page inachevée que tous ces morts étaient en train d'écrire.

Bibliographie

ADORNO, Theodor. Notas de literatura, Rio de Janeiro, Tempo Brasileiro, 1973, 180 p.

CLERC, Jeanne-Marie. Assia Djebar, écrire, transgresser, résister. Paris, L'Harmattan, 1997, 176 p.

DJEBAR, Assia. Le Blanc de l'Algérie. Paris, Albin Michel, 1995, 282 p.

DUBY, Georges & LARDREAU, Guy. Dialogues, Paris, Flammarion, 1980, 204 p.


De [C7] l’écriture au cinéma

Serge D. MENAGER,
Université du Natal

Dans le domaine de la littérature française, les écrivains ayant tenté parallèlement à leur œuvre écrite une carrière cinématographique ne sont pas rares. Avec des bonheurs divers (Espoir, 1939 l’unique réalisation d’André Malraux, ou les réelles réussites de Cocteau et de Duras), nombreux furent les créateurs qui trouvèrent dans l'aventure du film une voie d'expression et de création aussi forte et satisfaisante que celle de l'écriture.

Pour ce qui concerne la littérature africaine, les exemples sont plus rares mais on compte de brillantes réussites. Le double cheminement littéraire et filmique de Sembene Ousmane constitue un succès exemplaire mais cette entreprise duelle s'avère plus rare dans le cadre de la littérature maghrébine d'expression française et Assia Djebar constitue une exception tout à fait unique. Elle est en effet le seul écrivain-cinéaste. Elle a été la première femme cinéaste (la marocaine Farida Benlyazid ne tournera son premier long métrage qu'en 1988 soit dix ans plus tard que Djebar) et Hafsa Zinai-Koudil (unique autre femme cinéaste recensée par les auteurs du Dictionnaire des cinéastes du Maghreb (1996) sous la rubrique « Algérie » ne tournera un film qu'en 1993. Seule la tunisienne Selma Baccar peut prétendre à la même ancienneté dans la profession [315].

Lorsqu'elle entreprend le tournage de sa première œuvre cinématographique, La Nouba des femmes du mont Chenoua en 1978, Djebar est déjà un écrivain de renommée : elle a publié entre autres Les Enfants du nouveau monde (1962) et Les alouettes naïves (1967). C'est déjà un auteur de poids et rien dans son œuvre écrite ne laisse supposer un virage vers le cinéma. Pourtant, cette expérience n'est pas arrivée par hasard – dans le contexte de l'Algérie de 1977, année du tournage, faire un film n'est pas une mince affaire et reste principalement une tâche d'homme. 1978 verra la sortie de six films, tous masculins excepté celui qui nous intéresse. L'ONCIC (Office National du Commerce et de l'Industrie Cinématographiques) est en pleine crise et se relève difficilement d'un scandale lié à son président Mohammed Lakhdar Amina, accusé d'avoir mobilisé au profit de son énorme production Chronique des années de braise – qui remportera la palme d'or à Cannes en 1975 – tout l'argent de l'organisme qui aurait pu être utilisé au financement d'autres productions plus modestes. Les fonds sont rares et Djebar ne peut compter que sur son nom de romancière pour monter son projet de film. Celui-ci est en fait produit par la RTA (Radio Télévision Algérienne) puis distribué en salles par l'ONCIC. L'année du tournage est aussi celle qui suit la mort du Président Houari Boumediene, celle donc d'une certaine instabilité, due à l'avenir imprécis du FLN.

Si rien ne signale dans l’œuvre écrite l'intérêt pour le genre filmé, il faut cependant premièrement noter que Djebar n'a plus écrit depuis 1967, soit dix ans au moment du tournage. On peut donc envisager un possible blocage de l'écrit qui essayerait peut-être de se résoudre par la production d’images. Deuxièmement, durant ces mois de tournage, l'écrivain a cependant un projet en tête qu'elle structure peu à peu, un recueil de nouvelles Femmes d'Alger dans leur appartement.

La vision de La Nouba des femmes du mont Chenoua nous découvre une connaissance approfondie du cinéma international de l'époque. Djebar ne vient pas au film en complète innocence, c'est une cinéphile avertie et dans ses choix, ses partis pris esthétiques, se lit un goût prononcé pour le cinéma d'avant-garde de l'époque. On trouve dans cette première œuvre des références très claires à l'état du cinéma durant ces années 70 qui ont déjà vu la mort de la nouvelle vague française et l'évolution de son leader, Jean-Luc Godard, vers une œuvre politiquement engagée. Godard a renoncé au cinéma d'auteur et signe ses films sous le nom de « Groupe Dziga Vertov [316] ». Ses réalisations tentent, selon une ligne de pensée maoïste en vogue à l'époque de répondre à une question majeure, « des films pour qui et contre qui ? » Des œuvres comme Vent d'est (1970) et plus tard Tout va bien (1972) ont développé une nouvelle utilisation du son qui reste une des innovations majeures du cinéma de ces années et dont la théorisation est développée dans la revue Les Cahiers du cinéma. Pour résumer cette réflexion on peut dire que certains cinéastes de cette époque tentent de renverser la primauté longtemps établie des images sur la bande son. C'est l'époque des manifestes, l'écran se vide, l'image s'y étire en plan-séquence tandis que le haut-parleur déverse des flots d'une richesse ininterrompue et parfois difficile à saisir puisque le son direct souvent brouillon est préféré au son reconstitué et artificiel du studio.

Parallèlement à Godard, une autre cinéaste se distingue à la même époque. Bien qu'employant les mêmes techniques, celles-ci sont mises au service de son inspiration personnelle. Marguerite Duras, après des débuts presque « classiques » avec La Musica en 1969, réalise en effet deux œuvres majeures Détruire dit-elle (1969) mais surtout India Song, poème-manifeste d'un cinéma entièrement mis au service de son auteur. India Song est sorti en France en 1975 et pour qui a vu le cinéma de Djebar, il est évident que la réalisation de Duras a eu une influence majeure sur ses deux films [317] et par extension sur son travail écrit.

Pour mieux comprendre cette influence, une description rapide de ce premier film s'impose. Comme chez Duras (faut-il insister sur les titres oh ! combien significatifs : Moderato Cantabile, La musica, India Song), la musique joue un rôle capital dans la conception même de l’œuvre, dans sa structure. La Nouba des femmes du mont Chenoua ouvre sur une dédicace révélatrice : « Ce film en forme de nouba est dédié à titre posthume au musicien Bela Bartok venu en 1913 dans une Algérie quasiment muette étudier la musique populaire... » (1978). Tout au long de l’œuvre, la bande son associera musique classique européenne (celle de Bartok, en l'occurrence) et musique locale. La dédicace conclut : « La nouba est aussi une sorte de symphonie en musique classique dite « andalouse » avec des mouvements rythmiques déterminés » (1978).

Les éléments musicaux ne se confinent cependant pas à ces deux pôles : Djebar y ajoute encore la musique populaire algérienne qui intervient en contrepoint. Les paroles des chansons utilisées semblent apporter un commentaire au fil de l'histoire racontée en particulier à la fin du film [318] où elles convoient un message politique :

Mon chant parle toujours de liberté  
j'intercède pour les femmes martyres 
et que les autres ne soient plus opprimées       
les femmes ne retourneront plus dans l'ombre  
au temps de la servitude on a justifié le voile
mais maintenant commence      
le jour de la liberté (1978).

Dernier élément, le film comporte une séquence où apparaît un groupe de musiciens (c'est en fait le groupe Ichenoui qui dans les années 70 chantait en patois berbère local, des chansons inspirées du folklore de la région du Chenoua – autour de Tipaza et Cherchell). Ils chantent le long de la mer, à côté de la demeure de l'héroïne.

La structure même du film est agencée sur une forme musicale : les séquences s'enchaînent au long de titres renvoyant à autant de mouvements : vient d'abord la Touchia, ouverture, puis l'Istikar, le prélude, que continue le Meceder, adagio puis suivent Btaihi, Deroj, Nesraf, et enfin le final, Khlass. Autant de mouvements que de femmes mises en scène.

Dans son utilisation de la voix off Djebar est donc inspirée par Duras mais elle ne se montre pas aussi radicale que cette dernière. On retrouve bien l'idée d'une polyphonie comme chez Godard ou dans le hors-champ sonore de India Song mais il s'agit avant tout d'un long commentaire intérieur de l'héroïne réfléchissant sur sa condition personnelle et revêtant la forme de la voix narratrice traditionnelle. Le message reste toujours 100% audible, aucune tentative de brouillage par superposition des sons n'est ici tentée.

Voici comment le Dictionnaire des cinéastes du Maghreb résume l'intrigue du film :

Architecte, Leïla retourne dans la maison familiale pour savoir dans quelles conditions son frère est mort pendant la guerre de Libération. Son itinéraire se mêle aux souvenirs de six vieilles femmes qui ont vécu cette guerre, et aux légendes et batailles ancestrales de la région qu'elle parcourt (1996 : p. 32).

Au visionnage, l'histoire est à la fois moins claire et moins directement saisissable. Ce manque de clarté est peut-être dû à l'ambition de Djebar qui ne se limite pas à cette multiplication des personnages. En effet, les six femmes en question se confondent et se rejoignent toutes en une femme unique, la maquisarde Yasmina Oudaï dite Zoulikha, morte aux mains des soldats français durant la guerre d'indépendance – le film lui est aussi dédié. Et s'il y a brouillage de l’œuvre, c'est plus au niveau narratif qu'au niveau sonore. L'identité même de l'héroïne semble se dissoudre (la modernité des années 70 est encore très soumise aux expériences du Nouveau Roman). Leïla paraît d'abord n'être qu'un personnage extérieur aux témoignages recueillis par elle, puis elle est assimilée à la fille de la martyre, et finalement à la martyre elle-même : « C'était moi, c'était elle » (1978) s'exclame soudain la jeune fille.

Cette complexité se renforce encore d'un télescopage entre le récit présent et une évocation de la révolte nationaliste de 1871 dans la région du Chenoua (Sidi Malek Sahraoui). Les deux narrations s'entremêlent, court-circuitées par certaines légendes racontées (celle du Saint du Chenoua, par exemple). On passe donc de séquences réalistes tournées dans le style du reportage (interviews des paysannes) à des segments d'inspiration poético-lyrique et historique.

Le film constitue ainsi un kaléidoscope parfois malaisé à suivre. La Nouba des femmes du mont Chenoua pose en effet les jalons d'un véritable renouvellement de l’œuvre à venir de Djebar. On peut penser que le film ne parvient sans doute pas à réaliser les ambitions de son metteur en scène par manque de moyens financiers d'une part, mais surtout par le jeu peu convaincant des acteurs. Il n'en reste cependant pas moins vrai qu'il constitue une étape essentielle pour l'auteur que viendra compléter le film suivant. Celui-ci raconte l’histoire de « l’entrée du pays dans la nuit coloniale » (1982) en passant par les deux guerres mondiales, et en évoquant des personnages comme l’Emir Abd El Kader, Abdelkrim el Khattabi ainsi que la répression des révoltes anti-coloniales par l’armée française. L’œuvre se termine sur le débarquement américain à Casablanca, en 1942.

 

Une analyse de La Zerda ou les chants de l'oubli révèle d'abord une frappante similarité entre les deux œuvres : le titre même construit autour d'un thème musical, nouba dans un cas, zerda dans l'autre. La division du film se réfère encore directement à la musique : cinq parties se succèdent dont quatre portent le nom d’un chant, « Chant de l’insoumission », « Chant de l’intransigeance », « Chant de l’insolation », « Chant de l’émigration ». Le procédé de la voix off se retrouve, mais boursouflé au point d’envahir toute la bande son qui s'en trouve démultipliée. Il ne s’agit plus de l’introspection d’une héroïne mais d’une multiplicité de voix chantant à l’unisson et se répondant ou s’affrontant les unes les autres. Comme dans son premier film, Djebar ouvre son récit par un avertissement qui n’est pas sans rappeler le précédent :

Dans un Maghreb totalement soumis et réduit au silence, photographes et cinéastes ont afflué pour nous prendre en images. La « Zerda » est cette « fête » moribonde qu’ils prétendent saisir de nous. A partir du hors champ de leur regard qui fusille nous avons tenté de faire lever d’autres images, lambeau d’un quotidien méprisé (1982).

La cinéaste met l’accent sur ce qui différencie radicalement le second film du premier, l’image. Cette fois-ci elle ne travaille plus sur un matériau de sa création, elle met bout à bout des bobines d’archives du cinéma muet puis parlant, filmées par les Européens. Elle semble avoir échappé au tiraillement entre le documentaire et la fiction qui faisait l’originalité de La Nouba des femmes du mont Chenoua. Partant d’un matériau brut donné qu’elle personnalise d’abord par le montage, elle peut enfin donner toute son ampleur à ses expériences sur le son qui devient ici le moteur dramatique et émotionnel de son travail. On retrouve l’écho de ce projet dans la suite du texte d’introduction :

Surtout, derrière le voile de cette réalité exposée se sont réveillées des voix anonymes, recueillies ou ré-imaginées, l’âme d’un Maghreb unifié et de notre passé (1982).

Plus peut-être qu’aucun autre cinéaste des années 70, Djebar parvient dans son second film à véritablement illustrer l’idée de Godard selon laquelle, devant toutes les manipulations de l’image, seule la bande sonore peut témoigner d’une vérité. Dans La Zerda ou les chants de l’oubli, c’est comme si la polyphonie des voix utilisées répondait à une séquence centrale du film accompagnée de ce commentaire : « Que restera-t-il de ce siècle excepté cette image » (1982) [on voit un officier français se faire cirer ses bottes par des enfants algériens].

Dans une des séquences les plus réussies du film (Chant de l’insoumission), la bande son mélange dans une interaction sans précédent, une voix chantant dans le registre des opéras occidentaux classiques et une autre s’exprimant dans celui des chansons populaires algériennes. Toutes deux chantent l’Emir Abd El Kader et l’Algérie, leur duo cumule dans un crescendo quasi hystérique. Puis deux autres voix off parlant l’une en arabe, l’autre en français, procèdent de la même manière jusqu’à un climax créant une véritable musique. Cette utilisation magistrale de la texture des voix et de la bande son intervient à un moment du film où l’image, destituée de tous ses pouvoirs narratifs cinématographiques habituels, est réduite à sa plus simple expression et pour ainsi dire paralysée dans son essence même (le cinéma étant par définition mouvement, qu’on songe au mot américain « movies »). C'est l'immobilité de photographies filmées qui fige alors l’écran.

 

Loin de ne constituer qu’un accident de parcours dans la carrière d’Assia Djebar, ces deux films ont en fait constitué une étape importante, une étape-clé de son évolution d’artiste. Lorsque treize ans après Les Alouettes naïves (1967) sort Femmes d’Alger dans leurs appartements (1980), il n’est point besoin d’une analyse détaillée pour remarquer immédiatement la filiation avec ses expériences cinématographiques. Titre ô combien visuel puisqu’inspiré d’un tableau de Delacroix (1834) et forme différente de récit adoptée, morcelée en nouvelles (une nouveauté pour l’écrivain). Cette structure semble tout droit inspirée de l’éclatement cinématographique – composition en séquences divergentes – mais avec un fil conducteur que l’on trouvait dans La Nouba des femmes du mont Chenoua.

Deux œuvres en particulier témoignent de l’influence majeure de ses réalisations cinématographiques sur son œuvre écrite, car chez Djebar, le passage de la plume à la caméra est suivi d'un retour de la caméra à la plume. C’est d’abord L’Amour, la fantasia (1985) où dès la préface, Jacques Berque signale l’originalité des matériaux de composition : « celle qui, dès les premières subversions de la conquête, s’était étalée en correspondances, mémoires, archives, envahit le public en assiégeant le privé, investit la quotidienneté par le journal, s’offre comme outil littéraire » (1992 : p. 7). Le roman de Djebar est en effet un complexe assemblage de textes documentaires et de leurs commentaires, de récits historiques, d'entretiens et de morceaux autobiographiques ainsi que le souligne Denise Brahimi :

...ce qui chez la romancière entraîne une tentative multiple, ingénieuse et solidement structurée, pour dire la diversité du rapport qu’elle entretient avec son pays. Elle le situe à la fois hors d’elle-même, dans une histoire tantôt lointaine tantôt proche, et en elle-même, dans une autobiographie déclarée (1985 : p. 261).

Cet assemblage rappelle tout à fait la composition de son premier film. A quelques différences près – l'héroïne est cette fois-ci complètement identifiée avec l'écrivain dans un texte confidentiel rédigé à la 1ère personne. (Mais est-ce réellement une différence ? Les deux œuvres présentent une singulière similarité pour qui a vu des photographies de l’écrivain prises à l’époque du tournage de La Nouba des femmes du mont Chenoua, la ressemblance physique entre elle et son actrice est assez gémellaire). Toutes les scènes se situant dans les grottes et qui dans le film sont traitées sur le mode lyrique et épique, sont ré-exploitées dans L'Amour la fantasia mais dans une toute autre veine. Sur le plateau d’El Kantara, la tribu des Ouled Riah ne se résigne pas à remettre ses armes à l’armée de Pélissier, elle se cache dans des grottes avec femmes, enfants et bétails et se laisse enfumer, asphyxier et brûler plutôt que de se rendre aux Français (Ibid : pp. 91-97). Le drame nous est conté dans un style très réaliste où les détails graphiques contribuent à restituer le massacre dans toute son horreur. Par ailleurs, plusieurs voix de témoins se font entendre au cours du récit qui font écho aux interviews des paysannes combattantes du film. De plus, la troisième partie du texte est subdivisée en cinq mouvements qui nous renvoient à la composition musicale déjà évoquée à propos de La Nouba des femmes du mont Chenoua. Enfin, le roman se clôt sur une partie répondant au « Khlass » qui concluait le film et intitulée dans le texte Tzarl’-rit (final), suivi de deux définitions :

« Tzarl-rit » :
- Pousser des cris de joie en se frappant les lèvres avec les mains (Femmes).

   (Dictionnaire arabe-français, de Beaussier).

- Crier, vociférer (les femmes, quand quelque malheur leur arrive).

   (Dictionnaire arabe-français, de Kazimirski (Ibid : p. 251).

Ajoutons pour conclure l’énumération de ces ressemblances les plus évidentes que cette conclusion est suivie d’une page-commentaire de Djebar titrée « Air de Nay » (Ibid : p. 259).

 

Mais l’impact de l’œuvre cinématographique sur l’œuvre écrite est aussi sensible à un niveau plus conceptuel dans ce que l’on pourrait appeler une expérience de fusionnement des deux types d’écriture. Celle-ci se ressent par exemple dans la tentative pour lier certains chapitres comme on lie au cinéma deux séquences par une répétition d’image. Ainsi, le premier chapitre se terminant par les mots »...je suis partie à l’aube » (Ibid : p. 17), le second commence-t-il par la répétition du mot/photogramme « Aube de ce 13 juin 1830... » (Ibid : p. 18). Ce procédé n’est pas employé systématiquement mais se retrouve à plusieurs endroits du texte, on note ainsi : »...un étrange combat de femmes » (Ibid : p. 27), suivi à l’ouverture du chapitre suivant par « Le combat de Staouéli se déroule... » (Ibid : p. 28). Ou encore »...quelque soudaine explosion » (Ibid : p. 42) et « Explosion du Fort l’Empereur... » (Ibid : p. 43), « ...autant dire s’aimait ouvertement » (Ibid : p. 53), et « Ouverte la Ville plutôt que prise » (Ibid : p. 54), etc., etc..

Bien que ce procédé s’arrête à la fin de la première partie, il constitue sans aucun doute une des transpositions les plus réussies d’une technique cinématographique de montage à laquelle Djebar s’était essayée avec beaucoup moins de succès dans son premier film que dans L’Amour, la fantasia. Là où les séquences du film restaient désespérément hétérogènes (ceci pouvant, il est vrai, être vu comme un signe de modernité d'écriture), la liaison dans le roman entre les textes autobiographiques, les documents historiques et les récits de témoignages s’opère sans heurts dans une fusion/lissage du style qui parvient à allier les matériaux de narrations les plus divers.

De l’utilisation si originale de la bande son des deux films on retrouve la résonance tout au long du roman où de nombreux chapitres s’intitulent « Voix ». En plusieurs endroits du texte, l’auteur s’attarde à la description de certaines d’entre elles. Par exemple, celle qu’elle nomme « la première réalité-femme » : « la voix, elle, entre en chacun comme un parfum, une gorgée d’eau pour gosier d’assoiffé ; et lorsqu’elle se goûte, elle devient plaisir pour plusieurs, simultanément : secrète jouissance polygame... » (Ibid : p. 208). Ou, lorsqu’elle évoque les voix qui l’entourent dans sa retraite parisienne :

« je m’oublie des heures à percevoir des voix sans visages, des bribes de dialogues, des brisures de récits, tout un balbutiement, un buissonnement de bruits détachés du magma des faces, délivrés de l’inquisition des regards » (Ibid : p. 248).

 

En ce qui concerne Loin de Médine (1991), l’agencement du roman défini par l’écrivain elle-même reflète encore une fois la composition éclatée des films : « J’ai appelé « roman » cet ensemble de récits, de scènes, de visions parfois, qu’a nourri en moi la lecture de quelques historiens des deux ou trois premiers siècles de l’Islam » (Ibid : p. 5). Plus encore que dans L’Amour, la fantasia, la continuité de l’inspiration cinématographique est ici évidente. Avec La Zerda ou les chants de l’oubli Djebar avait abandonné la fiction pour la réintroduire dans les films d’archives, dans Loin de Médine, les textes des historiens lui sont prétexte à développer sa narration.

L’importance de la voix dans ce livre est comme démultipliée. Des segments de texte réapparaissent de manière récurrente et sont intitulés « Voix ». D’autres titres réfèrent à la parole ou au son, « Point d’orgue « (Ibid : p. 269), « Parole vive » (Ibid : p. 281), « Celle qui préserve la parole vive » (Ibid : p. 326), « Parole plurielle, parole duelle » (Ibid : p. 337). Mais c’est l’essence elle-même du roman tout entier qui repose sur la voix. Deux épisodes en rendent bien compte. Exemplaire est celui de la chanteuse de satire, récit de la condamnation d’une poétesse au nom inconnue par le chef des guerriers musulmans Mohadjir ibn Ommeyya à la prise de la forteresse de Beni Kinda. La poétesse, dénoncée au chef des armées, a les mains coupées par ses soldats mais surtout les dents arrachées pour ne plus pouvoir chanter. La voix, source de vérité est ainsi enrayée : « Tandis qu’elle défaille, elle comprend : sa voix va siffler, sa voix va grincer, sa voix ne va pas chanter tout ce qui, à l’instant même, se presse en son cœur en strophes toutes prêtes, aussi chaudes que le sang qu’elle crache » (Ibid : p. 135).

L’autre anecdote se situe dans le chapitre intitulé « La combattante ». Elle peut en fait servir d’illustration au concept même de Loin de Médine. Une femme mecquoise, Oum Hakim, relate ses souvenirs concernant le dernier discours de Mohammed lors du pèlerinage de l’an 10, un mois avant sa mort. Le récit est mis en scène d’une manière mettant bien encore l’accent sur la primauté du son, de la voix, par rapport à l’image :

Voici que, deux ans après, elle suivait sa voix à la trace parmi les méandres de cette foule impressionnante et elle éprouvait le besoin de le voir. Contempler Mohammed. (...) Elle comprit que Mohammed avait choisi de se poster sur cette éminence pour que sa voix porte... » (Ibid : p. 162).

Mais l’image se brouille. Ce qui compte, c’est le message porté par la parole du Prophète.

Soudain l’image du Prophète sur sa chamelle rousse se brouilla devant Oum Hakim tremblota, se dilata comme dans un halo. Elle ne sut si c’était l’excès de chaleur ou la lumière aveuglante et blanchie. Elle fut propulsée sur le côté, et un long chant profus, scandé doublement, éclata : Bilal reprenait la question du Messager. Oum Hakim percevait, comme voguant à travers d’autres sphères, la voix aérienne de Mohammed. A la phrase reprise amplifiée, par la voix fortement timbrée de Bilal, la foule autour de Oum Hakim, répondait une première fois (Ibid : p. 162-163).

Pendant tout le reste de la scène, l’héroïne n’entend plus que la voix du Prophète ; elle ne perçoit le reflet de son image que dans le regard des autres. Double tâche de la romancière et des témoins de l’Islam : rapporter le message et la vie du Prophète à travers la transmission des souvenirs de son discours et des récits des témoins de son existence. Denise Brahimi saisit bien l’importance de cette sonorité des romans lorsqu’elle déclare : « Le moment vient où l’effet immédiatement bouleversant de ces voix fait place à la perception d’un étrange silence qui les entoure, et dans lequel elles font écho d’autant plus poignant qu’il semble déjà lointain » (1985 : p. 265).

 

Jamais peut-être, un écrivain n’avait à ce point lié étroitement sa pratique cinématographique à sa technique romanesque. Le travail de Djebar s’avère particulièrement réussi dans un domaine comme dans l’autre. Aux balbutiements maladroits de La Nouba des femmes du mont Chenoua, inspiration gauche de certaines théories cinématographiques d’avant-garde des années 70, fait suite la pleine réussite de La Zerda ou les chants de l’oubli. Les recherches de Duras ne peuvent qu’aboutir au nihilisme de cette réplique du Camion (1976) « Que le monde aille à sa perte, c’est la seule solution », qu’aux lieux détruits, vides de tout personnage de Son nom de Venise dans Calcutta désert (1975). Djebar, elle, recentre le matériau filmique sur des images d’archives plutôt que d’utiliser une image exsangue, anémiée, et retravaille la bande sonore dans la musicalité polyphonique et poétique. Djebar porte à un point de richesse créatrice jamais atteint auparavant la théorie de la prédominance du son sur l’image sans détruire cette dernière mais en la remettant à sa place, ni minimisée, ni surévaluée. Pour reprendre l’expression de Godard : « Juste une image / Une image juste » (Tout va bien : 1972).

