Compte rendu de lecture :

 

 

Assia Djebar : Les Nuits de Strasbourg, Actes Sud (Coll. «Un endroit où aller »), Arles, 1997.

 

 

Publié dans la collection «Un endroit où aller », ce livre est par excellence le livre de l’errance. La protagoniste (Thelja) est une algérienne de trente ans. Laissant mari et garçon en Algérie, se transformant en femme « suspendue », elle rencontre un alsacien et se lie d’amour avec lui. Invitée à Strasbourg par son amie Eve, elle saisit l’occasion pour rencontrer François et vivre avec lui neuf nuits d’amour successives.

 

Au tableau d’un Strasbourg déserté par ses habitants lors de l’occupation allemande (septembre1939), à une ville couverte d’un suaire noir succède l’image d’une cité « courant d’air », d’un lieu de rencontre et d’amour. Plusieurs couples se forment en cet espace de la réconciliation : Thelja/François, Eve/Hans (une algérienne juive et un allemand de Heidelberg) Irma/Karl (une française d’origine juive à la recherche de son identité et un français né en Algérie sous l’occupation). Tous ces couples vivent dans l’entente et l’amour. Eve attend même un enfant de Hans.

 

Ce tableau idéal d’une ville pleine de concorde et altéré vers la fin de l’œuvre par une scène tragique : Jacqueline est assassinée par son amant Ali alors qu’elle allait au commissariat de police porter plainte contre lui pour viol. Ainsi la violence persiste et entrave tout désir de composer avec l’autre, de vivre en paix. Le « poudroiement »  de Thelja (Neige) dans la ville de Strasbourg ­__ cité dont elle habite désormais les nuits désertes, se terrant à la tombée du jour __ symbolise la précarité de cette concorde recherchée, de ce pont jeté entre soi et l’autre à travers l’amour, l’amour se faisant langage, dialogue : « __ L’amour, [dit François] amusé, serait (…) nos exercices de prononciation, de rythme, de phrasé … » (p. 225).

 

Comme la plupart des livres d’Assia Djebar, l’originalité du roman émane de ce mélange fascinant entre un récit historique (souvenirs d’enfance de François se transformant en narrateur : la ville de Strasbourg désertée par ses habitants en 1939) et des scènes intimes pouvant être de nature autobiographique.

De multiples voix féminines à côté de la voix de la narratrice première pullulent dans le roman, un concert de voix rythme le récit qui, polyphonique, ne peut qu’attester cette recherche du dialogue, de la composition , comme dans une partie musicale, entre plusieurs voix, plusieurs langues et plusieurs personnes si différentes soient-elles. « Je » est en effet tour à tour la narratrice première, Thelja, Eve, Irma…

 

Si dans L’Amour, la fantasia (1985) le récits des nuits d’amour ne peut pas se faire ; ici, par contre, il se déroule limpide, sans entrave aucune. Ce récit reste cependant impersonnel comme si dire l’amour avec « je » restait décidément impossible pour la narratrice d’Assia Djebar.

 

Najiba Regaïeg

Sousse (Tunisie)