TES
GORGES MON ENFANT
(un récit plausible
des luttes marmoréennes)
Naissance d'une icône
Ta gorge mon
enfant hiératique à l'ivoirine
Tes proches aux
mains des ennemis du Livre
Tes intimes au supplice
de la datte noire
Sous le figuier
une ombre transcendée
Tu les conduis
blanchaille vers le partage des eaux
A la croisée des
bandits sur les chemins assassins
Tu te rengorges
petit paon de la casbah
Citadelle
d'orgueil en haut des marches
Roules et cours
contre le couteau
A gorge déployée
un sourire bras d'éternité
Ecrit ta légende
au feu de l'arme blanche
Des cris Survient
une pietà
Le regard
intérieur
Isis étreint son
Horus
Dans les rais de
Moussa
Une blancheur
sécrète
Une promesse vif
argent
Dans les corps
crucifiés
Des Isaac par
milliers
Les sectes
parlent d'or d'un dédit du passé
Les spectres
branchent la gégène sur la foudre
Les scènes du
drame disputent des rideaux d'organdi
Les sceptres se
forgent dans le sang des rues
L'ouverture du colloque
Ris et cours mon
enfant à gorge déployée
Je
prends ta main
Je
te donne un nom
Je
dessine une figure
Tu
t'appelles Nicée
C'est ainsi
qu'ensemble
Nous
irons au colloque
Des
Mille et une nuits
Ta gorge mon
enfant mélodie hasniaque
Au prisme des
orphées du raï d'Oran
Sa mélopée
berbère enlace la steppe
Au-delà de la
barre des blés cassis
De Bagdad à
Tanger
De Samarkand à
Khartoum
De Grenade à
Islamabad
De Constantine à
Blida
Mon enfant Nicée
Nous
allons au colloque
des
Mille
une nuits blanches
Prélude
à la nuit
Ta gorge mon
enfant une aube lourde
De blancheur
exiguë à la merci du bourreau
Figue de barbarie
rite sans voie
Creux au creux
d'un enchantement de magie noire
Ta
gorge mon enfant
l'appris désarticulé
au coin de la rue
bar
éventré
jugulaire
sous la cagoule
une lutherie défenestrée
des voiles qui fomentent
cinglants désaveux
Ta gorge mon
enfant une prairie de sable
L'élévation de
tous les mirages
Une araignée
familière au foyer
Veuve écrasée au
festin des hyènes
Ta gorge de Pisé mon enfant
Accent de matin céleste
Nour gardienne de tout instant
Un feu dans l'eau du puits
Ta gorge mon
enfant
L'échancrure d'un
linge blanc
Novice en
libertés arides
Les drains des
saturés de l'histoire
Ont dégorgé des
ventres putrides
Des vers puants
de frénésie avant l'assaut
Un linge blanc
une prise d'air
frais
un matin calme de
café odorant
au col d'Ouzou peut-être à Tibéhirine
au cloître de lumière grise
en écho à la
Tour sarrasin
Des carrés de
toutes sortes pour un cimetière un foulard
un jardin (une
oasis à l'écart de toute beauté tragique)
un damier un
échiquier pour des stratégies inconnues
Ta gorge mon
enfant
Un linceul n'a
pas de reproches
Au crépuscule des mots
L'étrange calligraphie d'un bled
Une syntaxe violentée A la dérive
Dans l'étranglement d'une sourate
Ils ont étalé leurs compromissions
Autour d'une meïda dérobée
Quel prix pour les auteurs de
concussions ?
Ils ont repeint la meïda dérobée
Un village ourlé à blanc
Une cigogne ensanglantée
Reine sur un piton rocheux
Entre deux sourates escarpées
Une gazelle rupestre s'est là endormie
Les bois chus dans la forêt des
eucalyptus
Au pariétal ils ont adressé des
rafales
Ils ont soumis
les piliers de la Sagesse
Les sens Les lois
Les amours Les prières
Les soleils
dormants dans les baies d'orage
Des pieux en plein coeur!
Le sac du hadith
Ils ont miné les
bols de lait de chèvre
Ils ont poignardé les biberons
Ils ont mis à sac les bancs de
l'école
Ils ont mitraillé la
maternité
Ils ont éventré les
vagissements du nouveau-né
Ils ont égorgé les ovogonies
Ils ont
dépecé l'aube
Ils ont saigné le crépuscule
Ils ont déchiqueté les émois de
plaisir
Ils ont passé des
menottes aux parfums
Ils ont muré les consciences
Ils ont piégé les jeux de
dominos
Ils ont exécuté le regard de
l'enfant
Ils ont sabré la provision de
henné
Ils ont réduit les douars à la marche forcée
Ils ont dispersé la semoule de blé dur
Ils ont pendu les veillées au
gibet des rues
Ils ont
incarcéré le vert
Ils ont ourdi contre le
croissant
Ils ont posé des électrodes au lézard du
désert
Ils ont figé l'arabesque dans l'encrier
Ils ont lapidé les nuits de noces
Ils ont mutilé les langues de la
pensée
Ils ont équarri l'étoile
chérifienne
Ils ont glacé les nuits de
Schéhérazade
Ils ont conspiré contre le jour
Ils ont comploté contre la nuit
Ils ont saccagé
le rire aux éclats des berceaux
Ils ont fait au savon noir l'honneur d'une
(couronne
d'épines
Ils ont fait d'un diplôme un
exercice de haine
Ils ont trébuché
sur les silences actifs
Ils ont dérapé au partage du gâteau
de miel
Ils ont hésité au seuil de la datte
fourrée
Ils ont reculé
face au chant du muezzin
Ils ont enrayé
leurs armes dans des cheveux de jais
Ils ont tourné
contre eux le vol des chasseurs d'Afrique
Ils ont englué
leurs commandos dans le sucre des loukoums
L'entrée de la Houri
Elle va tête nue
au-dessus des nuages
Elle a pour la char'ia le sabot du cheval
aubère
Elle arrache un printemps résolu à
l'asphodèle
Elle s'arme des mots de candeur liliale
Elle tient
du lys une parole de résistance
Elle frissonne des incrustations de
marbre
Elle redonne son éclat au blanc de céruse
Elle a de l'opprobre féminin la vision d'une (gandoura des
neiges éternelles
Elle écrit
"espoir" à la craie des
(lendemains
Elle a
des élans qui irisent le blanc
(des opales
Elle rehausse de chaux les cernes noirs (de son histoire
Elle a remis sous la torture une copie
(blanche
à son bourreau
Elle a Vénus rouge célébré les noces du jour
Elle a licorne d'or planté le flanc de son ennemi !
Audeloncourt, France, près de chez Louise Michel
Octobre 1997