Pour ce qui concerne l’écriture, Djebar renouvelle son style sous l’influence de son expérience cinématographique, pour le porter à sa plus parfaite expression dans l’écriture de Loin de Médine. Jamais peut-être un écrivain musulman n’avait mieux fait s’épouser le fond et la forme, la voix littéraire et le message religieux. Dans Loin de Médine c’est la voix de celui dont toute représentation picturale est un interdit sacrilège qui nous est rendue. La ferveur du son redonne à l’image condamnée une virginité, une profondeur que l’ouïe nous restitue bien mieux que l’œil.

 

Références

ARMES, Roy. Dictionnaire des cinéastes du Maghreb, Tome 2, Paris, ATM, 1996.

DJEBAR, Assia. Les Enfants du nouveau monde, Paris, Julliard, 1962.

                                Les Alouettes naïves, Paris, Julliard, 1967.

                                La Nouba des femmes du mont Chenoua, RTA, 1978.

                                La Zerda ou les chants de l'oubli, RTA, 1982.

Femmes d'Alger dans leur appartement, Paris, Des femmes, 1980.

                                L'Amour, la Fantasia, Paris, Lattès, 1985.

                                Loin de Médine, Paris, Albin Michel, 1991.

DURAS, Marguerite. La Musica, 1969.

                                Détruire, dit-elle, 1969.

                                India Song, 1975.

                                Le Camion, 1976.

GODARD, Jean-Luc. Vent d'est, (sous le nom Groupe Dziga Vertov),1970.

                                Tout va bien, 1972.


Silences dévoilés :
femme, histoire et politique
dans l’écriture d’Assia Djebar

Vera Lucia SOARES,
Universidade Federal Fluminense (Brésil)

Écrire ne tue pas la voix, mais la réveille, surtout pour ressusciter tant de sœurs disparues. [319]

Réveiller la voix longtemps silencieuse des femmes algériennes. C’est autour de ce thème que se développe la production littéraire d’Assia Djebar depuis les années 1980, et plus précisément entre 1980 et 1991, période privilégiée dans ce texte.

Pour réaliser ce projet, Assia Djebar a dû rompre un premier silence, celui de l’écriture, forme d’expression longtemps interdite aux femmes de sa culture, silence qu’elle s’était imposée elle-même pendant une dizaine d’années, époque où elle a réalisé deux films et a longuement réfléchi sur son rapport avec la langue française. Réconciliée finalement avec la langue de l’ancien colonisateur, Assia Djebar fait de cette « langue majeure » un « usage mineur » [320] – mineur dans le sens révolutionnaire que lui donnent Deleuze et Guattari –, c’est-à-dire, qu’en se l’appropriant en tant que langue d’expression littéraire, elle transforme son écriture en voix collective, voix qui se propose à dévoiler les multiples silences qui couvrent l’histoire de la femme algérienne et, par conséquent, celle de l’Algérie.

Ce projet d’Assia Djebar est bien défini dans l’ouverture de Femmes d’Alger dans leur appartement, où elle affirme ne pas prétendre « parler pour », ou « parler sur », à peine parler près de, et si possible tout contre : première des solidarités à assumer pour les quelques femmes arabes qui obtiennent ou acquièrent la liberté de mouvement, du corps et de l’esprit. [321]

C’est donc à travers un dialogue solidaire qu’Assia Djebar incite ses sœurs à enlever toutes sortes de voiles, le premier étant celui du regard.

Confinée dans les harems d’hier et d’aujourd’hui, interdite au regard masculin à l’exception de ceux du père et de l’époux, la femme arabo-musulmane doit apprendre, comme dit Lacoste-Dujardin, à « baisser les yeux, discipliner son regard » [322].

Rompre le silence du regard. Voilà la grande obsession de plusieurs personnages féminins d’Assia Djebar. Femmes qui regardent tout d’abord de biais, en cachette, comme des espionnes, conservant leur voile même parmi les autres femmes, préservant ainsi leur anonymat. « L’œil unique scrutateur, trou en triangle hostile dans la face entièrement masquée. Se retournant de temps à autre, pour n’oublier aucun détail... » [323]. Mais à mesure qu’elles observent, elles découvrent petit à petit la séduction et la liberté de la lumière, telle Hajila d’Ombre sultane :

Tu gravis le chemin. Dans un tournant la mer apparaît (...). Un précipice gonflé d’attentes ; tant de voyeuses avant toi ont dû venir subrepticement le contempler. Ton esprit vacille.

(...) Est-ce, là-bas, la même mer que celle que tu aperçois du balcon de la cuisine ? À présent la voici mare géante, proche et lointaine à la fois.

(...) Tentation de t’y plonger : s’y renverser pour flotter dans cette immensité, face à l’immensité inversée du ciel. Yeux ouverts, corps à la dérive. [324]

Ayant réussi à libérer leur regard, ces femmes se rendent compte d’un autre silence qui pèse sur elles, celui de leur corps. Ce corps qui ne sert qu’à la procréation et à assouvir les désirs du mari, désirs auxquels les femmes musulmanes ne doivent jamais se refuser, selon la détermination du Prophète exprimée dans ce hadith : « La femme ne doit jamais se refuser à son mari, fût-ce sur le bât d’un chameau » [325]. Mais cette passivité n’est qu’apparente. Dans Ombre sultane, Isma se rappelle un cri de révolte d’une des femmes de sa tribu qu’elle n’a jamais oublié :

– Jusqu’à quand, ô maudite, cette vie de labeur ? Chaque matin, chaque midi et chaque soir, mes bras s’activent au-dessus du couscoussier ! La nuit, nul répit pour nous malheureuses ! Il faut que nous les subissions encore, eux, nos maîtres, et dans quelle posture – la voix sursaute, l’accent se déchire en rire amer –, les jambes dénudées face au ciel ! [326]

À cette plainte répondent d’autres personnages qui vont essayer de vivre la liberté dans leurs corps, comme Isma d’Ombre sultane. D’ailleurs, c’est dans ce roman que le thème du dévoilement de la femme est le plus exploité. Selon Germaine Tillion, le voile est un symbole de l’asservissement de la femme [327] dans les sociétés du sud de la Méditerranée. Dans Ombre sultane, Assia Djebar paraît dialoguer avec Tillion étant donné qu’elle y travaille sur la métaphore du voile, son port signifiant et l’interdiction du regard et le choix du destin de la femme. Enlever le voile devient donc la marque la plus visible de l’évolution de la femme dans ces sociétés-là.

Ombre sultane est aussi le roman où Assia Djebar réussit de la façon la plus complète ce dialogue solidaire entre femmes qu’elle avait annoncé dans Femmes d’Alger...

– Je ne vois pour nous aucune autre issue que par cette rencontre : une femme qui parle devant une autre qui regarde, celle qui parle raconte-t-elle l’autre aux yeux dévorants, à la mémoire noire ou décrit-elle sa propre nuit, avec des mots torches et des bougies dont la cire fond trop vite ? Celle qui regarde, est-ce à force d’écouter, d’écouter et de se rappeler qu’elle finit par se voir elle-même, avec son propre regard, sans voile enfin... [328]

C’est ainsi que, dans Ombre sultane, Isma et Hajila, deux femmes apparemment opposées – l’une émancipée, l’autre cloîtrée – finissent par se confondre, l’une devenant l’ombre de l’autre et vice-versa : la sultane et la suivante, la suivante et la sultane.

Mais ce dialogue est aussi celui de la romancière avec elle-même et avec l’histoire de son peuple dans la quête d’une redéfinition de l’identité, thème central de L’Amour, la fantasia, roman où se croisent autobiographie, fiction et histoire. Autobiographie qui se tisse comme fiction puisqu’elle se fait dans la langue adverse, langue de l’ennemi d’hier. Autobiographie qui se révèle presque impossible car – dit la narratrice- « croyant “me parcourir”, je ne fais que choisir un autre voile. Voulant, à chaque pas, parvenir à la transparence, je m’engloutis davantage dans l’anonymat des aïeules ! » [329]

C’est pourtant en recueillant les histoires racontées par ses aïeules – exemple canonique de ce que Paul Ricœur appelle temps anonyme, temps « à mi-chemin du temps privé et du temps publique » [330] et qui relie la mémoire individuelle au passé historique –, que la narratrice de L’Amour, la fantasia reconstruit sa propre histoire. Une histoire qui n’est autre que l’histoire collective, puisque le « je » s’entrecoupant en identités multiples se fait l’expression des « voix anonymes des femmes qui ont fait l’Algérie » [331], comme l’a bien dit Hafid Gafaïti.

En transformant donc son écriture dans le son de la parole des femmes algériennes, « Assia Djebar rompt un autre grand silence : le silence de l’histoire officielle, cette histoire faite par les hommes et d’où la femme est exclue ». [332]

Ayant ressuscité cette voix féminine de la mémoire collective, voix de la tradition et de la transmission, elle va aussi réveiller la voix féminine de la contestation. Cela dans Loin de Médine, roman qui réécrit l’histoire des premières années de l’islam à partir des voix des femmes qui ont vécu ce temps-là, voix de la tradition mais aussi voix de la contestation qui s’unissent pour nous donner une autre version de cette histoire, une version centrée dans les rapports entre hommes et femmes autour du pouvoir.

Dans ce roman, Assia Djebar met par terre l’image de soumission normalement attribuée à la femme musulmane en montrant qu’au début de l’islam elle n’était pas du tout soumise et que la religion ne constituait non plus une entrave à sa liberté. Quoique Loin de Médine soit un roman historique qui se déroule au VIIe siècle, il peut être relié à l’histoire actuelle de l’Algérie et d’autres pays musulmans où, au nom de l’islam, on intensifie une politique ségrégationniste par rapport aux femmes.

Malgré tout un travail de recherches auprès des chroniqueurs dans le but de recueillir des traces concernant certaines femmes qui ont participé d’une façon ou d’une autre de l’histoire des premières années de l’islam, Assia Djebar déclare dans l’avant-propos du roman que ces musulmanes ou non-musulmanes ne trouent que « par brefs instants », quoique dans des circonstances ineffaçables, le texte de ces chroniqueurs, « transmetteurs certes scrupuleux, mais naturellement portés, par habitude déjà, à occulter toute présence féminine... » Ce disant, elle ajoute : « Dès lors la fiction, comblant les béances de la mémoire collective, s’est révélée nécessaire pour la mise en espace que j’ai tentée là ». [333]

C’est donc dans l’entrecroisement de la fiction et de l’histoire qu’Assia Djebar va reconstruire ce temps du début de l’islam. Partant des brefs indices trouvés dans les textes historiques sur les femmes qui ont traversé la scène de ce premier théâtre islamique, elle réécrit leurs histoires au compte de l’imaginaire. Ainsi, elle invente ou elle imagine ce qu’auraient pu dire ces femmes-là ou comment elles auraient pu réagir devant une situation racontée par le chroniqueur. C’est de cette façon qu’elle crée, par exemple, la scène de la mort de Selma, jeune rebelle qui ose affronter Khalid, le célèbre général musulman fidèle à Mohammed :

Khalid tue Selma. Mais si, cette fois, la responsabilité en incombait à la victime ? Ce pourrait être elle qui, à terre, refuse l’agenouillement. Elle, peut-être, qui bondit comme une panthère. Une arme dans la main, ou même sans arme visible, elle a pu, de ses yeux, de son rire, provoquer : “Tue-moi !” Et Khalid, fasciné, n’a pu cette fois qu’obéir. [334]

 

Étudiant l’entrecroisement entre l’histoire et la fiction, Paul Ricœur dit qu’il y a une affinité profonde entre le vraisemblable de pure fiction et les potentialités non effectuées du passé historique (...). Le quasi-passé de la fiction devient ainsi le détecteur des possibles enfouis dans le passé effectif. Ce qui « aurait pu avoir lieu » – le vraisemblable selon Aristote – recouvre à la fois les potentialités du passé “réel” et les possibles “irréels” de la pure fiction. [335]

À mon avis, quand la narratrice de Loin de Médine tisse des hypothèses sur ce qui aurait pu arriver à l’un de ces personnages de l’histoire, elle « fait appel à ce quasi-passé ou à ce vraisemblable de la pure fiction pour ressusciter ces femmes enfouies par l’histoire officielle » [336], nous donnant, par là, cette version autre de l’histoire islamique.

Mais parmi toutes les femmes qui traversent le roman, il y en a deux dont la parole se maintient vivante dans la mémoire islamique. La première est Fatima, parole de la contestation, celle qui dit non aux premiers successeurs de son père qui lui refusent sa part dans l’héritage du Prophète. L’autre est Aïcha, parole de la transmission, l’épouse préférée qui va nourrir la mémoire des croyants, « entretenir le souvenir, le long ruban drapé des gestes, des mots, des soupirs et des sourires du Messager ». [337]

Loin de Médine se ferme sur une hypothèse : « Et si un jour une telle transmission allait rencontrer l’autre parole, celle de la violence rimée en colère ? ». [338]

La rencontre de la parole de la transmission, celle qui préserve vivante et pure la tradition islamique, avec la parole de la contestation, flamme allumée par Fatima dont l’étincelle brille toujours dans l’âme de chaque musulmane, donnerait lieu à cette parole double annoncée dans le roman, la seule capable d’exprimer le vrai discours féminin islamique, un discours visiblement politique.

Et c’est au moyen de cette parole double, dont l’écriture d’Assia Djebar se fait l’expression, que Loin de Médine met à nu les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes de cette époque-là, confirmant la thèse de Régine Robin selon laquelle la mémoire construite par la fiction serait « la première à dévoiler les zones d’ombre de la mémoire officielle et de la mémoire collective ». [339]

Et en dévoilant tous ces silences, le discours littéraire d’Assia Djebar se fait aussi discours critique. Mais à la différence des textes non-littéraires, il s’agit là d’une critique implicite qui s’effectue à partir des situations vécues par les personnages. Une critique métaphorique, dirais-je, mais qui nous permet de repérer le double regard, le regard hybride que la romancière porte sur son pays et sur sa culture. Un regard à la fois extérieur – puisque filtré par la culture occidentale – et intérieur, c’est-à-dire, plongé dans sa culture d’origine. À mon avis, c’est justement au compte de ce double regard, ce regard qui circule entre l’Occident et l’Orient, que l’écriture d’Assia Djebar reconstruit l’identité algérienne dans sa pluralité et dans sa diversité.

Bibliographie :

ASCHA, Ghassan. Du Statut inférieur de la femme en Islam, Paris, L’Harmattan, 1989, 238 p.

DELEUZE, Gilles, GUATTARI, Felix. Kafka, pour une littérature mineure, Paris, Minuit, 1975, 157 p.

DJEBAR, Assia. Femmes d’Alger dans leur appartement, Paris, Des Femmes, 1980, 195 p.

__________. L’Amour, la fantasia, Paris, J.-C. Lattès, 1985, 260 p.

__________. Ombre sultane, Paris, J.-C. Lattès, 1987, 173 p.

__________. Loin de Médine, Paris, Albin Michel, 1991, 314 p.

GAFAITI, Hafid. « Écriture autobiographique dans l’œuvre d’Assia Djebar », Itinéraires et contacts de cultures, Paris, Vol. 13, 1. sem. 1991, p. 95-101.

LACOSTE-DUJARDIN, Camille. Des mères contre les femmes : maternité et patriarcat au Maghreb, Paris, La Découverte, 1985, 268 p.

RICŒUR, Paul. Temps et récit, Vol. 3 : Le temps raconté, Paris, Le Seuil, 1985, 540 p.

ROBIN, Régine. Le Roman mémoriel : de l’histoire à l’écriture du hors-lieu, Montréal, Préambule, 1989, 199 p.

SOARES, Vera Lucia. A escritura dos silêncios : Assia Djebar e o discurso do colonizado no feminino, Niterói, RJ, EDUFF, 1998, 265 p.

TILLION, Germaine. Le Harem et les cousins, 4ème éd., Paris, Le Seuil, 1974, 218 p.

 


Voix féminines multiples dans « Oran, langue morte » : représentation d’une (re)conquête de l’espace par les femmes

Mina AÏT’MBARK,
The Queen’s University of Belfast

Les textes d’Oran, langue morte d’Assia Djebar s’inscrivent dans un espace narratif féminin et nous informent de l’importance de donner une voix aux femmes dans les textes de fiction écrits par des femmes maghrébines comme l’affirme Belinda Jack :

Writing by Algerian women [...] can be most obviously characterised by […] concern to write women’s history [and] to act as spokes[women] for a silent group whose words and worlds might otherwise be lost. [340]

Cette narration « féminine » relève également d’une revendication de l’espace public musulman d’où les femmes sont exclues et, selon Marta Segarra, de la « volonté de dénoncer l’oppression séculaire qui a maintenu cachée la voix des femmes. » [341] Effectivement, les textes d’Oran, langue morte redonnent une parole aux femmes. Selon Hafid Gafaïti dans Les Femmes dans le roman algérien au sujet de Djebar :

[…] à partir d’un certain seuil, la vision et la parole de la romancière se fondent, par la conscience solidaire et le travail littéraire, dans celles des autres femmes, de toutes les femmes pour avant tout se dire. [342].

En effet, Oran, langue morte devient dans la postface, en quelque sorte, un lieu sûr où inscrire une parole des femmes d’Algérie, en marge du texte de fiction proprement dit. La postface dit le caractère urgent et primordial de trouver un tel lieu par le biais de l’écriture :

Or, dans la tourmente et la dérive actuelle, les femmes cherchent une langue : où déposer, cacher, faire nidifier leur puissance de rébellion et de vie dans ces alentours qui vacillent. (p. 377)

Pour reprendre une affirmation de Charles Bonn émise dans un contexte différent de prise d’écriture (et au sujet de Mohamed Dib et non d’Assia Djebar), il apparaît que l’auteure s’applique à « trouver une voix susceptible de dire un univers auquel la parole a toujours manqué. » [343]

La violence de l’histoire récente de l’Algérie, dont les femmes sont les premières victimes, est omniprésente dans Oran, langue morte : la guerre d’indépendance et la guerre civile qui ravagent actuellement le pays sont au cœur de tous ces textes.

Dans un premier temps, c’est par le refus du « silence ancestral » et la revendication d’une parole propre que cette recherche d’une voix des femmes est transmise aux lecteurs. Cette voix qui émerge, par l’entremise d’autres femmes, de « la nuit algérienne » se caractérise par son oralité. Par un jeu intertextuel, la voix des femmes algériennes se mêle à celle, mythique et littéraire, de Schéhérazade. Dans un second temps, cette voix féminine se nourrit de sa propre découverte et exprime les expériences multiples des Algériennes. Cette nouvelle audibilité étant source de danger, c’est par le biais de l’écriture épistolaire que les femmes contrecarrent la violence de la société algérienne. Enfin, c’est par la multiplication des langues narratives que les voix féminines deviennent pour ainsi dire médiatrices, rendent compte du rôle des femmes dans l’histoire de leur pays et informent le lecteur de leur situation dans ce contexte.

En effet, l’œuvre d’Assia Djebar se caractérise par la mise en exergue d’une parole féminine et sous sa plume, les textes d’Oran, langue morte sont « le récit des femmes de la nuit algérienne » (p. 367). Ainsi, la voix des femmes doit donc être doublement « dés-ensevelie » : d’une part du « silence féminin ancestral » et d’autre part de cette « nuit algérienne » qui rend les femmes encore plus invisibles. De plus, la multiplicité des formes textuelles du recueil (cinq nouvelles, un conte et un récit) fait écho à la multiplicité des voix des personnages principaux de ces textes : tous des femmes.

Cette volonté de trouver une parole et de combattre le silence est centrale dans le troisième récit de « Retours non retour » intitulé « Mère et fille 3 ». La narratrice de ce récit « tracé de bouche en bouche » (p. 69) est une enseignante d’université qui apprend que l’une de ses étudiantes, décrite comme « [ayant] peur de sa famille » (p. 66) est morte, semble-t-il, à la suite d’« un accident. Tombée de la terrasse de leur maison de la Casbah » (p. 66). La découverte ultérieure de la vérité symbolise le poids de la tradition qui pèse sur les femmes :

Un mois après, la vérité. Qui coule, souterraine, de conciliabules en conciliabules. Aucune preuve, une certitude des vieilles d’abord, mais elles ne diront rien, puis de leurs filles, leurs nièces autour qui parlent, elles ; qui cherchent quoi faire... La justice, quelle justice ?

Un mois après, la vérité. (p. 66-67)

La mère de la jeune fille est responsable de l’accident : « D’un élan, [elle] poussa, bouscula, précipita sa fille dans l’abîme » (p. 68). Le silence est ici auto-imposé puisque les « vieilles ne diront rien » et démontre le caractère indicible de la tragédie de la vie des Algériennes. En outre, l’image des voix souterraines nous indique le danger que représente la découverte d’une parole féminine enfin libérée. Briser le silence devient ici un acte symbolique qui expose toute l’horreur de la condition des femmes et cette prise de parole des « filles et des nièces » incarne leur désir de s’opposer à la transmission de ce silence et de faire émerger leur voix du souterrain dans lequel elles sont reléguées.

Cette revendication d’une parole féminine enfin libérée est également fondamentale à la nouvelle éponyme. Dans cette nouvelle, la tante maternelle du personnage principal se remémore « la nuit du cimetière » (p. 18) au moment de la guerre d’indépendance, durant laquelle, avec d’autres Algériens, elle « attendait les morts » :

Derrière nous, des femmes avaient amené un vieux taleb : il se mit à fredonner des versets coraniques. Sa voix nasillarde se répandait ; elle semblait inlassable.

Soudain, une dame opulente, sous ses tuniques s’écria :

¾ O mes sœurs, dites à ce taleb de se taire ! Les soldats vont arriver, la parole sainte de Dieu va les mettre hors d’eux. Je les connais, ils ne la supporteront pas les maudits ! Dites-lui de se taire ou de psalmodier dans son cœur [...] Les soldats, ou des fous furieux avec eux [...] risqueront de s’en prendre à lui, ce saint homme !. Ou à nous, les malheureuses !

Elle avait déclamé haut : une oratrice, cette matrone. Le taleb s’est tu d’un coup. (p. 20)

En premier lieu, « la matrone » qui veut sauver le taleb indique que cette voix féminine qui vient du passé colonial de l’Algérie est respectueuse et protectrice des traditions musulmanes auxquelles les femmes s’identifient par opposition au désir d’acculturation du colonisateur. Mais une seconde lecture de ce passage montre que le taleb représente également la religion qui, aujourd’hui, impose le silence aux femmes. Le contraste entre sa « voix nasillarde » et celle forte de l’« oratrice » symbolise le refus des femmes d’être réduites au silence et leur défi d’une religion masculine. Qui plus est, la voix de cette « dame opulente » réduit celle du taleb au silence, occupant par là même, un espace narratif laissé vide.

Du reste, la nouvelle « La fièvre dans des yeux d’enfant » fait émerger ces voix de femmes qui « ont été maintenues cachées ». La narratrice de cette nouvelle qui se nomme elle-même « Isma » recueille, pour un ethnologue somalien, des « dits de femmes berbères ibadites [qui] avai[en]t été recueilli[s] et traduit[s] au début du siècle par une ethnologue française » (p. 89). Ces « voix oubliées » renvoient donc à une intertextualité, ancrée certes dans la tradition culturelle orale de ces femmes ibadites, mais également transmise grâce au travail du pouvoir colonisateur et par le biais de sa culture écrite. Isma explique et « raconte l’organisation rigoureuse qui régentait depuis des générations, cette société féminine :

¾ Elles ont cinq prêtresses, disons « prêtresses », mais, en fait, ce sont des laveuses de morts, des ghassalines. Parmi celles-ci, la plus importante, la plus savante aussi en exégèse coranique, a une autorité religieuse redoutable sur toutes les femmes : le droit de tebria. (p. 93)

L’évocation de la science coranique de ces femmes contrecarre la réduction au silence à laquelle elles sont soumises sous le joug de la religion dans l’Algérie d’aujourd’hui. De plus, Isma offre sa propre voix à ces femmes lorsqu’elle interprète pour le bénéfice de ses auditeurs (l’ethnologue somalien et une chanteuse) un des chants ibadites. Il est révélateur qu’elle ne se contente pas de le chanter mais qu’elle le « contextualise » ; ce faisant, elle rend aux ibadites la parole et devient elle-même un intermédiaire qui rend cette voix audible.

La narratrice de « L’attentat » est l’exégète par lequel l’histoire de son mari Mourad, journaliste condamné à mort par les intégristes musulmans, peut être entendue. La nouvelle s’ouvre, de manière significative, sur Naïma se remémorant la voix de Mourad :

La nuit avant la mort de Mourad, j’ai été réveillée à deux heures du matin ; la nuit juste avant….

Mourad entre dans la chambre […] et d’une voix ardente, chaude et ardente, il me dit :

Naïma, je t’en prie, réveille-toi ! J’ai besoin de toi… (p. 138)

Ainsi les deux voix de Mourad et de Naïma se confondent et la narratrice devient celle qui rapporte l’histoire et « dit » l’attentat, qui donne son titre à la nouvelle, en quelque sorte une voix porte-parole de l’histoire de son pays. Lorsque Mourad meurt, après qu’un terroriste lui a tiré dessus, Naïma est entourée de « mes trois sœurs, ma mère, ma belle-sœur, [et] les autres, pas seulement les amies […] une quinzaine de femmes de tous âges – des jeunes et de moins jeunes –, des directrices de collèges et de lycées » (p. 151-154). Les quarante jours de deuil musulman deviennent une expérience partagée par toutes ces femmes de générations et de milieux différents.

Sont aussi arrivées certaines visiteuses que je ne connaissais même pas : des « épouses de victimes », me soufflait-on […] Elles restaient le temps d’une visite […] Nous échangions des banalités, des remarques ordinaires sur la maison, ou le quartier : comme si tout allait bien, que le pays était paisible, que… […].

Quarante jours, je ne suis pas restée seule. Entourée vraiment. (p. 155)

Cet espace peuplé de femmes, qui se conforte par leur seule présence et le son de leur voix, représente ce que Bachelard nomme l’« espace réconfortant. » [344] En effet, la présence de ces femmes rend compte de l’importance d’un échange verbal entre elles entretenant et nourrissant leur voix.

De la même manière, le deuxième récit de « Retours non retour », « Mère et fille 2 » présente une narratrice qui se trouve « dans les Cévennes […] à Camp Fougère, tout près des mines de la Grand Combe » (p. 57) dans une famille berbère. La fille aînée, Tounsia « joviale et de mon âge » (p. 58), arrivée en France avec sa mère en 1946 pour rejoindre son père, entreprend de raconter l’histoire de la famille à la narratrice :

Je suis restée huit jours à Camp Fougère. J’entrais peu à peu dans la chronique berbère, comment huit familles se transplantèrent, en quelques années, de Grande Kabylie à ce village des Cévennes. La plupart des anecdotes de Tounsia se réveillaient, se coloraient lorsque ses amies, en ces longs après-midi d’été, venaient lui rendre visite. Une nostalgie enrobait leurs évocations de ces vingt dernières années.

¾ Veux-tu entendre la plus belle des histoires ? s’exclama [Tounsia], une fois.

¾ Tu es ma Schéhérazade des Cévennes ! rétorquai-je. (p. 61)

Ce passage introduit une nouvelle dimension à ces conversations entre femmes : les voix féminines perpétuent ici l’histoire de leur vécu dans l’Histoire, ici celle de l’immigration en France. Le mouvement du personnage principal qui participe graduellement à la vie de ces huit familles souligne le trait presque magique de ces échanges verbaux entre les femmes algériennes qui met en exergue l’espace narratif féminin d’Oran, langue morte. En outre, la référence directe à la conteuse des Mille et Une Nuits rend cette voix féminine mythique et universelle.

La voix de Schéhérazade se confond avec celle d’Atyka, professeur de français, dans « La femme en morceaux. » L’enseignement du conte sur plusieurs cours se déroule parallèlement à la narration nocturne de Schéhérazade. Mais elle s’inscrit dans la « libre inspiration » du professeur ; ce qui a pour effet de rendre à Atyka sa propre voix. La similarité entre les deux narrations est évoquée dans le texte lorsque l’un des élèves commente le conte en classe. Cet élève : « un garçon, long et maigre » (p. 199) souligne le lien entre les histoires et commente l’addition d’un nouveau conteur :

¾ Puis-je faire une remarque ? Je note que Djaffar, en s’installant à son tour comme conteur, devient... (il hésite, bafouille) devient un double de Schéhérazade. Et c’est le même cas d’une imagination... (il cherche, fait un geste) « sous menace » [...] (p. 199).

Ainsi les voix se multiplient dans le conte et la nouvelle. La fin tragique du conte rend « le désir de narrativité » identifié par Segarra d’autant plus symbolique du danger que représente l’audibilité d’une voix féminine, en Algérie, aujourd’hui.

Atyka, tête coupée, nouvelle conteuse, Atyka parle de sa voix ferme. Une mare de sang s’étale sur le bois de la table, autour de sa nuque. Atyka continue le conte. [...] (p. 211).

Dès lors, Atyka « devient un double » de Schéhérazade et les deux narrations, celle de Schéhérazade la conteuse mythique d’une part et celle d’Atyka « nouvelle conteuse » d’autre part, sont ainsi imbriquées par la fusion de leurs deux voix littéraires et poétiques.

Cet espace narratif féminin s'élargit lorsqu’il prend la forme d’un échange épistolaire entre des femmes. Les deux nouvelles : « Oran, langue morte » et « La fièvre dans des yeux d’enfant » utilisent toutes deux le truchement de l’écriture.

« Oran, langue morte » s’ouvre comme un dialogue : « - Olivia, je ne viens pas en vacances avec vous » et devient, en fait, une écriture épistolaire « Je te l’écris ; je n’ose te le dire de vive voix » (p. 12) entre deux femmes : Olivia et le personnage principal dont on ne connaît l’identité qu’à travers sa correspondance, écriture qui lui fait vivre son retour en Algérie vers la mémoire de ses parents.

Cet échange épistolaire revêt un caractère positif lorsque la narratrice, dont la tante maternelle est sur le point de mourir, écrit à son amie : « grâce à toi, en t’écrivant jour après jour, malgré l’angoisse, je me prépare à cette issue » (p. 36). La narratrice « [é]cri[t] Oran [sa] langue morte » symbolisant ainsi une ré-appropriation d’une parole et l’inscrivant de cette manière dans une sorte d’urgence.

Cette communication écrite est positive et tranquillisante pour des personnages en proie à des souvenirs plus ou moins douloureux et faisant face à une réalité brutale. Cette écriture, vainquant l’angoisse et contrecarrant la violence de la société algérienne, acquiert un caractère de survie pour les voix des femmes.

Les voix féminines deviennent ainsi médiatrices à travers les situations des divers personnages qui prennent la parole et la multiplication des langues narratives. En effet, les langues multiples établissent différentes possibilités positives pour les personnages.

La nouvelle « Annie et Fatima » fait partie de la deuxième section « entre France et Algérie » d’Oran, langue morte, et élargit le domaine du bilinguisme, généralement centré autour de l’arabe et du français. En effet, Annie, dont le mari kabyle a décidé d’emmener sa fille pour l’élever en Algérie (p. 225-226), a « obtenu un droit de visite » dix ans après en avoir été séparée. Durant ces dix années, « elle apprenait le berbère pour pouvoir un jour communiquer avec sa fille ». La réaction de la sœur de la narratrice « qui était devenue d’emblée son amie » est à cet égard éloquente :

[...] j’ai été frappée, bouleversée même par cette évidence : on parle toujours, quant à nous, de la « langue maternelle » perdue et à réacquérir (et dans mon cas, c’est cela, le berbère, le parler enfin comme ma grand-mère puisque ma mère s’en est coupée !), mais Annie, vois-tu, elle va, elle, à la rencontre de « la langue de la fille » ! Une langue non plus de l’origine, mais de son avenir et tout désormais s’est remis, en elle, à bouger ! (p. 228)

L’apprentissage d’une langue « autre », en l’occurrence le berbère par un personnage français, prend ici une force extraordinaire puisqu’il ne représente plus seulement une stratégie de communication mais se transforme en espoir et, en quelque sorte, « ouvre » l’espace de Fatima, petite fille berbère, à Annie, la femme française qui est sa mère.

On retrouve cet aspect positif de plusieurs langues dans « La femme en morceaux. » Lorsque Atyka décide de « faire sa licence de français », le père s’étonne de son choix : « Toi qui es si forte en arabe » (p. 167) mais la mère reconnaît l’attrait émotionnel de cette langue pour sa fille. En effet, le père étant berbère et la mère arabe, ils utilisent le français pour communiquer ; ce qui fait conclure à la mère que « C’est nous deux qu’elle aime dans cette langue ! » (p. 168). Mais Atyka elle-même attribue à son choix un attribut sans équivoque.

¾ Je serai professeur de français ; mais vous verrez, avec des élèves vraiment bilingues, le français me servira pour aller et venir, dans tous les espaces, autant que dans plusieurs langues ! (p. 168)

Le texte dépasse ainsi la dichotomie entre l’arabe et le français en évoquant « plusieurs langues », et en identifiant le berbère du père. Il apparaît donc que non seulement le français, mais aussi les autres langues, « représentent la possibilité d’accéder à d’autres mondes » [345] comme l’affirme Segarra. Dès lors, le médium de la langue devient un instrument potentiellement puissant qui donne le moyen aux femmes d’« aller et [...] venir dans tous les espaces. »

Dans la réalité d’une violence qui s’exerce contre les femmes, les textes d’Oran, langue morte permettent d’abord à la voix féminine d’émerger, puis de se nourrir de sa découverte et enfin de devenir universelle par la multiplication des langues narratives. Ce faisant, l’auteur contrecarre ce qu’elle considère comme étant l’autre « monde muet » de l’Algérie :

[...] non seulement celui des choses (de la crevette, de l’orange, des figues...), mais aussi, depuis des générations, celui des femmes, masquées, empêchées d’être regardées et de regarder, traitées en « choses ». (p. 377)

Par conséquent, les textes d’Assia Djebar rendent une voix aux femmes et contrecarrent leur silence et leur réification. Qui plus est, ces femmes, par leur fonction d’enseignante, dans des échanges épistolaires ou oraux entre elles, deviennent des êtres médiateurs par excellence, et évoluent le plus souvent entre plusieurs langues et plusieurs mondes.


« Les Nuits de Strasbourg »,
 ou l’entre-deux du discours romanesque maghrébin

Robert ELBAZ,
Université de Haïfa

Avec Les Nuits de Strasbourg [346] de Djebar, le roman maghrébin de langue française pousse plus loin qu’ailleurs les limites de son auto-détermination. En effet, ce dernier roman de Djebar tente de forger une identité bien plus indépendante vis-à-vis du roman occidental-français. Non qu’il soit aliéné du roman féminin post-moderne avec lequel il partage une destinée narrative commune pour ce qui est du manque d’aboutissement du récit et de son avortement irrémédiable, mais il y est bien plus question de la conscience narrative féminine du Maghreb qui échoue encore une fois à déterminer ses propres paramètres narratifs et discursifs ; son avortement, s’avère-t-il, demeure indépassable. Car ce magnifique roman du dialogue avec l’autre, le mâle-colonisateur mais différent du colonisateur habituel, dont le langage est pris par la protagoniste, manifeste, malgré lui en quelque sorte, le manque à combler du roman maghrébin de langue française et son échec incontournable, qui continue de nourrir son procès de production inépuisable.

Dans ce retour éternel du récit maghrébin qui n’arrive pas à épuiser la pléthore de ses objets narratifs, il y va de l’engendrement multiple et indéfini de l’espace narratif maghrébin. Les Nuits de Strasbourg, c’est la quintessence même de l’échec matriciel du roman maghrébin. Il y est toujours question du corps et de la parole, du corps de la parole et de la parole du corps, tous les deux irréductibles et coïncidant l’un avec l’autre dans cette tentative obsessionnelle de récupération du corps de la femme maghrébine et de sa parole.

Strasbourg ou l’espace narratif pluriel

Mais au commencement le Prologue, qui déploie l’espace de la scène narrative – Strasbourg. Strasbourg et non pas Paris, la métropole qui continue de ravitailler la combinaison binaire colonisé-colonisateur. Non pas la dynamique du centre et de la périphérie, mais un déplacement vers un autre espace, plus propice au dialogue :

Ce que je ne vous ai pas livré à Paris, je sais que je vais le dire là, dans cette ville. (p. 42).

Depuis deux ans à Paris, je vis, voyez-vous, suspendue ! (Je vous expliquerai un jour l’expression berbère dans le village de mon père : « femme suspendue ».) (p. 43)

A Paris, le verbe lui-même demeure suspendu ; il ne peut se régénérer que dans cet autre espace ou l’espace autre qu’est Strasbourg, – « la ville des passages » (p. 222) ou « la ville des routes » (p. 400) –. En bref, l’espace, par excellence, de la circulation des corps et des discours. C’est à ce propos, d’ailleurs, que les ponts et les routes, détruits ou sauvegardés, sont mentionnés à plusieurs reprises dans le texte. C’est ce qui va permettre à Thelja de circuler. Il ne s’agit plus d’un espace centralisant et territorialisant, un espace incorporant le sédentarisme foncier de la métropole, ceci en dépit des couches successives de la mémoire génétique de Strasbourg – ce centre de l’Europe. Car malgré cette centralité, il y est question d’exode et d’exil. L’exode et l’exil du 2 Septembre 1939 sur lequel s’ouvre le récit, qui débouche sur le vide et le désert, car seules les statues aveugles et les autres monuments, incorporant la mémoire ancestrale de cette ville, témoignent de cette fuite massive qui commence en Septembre 1939. Mais les couches historiques s’imbriquent les unes sur les autres et les événements de 1870-71 servent de toile de fond aux événements de 1939-40, qui, à leur tour, servent de toile de fond à notre récit, qui commence cinquante ans plus tard. Car c’est dans cette même ville de Strasbourg que les destins des protagonistes, qui vagabondent dans cet espace romanesque, vont être scellés ou dénoués.

Les événements de 1870 sont d’autant plus importants que c’est le 24 août 1870 que va être détruit par le feu la version originale du livre, Le Jardin des délices écrit par l’Abbesse du XIIe siècle, Herrade de Landsberg. C’est d’ailleurs pour faire revivre cette voix féminine enfouie dans les siècles que Thelja, la protagoniste, décide de venir passer quelques jours à la bibliothèque de la ville. Les neufs nuits, ces nuits qu’elle ne pouvait lui donner à Paris, sont consacrées à son amant, François, ce français strasbourgeois, âgé de cinquante ans, dont le regard est différent : « pour la première fois, nous dit la protagoniste, le regard d’un étranger ne se brouille pas avant de m’atteindre. » (p. 45). Cependant, cette voix ancestrale de Herrade de Landsberg n’est qu’une voix parmi beaucoup d’autres voix féminines plurielles qui s’auto-mandatent dans cet espace romanesque strasbourgeois.

Le mandat narratif est assumé par des femmes dont le rôle essentiel est de déployer leur propre récit dans ses rapports étroits avec la configuration spatio-temporelle du récit de la ville et de ses échos perdus. Et pour commencer, Thelja, la protagoniste principale qui quitte son foyer et sa ville d’origine à l’âge de trente ans pour assouvir une quête qui demeure, au bout du compte, inassouvie. Et cette perpétuelle recherche de son être détermine son exil fondamental et indépassable. La suspension finale du roman pointe vers l’inaboutissement de cette quête. Thelja poursuit une carrière d’historienne de l’art et voudrait faire une thèse sur le siège de Strasbourg qui remonte à l’année 1870. Elle ne cesse de consulter toutes sortes d’archives afin de restituer des vérités historiques, et les archives du père Marey, qui a fait une histoire de l’émigration maghrébine à Strasbourg, sous forme d’un journal, qu’il tient au jour le jour depuis la fondation d’un foyer pour émigrés algériens, qui remonte au début des années cinquante lorsque ces exilés, n’en sont pas les moindres :

« Français-musulmans » (comme on appelait alors ces colonisés) souvent à peine démobilisés, s’installaient au foyer nord-africain du père de Marey, pour travailler comme manœuvres ou plombiers, menuisiers, électriciens, deux ans, trois ans ou davantage. Son journal porte le témoignage au jour le jour des souffrances de ces pauvres exilés. Revenus de ce sud algérien, qui commençait, dès 1954 et 1955, à être entraîné dans la guerre, ils se retrouvaient, en Alsace, suspects, pourchassés, détenus pour avoir conservé ou transporté des tracts nationalistes, vite considérés comme comploteurs pour telle cotisation versée, de bon gré ou non, aux « hors-la-loi », parfois préservés ou sauvés grâce à la protection du dominicain... (p. 290-1)

Son amie et sœur jumelle, Eve de Tébessa, la juive algérienne, va rejeter une maternité pour une autre. Tout comme Thelja qui quitte son pays d’origine et laisse derrière elle son mari, Halim et son fils, Tawfik, Eve abandonne sa fillette Selma, née à Marrakech, à son père marocain pour venir s’installer à Strasbourg où elle pratique son métier de photographe, – encore un métier qui ressortit à une « graphie ». Elle fera aussi de la recherche d’archives pour arrondir ses fins de mois. Eve assumera une nouvelle vie et une nouvelle maternité : elle est enceinte de Hans, un urbaniste allemand qui ne parle pas un mot de français. Il essaiera, cependant, d’apprendre non pas seulement le français pour communiquer avec Eve, mais aussi le dialecte marocain, que va lui inculquer la petite Mina, petite fille de Touma, la voisine d’Eve. Hans fait le va et vient sur le Rhin pour la rejoindre à Strasbourg. Eve et Thelja désirent, toutes les deux, malgré la souffrance que cela comporte, tirer un trait sur ce passé où domine le phallocentrisme du père et du mari pour accéder à la liberté de leurs corps qu’elles assument, ou, dans le cas d’Eve, à une maternité basée sur cette nouvelle émancipation du corps. Pour Thelja, cependant, François son nouvel amant, presque de l’âge de son père défunt, est là pour remplacer et le père et le mari qui, dans sa société d’origine contribuent à l’assujettissement de la femme et de son corps.

Irma, l’orthophoniste, est à la recherche de ses origines ; elle ne saura jamais si elle est la fille de déportés juifs tués dans les camps de concentration ou la fille de cette héroïne du maquis qui refuse de la reconnaître. Le métier qu’exerce Irma ressortit à toute une thématique développée à travers le roman, celle de la voix comme trace indélébile, comme signe évanoui qu’il faut restituer, afin de garantir un aboutissement à cette quête obsessionnelle, qui habite toutes les voix féminines du roman. Et à ce propos, le livre de Canetti, – ce même Canetti qui a écrit sur Strasbourg et sa cathédrale qu’il grimpait chaque jour de son séjour jusqu’à la flèche, en guise de pèlerinage –, Les Voix de Marrakech, est mentionné pour illustrer la restitution du passé par la voix :

Ce Marocain parlait à l’écrivain comme s’il avait été un aïeul ressuscité : le son en langue arabe, pour Canetti, avait reproduit l’exact bruit originel ! (p. 181)

C’est pour cela (Irma retrouve une voix sereine) que je me suis attachée aux voix –à celles qui se cherchent, à celles qui se perdent, celles qui ont brusquement un trou, comme une maille filée... L’essentiel soudain glisse, va se diluer... Peut-on réparer ? Par la voix tout parfois remonte, même l’essentiel entendu il y a des siècles ! (p. 182)

Irma, à travers le récit, traite l’une de ses patientes, Lucienne, qui ne s’est jamais remise de la perte de sa fillette de trois ans lors de l’exode de 1939. Et ce traumatisme, ou dans les mots d’Irma, « le manque, la perte, le trou... » (p. 268) va épouser la forme d’un énoncé répété ad nauseam par Lucienne – le long cri dans lequel elle s’installe pour incorporer ce manque indépassable. Cette voix ou ce cri est une trace parmi beaucoup d’autres traces perdues dans l’oubli des siècles. Elle rejoint celle de Herrade de Landsberg, l’abbesse du XIIe siècle, que Thelja désire restituer avec la même force. Et si dans le cas de Lucienne, il s’agit d’accès à une thérapie individuelle pour lui permettre une meilleure vie, cette perte individuelle n’en est pas moins ancrée dans une dimension collective, puisqu’elle remonte à cette expérience collective de l’exode de 1939. La voix de l’abbesse, par contre, réside dans la restitution d’une trace mémorielle et d’un manuscrit original, qui coïncide avec le corps oublié de l’abbesse, brûlé lors des événements historiques collectifs du siège de 1870.

Ce n’est donc pas un hasard si quasiment tous les protagonistes de ce roman, ou exercent des métiers qui ressortissent tous, d’une manière ou d’une autre, à la récupération et la rédemption du passé mémoriel et sa préservation, ou incorporent dans leur être même les traces historiques de ce passé mémoriel. C’est d’ailleurs Halim, le mari abandonné par Thelja, l’héroïne du roman, et qui est à la tête d’un service d’archives à Alger, qui dira : « Nos âmes ressemblent à ces lieux d’histoire et de mémoire : en danger d’être détruits, nous ne voulons pourtant pas nous exiler ! » (p. 97) Mais c’est bien Thelja qui lui répond : « Moi, je devance toujours ! Je préfère partir. » (p. 97).

La quatrième voix féminine de ce groupe est Jacqueline, la seule véritable française, qui après avoir quitté son mari, psychiatre bien établi, se donne la tâche de bonne fée et dirige les activités théâtrales d’un groupe de jeunes étudiants originaires du Maghreb, demeurant dans la banlieue de Strasbourg. Jacqueline sera la seule victime du roman, elle se fera assassiner par son dernier amant, Ali, un maghrébin, le fils de Touma, la voisine d’Eve. Elle est la seule victime du roman, et pour cause. Elle disparaît en tant que médiatrice, œuvrant à l’intégration de ces jeunes maghrébins dans l’espace culturel de cette ville d’accueil qu’est Strasbourg. En conformité avec l’avortement final du récit, il n’y aurait pas d’issue à ce rapport entre colonisé et colonisateur. Du moins ce rapport-là, le roman tente de l’évacuer comme possibilité d’aboutissement. C’est véritablement la combinaison binaire colonisé/colonisateur qu’on désire évacuer comme préoccupation centrale de l’espace narratif maghrébin. En quelque sorte, le roman suggère que cette dialectique est déjà bien dépassée. Mais alors, il faudrait voir ce qui va la remplacer. Ce roman de Djebar, réussit-il à transcender cette dialectique pour en proposer une autre, plus efficace ? S’il est question de rapports entre Alsaciens et Maghrébins, afin de dépasser cette dialectique primordiale qui a ordonné l’espace romanesque du roman maghrébin pendant des décennies, ce déplacement va-t-il constituer un débouché possible à l’inaboutissement du roman ?

Le corps de la parole et la parole du corps

Espace du mélange, du métissage des voix, Strasbourg n’en demeure pas moins l’espace de l’errance et de l’exil, bien que la tentation première du roman de Djebar soit la résolution de l’aliénation de son héroïne dans le dialogue. Le dialogue des corps et le dialogue des voix – ce qui revient au même. Mais ce dialogue ne devient possible pour Thelja que dans son exil indéterminé et seulement pour une période bien circonscrite, les neufs nuits qu’elle passe à Strasbourg en compagnie de François. François, lui-même, « cet étranger », comme le définit Thelja, doit se soumettre à l’errance fondamentale de Thelja, qui tient à changer d’hôtel pour chacune de leurs neuf nuits communes.

Pourquoi ? Peut-être une façon de lui faire sentir, chaque soir, qu’il doit devenir nomade ! Sans attaches, comme moi, mais dans sa propre ville, celle de son passé, celle où il travaille ! Peut-être qu’ainsi il ressentira, chaque matin, combien je suis prête, à tout instant à partir : je ne suis pas venue pour une « liaison », comme on dit ici, je... (p. 109)

C’est donc dans le nomadisme que peut se constituer le dialogue tant convoité. Les points de suspension que nous retrouvons dans ce passage, et qui parsèment le roman de bout en bout, pointent vers ce manque fondamental du roman, vers son errance et son inaboutissement incorporés par Thelja elle-même. C’est que le patrimoine qu’on a essayé de reconstituer au lendemain de l’indépendance réinscrit les mêmes inégalités séculières de la société phallocentriste maghrébine. Le roman, comme espace narratif, ne peut accéder à son aboutissement dans ce lendemain de la décolonisation, de l’après guerre d’indépendance. Les vieilles coutumes ne font que se répéter et se consolider dans l’Algérie moderne. Ce qui fait que la quête ne peut se poursuivre que dans un espace autre, mais pas nécessairement celui du colonisateur. C’est pourquoi Strasbourg et non pas Paris. Il s’agirait, cependant, d’un Strasbourg ‘désertique’, un Strasbourg de la circulation et de l’errance. Et le discours romanesque maghrébin ne pourra se constituer que temporairement dans cet espace de l’exil où il continuera de se chercher, sans pouvoir se retrouver, tout comme Thelja.

Le roman, ou Thelja, pourra néanmoins tenter de fixer, même temporairement, les paramètres de sa signification. Et d’abord de retrouver le corps, la parole incorporée du signe. C’est dans l’intimité des corps que le discours, ce discours occulté de la femme maghrébine, peut être restitué et réassumé. Ces neufs nuits sont les nuits du corps, non pas le corps assujetti, mais le corps libéré en quête incessante de son émancipation indéfinie. Ce sont les nuits du corps qui se libère de ses lourdeurs ancestrales. Le corps, pour la première fois, se désengage de ses définitions premières imposées par la voix du père et de la maternité, pour accéder à sa nouvelle définition comme espace du désir pur, et non espace de la reproduction. Dans Les Nuits de Strasbourg, il s’agit véritablement d’érotisme, de corps qui parlent et qui se parlent. La libération et la décharge libidinales de l’énergie primordiale du corps ne pourront se réaliser que dans l’espace de l’érotisme, du corps purifié de ses tares reproductrices imposées et assujettissantes.

Mais si le corps se doit de se régénérer, c’est parce qu’il incorpore une parole irréductible. Corps et parole coïncident l’un avec l’autre : « – L’amour, dit-il amusé, serait donc nos exercices de prononciation, de rythme, de phrasé... » (p. 225). Les mots échangés ont eux aussi une existence matérielle non pas seulement comme traces de la voix, mais véritablement comme entités corporelles tangibles, capables d’affecter le fonctionnement du corps. Les mots sont quasiment des organes qui agissent physiquement sur les corps, non pas seulement en tant qu’entités sonores, mais comme signes incorporés, au même titre que les autres organes du corps. « Ces mots ruissellent sur son cou, lui recouvrent la gorge, enveloppent son épaule qui se penche, ou la ligne de son dos dressé, dans une gestuelle à peine amorcée. » (p. 269)

Le lecteur aura sans doute remarqué que ce roman est imprimé en deux typographies différentes et s’excluant l’une l’autre ; ceci pour manifester la différence fondamentale qui existe entre les deux espaces en question, entre le jour et la nuit. Dans le corps du texte du roman ces neufs nuits de Strasbourg sont parlées en caractères italiques. Ces dialogues de l’intimité nocturne sont différenciés du discours diurne dans leur être matériel. Et il se fait dans l’espace du roman un dialogue ou plutôt une dialectique entre les deux types d’impression, – le discours intime de la nuit, en italiques, et le discours public du jour, en caractères romains. Les corps se rencontrent dans cet espace de l’intimité transcrit en caractères italiques, pour manifester cette différence d’avec le discours du quotidien. Ce qui prime, au bout du compte, c’est l’espace de l’intimité et des corps, puisque le roman se ferme sur cet espace-là. Il se fait d’ailleurs, au niveau de la narration, une fuite vers le dedans, une course centripète de la conscience narratrice, du dehors vers le dedans. Le monologue intérieur de la fin du roman est énoncé par une conscience narratrice qui recule vers la niche la plus reculée, la plus intime de son être, puisqu’elle est aliénée du Strasbourg du grand jour, du Strasbourg ensoleillé, dont elle s’enfuit et qu’elle évite sans cesse.

Où se tapit la langue, dans tout cela ? Eh bien, elle se ferme la langue... La langue clôt... ses paupières de batracienne lourde, elle serre ses lèvres trop fines sur ses dents, elle retient sa respiration qui doit lui être mesurée toute une vie... Surtout comme j’aime le jus de la langue de cet homme –le français donc ? – et sa saveur, sa limpide fluidité, sa ruche secrète, son hydromel (mon hydromel arabe aussi que je ne peux encore lui livrer), ainsi ces nourritures sonores, je les tirerai à moi, je les mâcherai, je les triturerai, je les déglutirai, je deviendrai animal femelle, mais ruminant pour les enfermer en moi après les avoir bues de ses lèvres, pour les emporter liquéfiées dans mon corps, loin, loin de cette ville... (p. 227)

Le vocable langue donc, avec ses deux signifiés en symbiose. La langue de la bouche et l’autre langue qu’elle incorpore, celle des signes. Mais l’une ne va pas sans l’autre. Car le corps est lui-même marqué par les signes qu’il incorpore et, précisément, ceux qui lui ont été imposés au cours des siècles. Pour effacer leurs multiples traces, il faudrait que le corps assume son éros et son désir, en effaçant ces dernières traces de son assujettissement. Il faudrait qu’il se donne une nouvelle définition, et cette nouvelle définition dépendra du dialogue discursif qui accompagne celui des corps. « Or il fallait que sa parole à elle jaillisse neuve, entre eux, entre leur corps, contre eux enchevêtrée à eux deux. » (p. 317). Eros et discours ne peuvent donc se rencontrer que dans un espace dialogique véritable où Thelja et François peuvent se rencontrer, dont chacun pourra se réclamer. Mais quel va être le lendemain de ce dialogue ? Thelja va-t-elle véritablement rencontrer François dans cet espace interdiscursif ? Les mots de cette nouvelle langue vont-ils les réunir ou les séparer ?

Chacune des quatre voix féminines productrices, – selon leurs visions du monde variées, – du discours dialogique du roman, tentera de manifester dans son être même et dans ses pratiques quotidiennes, ce désir dialogique. Eve avec son installation à Strasbourg pour assumer une nouvelle vie, et surtout une nouvelle maternité, en conformité avec la nouvelle identité qu’elle désire se forger. Jacqueline, quant à elle, dira : « –Tenez, j’aime raconter une histoire vraie, à la fois de l’Alsace et de l’Algérie. » (p. 252). Elle racontera, d’ailleurs, l’histoire réussie d’une jeune couple mixte, d’une française, Anne, une jeune amie de sa mère, et d’un jeune médecin, algérien, sur le sol algérien, durant la guerre d’indépendance. « Comme on dit dans les belles histoires, ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » (p. 254) L’histoire vraie devra donc combiner ces deux espaces. Cependant, Jacqueline elle-même ne pourra point réaliser cette symbiose dans sa propre vie et peut–être, incorpore-t-elle, l’échec final de ce dialogue, malgré les tentatives qu’elle fera avec les jeunes étudiants maghrébins de la banlieue de Strasbourg. Prendra, peut-être, la relève, après Jacqueline, Djamila, la jeune Antigone de banlieue qu’elle aura formée. Peut-être, parce que le roman finit sur un avortement et que le dialogue, nous semble-t-il, n’aboutit point. De là, le statut paradoxal de l’espace dialogique du roman, puisque le dialogue est considéré, d’une part, comme possibilité réalisable et, d’autre part, comme quelque chose d’irréalisable. Ce qui fait qu’au bout du compte, le dialogue demeure une sorte de coup d’essai avec lequel jongle le roman sans, pour autant, le faire aboutir.

Il n’empêche que les sujets énonciateurs du roman vont exprimer ce désir dialogique. Irma, à son tour, dans son rapport avec Karl, ce « pied-noir » de Strasbourg va tenter le même dialogue :

Alsace, Algérie : les deux mots tanguaient soudain. Elle leur trouva une résonance commune, une musique qui semblait les accoupler, à moins que ce ne fut plutôt une même blessure ancienne, des cicatrices en creux qui, conjuguées, risqueraient de réapparaître... Oui, vraiment, une algie sourde les reliait : Alsace, Algérie. Irma murmura, du bout des lèvres, ces deux noms de pays, de terroir noir, lourd d’invasions, de ruptures ou de retours amers... (p. 285)

Irma, à son tour, exprimerait les deux alternatives : d’une part, l’accouplement de ces deux espaces, la résonance ou la musique commune qui les rassemble, la possibilité de leur symbiose et, d’autre part, l’échec de ce dialogue, étant donné le passé mémoriel lourd que chacun de ces espaces incorpore, les blessures anciennes et les cicatrices en creux. Car ces deux pays, s’avère-t-il, ont un passé commun, celui des invasions et de la souffrance des peuples qui les ont habités. Et ces tares génétiques risqueraient de réapparaître et d’entraver toute possibilité de convivialité. Les Nuits de Strasbourg de Djebar reflète la tentation du dialogue, d’un dialogue décalé, puisqu’il s’agit de l’Alsace. Il y aurait donc un jeu avec la possibilité de ce dialogue. Thelja, l’héroïne principale du roman, est celle qui va tenter de formuler la grammaire de ce dialogue, entre les deux langues, en essayant d’unir les deux vocabulaires en question. Et c’est au cours de la neuvième et dernière nuit de leurs rencontres qu’elle tente de formuler les paramètres de ce nouveau langage hybride, qu’elle nomme Alsagérie.

– Alsace, Algérie... Non, plutôt Alsagérie !       
– Alsagérie, en quelle langue ce mot ? Dans la tienne, dans la mienne ?
– Redis ce mot dans ce noir de notre chambre, redis-le ! ...épelle-le lentement, si lentement... comme si tu me caressais avec.
– Al za gé rie !
– Ce mot, il tangue !  
–...Alors tu aurais dit, si nous l’avions inventé - ni chez toi, ni chez moi, ou dans les deux parlers à la fois : « el za djé rie »... 
– je dis le mot comme toi ; ou non, pas tout à fait : Al-ssa-gé-rie ! et je traîne sur le s, je le double car j’y entends une douceur... Ta douceur !
– Et moi, une douleur. « Alza-gérie. » Je le coupe ainsi en deux pour arriver vite sur toi.       
– Toi, mon égérie ! Or il y a ce z juste avant.  
– Le z dans mon alphabet d’enfance n’est pas pourtant une trace de souffrance, non. Cette consonne annonce la beauté et l’éclat : z comme « zina ». Zina, l’adjectif signifie belle ; comme substantif, il désigne l’accouplement. Il y a donc un couple dans « Alsagérie ».  
– El ou Al, s ou z, que ta voix le redise : Alsagérie…     
– Pourquoi est-ce que je ne tutoie que dans la nuit, que dans la « zina » ? Alsagérie donc, mon chéri, une cicatrice s’ouvre dans ce vocable ? A cause du suspens, peut-être... Alza ou Elssa, on perd le souffle à peine sur un quart de ton, avant de finir dans un murmure !      
– Alsagérie qui se dédouble dans le sifflement ou le zézaiement, il semble pour moi s’éteindre en une fuite qui découvre lentement quel horizon ? Ecoute encore : le mot, sa musique penche et s’ouvre, puis quand il expire, c’est sur un ciel de brume, ou son désert.

C’est dans le dialogue de ce nouveau langage de l’entre-deux que le roman va tenter d’étaler les éléments constitutifs de son vocabulaire symbiotique. C’est la première fois que l’on tente de tracer les paramètres discursifs de l’Alsagérie. Mais après avoir considéré toutes les composantes significatives de ce vocable chargé de sens multiples et irréductibles, nous débouchons sur l’expiration du vocable, sur un ciel de brume, sur le désert. Et la question est de savoir si le désert va permettre l’aboutissement de ce nouveau langage. Si le désert est un espace propice au dialogue, si c’est un espace de l’épousaille et de la retrouvaille avec soi et avec l’autre ? Si, en effet, le roman entend diffuser ce nouveau langage symbiotique ou simplement le différer. Cet espace dialogique demeure-t-il un coup d’essai sans lendemain ? Mais nous le savons, par ailleurs, le signe du désert, ne se fixe que pour un moment. Invariablement, les romans de Djebar racontent une histoire qui n’aboutit pas, une histoire qu’elle ne finit pas de raconter, un récit qui reste toujours à raconter.

Du poudroiement ou de l’inaboutissement

C’est dans la troisième et dernière partie du roman que ce paradoxe est résolu, et que le constat de l’échec final est établi. La partie la plus courte, d’ailleurs, et la moins représentative du roman, puisqu’elle débouche sur un Strasbourg tout à fait surréel. Sur l’errance et le vide. Thelja porte un nom arabe qui signifie neige. Ce même signifiant qui à un certain moment rattache François enfant, dans le Strasbourg enneigé de l’exode de 1939, en surimpression, à la mère de Thelja, aux pieds nus, sur fond d’un panorama de neige, et sur le point de donner naissance à sa fille unique Thelja, ce même signifiant débouche, donc, sur le poudroiement. Sur l’évanescence et l’évanouissement. Thelja est une entité faite de poudre. Arrivé à la fin de son itinéraire, elle s’effrite. Elle est métamorphosée en une simple ombre nocturne, qui divague dans les nuits solitaires d’un Strasbourg déserté. C’est là qu’elle coïncide avec ces animaux perdus, errant dans le Strasbourg abandonné de Septembre 1939. Mais paradoxalement, c’est dans cette solitude et cette errance que Thelja peut accéder à sa transcendance. C’est là qu’elle peut enfin procéder à l’ascension de la fameuse tour de Strasbourg, cette tour jusqu’à sa flèche, cette flèche qui pointe vers le ciel et qui en est très proche. C’est là, sur le plus haut toit de l’Europe, qu’elle poussera son cri dans le bleu du ciel.

J’aimerais, dans ces nuits mes nuits, être métamorphosée en ces chiens libérés, flairant et cherchant sous les yeux du peuple des anges, des saints et des douze apôtres ! Je me voudrais gardienne veilleuse pour l’ultime traversée... Peu avant l’aube, j’entreprendrai l’ascension, le long de la façade sud, jusqu’au beffroi ; je commencerai à craindre le vertige quand, reprenant souffle, j’entrerai dans les spirales de la tour octogonale de maître Ulrich, puis à l’intérieur même de la flèche de maître Hülz, et parvenue aux derniers degrés de l’escalier en escargot de la lanterne, je braverai le premier vent d’avant l’aurore, immobilisée en plein ciel, au sommet de la flèche de lumière, immense doigt dressé sur le plus haut toit de l’Europe.

Je ne redescendrai pas : après la nuit et juste avant le jour, le vide règne là-bas, debout, un cri dans le bleu immergé... (p. 404-5)

Mais Thelja va disparaître de l’espace dialogique, elle ne deviendra que l’ombre d’elle-même dans un Strasbourg rongé par la nuit. C’est dans le vide et l’errance qu’elle se retrouve. Cependant, le roman avorte et la fin est non-conclusive, puisqu’elle ne pourra réaliser le dialogue que momentanément, pendant neuf nuits à peine. Ainsi le roman maghrébin de Djebar échoue dans son aboutissement ; il ne pourra point initier un nouveau commencement. Il demeure suspendu entre une réalisation partielle et un nouvel échec. Mais c’est précisément cet échec qui va lui permettre de renouveler sa pratique signifiante. Dans un autre récit toujours ouvert, dans ce retour éternel du récit, Thelja accédera peut-être à son épanouissement dans l’espace du dialogue. Le roman maghrébin, dans sa poétique djebarienne du vide et de l’errance, aura fixé pour un moment les paramètres de son identité, pour réintégrer son mouvement transcendantal, qui le mènera encore plus loin vers d’autres horizons narratifs et sémiotiques.


« Les [C8] Nuits de Strasbourg »,
ou l’érotique des langues

Marc GONTARD,
Université de Rennes 2

Les Nuits de Strasbourg offrent un bel exemple d’hétéroglossie en croisant dans le texte une bonne demi-douzaine de langues, avec cette « surconscience linguistique » [347] qui, selon Lise Gauvin, caractérise les littératures francophones, aujourd’hui. L’originalité de ce roman, toutefois, vient du fait que le contact des langues se fait par le truchement du discours amoureux, c’est-à-dire qu’il passe par le contact des corps et, dans ce fonctionnement métonymique de l’imaginaire textuel, la langue devient le lieu d’une érotique d’autant plus singulière que les idiomes par où s’échangent les caresses amoureuses sont ceux qui s’affrontaient hier, dans une haine inexpiable. En ce sens, il semble que ce roman d’Assia Djebar soit celui d’une possible réconciliation. Et, comme Les Mille et une Nuits, qui en sont un lointain intertexte, Les Nuits de Strasbourg exorcisent par la parole amoureuse un passé de deuil dont la liquidation passe par la langue.

Du frottement des langues au toucher des corps, j’essaierai de montrer d’abord comment l’érotique mise en œuvre est la figure d’un partage fusionnel où s’abolissent les frontières, pour un sujet en quête de son ipséité. Cependant, il y a dans toute langue et, plus encore, dans tout échange inter linguistique, de l’incommunicable. Ce qui ne s’échange pas ici, c’est la parole des morts qui renvoie le sujet à l’idem dans l’évidemment nocturne de son moi. D’où le paradoxe du dénouement à partir duquel je tenterai de formuler, pour ce roman, deux hypothèses de lecture. Mon analyse est donc une sorte de dépli de la métonymie du texte à partir d’une triple problématique : la liquidation du deuil dans la langue, le frottement des corps et des langues dans l’espace fusionnel de la passion, le retour de l’irréductible et l’émaciation du texte-cathédrale.

I-La liquidation du deuil dans la langue

I-1 Langues de l’identité, langue de l’autre

Dans ce roman, l’identité des personnages qui vont se rencontrer à Strasbourg, n’est jamais monolingue et leur plurilinguisme parfois diglossique les renvoie à un passé trouble qu’ils n’ont qu’imparfaitement refoulé.

Ainsi Thelja tient de sa mère son nom arabe lié à un passé tragique, qui signifie « neige », mais elle tient aussi de sa grand mère un autre idiome maternel, le berbère chaoui ; et le français, langue coloniale, s’est superposé à ces deux langues premières. Son amie d’enfance Eve (Hawa) qui a grandi comme elle à Tébessa, est une Juive berbère de langue française. François, lui-même diglossique puisqu’il est alsacien, s’est marié avec une Italienne avant de rencontrer Thelja. Le père de Mina, Ali, est algérien mais sa mère, d’origine marocaine, est partie vivre avec un Français. Jacqueline est française, mais de père allemand. Karl, autre Alsacien, est né à Mostaganem. L’identité la plus confuse reste toutefois celle d’Irma, juive française dont les parents ont disparu dans les camps de concentration. Reniée par sa mère adoptive dont elle porte pourtant le nom, elle tente de vivre aux Etats-Unis avec un Américain ce vide de l’identité et d’en oublier l’énigme avant de revenir en France où elle exerce le métier, ici symbolique, d’orthophoniste.

Car tous ces personnages dont le moi s’est constitué dans les renvois multiples d’une langue à l’autre portent en eux une blessure originelle qui affecte secrètement leur être et qui résulte de la guerre (seconde guerre mondiale sur laquelle s’ouvre le roman ou guerre coloniale). Or Strasbourg, ville frontière multilingue, devient le lieu où cette crispation du moi sur une douleur enfouie va pouvoir se dénouer par la rencontre avec l’Autre qui inverse la relation de haine en relation amoureuse.

I-2 Langue du viol, langue du désir

Pour Thelja, le français est d’abord la langue du viol (problématique que l’on retrouve dans toute l’œuvre d’Assia Djebar [348]). Son père, maquisard du FLN a été exécuté par l’armée française peu avant sa naissance, jeté sans doute d’un hélicoptère. Et c’est obscurément pour tenter d’exorciser ce passé qu’elle accepte de venir passer 9 nuits à Strasbourg avec son amant dont le prénom François désigne sa hantise. Car elle a beau se persuader qu’il n’a rien à voir avec les événements d’Algérie, sans quoi elle n’aurait pu consentir à cette liaison, elle sait qu’il reste la figure douloureuse de son propre clivage : « – France, ô France, dans ce seul mot, y aurait-il ma souffrance ? » (p. 223).

Son désir pour François relève ainsi par certains côtés du syndrome de l’otage et, comme cette résistante algérienne torturée par un officier français qui, inexplicablement, tombe amoureuse de son bourreau, elle obéit à ce cheminement obscur en elle du désir qui retourne en force d’appel, l’énergie destructrice investie par l’imaginaire de la victime dans la figure de l’Autre. C’est donc de l’inversion de la relation de viol que procède ici l’éros et, dans les multiples chorégraphies amoureuses de ces nuits, on notera la position souvent sexuellement dominante de Thelja sur le corps de François :

Les yeux grands ouverts ; elle tomba sur lui, l’écrasa de son corps fragile… (p. 226).

Elle se décida à le chevaucher, à réveiller le désir de son amant. (p. 311).

Pour vaincre ses hantises et exorciser son passé, Thelja tente donc cette expérience extrême qui l’amène à transgresser « l’interdit d’un amour français » (p. 222). La langue haïe devient ainsi langue du désir et Le Serment de Strasbourg entre Charles le Chauve et Louis le Germanique métaphorise cette réconciliation dans la mesure où les frères ennemis scellent, réciproquement, leur traité d’alliance dans la langue de l’autre. C’est Eve qui évoque ce texte, fondateur de la langue française, car elle vit avec Hans la même aventure limite que Thelja. Juive, amoureuse d’un Allemand qui lui apparaît comme « L’Etranger absolu » (p. 112), elle entreprend elle aussi de liquider un deuil identitaire et l’on retrouve à des degrés divers la même tentative dans la relation qui se noue entre Irma et Karl, Aïcha et son époux alsacien, et d’une manière plus implicite, avec Ali comme moyen-terme, entre Djamila et Jacqueline…

II-Le frottement des corps et des langues

Pendant neuf nuits, Thelja va donc explorer avec son amant français tous les possibles érotiques d’un amour vécu comme expérience fusionnelle dans la langue de l’autre. Car l’intensité même de son désir vient de ce qu’il s’énonce en français, comme si elle accédait par là au plus intime de la langue autrefois haïe. Et symétriquement, le désir de François tire sa force du fait que les mots de l’amour, dans sa propre langue, sont dits par l’amante étrangère dont le français, traversé par ces langues inconnues que sont pour lui l’arabe et le berbère, devient le lieu de la caresse de l’autre. Ainsi les mots se transforment en doigts qui palpent et embrasent le corps aimé comme ce nom qui, d’une manière ici performative, désigne la « datte », le fruit d’enfance de Thelja, qu’elle prononce en arabe : « deglet en nour » : « doigt de lumière » (p. 88). Et dans le noir de la chambre, au cœur de la confidence amoureuse, le langage perd sa fonction de communication pour engendrer ce « dialogue tactile » (p. 374) de la caresse, prélude à la jouissance :

(…) ces mots ruissellent sur son cou, lui recouvrent la gorge, enveloppent son épaule qui se penche, ou la ligne de son dos dressé, dans une gestuelle à peine amorcée. (p. 268).

Dans ce toucher des corps sous les doigts des mots, l’enlacement des bouches, l’échange des salives, deviennent, au-delà du jeu érotique, l’investissement du lieu de la parole de l’autre. Comme si tous les organes phonatoires, non seulement les lèvres et la langue mais aussi les dents, marquaient la place où l’autre réside, métonymiquement, dans l’altérité même de l’être du langage. D’où la violence du baiser dont l’avidité mime le combat pour la possession de l’amant dans sa langue :

(…) il allongea le cou, effleura les lèvres – de Thelja qui, presque sur la pointe des pieds, lança toutes ses forces dans la délectation d’un baiser – long, vorace, interminable, humide, juteux, violent et torturé, deux langues se cherchant, se cognant, tentant de s’emmêler, rivalisant… (p. 206).

D’où encore ce désir de mordre et d’être mordu, d’ingérer l’autre dans sa propre buccalité ou de s’y dissoudre dans l’inversion de la succion : « (…) elle s’empara goulûment de sa bouche, s’emplit de sa salive, « bois-moi ou laisse-moi te boire ! » articula-t-elle tout en le dévorant de l’intérieur (…) » (p. 89).

Mais, plus profondément encore dans l’éros, c’est à la possession du sexe de l’autre que renvoie, pour Thelja, la pratique de la langue française comme parole amoureuse. Car, de même que les mots sont des doigts pour la caresse du corps aimé, de même que la bouche où naissent les mots veut être totalement possédée par l’amante, l’écoute de la parole amoureuse dans la langue étrangère redouble le désir de Thelja pour le sexe de François dans cette double altérité (celle de l’homme et du Français) qui la fascine comme une promesse de vertige au cœur même du plaisir :

Y a-t-il, dit-elle au milieu des caresses de l’amant (les doigts de l’amant se promènent sur ses pommettes maintenant, sur son front têtu, ses yeux qu’aussitôt elle ferme, pour sentir son toucher plus longuement), y a-t-il un nœud ou même un sexe de la langue pour chacun de nous ? De la tienne que je te prendrais peu à peu, que je sucerais, son après son, que j’avalerais comme si c’était ton autre semence ? (p. 225)

Dès lors, la jouissance érotique est désignée métaphoriquement par l’isotopie de la liquidité qui, de la salive à la semence, désigne l’interpénétration des corps, avec ces gros plans insistants sur l’orgasme féminin, figure extatique du partage fusionnel qui s’exprime dans les images récurrentes de la houle, de la marée montante, de l’emplissement et de l’engloutissement.

Le vertige de l’altérité qui active ici la tension du désir, s’exerce symétriquement chez François, surtout lorsque Thelja rythme l’acte sexuel en scandant dans sa langue maternelle, l’arabe, l’appellatif inta : « toi ». Ainsi, tout en excitant le désir de l’amant par l’étrangeté de cette scansion qui le désigne dans la langue autre, Thelja jouit elle-même de ce désir qu’elle suscite :

Un mot arabe qui va, qui vient. Le plaisir dans lequel elle ne veut pas se noyer fait vibrer ce mot-oiseau qui frémit, qui s’ébroue, exhale et retient pourtant le désir affolé de l’amante : « ta…inta ». Comme un rythme d’horloge qui peu à peu s’affole. (p. 270)

La fusion totale des deux corps d’amants dans la langue, fait naître le rêve d’une langue mixte, une langue d’avant Babel, excluant toute idée de frontière, une langue adamique qui évoque par certains aspects la « bilangue » que postule Khatibi comme « langue de l’aimance ». En effet, la langue de l’amour, dans le partage fusionnel, perd peu à peu toute origine : « je ne sais plus en quelle langue je te parle » (p. 345) avoue Thelja à son amant. Ce n’est plus ni le dialecte maternel, ni celui d’Oran qui l’unissait à son époux, ni le français intellectuel qu’elle utilise pour ses recherches. La langue d’amour est ce vertige du désir que les deux langues ont creusé l’une dans l’autre en se décollant de leur origine séparée, pour devenir ce lieu de rencontre dont le symbole serait ce mot : ALSAGERIE (Alsace/Algérie) qu’invente Thelja. Et même si par sa prononciation le mot renvoie les amants à leur différence (« Elzadjerie » pour Thelja, avec le Z qui dans « zina » désigne l’accouplement, « Alssagérie » pour François avec la douceur du S sifflé), la nature composite de ce nouveau lexème, en fusionnant les deux langues dans la parole amoureuse, exprime la caresse des deux peaux l’un sur l’autre, le doigt sur la lèvre, comme le toucher même du mot d’une langue à l’autre : « Alsagérie » : palpe mes lèvres quand je redirai ce mot qui nous résume… Tes doigts me connaissent, me regardent ! » (p. 374).

Ce frottement des langues qui se caressent et se pénètrent dans l’échange érotique, inversant le passé de haine en présent amoureux, se retrouve chez Hans et Eve. Et si Eve en se donnant totalement à son amant germanique se retrouve « en enfer » pour la mémoire, « en paradis » pour la volupté » (p. 70), Hans, l’Allemand d’Heidelberg apprend pour elle le Français et le dialecte arabe, de sorte que peu à peu, ce lien érotico-linguistique avec l’ennemi d’hier dénoue le deuil identitaire.

III-L’irréductible dans la langue

Mais l’espace fusionnel ouvert par l’érotique des langues se referme, pour Thelja, avec la 9ème nuit, terme qu’elle a fixé à sa liaison avec François. C’est donc sur une énigme que le roman s’achève, en renvoyant Thelja – « neige brûlante » – à son altérité nocturne puisque lorsqu’elle revient à Strasbourg, après avoir quitté son amant, c’est pour n’y sortir que la nuit, être de l’ombre vouée désormais à l’incommunicable.

III-1 Les points aveugles de l’échange

Le travail du deuil pour Thelja est-il impossible, contrairement à ce qui se passe pour Eve ou pour Irma ? Son être, qu’elle croyait pouvoir libérer de ses hantises en forçant, amoureusement, la langue de l’autre, est-il irrémédiablement détruit comme le livre de cette jeune abbesse du XIIème siècle, Herrade de Lansberg, brûlé dans les bombardements de 1870, dont il ne reste que des copies ? L’original, en elle, s’est-il irrémédiablement perdu dans le brouillage des langues et des signes ?

Telle est la question qui souterrainement travaille sa relation avec François. « Où se tapit la langue, dans tout cela ? » (p. 227) se demande-t-elle, lorsqu’au terme d’une nuit d’amour elle se souvient qu’elle l’avait désiré « lui, l’homme français, mais dans un parler ensauvagé de l’autre bout de la terre ! » (p. 227).

En fait, dans la langue commune, langue adamique illuminée par le désir et la fusion des corps, quelque chose reste irréductible à l’échange et au partage. Dans le passage d’une langue à l’autre, même vécu amoureusement, il y a de l’intraduisible. Ces points aveugles de l’échange apparaissent comme autant de blessures laissées par la langue de l’autre, chez Mina, par exemple, qui refuse de communiquer autrement qu’en alsacien ou en dialecte marocain, sa langue maternelle, comme pour y retrouver celle qui l’a abandonnée en partant avec un Français. Eve, malgré l’authenticité de son amour pour Hans refuse elle aussi de parler l’allemand qu’elle a pourtant appris au lycée, par défi. Bien plus, le simple fait d’entendre son amant la qualifier, en français, de « bonne mère juive », provoque en elle une forte réaction d’agressivité. Elle le gifle. Et c’est lui, qui, en anglais, pour désamorcer la tension dans une langue neutre, tend ironiquement l’autre joue. Enfin, dans la relation passionnelle entre Jacqueline et Ali, père algérien de Mina, quelque chose de la violence passée revient dans l’ambivalence du désir d’altérité, qui aboutit au viol et au meurtre de Jacqueline.

III-2 L’altérité irréductible et l’absolu du désir

Par ailleurs, le plurilinguisme diglossique des personnages fait que leur français commun héberge une autre langue avec son altérité irréductible. Il arrive ainsi à Thelja de laisser échapper dans l’étreinte amoureuse des mots que François ne comprend pas : de l’arabe ou du berbère chaoui, il ne peut le dire… (p. 120). Inversement dans les souvenirs d’enfance de François reviennent des mots alsaciens dont le sens reste énigmatique pour Thelja…(p. 133) On pourrait multiplier les exemples. Après l’amour, Hans murmure à l’oreille d’Eve quelques vers d’un poète allemand : « Qu’est-ce que tu dis là ? chuchote-t-elle (…) – Rien, ne parle pas… » (p. 165).

Ainsi, au plus profond de l’étreinte ce qui remonte du moi originel, du moi de l’enfance, relève de l’intraduisible pour l’autre. Sous le français commun, travaille, de part et d’autre, la langue maternelle qui ne s’échange pas et qui nourrit cette langue intime de l’être : langue des morts, langue de l’inconscient par où s’énoncent la blessure et le fantasme. De sorte que malgré le dialogue amoureux de la confidence, les imaginaires ne peuvent totalement se rencontrer.

Ainsi Thelja est-elle prise au paradoxe de l’altérité. Après avoir investi la langue de l’autre comme lieu extrême du désir, inversant, en relation d’amour, la relation de haine, elle découvre les limites de cette expérience fusionnelle où les frontières entre le moi et l’autre s’abolissent. En effet, par une sorte de choc en retour, sa propre altérité incommunicable à l’amant rencontre l’altérité de François sous la langue même du partage. D’où cette réponse qu’elle fait à Eve en écoutant une chanson de melhoun « Un étranger ? c’est-à-dire quelqu’un que je ne pourrai aimer ainsi, au creux de cette beauté de ma langue d’enfance. » (p. 107).

Le français que partagent Thelja et François est habité par des fantômes tragiques du passé, qui les renvoient à leur identité séparée. C’est pourquoi dans l’absolu même de son désir, Thelja rêve de déplacer l’érotique au-delà des langues, dans cette rencontre muette des corps débarrassés du verbe où l’inconscient même de la langue dans laquelle parlent les morts n’est plus un obstacle à la connaissance mutuelle :

-Tu ne parlerais aucune des langues que je comprends. Et je t’aimerais d’emblée tout autant !(…).

Nous aimer ainsi, deux corps sourds et comme je désire habiter ce corps d’homme tellement étranger, parlant un idiome que je ne comprendrai jamais… Ainsi, au cœur du désert des mots, nous pourrions nous entrecroiser, nous pénétrer, nous déchirer même, surtout nous connaître !… (p. 226).

III-3 La cathédrale

Le dernier mot que Thelja écrit à François pour lui fixer un ultime rendez-vous est signé en arabe, symptôme de ce retour à l’identité qui sépare. Et dans la nuit strasbourgeoise qu’elle hante, elle devient cette étrangère au-delà de la langue, comme dans son rêve avec François, mais solitaire, nocturne, muette. Surprise par Irma, alors que le jour se lève elle tente une explication : « Ce matin, je ne sais pourquoi, des ombres absentes m’ont tourmentée. » (p. 399).

Ces ombres qui, comme les vampires de la nuit, la ramènent à son passé, dans la séparation, opèrent en elle une sorte d’évidement mystique et c’est rejetée dans une étrangeté absolue qu’elle accomplit son dernier acte symbolique. Elle gravit dans un vertige ultime la flèche de la cathédrale de Strasbourg et le cri extatique qu’elle jette face au vide est un double cri de jouissance et de mort.

Cette clausule allégorique referme le roman sur une énigme. On peut y lire l’aveu d’un échec. L’érotique des langues qui rend possible la réconciliation dans la caresse amoureuse n’est-elle qu’un leurre ? Y a-t-il une autre langue sous la langue dans laquelle saignent indéfiniment les blessures de l’imaginaire et ce « poudroiement » de la neige qui nomme l’épilogue n’est-il que le fantasme mortel du vide qui fascine l’être blessé ?

Ou faut-il voir dans cette ascension allégorique de la cathédrale, jusqu’au sommet de la flèche phallique, un ultime défi de l’éros ? Lorsqu’elle quitte François au terme des 9 nuits qu’elle s’est fixée, c’est d’un être individuel que Thelja se délivre, ayant bu le « jus de sa langue » jusqu’à l’extase fusionnelle (p. 227). Revenue secrètement à Strasbourg, elle est attirée mystérieusement par la cathédrale à laquelle, au cours d’une promenade avec François, elle n’a pu accéder. Ainsi, la cathédrale, dans son imaginaire, devient-elle la représentation de l’Autre, mais collectivement cette fois, la France du Serment de Strasbourg et de l’abbesse Herrade. Mais cette figure de l’Autre est une figure hostile, interdite, qui renoue avec les hantises du passé (le sanctuaire religieux désignant une composante essentielle de l’identité collective). D’où le scénario final dont la symbolique est de l’ordre du fantasme. En inversant l’ordre du viol, dans le retournement de la chute du père, Thelja se fait l’amante de la cathédrale au sommet de laquelle elle s’abîme dans un poudroiement extatique.

Cette séquence symbolique fonctionne donc comme un scénario de réparation qui de François à la flèche de la cathédrale renverse l’ordre du viol. C’est, en effet, sur cette clausule en forme d’apothéose que culmine le récit linéaire construit selon un procès d’adjonction qui superpose 9 nuits, 9 étant un chiffre parfait – le chiffre du carré magique –. En ce sens, ce dénouement énigmatique constitue lui-même la flèche d’un récit à l’architecture monumentaire qui s’édifie comme un hymne à l’érotisme, avec cet évidemment final et mystique du texte-cathédrale…

Conclusion

C’est donc un roman particulièrement original qu’Assia Djebar nous donne à lire avec Les Nuits de Strasbourg. Roman érotique, où le plaisir féminin est évoqué avec beaucoup de sensibilité et une rare acuité – ce qui, en soi, est déjà subversif – mais surtout roman de la langue et, au-delà, roman de l’être.

Entre le mythe de la langue adamique qui dans l’amour fusionnel abolit toute frontière et le clivage identitaire qui fait de la langue le lieu d’un rapport névrotique à l’autre, ce récit nous rappelle que dans le langage amoureux comme dans les ruptures de l’histoire nous sommes d’abord constitués par les langues qui nous habitent.


La lumière de soi
(La figure de l’auteur chez Assia Djebar)

Hassan WAHBI,
Université d’Agadir

Aucune chose ne soit, là où le mot faillit.
(Stefan George)

Le Seuil franchi

Il faut commencer d’abord par une banalité précieuse et combien inactuelle : un bon auteur est un auteur vivant. Sa vie est là dans l’anamorphose de l’œuvre où il est à la fois hors de lui-même et tel qu’en lui-même modifié par ce qui le porte : sa propre histoire des signes, sa propre histoire d’écriture, sa propre histoire du temps.

Le sujet écrivain devient l’histoire de lui-même dans l’acte de penser et de raconter le destin de son altérité d’écrivain et de sujet de l’Histoire parce qu’il y a toujours en fait séparation de soi à soi, de soi à l’autre.

Ce qu’on remarque dans les derniers textes d’Assia Djebar – et c’est alors l’objet de notre réflexion –, c’est que le travail autour de la figure de l’auteur et de la question du moi dans l’écriture, est une exigence littéraire de plus, dans la mesure où précisément, il est lieu de désir, de vérité et de métaphore ; autrement-dit, il est l’objet de thématisation et de l’action continue de l’écriture dans l’écriture. L’auteur littéraire est effet de l’écriture et chant nécessaire d’une singularité déployée à même le mouvement de reconnaissance de la parole : parole donnée par devers soi, dans la lumière de soi. Le déploiement passe par ce que l’auteur fait de lui-même, l’idée qu’il a de lui-même en écrivant à la croisée des genres, dans la proximité contradictoire de la conscience créatrice et du passage à un corps médian, à une histoire médiane qui lui sont accordés comme un don par le fait même de vivre différemment la littérature.

L’écrivain comme personne abstraite entreprend de se déterminer lui-même dans une série de figures différentes comme dans Vaste est la prison ou par des lieux de reconversion de l’Histoire et de « la géographie étrange » [349] comme dans Les Nuits de Strasbourg ou par tout un travail sur la généalogie du corps, des prises, des emprises et des amours dans L’Amour, la Fantasia. L’écrivain devient un trope, le trope de lui-même. Dans ce sens son œuvre est vivante et signifiante par le romanesque et par l’incarnation romanesque (ou auto fictionnelle) du corps de l’écrivain.

Il existe chez Assia Djebar un paradoxe dans la relation à l’écriture comme scène de représentation : par son travail, il y a de plus en plus formation d’un territoire personnel où ce qui se tait ou a l’apparence du silence, dans la fiction ou la pratique professionnelle de l’écriture, émerge, parle et perle, remonte à la surface, s’érige comme réalité seconde et part incontournable de sa propre histoire.

Le dedans de la parole

A l’origine, il y a l’effacement, l’imprenable, l’étrangeté de la lettre, le renversement du miroir [350], le dépouillement de soi : lettres et langues croisées, le corps féminin de l’écrivain cherche l’habitation ; hors à la fois les biffures et l’emphase [351] mais dans l’attention grave que filtre les mots écrits [352] et dans le « silence inépuisable » [353] de la mémoire à soi.

A l’origine, il y a cela : le sort de l’écrivain est dans l’ironie de l’histoire et les mots de transhumance. Comme chez Khatibi, on relève chez Assia Djebar le travail du silence d’une langue à l’autre et la formidable adaptation amoureuse à sa propre force ouverte, à l’aimance comme chance et embrasure dans la langue de connaissance, dans le réveil de la voix que permet l’écriture. Le point commun – parmi d’autres – avec l’aimance, c’est ce désir de reconstruction du principe de la relation comme éthique de la contradiction : attachement, détachement. Ceci engage l’écrivain, fait avancer son corps [354] entre deux langues, deux mémoires : haut exercice de « l'autobiographie dans la langue » [355] contradictoire.

Que cherche l’écrivain « alourdi par l'héritage qui l'encombre » ?[356] Peut-être la transparence, la lumière de la coïncidence entre la fiction et l’autobiographie ou peut-être tout simplement dans le champ de la dispersion, retrouver le fil intime : La conversion de l’être historique en être symbolique par l’écriture qui est souverainement atopique, par la langue sans lieu d’origine [357] parce qu’elle fait circuler le désir et non la domination. Si l’histoire dit : qui est tu ? l’écriture demande : qu’est ce que tu deviens ? Il y a chez Assia Djebar une certaine forme exaltée du devenir dans les mots : ce qui tient en échec les arrogances de l'histoire et de la morale [358] (ce que l'auteur appelle le « voile symbolique »). Le corps est articulé non sur le savoir mais sur la langue (comme chez Bataille). Cela, on ne va pas l’expliquer ici. Par contre, on insiste bien sur ce « dedans de la parole » comme demeure, comme habitation, comme séjour ultime où se déploie le sujet :

« Dans la brillance de ce désert-là, dans le retrait de l'écriture en quête d'une langue hors les langues, en s'appliquant à effacer ardemment en soi toutes les fureurs de l'auto dévoration collective, retrouver un « dedans de la parole » qui, seul, demeure notre patrie féconde » [359].

Et ce qui importe encore ici, c’est la langue comme « route charnelle » [360] de l’expression et de la ramification de l’identité littéraire libérée des sophismes des lieux et de la vie des masques : c’est le fondement d’une géographie des corps non rompus par la violence et l’inconnaissance. Même si les diglossies sont devenues immensément anthropologiques, il y a encore la possibilité d’être les « amants du devenir ». « La patrie féconde », c’est justement la volonté de « former une vie universelle de liens réciproques » [361].

Qu’apprenons-nous quand l’écrivain questionne son appartenance ainsi ? Que questionner ainsi est le propre même de l’écrivain qui cherche le fondement de sa parole par la parole. Mais cette affirmation délibérée est en même temps mise au défi car dans le voisinage des mots écrits, il y a de vieux et lourds silences comme menace sur la mise en chemin de la parole de l’écrivain. Il y a un chemin parce que la parole n’est pas uniquement aptitude mais direction et cheminement : aucune possession de la parole n’est assurée [362]. Ecrire, c’est répéter la promesse de l’écriture. Et pour un écrivain femme maghrébin, cela a d’autant plus de poids que l’activité créative est dédoublée de sa propre possibilité ou impossibilité. Et c’est même peut-être l’une des grandes beautés de cette littérature dite de langue française qui germe, pour parler comme Dib sur « les irrégularités de la pensée et du langage » [363].

Ecrire, entendre, réentendre [364] voilà le devoir de langue. L’écrivain est ici un entendant, un voyant [365] « De ce qu'il a vu et entendu, l'écrivain revient les yeux rouges, les tympans percés. Quelle santé suffirait à libérer la vie partout où elle est emprisonnée par et dans l'homme » [366]. Le moment du franchissement du seuil, c’est le moment de la découverte de la loi humaine qui substitue à un passé un devenir, au secret et au silence, l’esprit du corps abandonné au sens. Il est remarquable de voir Assia Djebar s’inscrire dans le désir de présence. On se gardera de s’engouffrer dans le problème passionnant de la contiguïté des destins à l’intérieur de l’œuvre. Allons au plus court pour dire l’exemplarité des dédoublements de la figure de l’écrivain dans la parole, au-dedans de la parole, par le pacte du moi avec le langage, l’alliance par laquelle la femme se fait verbe.

Le corps de l’écrivain

Mais après tout qu’est ce que cela a à voir avec la figure de l’écrivain ? Plus que nous ne pouvons dire aujourd’hui. Le pouvoir de persuasion de l’écrivain à représenter une forme de la vie de l’écriture est évident dans Vaste est la prison, au point qu’on peut être surpris de voir le texte commencer par la correspondance de l’acte d’écrire avec l’acte de mourir ou de s’enfuir :

« Longtemps, j'ai cru qu'écrire c'était mourir, mourir lentement. De plier à tâtons un linceul de sable ou de soi sur ce que l'on a connu piaffant, palpitant » [367]

« Longtemps, j'ai cru qu'écrire c'était s'enfuir, ou tout moins se précipiter sous ce ciel immense, dans la poussière du chemin, au pieds de la dune friable… » [368]

Cette référence à un vécu de langue ne se présente pas comme « une machine sophistiquée » ou « une exaltation du geste d’écrire » permettant à l’auteur de jouer des airs de métatextualité, ou de parler boutique, c’est plus sérieux que cela : ce qui se profile derrière cette correspondance, c’est bien l’implication de la mémoire dans l’acte de témoignage de la source de la fiction, ou du passage du « vivant » à la chose.

Il est question de l’inauguration d’un lieu où le sujet écrivant est en discursivité problématique. C’est la manifestation d’une pensée en mouvement qui rappelle le principe de l’autogenèse et le jeu complexe de l’édification d’une figure de l’écrivain dans la durée qui inclut l’équivalence de l’écriture et de la mémoire :

« (…) longtemps (…), écrivant, je me remémorais » [369].

« (…) l'éclat de rire-gelé, le début de sanglot – je « pétrifié (…) la trace vive se dilue » [370].

Dur silence de cette main qui court derrière des trésors muets du passé. Cette première indication est en fait une préparation de l’esprit du texte et de la prééminence de la voix qui au fil des mots crée une chaîne d’identification, de « prolifération du sens » ou de postulations autour d’une subjectivité comme actes de langages : corps, altérité, aimantation, références spécifiques, historicité, tissage autour de l’affect maghrébin féminin, expérience de la passion. Ce principe d’historicité de la subjectivité se résume dans le désir de « trouver dans les mots la puissance de vie qui les fait énoncer » [371]; et cela est évident dès les premiers mots du texte – annoncé comme roman – où l’écriture est liée à son propre visible :

« Ecrire sur le passé, les pieds empêtrés dans un tapis de prière… ».

« (…) comment frayer un étroit corridor dans la tendresse noire et chaude, dont les secrets luisent, et les mots rutilants s’amoncellent ? » [372]

Il s’agit du mouvement même de l’intérêt du corps, de la propre matérialité de la présence de la narratrice qui perçoit le monde « irisé d'un éclairage vierge » [373] en se percevant elle-même comme enfin « visible » [374] comme dans une « brusque reviviscence » [375]. Ce sentiment de renaissance dans son enracinement « auto-réflexif » fait basculer les choses du côté des mots, du côté du regard qui voit le monde comme révélation pensée par l’écriture. Le monde ne lui vient pas sous la forme d’un objet, mais d’une écriture des objets, d’un sentiment d’être au milieu des phénomènes, libérée des pesanteurs et des atavismes :

« Réveillée, heureuse à cinq heures de l'après-midi. Réveillée, lavée, surgie comme d'une longue maladie. Un creux de l'azur m'enveloppe, un suspens de l'air. La fenêtre en face reste immuable ; derrière, l'escalier de pierre et son jasmin, et ses roses. Le chien revient, je l'entends à nouveau… la vie continue, distante, le monde s'immobilise, frémit comme un être invisible et géant avant de se statufier : j'écarquille les yeux. Une béance de l'atmosphère se creuse autour de moi ; je suis toujours assise, encore étourdie. La strie d'une poussière dorée scintille en biais devant les volets baissés. S'installe un gel concerté des choses.

Puis la vie repart en flux ; glissando. Il me semble saisir sa trame, la palpitation d’un cœur secret, gorgé d’ombre… Il y a eu cet arrêt bref pour revivre ! Réveillée, me voici ressuscitée, corps intact, sereine, à cinq heures de l’après-midi » [376].

La cristallisation du moi cherche aussi à « trouver dans le visible le signe de l'invisible » [377] derrière la lettre, l’esprit de la lettre, au-delà des mots tracés, un livre intérieur en forme d’herméneutique du monde et de réparation d’une vie antécédente. Le silence de l’écriture dont parle l’auteur dans ses débats avec le passé, c’est en fait l’éloquence du témoignage qui fait correspondre les paroles proférées aux vérités muettes de la face des choses, de la face de l’intraitable (comme l’amour vécu). Il s’agit d’un art emblématique qui prend en charge des fragments du récit général possible avec le souci de mémoire, le souci des stèles, le souci de restitution. Dans ce sens l’écriture narrative se trouve d’autres alibis que l’auto fiction, c’est d’affleurer la mémoire, ses images et ses mirages ; revisiter les lieux : cela donne un roman mémoriel ; un roman de résistance à l’oubli de soi-même ; retenir encore les événements et les choses comme si l’écriture était énergie de vie et de survie, foyer lumineux de son propre orphisme :

« (…) (il n'y a en moi nul désir de fiction, nulle poussée d'une arabesque inépuisable déployant un récit amoureux) – non, ne m'enserre que la peur paralysante ou l'effroi véritable de voir cette fracture de ma vie disparaître irrémédiablement : si par hasard je deviens soudain amnésique, si demain je suis renversée par une voiture, si j'agonise sans préparation un prochain matin ! Vite tout transcrire, me rappeler le dérisoire et l’ essentiel, dans l'ordre et le désordre, mais laisser trace pour dix ans encore… dix ans après mon propre oubli. » 30

Comme on le voit, il s’agit ici du fonctionnement de la mémoire comme écriture et de l’écriture comme mémoire : les mots à même la trame des vies, faisant craquer la chape du passé du narrateur-écrivain ; pour trancher les choses, ramener l’image à la réalité, l’amour à son exactitude factuelle, le passé à une gestion de traces [378] Le travail de l’écrivain relève d’un espace-temps particulier où le type de mémoire considérée correspond au cheminement d’un corps qui raconte ses conflits dans la présence, qui raconte son vitalisme dans « la richesse de l'absence » [379]; tout en prenant en charge – en discontinuité – une saga de fondation autour des langues secrètes primitives du Maghreb, désireuse de donner sens à l’exil de soi, au « goût des passages », à la visibilité du moi féminin. L’enjeu, cependant, représente à mes yeux, beaucoup plus que cela : le paradigme de l’écrivain -ou de l’écriture- contribue à rendre intelligible la transmission : de « l'humble narratrice d'aujourd'hui » [380] à ce qui dans le passé est à la fois écriture et effacement 35,, alphabet et ensevelissement, corps de langue et illisibilité. Tout cela pour arriver à ceci : toute langue est captive d’un secret, de sa propre ombre. Tout don de langue comme don de liberté est en lui-même tribut de silence et de l’inquiétante familiarité de soi :

« Fugitive et ne le sachant pas » ; ou ne le sachant pas encore. Du moins jusqu’à cet instant précis où je relate ces allées et venues de femmes fuyantes du passé lointain ou récent…A l’instant où je prends conscience de ma condition permanente de fugitive – j'ajouterai même : d’enracinée dans la fuite –, justement parce que j’écris et pour que j’écrive ».

J'écris dans l'ombre de ma mère revenue de ses voyages de temps de guerre, moi, poursuivant les miens dans cette paix obscure faite de sourde guerre intérieure, de divisions internes, de désordres et de houle de ma terre natale.

J’écris pour me frayer mon chemin secret, et dans la langue des corsaires français qui, dans le récit du Captif, dépouillèrent Zoraidé de sa robe endiamantée, oui, c’est dans la langue dite « étrangère » que je deviens de plus en plus transfuge. Telle Zoraidé, la dépouillée. Ayant perdu comme elle ma richesse du départ, dans mon cas, celle de l’héritage maternel, et ayant gagné quoi, sinon la simple mobilité du corps dénudé, sinon la liberté.

Fugitive donc, et ne le sachant pas. Car, de trop le savoir, je me tairais et l’encre de mon écriture, trop vite, sécherait » 36.

Ecrire pour « retrouver le chant profond » 37, frayer un chemin, cela n’est pas acte gratuit : cela représente une poétique d’existence, une poétique du visible et de l’invisible, du dicible et de l’indicible : « (…) tenter de voir par le regard intérieur, voir l'essence, les structures, l'envol sous la matière » 38. Ce qui s’identifie, ici, c’est à la fois la mémoire et la généalogie de la narratrice, le deuil et l’amorce d’un travail de réappropriation, d’où les portraits de la narratrice en enfant, en adolescente, en dame aux caméras, en mémorialiste. Le romanesque – à partir de l’identité de l’écrivain – fait émerger un ensemble d’états et d’étapes, un infra-savoir à travers lesquels s’éprouvent et s’affirment des identités oubliées, des archives silencieuses, des raisons de vivre ou de désaimer, des raisons de connaissance, des constellations natales. Mais en réalité, il ne s’agit pas uniquement de témoignage mais du risque même de la délégation incarnée :

« Ma bouche ouverte expulse indéfiniment la souffrance des autres » 39.

« Je ne crie pas, je suis le cri tendu dans un vol vibrant et aveugle ; la procession blanche des aïeules-fantômes derrière moi devient armée qui me propulse, se lèvent les mots de la langue perdue… » 40

Et justement le texte finit sur une hyperbolisation de la délégation ou de la réincarnation du désir de l’écriture des morts dans le présent, avec une interrogation ô combien pesante de vérité et de gravité : comment écrire dans la souillure de l’histoire, dans la malédiction d’aimer, dans ce dedans-dehors de l’écriture même ? L’interrogation a sa réponse en elle-même car le comment est dans le faire de la langue qui a un caractère actif. Au fait toute écriture est sous-entendue par une intention émotionnelle de la valeur, de tout un poids axiologique que l’interrogation de l’écrivain permet d’introduire dans l’instance de la parole, dans la création même plongée dans le temps du vivant pour rapprocher le corps irrémédiablement orphique des mots, de la violence des choses et d’une généalogie spectrale.

L’interrogation sur l’écriture ou exactement sur le sang de l’écriture est un surplus de signature 41, plus particulièrement nous sommes en face d’un contrat éthique autour de la possibilité d’écrire et du parti pris des mots :

« Ecrire pour cerner la poursuite inlassable » 42.

« Ecrire certes même un roman… »

« Les morts qu'on croit absents se muent en témoins qui à travers nous, désirent écrire. Ecrire, les morts d'aujourd'hui désirent écrire : or, avec le sang, comment écrire » 43.

Cela s’accomplit au prix d’une volonté troublante et troublée par la loi de l’écriture. Cette volonté serait précisément la règle de la continuité : même si le chant est blessé, il est cette part de lumière selon laquelle se disposent mémoire et écriture. La nuit n’est en fait que la simulation du jour. La remontée à partir des signes n’est rien d’autre que l’expérience sensible de l’écrivain maghrébin du « jeu insensé d'écrire » (Mallarmé) dans l’irrémédiable, dans l’inconsolation et la découverte des conditions de l’expérience qui ne peut s’affranchir de l’ordre du temps et de la lancinance de la nomination :

« Oui comment te nommer, Algérie » 44.

Le problème de la nomination est le problème central du livre : comment nommer l’innommable ; comment nommer l’amour, l’« aimé » ; comment nommer le corps des femmes sous l’aile menaçante de ce qui arrive ; comment nommer dans la joie de l’alphabet pluriel (de l’enfance aux savoirs poétiques de l’écrivain 45) ; comment nommer les dispositifs de la mémoire devant tant de discontinuité, tant de silence, tant de langues coupées…

« Et pourtant, « Fugitive et ne le sachant pas », me suis-je nommée dans ton sillage. (…). Fugitive et le sachant, désormais. La trace de toute migration est envol. Rapt sans ravisseur. Ligne et horizon inépuisable. S’efface en moi chaque point de départ. Disparaît l’origine même recommencée »

Celle qui écrit, ici, est vouée à nommer, à écrire par fidélité aux ruines et par résolution d’atteindre son « Grand Midi », cet œil de voyance. Celle qui écrit est celle qui voit et ceci par l’association finale du cri, de l’écrit et de l’œil :

« Je ne te nomme pas mère, Algérie amère que j'écris, que je crie, oui, avec ce « e » de l’œil, l’œil qui, dans la langue de nos femmes, est fontaine. Ton œil en moi, je te fuis, je t’oublie » 47.

Le regard s’affirme comme agent de révélation du visible et de la mémoire. L’écrivain a affaire à l’espace réceptif du pays natal d’où la recherche d’un rapport de captation, d’imprégnation avec le réel par l’œil et par la parole comme matrice subjective. La vérité est donc dans le regard plein de vertiges et d’échanges, de jeu de sens. On lira avec plaisir l’éloge suivant du regard :

« Au cours de ces mois de tâtonnements, à la suite de mon personnage, j'apprenais que le regard sur le dehors est en même temps retour à la mémoire, à soi-même enfant, aux murmures d'avant, à l’œil intérieur, immobile sur l'histoire jusque-là cachée, un regard nimbé de sons vagues, de mots inaudibles et de musiques mélangées… Ce regard réflexif sur le passé pouvait susciter une dynamique pour une quête sur le présent, sur un avenir à la porte.

Apprendre à voir, je l’ai découvert, c’est se ressouvenir certes, c’est fermer les yeux pour réécouter les chuchotements d’avant, la tendresse murmurante d’avant, c’est rechercher les ombres qu’on croit mortes… Puis, dans la lumière délavée, ouvrir les yeux, interroger ardemment du regard, poser celui-ci, transparent et discret, devant l’inconnu… » 48

Le regard est manière d’appel ou d’ancrage ; une manière pour l’écrivain de mettre dans ses narrations la présence obstinée du corps regardant, sans estomper ses traits charnels et l’intimité de l’acte d’écrire. L’introduction pratique et efficace de la figure de l’écrivain permet de constituer le répertoire imaginaire et de définir par le présent du corps et du regard ce qui du passé incorporé dans cet imaginaire peut être remonté. L’acte d’écrire devient un schème d’actualisation et d’assimilation des éléments sélectifs de la mémoire, mais une mémoire toute tendue vers l’avenir. Ecrire se trouve lié immanquablement à l’écart qu’il implique. L’écriture, en dépit du sang de l’écriture, se déploie, se replie et se redéploie comme un natif recommencement. Ici dans le récit se joue l’avenir de la littérature et du sujet par lequel elle passe et s’accorde. Vaste est la prison raconte et parle de l’œuvre et de la vie à laquelle l’œuvre est liée ; une vie autre, différente qui s’impose comme l’ultime chemin de l’identité de soi, démêlant le chaos du passé et du présent, revivifiant la généalogie des écritures. Certes au Maghreb on ne naît pas écrivain-femme, on le devient, indéfiniment… jusqu’à l’épuisement des nuits farouches : il ne reste que la main qui trace, le cœur qui vit et l’œil qui voit. Que fait l’écrivain, ici, sinon déposer à même la blancheur sa propre nomination, sa parole destinée, son corps dévisagé, son propre éloignement : Orphée est sans nul doute aussi maghrébin, féminin.

Bibliographie

BARTHES Roland, Le Bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984.

BUBER, Martin, Je et Tu, Paris, Aubier, 1992.

DELEUZE, Gilles, Critique et Clinique, Paris, Seuil, 1993.

DIB, Mohammed, L’Arbre à dires, Paris Albin Michel, 1998.

DJEBAR Assia, Les Nuits de Strasbourg, Montpellier, Actes-Sud, 1997.

_____________, L’Amour, La Fantasia, Rééd. : Casablanca, Eddif, 1992.

_____________, Le Blanc de l’Algérie, Paris, Albin Michel, 1995.

_____________, Vaste est la prison, Paris, Albin Michel, 1995.

HEIDEGGER, Martin, Acheminement vers la parole, Paris, Tel, Gallimard, 1996.

KAMUF, Peggy, Signatures ou l’institution de l’auteur, Paris, Galilée, 1991.

RANCIERE, Jacques, La Parole muette, Paris, Hachette, 1998.

ROBIN, Régine, Le Roman mémoriel, Montréal, Le préambule, 1989.

STAROBINSKI, Jean, « La littérature et la beauté du monde », Diogène, Paris, n° 160, 1992.


Résumés

Mina AÏT’MBARK : Voix féminines multiples dans « Oran, langue morte » d’Assia Djebar : représentation d’une (re)conquête de l’espace par les femmes.

L’œuvre d’Assia Djebar met en exergue un point de vue féminin de la réalité qu’elle décrit dans ses textes. Plus que tout autre texte, Oran, langue morte (1977) tente de recouvrer cette perspective féminine à un nouveau moment douloureux de l’histoire de l’Algérie.

La multiplicité des voix féminines et de leur point de vue affirme, dans ce recueil de nouvelles, une identité possible et une liberté d’action pour les femmes qui leur ouvrent de nouveaux espaces.

Mots-clés :

Femmes, espace, langue, voix, violence.

Mehana AMRANI : Trajectoire d’un pays. Trajectoire d’une écriture. Itinéraires croisés. Le cas de Rachid Mimouni.

A travers un regard lucide et sans complaisance, l’œuvre de Rachid Mimouni fouille minutieusement l’évolution de la société algérienne, interrogée à travers quatre moments historiques : la guerre de libération, les lendemains de l’indépendance qui commencent déjà à déchanter, les dérives répressives des années 70-80 et enfin la descente aux enfers à l’orée des années 90. Au contact de cette trajectoire du pays, l’écriture s’est elle-même transformée. Au son ténu des premiers romans succède une tonalité acerbe, violente, qui sied parfaitement à la littérature de la contestation et du désenchantement. Du reste, Mimouni souscrivait entièrement à ce vérisme littéraire de la révolte.

Mots-clés :

Désenchantement, mort, mythe personnel, témoignage, dénonciation.

Richard AYOUN : Séfaradité algérienne dans l’œuvre  d’Albert Bensoussan

Albert Bensoussan, universitaire et écrivain, inscrit presque la totalité de son œuvre dans l’Algérie de son enfance où il est né en 1935 à Alger, au sein d’une famille originaire de la région de Tlemcen. Comme tous les Juifs d’Algérie, il a une multiple appartenance. La fidélité au monde séfarade est une constante dans les récits, les romans, les chroniques littéraires ou les textes de conférences d’Albert Bensoussan. Cette Espagne juive médiévale est une époque prestigieuse où il existe une longue interaction des Juifs avec les Chrétiens et les Musulmans. Il en ressort une même littérature diasporique dans L’Échelle de Mesrod. Albert Bensoussan, dépositaire de l’héritage des expulsés de 1492, évoque le témoignage de l’enracinement des siens dans l’Espagne juive. Il veut récupérer, dans l’histoire de sa diaspora, la mémoire de tous ceux qui, comme Yucef Abenxuxen, ont contribué au prestige de la culture séfarade.

Mots-clés :

Séfarade, Algérie, Juif, Maghreb, France.

Nicole BUFFARD-O’SHEA : Ecrivaines de l'im/émigration, écrivaines algériennes : écritures politiques.

Cette analyse textuelle des textes de Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite, Farida Belghoul, Georgette !, et Tassadit Imache, Je veux rentrer, cherche à démontrer comment les trois écrivaines se réapproprient momentanément le pouvoir détenu par les discours dominants suivants : le discours orientaliste, français ou algérien, le discours grammairien ou linguistique, le discours académique.

Mots-clés :

Métaphore, écriture, politique, pouvoir, réappropriation.

Beate BURTSHER-BECHTER : Roman blanc, écrit(ure) noir(e) : Les Agneaux du Seigneur de Yasmina Khadra.

Après cinq romans noirs, Yasmina Khadra a publié en 1998 son premier « roman blanc », comme l'auteur désigne lui-même son œuvre Les Agneaux du Seigneur. Pourtant, au niveau du contenu et de l'écriture, ce roman paraît plus noir que les œuvres précédentes de l'auteur. Après une analyse de l' « écrit(ure) noir(e) » de Yasmina Khadra dans Les Agneaux du Seigneur, l'étude montre dans quelle mesure celle-ci peut aussi être désignée comme « écriture blanche » telle que Roland Barthes la définit dans Le Degré zéro de l'écriture.

Mots-clés :

Khadra, écriture blanche, Barthes, littérature algérienne.

Robert ELBAZ : Les Nuits de Strasbourg, ou l’entre-deux du discours romanesque maghrébin.

Les Nuits de Strasbourg, c’est la quintessence même de l’échec matriciel du roman maghrébin de langue française. Il y est question du corps et de la parole, du corps de la parole et de la parole du corps.

Mots-clés :

Entre-deux, errance, mémoire, inaboutissement.

Patricia GEESEY : Code, camouflage et verlan : l’innovation linguistique dans Ils disent que je suis une beurette et Salut cousin !

Cet essai examine l’innovation linguistique (verlan, argot, transcodage) dans ce roman et ce film pour illustrer comment certaines stratégies narratives deviennent aussi des pratiques de métissage culturel et de réappropriation linguistique.

Mots-clés :

Beur/beurette, banlieue, rap, verlan, langage, métissage, Nini, Allouache.

Marc GONTARD : Les Nuits de Strasbourg, ou l’érotique des langues.

Thelja l’algérienne décide de vivre à Strasbourg neuf nuits avec son amant français pour expérimenter dans un érotisme fusionnel où les langues cherchent à se rejoindre, une possible réconciliation. Mais la séparation programmée entre les amants et le dénouement énigmatique permettent une double lecture du récit : ou les blessures du passé sont à ce point inguérissables que seule l’expérience du vide peut en arrêter la souffrance, ou le geste de Thelja qui escalade la flèche de la cathédrale, en inversant symboliquement l’ordre du viol colonial, inaugure une relation nouvelle avec l’autre.

Mots-clés :

Algérie, France, Allemagne, judéïté, hétéroglossie, traduction, désir, érotique.

Susan IRELAND : Les voix de la résistance au féminin (Assia Djebar, Maïssa Bey, Hafsa Zinaï-Koudil).

Ces dernières années ont vu l’émergence d’une série de textes écrits par des algériennes qui ont choisi le français comme langue d’écriture et dont l’œuvre condamne ce que l’Algérie d’après l’Indépendance a apporté à la population en général et aux femmes en particulier. Ces écrivaines, ces « nouvelles femmes d’Alger », comme Djebar les appelle, comprennent Malika Mokeddem, Leïla Merouane, Nina Hayat, Malika Boussouf, Fatiah, Fériel Assima, Naïla Imaksen, Maïssa Bey, Rachida Titah, Latifa Ben Mansour et Hafsa Zinaï-Koudil. Cette communication examine les stratégies et les modèles de résistance proposés dans trois textes : Au commencement était la mer (Bey), Sans voix (Zinaï-Koudil) et « La femme en morceaux » (Djebar). Elle étudiera particulièrement le rôle de l’intertextualité comme stratégie d’opposition, la présentation des femmes comme une nouvelle génération de moudjahidate, et les parallèles établis entre la situation actuelle et la « première » guerre d’Algérie. Pour finir, elle aborde le thème de la parole comme « l’arme des femmes par excellence » dans « le combat dément du couteau contre la plume » (Zinaï-Koudil).

Mots-clés :

Antigone, Créon, intertextualite, Nedjma, Shéhérazade, Djaout, Anouilh, Le Horla, Maupassant, Bey, Zinaï-Koudil, Djebar.

Ida KUMMER : La mémoire de l’œil : images de l’Immigration algérienne au cinéma.

Le cinéma de l’immigration maghrébine nous montre les différents visages de ce mouvement : des années soixante, où la question du retour au pays est encore à l’ordre du jour, à aujourd’hui, où la troisième génération connaît la tension entre tradition et intégration et cherche à inventer une hybridité nouvelle.

Mots-clés :

Cinéma, Emigration/Immigration, Hybride.

Michel LARONDE : L’écrivain post-colonial en France et la manipulation de la figure de l’auteur : Chimo, Paul Smaïl, Ahmed Zitouni.

La question de la place qu’occupe l’auteur arabo-français dans l’Institution littéraire française se pose depuis les débuts du roman beur des années 1980. Trois romans signés Chimo et Paul Smaïl en 1996 et 1997 développent des représentations nouvelles de la figure de l’auteur. On étudiera la façon dont les stratégies de l’écriture dénoncent la mise à l’écart institutionnelle. Attilah Fakir d’Ahmed Zitouni permettra la mise en perspective.

Mots-clés :

Post-colonialité, roman beur, institution littéraire, auteur, représentation, écrivain.

Serge Dominique MENAGER : Assia Djebar, de l’écriture au cinéma.

En 1978 Assia Djebar était déjà un écrivain algérien francophone de renommée. C’est durant cette année qu’on put voir en Algérie sur les écrans son premier film La Nouba des femmes du mont Chenoua. Ce premier essai fut suivi d’un second film, La Zerda ou les chants de l’oubli. Ces deux types parallèles de création montrent comment pour Assia Djebar écrire et filmer représentent deux activités étroitement liées.

Mots-clés :

Djebar, Littérature, Cinéma, Image, Son.

Daniela MEROLLA : Féminité, masculinité, et communauté kabyle.

Cet article examine l'identification de la communauté kabyle en termes de féminité et masculinité à travers la production littéraire en français des auteurs tels que Fadhma et Taos Amrouche, Djura, Laura Mouzaïa et Fettouma Touati. Les textes considérés, par leur relation spécifique entre communauté et féminité/masculinité, rejoignent à la fois l’écriture féminine algérienne et l'espace littéraire kabyle. Ces textes, fermement axés sur le binôme kabylité-féminité, décrivent le passage de la quête identitaire en termes individuels vers une recherche socialement élargie.

Mots-clés :

Kabyle, berbère, français, Maghreb, littérature, femme, communauté, narration, identité.

Birgit MERTZ-BAUMGARTNER : Le rôle de la mémoire chez quelques écrivaines algériennes de l’autre rive.

Le thème de la mémoire est une constante dans les littératures postcoloniales et il est lié inextricablement à l'idée de l'identité et d'une redéfintion de celle-ci. Dans les littératures migrantes, la mémoire figure comme élément de charnière entre présent et passé, entre pays d'accueil et pays d'origine, devenant ainsi le symbole par excellence de la migration. Dans notre article, nous essayerons de retracer les rôles de la mémoire (et de l'oubli) dans quatre romans de femmes écrivains algériennes de l'autre rive et de cerner l'importance d'une mémoire culturelle polyphonique (dans le sens de Régine Robin) pour la quête identiaire de l'Algérie contemporaine.

Mots-clés :

Migration, mémoire, oubli, mémoire culturelle, polyphonie, identité.

Edson ROSA DA SILVA: Ecrire la résistance pour réécrire la vie.

Ce texte s’interroge sur des thèmes, tels que la mort, la peur et la douleur, qui, dans plusieurs œuvres actuelles, nous permettent de comprendre ce que signifient écrire et dire pour l’écrivain algérien aujourd’hui. Renvoyant à la réalité cruelle des circonstances actuelles, Le blanc de l’Algérie dépasse par contre une simple fonction descriptive des conflits pour acquérir une dimension symbolique qui fait éclater, de sa force poétique, de nouvelles possibilités et de nouveaux espoirs de vivre. Cette œuvre devient un lieu de parole qui proclame et met en scène une forme de résistance.

Mots-clés :

Littérature algérienne, peur, mort, violence, mémoire, histoire, Djebar.

Vera Lucia SOARES : Silences dévoilés : femme, histoire et politique dans l’écriture d’Assia Djebar.

Réveiller la voix silencieuse des femmes algériennes : c’est autour de ce thème que se développe la production littéraire d’Assia Djebar depuis 1980. Mais, en rompant les silences imposés aux femmes, son écriture dévoile, en même temps, les silences qui couvrent l’histoire récente de l’Algérie. Cet article se propose d’interroger ces multiples silences dévoilés par l’écriture d’Assia Djebar dans le but de reconstruire sa vision critique d’un temps historique vécu et de mettre en question les rapports entre fiction et  histoire, discours littéraire et discours politique.

Mots-clés:

Femme; fiction; histoire; politique; Islam.

Hassan WAHBI : La lumière de soi (La figure de l’auteur chez Assia Djebar).

Le travail autour de la figure de l’auteur et de la question du moi dans l’écriture chez Assia Djebar est une exigence littéraire intéressante, dans la mesure où précisément cette figure est lieu de désir, de vérité et de métaphore. Autrement dit, elle est l’objet de thématisation et de l’action continue de l’écriture dans l’écriture. Ce qui importe, c’est ce que l’auteur fait de lui-même, l’idée qu’il a de lui-même en écrivant à la croisée des genres et dans la proximité contradictoire de la conscience créatrice.

Mots-clés :

Subjectivité, figure de l’auteur, moi littéraire, source de création, devenir dans l’écriture, affect maghrébin féminin, mémoire, altérité.

Winifred WOODHULL : Ecritures algériennes en Amérique du Nord : Les études françaises à l’époque de la mondialisation.

L’analyse de quelques passages clés du roman The Year of Passages de Réda Bensmaïa est suivie d’une réflexion sur la façon dont la prolifération des émigrations algériennes (en Amérique du Nord, en Espagne, en Italie) fait éclater la notion de « francophonie » et nous oblige à repenser le champ intellectuel et politique des études françaises face aux forces de la mondialisation.

Mots-clés

Mondialisation, Amérique du Nord, Francophonie, Etudes françaises.

 

 


Les collaborateurs

Mina AÏT’MBARK

Etudiante en dernière année de Ph.D. à « Queens’s University » à Belfast, Irlande du Nord. Travaille sur cinq écrivaines algériennes : Maïssa Bey, Nina Bouraoui, Assia Djebar, Leïla Marouane et Malika Mokeddem.

Date prévue de soumission de la thèse : 15 septembre 2001.

Mehana AMRANI

Né en 1960 à Tizi-Ouzou. Journaliste à l’agence Algérie Presse Service de 1985 à 1991, puis maître de conférences à l’Université de Sétif jusqu’à ce jour. A soutenu à l’Université Paris II Assas une thèse de doctorat sur « Les transformations des médias algériens d’aujourd’hui », travail primé par un prix de thèse. A publié des articles et études sur la littérature et les médias algériens. Auteur de deux nouvelles publiées dans la revue Algérie Littérature/Action. Prépare actuellement un livre sur la littérature algérienne de langue française.

Richard AYOUN

Maître de conférences à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales, docteur en histoire, habilité à diriger des recherches, licencié d’hébreu. Il enseigne l’histoire des Juifs d’Afrique du Nord à l’Université de Paris VIII et l’histoire des Juifs à l’époque contemporaine à l’Université Paris I-Sorbonne. Il est l’auteur de 406 comptes rendus, 3 livres, a collaboré à 44 ouvrages, et a écrit 131 articles sur le judaïsme séfarade, sur  le judaïsme d’Afrique du Nord, et sur le judaïsme français. Retenons : Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de l’A.I.U. (Alliance Israélite Universelle), t. 1, manuscrits judaïca, en collaboration avec Georges J. Weill et Samuel Kerner, Paris, 1979, 110 p. Les Juifs d’Algérie : deux mille ans d’histoire, en collaboration avec Bernard Cohen, Paris, J.C. Lattès, 1982, 264 p. Séfarades d’hier et d’aujourd’hui : 70 portraits, en collaboration avec Haïm Vidal Séphiha, Paris, Liana Levi, mars 1992, 368 p. Typologie d’une carrière rabbinique, l’exemple de Mahir Charleville, Préface de Pierre CHAUNU, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1993, 2 vol., 1003 p. + 8 p. d’illustrations. Les Juifs de France de l’émancipation à l’intégration (1787-1812), Paris,  L’Harmattan, 1997, 320 p. Un grand rabbin français au XIXe siècle : Mahir Charleville 1814-1888, préface de Jean-Pierre Filippini, Paris, Cerf, 1999, 545 p.

Yvette BÉNAYOUN-SZMIDT

Professeur agrégée à l’Université York-Glendon, Toronto, Canada. Plusieurs publications sur la linguistique et les littératures maghrébines au féminin. Parmi ses ouvrages les plus récents, elle a publié en collaboration : La Traversée du français dans les signes littéraires marocains (1996) et Parcours féminin dans la littérature marocaine d’expresion française (2000). Elle est également co-rédactrice et directrice de la production de la revue Le Maghreb littéraire.

Charles BONN

Études à Strasbourg, Montpellier et Bordeaux. Enseignement secondaire dans le Nord de la France, puis supérieur à Constantine, Fès, Lyon 3, Paris 13, et enfin Lyon 2. Ancien directeur du Centre d’Etudes littéraires francophones et comparées à l’Université Paris 13, et co-directeur des revues Itinéraires et contacts de cultures et Etudes littéraires maghrébines. Directeur du programme documentaire informatisé Limag. Principales publications : La Littérature algérienne de langue française et ses lectures (Naaman, 1974), Le Roman algérien de langue française (L’Harmattan, 1985), « Nedjma », de Kateb Yacine (PUF, 1990), Anthologie de la littérature algérienne (Livre de poche, 1990). Co-directeur de plusieurs publications collectives, dont la collection « Littératures francophones » (Hatier/AUPELF, 1997 et 1999). Dirige de nombreuses thèses sur les littératures du Maghreb et de l’émigration.

Nicole BUFFARD-O’SHEA

Professeur associé à Oakland University dans le Michigan (USA). Elle a publié une étude, Boris Vian et le grotesque littéraire, chez Peter Lang en 1993. Elle est l’auteur d’articles et d’études sur la métaphore dans l’œuvre romanesque de Farida Belghoul, Tassadit Imache, Nina Bouraoui, Maïssa Bey et Malika Mokeddem.

Beate BURTSCHER-BECHTER

Maître de conférence au département de langues et de littératures à l'Université d'Innsbruck (Autriche). Après ses études de littérature comparée et de philologie française à l'Université d'Innsbruck, elle a approfondi ses connaissances en littératures francophones à l'Université de Paris IV-Sorbonne et rédigé une thèse sur le roman policier algérien d'expression française. Actuellement, les recherches de Beate Burtscher-Bechter se concentrent sur les littératures méditerranéennes et les théories postcoloniales.

Robert ELBAZ

Né au Maroc. Professeur de littérature comparée à l’Université de Haïfa. A publié les ouvrages suivants : Mouloud Feraoun ou l’émergence d’une littérature (en collaboration avec Martine Mathieu-Job), Karthala, 2001. Albert Cohen ou la pléthore du discours narratif, Publisud, 2000. Tahar Ben Jelloun ou l’inassouvissement du désir narratif, L’Harmattan, 1996. Elias Canetti or the Failing of the novel, Peter Lang, 1995. The changing Nature of the Self, Routledge, 1988. Le Discours maghrébin: dynamique textuelle chez Albert Memmi, Le Préambule, 1988. Thalma Krice, La Source, 1999.

Patricia GEESEY

Associate Professor, Dept d’Anglais et de langues étrangères, University of North Florida. Ses articles sur la littérature maghrébine et l’immigration en France ont paru dans The French Review, SubStance, International Fiction Review, Research in African Literatures, et World Literature today.

Marc GONTARD

Professeur de littérature à l’Université de Rennes 2. Directeur de l’équipe d’accueil ERELLIF (Equipe de recherche sur la diversité linguistique et littéraire du monde francophone). Directeur de l’école doctorale Arts, Lettres, Langues, Communication. Principales publications : Nedjma de Kateb Yacine, essai sur la structure formelle du roman, Rabat, 1975, Rééd. Paris, L’Harmattan, 1985. Violence du texte. Littérature marocaine de langue française, L’Harmattan, 1980. Victor Segalen : une esthétique de la différence, L’Harmattan, 1989. Le moi étrange. Littérature marocaine de langue française, L’Harmattan, 1993. La Chine de Victor Segalen : Stèles, Equipée, Paris, PUF, 2000.

Susan IRELAND

Susan Ireland enseigne le français et les littératures francophones à Grinnell College aux Etats-Unis. Ses recherches et ses publications portent sur la littérature de l'immigration en France et au Québec, ainsi que sur le roman algérien contemporain et les écrivaines québécoises des années 1980 et 90. Elle a édité (avec Patrice Proulx) le collectif Immigrant Narratives in Contemporary France (2001) et elle est également un des éditeurs de A Feminist Encyclopedia of French Literature.

Ida KUMMER

Professeur de Littérature comparée au Collège des Nations Unies et à l’Université Paris-3. Récentes publications sur le cinéma : Images de la femme dans le Cinéma tunisien : un espace intérieur. Tunis, L’Or du temps, 1996. L’Etranger dans le cinéma maghrébin. Tunis, L’Or du temps, 1997. « Women and religion in World Cinema”. Encyclopedia of Women, Mac Millan, 1998. « D’un rivage à l’autre: Images d’errances et de terres promises ». Revue française d’outre-mer, 2000.

Michel LARONDE

Auteur de Autour du roman beur (1993) et responsable du collectif L’Ecriture décentrée (1996), Michel Laronde est spécialiste des littératures des immigrations en France. Il termine un livre sur les stéréotypes scolaires dans la littérature arabo-française et un collectif sur l’œuvre de Leïla Sebbar. Il enseigne à l’Université de l’Iowa, Etats-Unis.

Serge Dominique MENAGER

Professeur dans la section de français de l’Ecole de langue, culture et communication à l’Université du Natal, Pietermaritzburg, Afrique du Sud. Ses recherches dans le domaine de la littérature de genre se centrent sur les écrivains femmes maghrébines d’expression française et sur la littérature des Caraïbes.

Daniela MEROLLA

Chercheuse à l'Organisation néerlandaise de la Recherche Scientifique (NWO), enseigne actuellement à l'Université de Leyde (Pays-Bas). Elle est spécialiste de littérature et anthropologie berbère et a publié de nombreux articles sur la littérature maghrébine immigrée de langue française et de langue néerlandaise.

Birgit MERTZ-BAUMGARTNER

Maître de conférences au département de Philologies Romanes à l'Université d'Innsbruck (Autriche) où elle enseigne les littératures française, francophones (Québec, Maghreb) et hispanophones. Après avoir rédigé une thèse sur le genre dramatique du monologue au Québec ('Monologues québécois' oder Geschichten eines 'monsieur qui parle tout seul'. Standortbestimmung einer Gattung am Rande, 1997), elle travaille actuellement sur la littérature algérienne (féminine) de la migration. Dans le cadre de ce projet, elle prépare un livre intitulé Éthique et Esthétique de la migration: écrivaines algériennes de l'autre rive.

Najib REDOUANE

Professeur de littératures francophones au RGRLL à California State University at Long Beach (Etats-Unis). Il est directeur et rédacteur en chef de la revue Le Maghreb littéraire. Il a publié plusieurs articles dans le domaine des littératures maghrébines. Responsable ou co-responsable d’ouvrages collectifs : La Traversée du français dans les signes littéraires marocains (1996) ; 1989 en Algérie : rupture tragique ou rupture féconde (1999) ; Parcours féminin dans la littérature marocaine d’expression française (2000) ; Rachid Mimouni (2000).

Edson ROSA DA SILVA

Professeur titulaire de littérature française à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro. Chercheur au Conseil National de la Recherche, il se consacre à l'étude de la littérature française du XXe siècle et à la littérature d'expression française, notamment à la littérature maghrébine. Parmi ses travaux publiés dans plusieurs revues littéraires, figurent des articles sur André Malraux, Charles Baudelaire, Marcel Proust. Alain Robbe-Grillet, Bernard-Henri Lévy, Georges Perec, Anne Hébert, Aimé Césaire et Tahar Ben Jelloun, entre autres. Il se consacre en ce moment à un projet de recherche sur «La réflexion critique et esthétique dans la littérature française» : il y examine les auteurs qui n'ont jamais cessé de réfléchir théoriquement dans leurs œuvres sur la forme, l'évolution et la fonction de l’œuvre d'art en général.

Vera Lucia SOARES

Docteur en Histoire Sociale et Professeur de Langue Française et de Littératures Francophones à l’Universidade Federal Fluminense (Brésil). Auteur du livre A escritura dos silêncios: Assia Djebar e o discurso do colonizado no feminino (Niterói, RJ, EDUFF, 1998) et de plusieurs articles sur la littérature maghrébine de langue française.

Hassan WAHBI

Né au Sud du Maroc en 1957, professeur à l’Université Ibn Zohr d’Agadir. Enseignant de littérature française, il a publié un ouvrage sur Khatibi, Les Mots du Monde (1995), et une cinquantaine d’articles sur divers auteurs et diverses questions (l’interculturalité, la notion d’aimance, le voyage littéraire, plusieurs aspects de la littérature marocaine, etc.). Il se consacre essentiellement à l’étude des textes de Khatibi dont l’aboutissement sera la soutenance d’un doctorat d’Etat intitulé L’Esprit de la lettre.

Winifred WOODHULL

Professeur de Littérature à l’Université de Californie, San Diego. Auteur de Transfigurations of the Maghreb : Feminism, Decolonization, and Literatures, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1993, et de nombreux articles sur les romanciers français du XXe s., sur la littérature dite de l’immigration, et sur le cinéma français.


4è de couverture :

 

Issu d’un colloque international à Toronto en 1999, ce second recueil d’études sur les littératures algériennes depuis la fin des années 80, c’est-à-dire à un moment où ce pays est confronté à une violence in-sensée qui oblige à réfléchir sur le fait même d’écrire de la littérature, confirme ce que pressentait déjà le premier : la décolonisation littéraire de l’Algérie est bien terminée. Sortie brutalement d’un dialogue privilégié avec l’ancien colonisateur, cette littérature ne peut plus être considérée, ni comme « émergente », ni peut-être même comme « postcoloniale », et préfigure déjà pour certains une dissémination qu’ils qualifient de « post-moderne ».

Car il est aussi devenu obsolète de parler d’une littérature algérienne : sans encore annoncer une dissémination radicale, ce recueil met cependant en évidence la place de plus en plus importante qu’occupent des corpus nouveaux, comme la littérature dite « de la seconde génération » de l’émigration, ou le cinéma, ou encore les innovations linguistiques de cette même « seconde génération ». Il s’ouvre aussi à des champs plus anciens mais parfois ignorés, comme la littérature juive. Il consacre, enfin, le surgissement de chantiers nouveaux, qui à leur tour posent des problèmes intéressants de lecture, comme l’articulation entre l’écriture littéraire et l’écriture cinématographique chez Assia Djebar, ou plus généralement le statut de la littérarité lorsque l’horreur du quotidien peut faire paraître à certains l’activité littéraire comme dérisoire.

 



[1] Paris, R. Laffont, 1982.

[2] Paris, R. Laffont, 1984.

[3] Charles Bonn, Anthologie de la littérature algérienne, Paris, Le Livre de poche, 1990, p. 211-237.

[4] Paris, R. Laffont, 1989.

[5] Paris, Stock, 1993.

[6] Pour des lectures récentes de l’œuvre de Rachid Mimouni, trop tôt disparu, on se permettra de signaler ici l’ouvrage collectif qui vient de paraître aux Editions La Source, de Toronto, collection « Autour des écrivains maghrébins », sous la direction de Najib Redouane : Rachid Mimouni. 2000. 427 p.

[7] Cette ostentation provocante de la virilité, quoique déjà ambiguë par certains aspects, peut être considérée comme une des caractéristiques du succès de scandale de La Répudiation de Rachid Boudjedra à partir de 1969. Or on sait que depuis La Pluie, et plus encore dans Timimoun, qui est peut-être son plus beau roman, cet auteur développe de plus en plus une réflexion moins tonitruante sur la féminité de l’exercice d’écrire.

[8] Jacqueline Arnaud, Abdelkebir Khatibi, Arlette Roth, sous la direction d’Albert Memmi : Anthologie de la littérature maghrébine d’expression française. Paris, Présence africaine, 1964, suivie en 1969 chez le même éditeur d’une Anthologie des écrivains français du Maghreb, par les mêmes, Abdelkebir Khatibi étant cependant remplacé par Jean Déjeux.

[9] Dans la table-ronde « Bilinguisme » du premier numéro de la très belle revue tunisienne Alif, décembre 1971, p. 13-16.

[10] Ces Voix qui m’assiègent. En marge de ma francophonie. Paris, Albin Michel, 1999, 270 p.

[11] Rachid Mimouni, « La remontée du fleuve », in Les Nouvelles de l’Est N°33, Constantine, 11/17 mai 1991.

[12] Rachid Mimouni, Le Printemps n’en sera que plus beau, Alger, ENAL, 1978, p. 120.

[13] Rachid Mimouni, Le Fleuve détourné, Alger, Laphomic, 1986, p. 217.

[14] Rachid Mimouni, « Séisme culturel ? A venir !… », in Algérie Actualité, 10/16 novembre 1988.

[15] Mostefa Lacheraf, « Le roman maghrébin et l’héroïsme cocardier », in Culture algérienne dans les textes, Choix et présentation de Jean Déjeux, Alger, OPU, 1982, pp. 116-117.

[16] Kateb Yacine, Un homme, une œuvre, un pays, Entretien réalisé par Hafid Gafaïti, Alger, Laphomic, 1986, p. 45.

[17] Rachid Mimouni, L’Honneur de la tribu…, p. 216.

[18] Nous pensons au roman Ma Mère de Georges Bataille.

[19] Alberto Moravia, « Mon but est d’écrire une fable », in Magazine littéraire N°282, Paris, novembre 1990.

[20] Rachid Mimouni, Une Paix à vivre…, p. 187.

[21] Rachid Mimouni, Tombéza, Alger, Laphomic, 1985, pp. 270-271.

[22] Rachid Mimouni, L’Honneur de la tribu, Alger, Laphomic, 1990, p. 216.

[23] Rachid Mimouni, La Malédiction, Alger, Entreprise Algérienne de Presse, 1993, p. 286.

[24] Rachid Mimouni, Une Peine à vivre, Paris, Ed Presse Pocket, 1993, pp. 13-15.

[25] Après Le Dingue au bistouri (1990) et La Foire des enfoirés (1993) parus en Algérie sous le nom du protagoniste de la série, le Commissaire Llob, la « trilogie noire » – c'est-à-dire Morituri (1997), Double blanc (1997), et L'Automne des chimères (1998) – fut publiée en France sous le pseudonyme féminin de Yasmina Khadra. En septembre 1999, l'auteur a révélé partiellement son identité et avoué que Yasmina Khadra n'est pas une femme mais un homme qui n'a pas les moyens de s'identifier. Cf. « Yasmina Khadra lève une part de son mystère ». Entretien avec Yasmina Khadra, propos recueillis par Jean-Luc Douin, in Le Monde (10 septembre 1999). En janvier 2001, l’auteur s’est « démasqué » et a révélé publiquement, que Yasmina Khadra est le pseudonyme d’un homme, ancien officier supérieur dans l’armée algérienne, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul. Cf. « Yasmina Khadra se démasque ». Entretien avec Yasmina Khadra, propos recueillis par Jean-Luc Douin, Le Monde, 12 janvier 2001.

[26] Yasmina Khadra, Les Agneaux du Seigneur, Paris, Julliard, 1998.

[27] Petit détail évoqué en passant : Yasmina Khadra a aussi changé d'éditeur (en France, ses romans noirs furent édités chez Baleine) et publié Les Agneaux du Seigneur chez Julliard sous la couverture blanche caractéristique de la maison d'édition.

[28] Roland Barthes, « Le Degré zéro de l'écriture » (1953), in Roland Barthes, Œuvres complètes. Tome I 1942-1965, Paris, Seuil, 1993, p. 137-187.

[29] Yasmina Khadra, Les Agneaux..., p. 48.

[30] Le nom Ghachimat se compose du mot arabe « ghachi » qui signifie « petites gens », « gens de petite condition » et du mot « mat » qui veut dire, dans un sens très large, « mort » (« Échec et mat ! »). Ainsi, le nom Ghachimat voudrait dire « des intouchables sont morts » ou bien « mort de misérables ».

[31] Yasmina Khadra, Les Agneaux..., p. 57.

[32] Id., p. 66.

[33] Id., p. 97.

[34] Id., p. 103.

[35] Id., p. 129.

[36] Id., p. 135.

[37] Id., p. 208.

[38] Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture, p. 145.

[39] Id., p. 145-146.

[40] Id., p. 145.

[41] Id., p. 146.

[42] Id., p. 147.

[43] Id., p. 147.

[44] Id., p. 147.

[45] Id., p. 179.

[46] Id., p. 141.

[47] Id., p. 179.

[48] Id., p. 179.

[49] Id., pp. 179-180.

[50] Id., p. 180.

[51] Michèle Gazier, « La Haine au village », in Télérama, 23 septembre 1998.

[52] Id.

[53] Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture, p. 1241.

[54] Id., p. 1245.

[55] Beate Burtscher-Bechter, « Algérie, une guerre sans images ? Instantanés littéraires dans la trilogie de Yasmina Khadra », in Hans-Jürgen Lüsebrink – Katharina Städtler (s. la dir. de), Littératures francophones en Afrique : Bilan et perspectives de la recherche, Bayreuth, Bayreuther Frankophone Studien, 2001.

[56] Alain Robbe-Grillet, Instantanés, Paris, Les Éditions de Minuit, 1962.

[57] Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, Paris, Gallimard, 1963, p. 172. C'est nous qui soulignons.

[58] Assia Djebar, Oran, langue morte, Arles, Actes Sud, 1997, p. 367.

[59] Fatiah, Algérie, chronique d’une femme dans la tourmente, La Tour d’Aigues, L’Aube, 1996, p. 85.

[60] Malika Mokeddem, Des Rêves et des assassins, Paris, Grasset, 1995, p. 96.

[61] Naïla Imaksen, La Troisième Fête d’Ismaël, Casablanca, Le Fennec, 1994, p. 68.

[62] Hafsa Zinaï-Koudil, Sans Voix, Paris, PIon, 1997, p. 64.

[63] Nina Hayat, La Nuit tombe sur Alger la Blanche, Paris, Tirésias, 1995, p. 24.

[64] Id., p. 14.

[65] Hafsa Zinaï-Koudil, Sans Voix, p. 169.

[66] Id., p. 43.

[67] Id., p. 24.

[68] Id., p. 12, 24.

[69] Id., p. 64.

[70] Id., p. 78.

[71] Id., p. 18.

[72] Id., p. 38.

[73] Id., p. 136.

[74] Id., p. 47.

[75] Id., p. 80.

[76] Id., p. 79.

[77] Id., p. 14.

[78] Id., p. 25.

[79] Id., p. 25.

[80] Id., p. 20.

[81] Id., p. 25.

[82] Id., p. 48.

[83] Id., p. 169.

[84] Id., p. 111.

[85] Id., p. 76.

[86] Id., p. 77.

[87] Id., p. 77.

[88] Id., p. 55.

[89] Id., p. 131.

[90] Id., p. 19.

[91] Id., p. 32.

[92] Id., p. 69.

[93] Id., p. 79.

[94] Id., p. 78.

[95] Id., p. 136.

[96] Maïssa Bey, Au Commencement était la mer, Paris, Marsa, 1996, pp. 12, 33.

[97] Id., p. 47.

[98] Id., p. 47.

[99] Id., p. 45.

[100] Id., p. 45.

[101] Id., p. 45.

[102] Id., p. 8 ; Jean Anouilh, Antigone, Paris, La Table Ronde, 1946, p. 13.

[103] Maïssa Bey, Au Commencement [...], p. 8.

[104] Id., p. 143.

[105] Id., p. 67.

[106] Id., p. 16.

[107] Id., p. 53.

[108] Id., p. 26.

[109] Id., p. 72.

[110] Achour Ouamara, Oublier la France, La Tour d’Aigues, L’Aube, 1997, p. 87-88.

[111] Assia Djebar, Oran [...], p. 163-215.

[112] Id., p. 163.

[113] Id., p. 167.

[114] Id., p. 209.

[115] Id., p. 193.

[116] Id., p. 199.

[117] Id., p. 199.

[118] Id., p. 212.

[119] Id., p. 211.

[120] Id., p. 214.

[121] Id., p. 367.

[122] Hafsa Zinaï-Koudil, Sans Voix, p. 13.

[123] Maïssa Bey, Nouvelles d’Alger, Paris, Grasset, 1998, p. 128.

[124] Maïssa Bey, Au Commencement [...], p. 76.

[125] Assia Djebar, Oran [...], p. 369.

[126] Id., p. 371.

[127] Nicole Buffard-O’Shea, « Métaphores identitaires chez Tassadit Imache, Farida Belghoul et Nina Bouraoui », Le Maghreb Littéraire, Toronto, Vol. 1, Nº 2, 1997, p. 45-60.

[128] Paul Gordon, The Critical Double. Figurative Meaning in Aesthetic Discourse, Tuscaloosa, The University of Alabama Press, 1995.

[129] Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969.

[130] Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite, Paris, Gallimard, 1991. Farida Belghoul, Georgette !, Paris, Eds. Barrault, 1986. Tassadit Imache, Je Veux rentrer, Arles, Actes Sud, 1998.

[131] Il est bien entendu que le choix de la couverture d’un livre revient à l’éditeur plutôt qu’à l’auteure sur laquelle on ne peut donc pas faire porter complètement la responsabilité de son caractère sensationnel.

[132] Nina Bouraoui, La Voyeuse..., p. 80.

[133] Id., p. 29-30.

[134] Id., p. 82.

[135] Id., pp. 30-31.

[136] Edward Saïd, Orientalism, New York, Vintage Books, 1979.

[137] Nina Bouraoui, La Voyeuse..., pp. 69-70.

[138] Mireille Rosello, Infiltrating Culture : Power and Identity in Contemporary Women’s Writing, Manchester, Manchester University Press, 1996, p. 9.

[139] Mireille Rosello, Infiltrating..., p. 11. Ma traduction.

[140] Paul Gordon, The Critical Double, pp. 19-37.

[141] Michel Foucault, L’Archéologie..., pp. 39-40.

[142] Sylvie Durmelat, « L’Apprentissage de l’écriture », in Michel Laronde (Dir.), L’Ecriture décentrée. La Langue de l’autre dans le roman contemporain, Paris, L’Harmattan, 1996.

[143] Michel Foucault, L’Archéologie..., p. 49.

[144] Farida Belghoul, Georgette !, p. 13.

[145] Tassadit Imache, Une Fille sans histoire, Paris, Calmann-Lévy, 1989. J’ai moi-même franchi ce pas lorsque je décidais d’inclure Tassadit Imache dans la littérature beure lors de la publication de l’article que j’ai mentionné plus haut. Or, Tassadit Imache est née d’une mère française et d’un père algérien et n’appartient donc pas à la population beure, dans le sens strict du terme. Ma décision d’inclure Imache, et Bouraoui tenait au fait que je les considérais comme importantes, par rapport au mouvement beur, en dépit de leurs origines socioculturelles respectives.

[146] Voir à ce sujet le récent article de Michel Laronde publié dans Etudes Francophones : « La littérature de l’immigration et l’institution en 1996 : réflexions à partir du paratexte de Lila dit ça », Etudes Francophones, Vol. XIV, Nº 1, printemps 1999, p. 5-21.

[147] Mireille Rosello, Infiltrating..., p. 16.

[148] Tassadit Imache, Je Veux..., p. 114.

[149] Tassadit Imache, Je Veux..., p. 80.

[150] Otto Gerhard Oexle (s. la dir. de), Memoria als Kultur, Göttingen, Vanderhoeck & Ruprecht, 1995, p. 10. "Memoria schafft Identität". Cf. également Ian Assmann – Tonio Hölscher (s. la dir. de), Kultur und Gedächtnis, Frankfurt, Suhrkamp, 1988, p. 12.

[151] John R. Gillis, « Memory and identity : the history of a relationship », in John R. Gillis (s. la dir. de), Commemorations. The politics of national identity, Princeton, Princeton University Press, 1994, p. 3.

[152] Robert Berrouët-Oriol – Robert Fournier, « L'Émergence des écritures migrantes et métisses au Québec », in Québec Studies, 14, 1992, pp. 7-22.

[153] « Die Früchte der Geschichte werden geerntet und gesammelt, um zusammengesetzt, zum Sprechen gebracht, erneut erinnert, neu gelesen, neu geschrieben zu werden (...). » Iain Chambers, Migration, Kultur, Identität, Tübingen, Stauffenburgverlag, 1996, p. 4. « Les fruits de l'Histoire sont récoltées et recueillies pour être mises ensemble, pour les faire parler, pour les remettre en mémoire, pour les relire, pour les re-écrire. »

[154] Cf. « Ein erinnernde[s] Zusammenfügen früherer Fragmente und Spuren (...), die in [einem] aktuellen 'Augenblick der Gefahr' aufflammen. » Iain Chambers, Migration..., p. 4.

[155] Hamid Skif, Citrouille fêlée ou Amar fils du mulet, Paris, 00h00, 1999, pp. 48-55.

[156] Hamid Skif, Citrouille..., p. 48.

[157] Hamid Skif, Citrouille..., p. 54.

[158] Cf. épigraphe dans Latifa Ben Mansour, La Prière de la peur, Paris, Éditions de la Différence, 1997.

[159] Cf. Régine Robin, Le Roman mémoriel, de l'histoire à l'écriture du hors-lieu, Longueil, Les Éditions du Préambule, 1989.

[160] Comme cet article est basé sur le texte d'une conférénce donnée en 1999, N'Zid n'est pas encore tenu en considération dans les analyses.

[161] Malika Mokeddem, L'Interdite, Paris, Grasset, 1993, p. 65.

[162] Id., p. 59. Cf. également pp. 118, 174.

[163] Id., p. 226.

[164] Id., p. 60.

[165] Leïla Marouane, Ravisseur, Paris, Julliard, 1998, p. 17.

[166] Id., p. 83.

[167] Le père la considère une « simulatrice » (Id., p. 19) et parle de « [s]on incapacité à dire la vérité » (Id., p. 42).

[168] Id., p. 78.

[169] Id., p. 80.

[170] Id., p. 113.

[171] Id., p. 125.

[172] Id., p. 133.

[173] Cf. Régine Robin, Le Roman mémoriel, p. 48.

[174] [Le roman mémoriel :] C'est « un ensemble de textes, de rites, de codes symboliques, d'images et de représentations où se mêlent (...) l'analyse des réalités sociales du passé, des commentaires, des jugements stéréotypés ou non, des souvenirs réels ou racontés, des souvenirs écrans, du mythe, de l'idéologique (...). C'est une structure d'hybridité et de mise en forme narrative du passé. » Régine Robin, Le Roman mémoriel, p. 48.

[175] Latifa Ben Mansour, Le Chant du lys et du basilic, Paris, Éditions de la Différence, 1998, p. 228.

[176] Latifa Ben Mansour, Chant du lys..., p. 302 ; quant aux thèmes du mutisme et de l'immobilité cf. aussi pp. 31, 33, 79, 134, 203, 228, 271, 302.

[177] Id., p. 57.

[178] Id., p. 301.

[179] Id., p. 58.

[180] Id., p. 88.

[181] Id., pp. 91, 203, 328.

[182] Id., p. 191.

[183] Id., p. 231. Cf. également pp. 182, 193, 330.

[184] Régine Robin, Le Roman mémoriel, p. 129.

[185] Id., p. 59.

[186] Id., p. 59.

[187] Christiane Chaulet-Achour, Noûn. Algériennes dans l'écriture, Biarritz, Atlantica, 1998, p. 166.

[188] Interview avec Latifa Ben Mansour dans Christiane Chaulet-Achour, Noûn..., pp. 165-66.

[189] Id., p. 169.

[190] Elle [la mémoire culturelle] est mieux « développée dans le cadre de la fiction que dans l'écriture de l'histoire » (Régine Robin, Le Roman mémoriel, p. 59).

[191] Christiane Chaulet-Achour, Noûn..., pp. 66/67.

[192] Michail Bachtin, « Der polyphone Roman Dostoevskijs und seine Darstellung in der Literaturkritik », in Michail Bachtin, Probleme der Poetik Dostoevskijs, München, Hanser Verlag, 1971, pp. 9-52. (Problèmes de la poétique de Dostoïevski)

[193] Nous introduisons I et II pour nous permettre de distinguer les personnages.

[194] Latifa Ben Mansour, Prière..., p. 30.

[195] Id., p. 42.

[196] Id., p. 42.

[197] "[Hanan] transcrivait l'histoire racontée la veille par l'aïeule." (Id., p. 41)

[198] Michail Bachtin, « Der polyphone Roman... », p. 37.

[199] Latifa Ben Mansour, Prière..., p. 206.

[200] Jan Assmann, « Kulturelles Gedächtnis als normative Erinnerung. Das Prinzip 'Kanon' in der Erinnerungskultur Ägyptens und Israels », in Otto Gerhard Oexle (s. la dir. de), Memoria..., p. 97ss.

[201] Latifa Ben Mansour, Prière..., pp. 373/74.

[202] Id., p. 374.

[203] Id., p. 375.

[204] Id., p. 380.

[205] Pour les valeurs de l'écriture, cf. Latifa Ben Mansour, Prière..., pp. 49-50.

[206] Cf. Birgit Mertz-Baumgartner, « "Je n'écris que d'un lieu, celui de l'Entre, de l'entre-deux' : identité et écriture rhizomiques au féminin dans L'Interdite de Malika Mokeddem ». Conférence donnée en mai 1998 à Moncton, au Congrès mondial du CIEF. Ce texte paraîtra prochainement dans : Robert Elbaz, Najib Redouane & Yvette Bénayoun-Szmidt (Eds.), Malika Mokeddem. Toronto, La Source, coll. « Autour des écrivains maghrébins ».

[207] Christiane Chaulet-Achour, Noûn..., p. 166.

[208] Voir Richard Ayoun et Bernard Cohen, Les Juifs d’Algérie, deux mille ans d’histoire, Paris, J.C. Lattès, 1982, 264 p., Aux Origines, pp. 23-55.

[209] Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique septentrionale, trad. De Slane, Alger, 1852, t. I, pp. 208-209, 213-215.

[210] Albert Bensoussan, L’œil de la sultane, Paris, L’Harmattan (coll. « écritures arabes »), 1996, 95 p.

[211] D’après la critique biblique, ce toponyme s’applique alors à la cité de Sardes en Asie Mineure, il a été établi que les premiers commentateurs juifs rendirent Sefarad par Ispania ou Ispamia, l’Espagne. Cf. le Targum d’Onquélos et celui de J. Ben Uziel. Au sujet du verset cité d’Obadia, le commentateur espagnol Abraham Ibn Ezra (vers 1092 – vers 1164) explique : « Jonathan ben Ouziel traduisait Sefarad par Espagne, mais il s’agit de l’exil de Titus : le prophète prédit l’avenir – non, comme le dit Rabbi Moïse, leur dispersion remonte à celle du Premier Temple.

[212] Fundamentalmente, la lengua, historia y creaciones culturales de los judíos oriundos de Españia o a ellos asimilados, producidas en cualquier país desde la primera generación de emigrados hasta nuestros días y en tanto que sigan manifestando elementos judeo-españoles en su cultura », José Luis Lacave, « Presentación », Estudios sefaradies, n° 1, Instituto Arias Montano, Madrid, pp. VII-IX, et plus particulièrement p. VIII.

[213] H. V, Séphiha, « Diagnostic du judaïsme français : une sépharadite aiguë », Combat pour la diaspora, « Juifs d’Orient et de Méditerranée », n° 3, 1980, pp. 55-63.

[214] Fédération séphardite mondiale, Actes de la rencontre d’Amsterdam, 14-17 janvier 1971, dir. R. Cohen, Amsterdam s.d. [1971], p. 60.

[215] Mickhael Elbaz, « L’Exil intérieur », Les Temps modernes, Paris, t. XXXIV, n°394 bis, pp. 199-245, et plus particulièrement pp. 200-201, n°4 et, dans le même numéro, Serge Ouaknine, « Le retour d’Abel » pp. 480-492, et plus particulièrement, p. 480, cette note : « Pour éviter toute polémique géohistorique, j’appelle ici sépharade l’orientalité du Juif. Cet article tentera précisément de montrer les facettes de cette polarité du juif dans sa judéité globale.

[216] Guy Dugas, « Écrivains séfarades d’expression française » dans Mémoire et fidélité séfarades 1492-1992, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1993, 207 p., pp. 175-181, p. 176.

[217] Albert Bensoussan, « Fidélité à Séfarad », Le Journal des communautés, déc. 1980, pp. 12-13.

[218] Ibid.

[219] Ibid.

[220] Albert Bensoussan, Le dernier devoir, Paris, L’Harmattan (coll. « Écritures arabes »), 1988, 115 p., p. 15.

[221] Voir Albert Bensoussan, « Les Scribes de Debdou », Information Juive, Le journal des communautés, Paris, n° 31, janvier 1984, p. 12.

[222] André Chouraqui, Marche vers l’Occident : les Juifs d’Afrique du Nord, Paris, PUF, 1952, 398 p., p. 277.

[223] Albert Bensoussan, L’échelle de Mesrod, Paris, L’Harmattan (coll. « Écritures arabes »), 1984, 206 p., p. 81.

[224] Ibid, pp. 27-28.

[225] Albert Bensoussan, Frimaldjezar, Paris, Calmann-Lévy, 1976, 203 p., p. 132.

[226] Albert Bensoussan, Au nadir, Paris, Flammarion, 1978, 233 p., p. 93.

[227] Albert Bensoussan, L’échelle..., op. cit., 1984, « Nédroma », pp. 90-91, p. 90.

[228] Ibid, p. 91.

[229] Albert Bensoussan, Les bagnoulis, Paris, Mercure de France, 1965, 60 p., p. 56.

[230] Albert Bensoussan, L’échelle..., op. cit., 1984, « Mesrode le conteur », pp. 34-35, p. 34.

[231] Maurice Eisenbeth, Les Juifs d’Afrique du Nord, Démographie et onomastique, Alger, Imprimerie du Lycée, 1936, 190 p., pp. 40-52.

[232] Albert Bensoussan, L’échelle..., op. cit., 1984, p. 96.

[233] Albert Bensoussan, Frimaldjezar..., op. cit., 1976, pp. 129-130.

[234] Suivant l’usage anglais, ‘genre’ réfère à la construction culturelle et sociale de la distinction féminin/masculin/homosexuel/transsexuel etc., et ‘sexes’ réfère aux données biologiques. Voir Ortner and Whitehead 1981.

[235] Je présenterai le cadre de lecture et quelques résultats de l’analyse de textes, mais pour l’analyse ponctuelle des textes je dois renvoyer à ma thèse de doctorat publiée en anglais et aux articles que j’ai publié sur le même sujet, voir Merolla 1995, 1996, 1998, Merolla and Sahli 2000.

[236] Bounfour 1994, Kaye et Zoubir 1990, Lazreg 1988, 1990, Merolla 2001.

[237] De même, Marguerite est le symbole de la France qui ne peut pas conquérir les personnages mâles pour toujours. Ecrit dans les années de la guerre de libération, ce roman présente la quête onirique par le narrateur d’une « Algérie profonde » incarnée par Nedjma, une nation-femme qui reste inaccessible pour la colonisation, mais qui exprime aussi « l’insuccès potentiel de la révolution » par rapport à l’égalité sociale des femmes (Woodhull 1993 : p. 1). Voir aussi la métaphore Femme-Nation des personnages féminins dans les romans L’élève et la leçon et Le quai aux fleurs ne répond plus de Malek Haddad (1960, 1961) et dans Les martyrs reviennent cette semaine de Tahar Ouettar (1974). Cf. Mosteghanemi 1985 : p. 151-172 ; Nisbet 1982 : p. 11-113, 147-165.

[238] Sur la complexité du trope ‘femme sauvage / communauté’ dans l’œuvre de Farès, voir Woodhull 1993.

[239] Dans le cas où le narrateur raconte une histoire dont il est absent (ce qui a été aussi appelé « narrateur à la troisième personne »). Voir Genette 1972, Bal 1983.

[240] Voir pp. 31, 34, 38, 55, 66, 163, 172, 258, 312.

[241] Voir Brahimi 1995 (b).

[242] Une phrase prononcée par un personnage donne le départ au souvenir du passé : « Je remontais le cours de souvenir [...] jusqu’à ce pays perdu, dans la montagne – notre berceau – qui longtemps n’eut pas de nom pour moi[...] et plus loin encore, toujours plus loin...jusqu’à la source du mal (p. 9). À peu près à la fin du roman, les événements racontés atteignent le ‘présent’ (p. 329).

[243] Voir « la mémoire atroce » de la dureté de la grand-mère parce que l’héroïne était une fille (pp. 100-101) ; l’attitude de Yemma envers sa belle-fille dont il est dit qu’elle reproduit la même situation que Yemma endura dans sa relation avec la mère de son mari (p. 25) ; un certain manque d’intimité entre l’héroïne et sa mère, qui donne la préférence à son fils (p. 239) ; le contrôle et la violence parentale du à un « sens de l’honneur » écrasant Voir pp. 20, 22, 25, 57, 60, 159, 178-79, 181, 185, 336.

[244] Dans les romans de Taos Amrouche, il y a cependant un autre aspect fondamental. C’est le drame d’une femme qui ne veut ou ne peut pas être séparée de la fille qu’elle était et qui est prise de forces intérieures contradictoires. La rébellion de l’héroïne est unique à cause des origines de sa famille, sa religion et son éducation mais aussi par sa personnalité extrême. Voir Brahimi 1995, 1995 (c) : p. 155-164 ; Yacine 1955 : p. 26-27.

[245] Ainsi, la contradiction entre l’âge adulte et l’enfance est décrite en termes collectifs, exprimée dans le fameux trope de la ‘Mère Afrique’, mais c’est l’image collective qui assume une fonction cathartique pour le drame individuel au lieu d’être un personnage féminin qui incarne l’Afrique ainsi que cela arrive dans la plupart des ouvrages masculins. A contrario, la Nedjma de Kateb Yacine, est ce personnage féminin qui est dit être « vierge après chaque viol » incarnant une Algérie non-assimilable par le colonisateur français.

[246] Selon Cheurfi (1996), le prénom dans l’état civil est Khouka.

[247] En particulier, voir la mise entre parenthèse de la perception ‘officielle’ de cette identité comme un risque pour l’unité nationale. Voir aussi le roman de Fettouma Touati, Le printemps désespéré, dans lequel il y a un ‘silence’ frappant au sujet de la langue arabe, ce qui évite, mais implique évidemment, les problèmes concernant la question linguistique et identitaire en Algérie. Plusieurs détails dans Merolla 1996 : pp. 203-204.

[248] Merolla 1996 : pp. 185, 214.

[249] Bien que souvent au travers de détournements (pseudonymes, différents narrateurs dans des textes emboîtés) pour éviter l’association entre écrivain et héroïne.

[250] Voir Hugh Roberts 1982 : 334.

[251] Chimo, Lila dit ça, Paris, Ed. Plon, 1996, 174 p. ; J'ai peur, Paris, Ed. Plon, 1997, 244 p.

[252] Paul Smaïl, Vivre me tue, Paris, Ed. Balland, 1997, 188 p.

[253] Ahmed Zitouni, Attilah Fakir. Les derniers jours d'un apostropheur, 1987, Ed. Souffles, 250 p.

[254] Chimo, Lila..., p. 7.

[255] Une étude du paratexte de Lila dit ça a été développée plus amplement dans Michel Laronde, « La littérature de l'immigration et l'institution en 1996 : Réflexions à partir du paratexte de Lila dit ça », Etudes francophones, University of Southwestern Louisiana, Vol. 14, No 1, printemps 1999, p. 5-25.

[256] Roland Barthes, « La mort de l'auteur », Le Bruissement de la langue, Paris, Ed. du Seuil, 1984, p. 63-69.

[257] Et notamment de manière explicite à la page 222 de J'ai peur : « j'ai pas connu les parents de mes parents restés là-bas de l'autre côté de la mer, morts maintenant peut-être avec ces villages égorgés, vaguement l'école coranique vers neuf dix ans ».

[258] Paul Smaïl, Casa, la casa, Paris, Ed. Balland, 1998, 207 p. ; La Passion selon moi, Paris, Ed. Robert Laffont, 177 p.

[259] Tahar Ben Jelloun, La plus haute des solitudes, Paris, Seuil, 1977, p. 45.

[260] Yamina Benguigui, Mémoires d’immigrés, Paris, 1994.

[261] Ahmed Lallem, Algériennes, 20 ans après, Paris, 1994.

[262] Yamina Benguigui, Mémoires d’immigrés

[263] Bourlem Guerdjou, Vivre au paradis, Paris, 1996.

[264] Dominique Cabrera, «L’aveugle et le paralytique », Cahiers du Cinéma, Paris, Juillet 1994, p. 12.

[265] Yamina Benguigui, Mémoires d’immigrés

[266] Abdellatif Chaouite, La mémoire et l’oubli, Qantara, Paris, no 30, hiver 98-99. p. 25.

[267] Yamina Benguigui, Mémoires d’immigrés…

[268] Bourlem Guerdjou, Vivre au paradis, Paris, 1999.

[269] Dominique Cabrera, L’Aveugle et le Paralytique. p. 13.

[270] Rachid Bouchareb, Les Années Déchirées, Paris, 1999.

[271] Boris Seguin et Frédéric Teillard, Les Céfrans parlent aux Français :Chronique de la langue dans les cités, Paris, Calmann-Levy, 1996, 229 p.

[272] Mehdi Charef, Bye-Bye, Paris, 1993.

14 Malik Chibane Douce France, 1994.

[273] Yamina Benguigui, Mémoires d’immigrés

[274] Chaouite, Abdellatif, La Mémoire… p. 26.

[275] Réda Bensmaïa, The Year of Passages, trad. Tom Conley, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1995.

[276] Réda Bensmaïa, Alger, ou la maladie de la mémoire, l’année des passages, Paris, L’Harmattan, 1997.

[277] Réda Bensmaïa, Alger, ou la maladie de la mémoire, l’année des passages, Entretien avec Christiane Chaulet-Achour, Algérie Littérature/Action, Paris, No 22-23, juin-septembre 1998, p. 148-161.

[278] Réda Bensmaïa, Alger..., p. 47.

[279] Id.., p. 8.

[280] Réda Bensmaïa, Entretien..., p. 161.

[281] Réda Bensmaïa, Alger..., p. 114.

[282] Id.., p. 114-115.

[283] Réda Bensmaïa, Alger..., p. 132.

[284] Réda Bensmaïa, Entretien..., p. 153.

[285] Réda Bensmaïa, Alger..., p. 122.

[286] Id., p. 119.

[287] Salman Rushdie, The Satanic Verses, Londres, Viking Press, 1988.

[288] Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka : Pour une littérature mineure, Paris, Éd. de Minuit, 1975.

[289] J’emprunte cette notion à Edouard Glissant, Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990.

[290] Mohammed Dib, L’Incendie, Paris, Le Seuil, Rééd. 1957, p. 132.

[291] Id., p. 124.

[292] Voir Winifred Woodhull, ‹‹Ethnicity on the French frontier››, in Gisela Brinker Gabler et Sidonie Smith (s. la dir. de), Writing new identities. Gender, nation, and immigration in contemporary Europe, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1997, p. 31-61.

[293] Pasquale Verdicchio, Bound by distance. Rethinking nationalism through the Italian diaspora, Madison, New Jersey, Fairleigh Dickinson University Press, 1997. Sur l’émigration italienne, voir aussi Luisa Del Giudice, ‹‹Intervista con Giulia Niccolai. “I think I’m becoming Japanese”››, Los Angeles, Carte Italiane. A Journal of Italian Studies, Vol. 6, 1984-85, p. 1-18.

[294] Salah Methnani, en collab. avec Mario Fortunato, Immigrato, Naples, Theoria, 1990. Cité par Pasquale Verdicchio, Bound..., p. 157.

[295] Tahar Ben Jelloun, en collab. avec Egi Volterrani, Dove lo stato non c’è. Racconti italiani, Gli Struzzi 413, Turin, Einaudi, 1991. Cité par Pasquale Verdicchio, Bound..., p. 159.

[296] Nassera Chohra, Volevo diventare bianca, Rome, Éd. e/o, 1993. Cité par Pasquale Verdicchio, Bound..., p. 159-160. Sur le texte de Chohra et celui de l’Italienne-Ethiopienne Maria Viarengo, ‹‹Andiamo a spasso ?››, Linea d’ombra, Milan, No 54, novembre 1990, p. 74-76, voir Graziella Parati, ‹‹Looking through non-western eyes. Immigrant women’s autobiographical narratives in Italian››, in Gisela Brinker-Gabler et Sidonie Smith (s. la dir. de), Writing new identities..., p. 118-142.

[297] On pense, par exemple, au roman de Joy Kogawa, Obasan, Toronto, Lester & Orpen Dennys, 1981, un texte qui interroge l’histoire supprimée ou falsifiée de l’internement des Japonais, et de leurs descendants, résidant au Canada pendant la Deuxième Guerre Mondiale. On pense aussi au travail de Julia Emberley sur les femmes autochtones au Canada, Thresholds of difference. Feminist critique, native women’s writings, postcolonial theory, Toronto et Buffalo, University of Toronto Press, 1993 et Cultural politics of fur, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1997.

[298] Paul Gilroy, The Black Atlantic. Modernity and double consciousness, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1993.

[299] Shani Mootoo, Cereus blooms at night, Vancouver, Press Gang Publishers, 1996 ; réédité à New York, Grove Press, 1998.

[300] Voir Winifred Woodhull, Transfigurations of the Maghreb. Feminism, decolonization, and literatures, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1993. Voir aussi Jarrod Hayes, Queer nations. Marginal sexualities in the Maghreb, Chicago, University of Chicago Press, 2000 ; et Anne Donadey, Recasting postcolonialism. Women writing between worlds, Portsmouth, New Hampshire, Heinemann, 2001.

[301] Voir Ron Kelley, Jonathan Friedlander, et Anita Colby (s. la dir. de), Irangeles. Iranians in Los Angeles. Berkeley, University of California Press, 1993.

[302] Alisa Valdes-Rodriguez, Andy, a star in Iran, seeks to expand his musical world, Los Angeles Times, 5 juin 1999, p. F2, F9.

[303] Jeanne-Marie Clerc, Assia Djebar, écrire, transgresser, résister. Paris, L'Harmattan, 1997, p. 9.

[304] Assia Djebar, Le Blanc de l'Algérie. Paris, Albin Michel, 1995, 282 p.

[305] Georges Duby, Dialogues, Paris, Flammarion, 1980, p. 45.

[306] Assia Djebar, Le Blanc..., p. 216-217.

[307] Id., p. 218.

[308] Theodor Adorno, ADORNO, Notas de literatura, Rio de Janeiro, Tempo Brasileiro, 1973, p. 64.

[309] Assia Djebar, Le Blanc..., p. 225.

[310] Id., p. 261.

[311] Id., p. 272.

[312] Id., p. 263.

[313] Id., p. 243-244.

[314] Id., p. 261.

[315] Après une assez longue période d'assistanat à la réalisation qui suivit le tournage de deux courts-métrages (1968), Selma Baccar réalisa le premier long métrage tunisien dirigé par une femme Fatma 75 en 1978 qui fut censuré par le gouvernement. Ce ne fut qu'en 1995 que la réalisatrice tunisienne entreprit son second long métrage, La Danse du feu / Habiba Msika.

[316] Dziga Vertov (1885-1954), cinéaste soviétique dont les principes de tournage et de montage influencèrent entre autres les mouvements du cinéma-vérité et du néo-réalisme italien. L'Homme à la caméra (1930) est son film-manifeste le plus connu.

[317] Pour de plus amples informations sur le cinéma international d'avant-garde de cette période lire le numéro hors-série des Cahiers du cinéma, "Cinéma 68". M1089, Paris : Edition de l'Etoile.

[318] Les paroles de la chanson de la fin du film ont été écrites par Djebar elle-même.

[319] Assia Djebar, L’Amour, la fantasia, Paris, J.-C. Lattès, 1985, p. 229.

[320] Gilles Deleuze, Félix Guattari, Kafka: pour une littérature mineure, Paris, Minuit, p. 48.

[321] Assia Djebar, Femmes d’Alger dans leur appartement, Paris, Des Femmes, 1980, p. 8.

[322] Camille Lacoste-Dujardin, Des Mères contre les femmes, Paris, La Découverte, 1985, p. 65.

[323] Assia Djebar, Femmes d’Alger..., p. 116.

[324] Assia Djebar, Ombre sultane, Paris, J.-C. Lattès, 1987, p. 28.

[325] Apud Ghassan Ascha, Du Statut inférieur de la femme en Islam, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 56.

[326] Assia Djebar, Ombre sultane, p. 112.

[327] Germaine Tillion, Le Harem et les cousins, 4ème. éd., Paris, Le Seuil, 1974, p. 199.

[328] Assia Djebar, Femmes d’Alger..., p. 64.

[329] Assia Djebar, L’Amour, la fantasia, p. 243.

[330]  Paul Ricœur, Temps et récit, Vol. 3: Le temps raconté, Paris, Le Seuil, 1985, p. 208.

[331] Hafid Gafaïti, « Écriture autobiographique dans l’œuvre d’Assia Djebar », Itinéraires et contacts de cultures, Paris, Vol. 13, 1. sem. 1991, p. 97.

[332] Vera Lucia Soares, A Escritura dos silêncios: Assia Djebar e o discurso do colonizado no feminino, Niterói, RJ, EDUFF, 1998, p. 71.

[333] Assia Djebar, Loin de Médine, Paris, Albin Michel, 1991, p. 5.

[334] Assia Djebar, Loin de Médine, p. 39.

[335] Paul Ricœur, Temps et récit, Vol. 3, p. 347.

[336] Vera Lucia Soares, A escritura dos silêncios..., p. 137.

[337] Assia Djebar, Loin de Médine, p. 293.

[338] Assia Djebar, Loin de Médine, p. 300.

[339] Régine Robin, Le roman mémoriel: de l’histoire à l’écriture du hors-lieu, Montréal, Préambule, 1989, p. 67.

[340] Jack, Belinda. Francophone Literatures : An Introductory Survey. New York : Oxford University Press, 1996, p. 181.

[341] Segarra, Marta. « Voix et écriture dans les romans maghrébins écrits par des femmes » in Maryse Bray et Marc Gontard éds. Regards sur la francophonie, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 1996, p. 275.

[342] Gafaïti, Hafid. Les Femmes dans le roman algérien : Histoire, discours et texte. Paris : L’Harmattan, 1996. p.165.

[343] Bonn, Charles. Le Roman algérien de langue française : vers un espace littéraire décolonisé. Paris : L’Harmattan, 1985. p. 30. Il serait effectivement assez simpliste de mettre en parallèle la situation des colonisés d’hier et des femmes musulmanes d’aujourd’hui. Selon nous, bien que des similitudes existent peut-être entre les deux situations, il nous apparaît que des différences primordiales se font jour : par exemple le désir d’appartenance au groupe, la volonté de réforme de situation, etc.

[344] Bachelard, Gaston. La Poétique de l’espace. Paris : Presses Universitaires de France, Rééd. 1974. p. 29.

[345] Marta Segarra, op. cit., p. 280.

[346] Arles, Actes Sud, 1997.

[347] « Glissements de langues et poétiques romanesques : Poulin, Ducharme, Chamoiseau », in Littérature, N° 101, 1996.

[348] Cf. notamment L’Amour, La Fantasia

[349] Assia Djebar, Les Nuits de Strasbourg, Montpellier, Actes Sud, 1997, p. 226.

[350] Voir Assia Djebar, L’Amour, la Fantasia, Casablanca, édition marocaine, Eddif, 1992, p. 62.

[351] Id., p. 80.

[352] Id., p. 79.

[353] Id., p. 80.

[354] Id., p. 244.

[355] Id., p. 245.

[356] Id., p. 248

[357] Roland Barthes, Le Bruissement de la langue, Paris, Seuil 1984, p. 130.

[358] On n’a qu’à lire Les Nuits de Strasbourg, pour voir comment le corps libère l’écriture romanesque et comment la fiction libère à son tour le corps porteur d’histoires.

[359] Assia Djebar, Le Blanc de l’Algérie, Paris, Albin Michel, 1995, pp. 275-276.

[360] Jean Starobinski, La littérature et la beauté du monde , Diogène, Paris, Gallimard, 160, 1992, p. 53.

[361] Martin Buber, Je et Tu, Paris, Aubier, 1992, p 131.

[362] Martin Heidegger, Acheminement vers la parole, Paris, Tel Gallimard, 1996, p. 230.

[363] L’Arbre à dires, Paris, Albin Michel, 1998, p. 30.

[364] Assia Djebar, L’Amour, la fantasia, p. 20.

[365] Gilles Deleuze, Critique et clinique, Paris, Minuit, 1993, p. 9.

[366] Id., p. 125.

[367] Assia Djebar, Vaste est la prison, Paris, Albin Michel, 1995, p. 11.

[368] Id., pp. 11, 12.

[369] Id., p. 11.

[370] Id., p. 11

[371] Jacques Rancière, La Parole Muette, Paris, Hachette, 1998, p 49.

[372] Assia Djebar, Vaste est la prison, p. 15.

[373] Id., p. 21.

[374] Id., p. 51.

[375] Id., p. 21.

[376] Id., p. 21.

[377] Jacques Rancière, La Parole Muette, p. 49.

30 Assia Djebar, Vaste est la prison, p. 50.

[378] Régine Robin, Le Roman mémoriel, Montréal, éd. Le Préambule, 1989, p. 50.

[379] Assia Djebar, Vaste est la prison, p. 113.

[380] Id., p. 298.

35 Id., p. 158.

36 Id., p. 172.

37 Id., p. 201.

38 Id., p. 202.

39 Id., p. 339.

40 Id., p. 339.

41 Voir à ce propos Peggy Kamuf, Signatures ou l’institution de l’auteur, Paris, Galilée, 1991.

42 Assia Djebar, Vaste est la prison, p. 347.

43 Id., p. 346.

44 Id., p. 347.

45 Id., p. 346.

46 Id., p. 347.

47 Id., p. 347.

48 Id., p. 298.


 [C1]Corrigé

 [C2]Corrigé par moi puis envoyé le 18 juin à Suzan Ireland  en Angleterre pour ultime lecture. Mais n’y sera

 [C3]corrigé

 [C4]Corrigé

 [C5]Corrigé

 [C6]Corrigé

 [C7]Corrigé

 [C8]Corrigé