Dans le paysage littéraire
maghrébin de langue française, résonne une voix aussi rude et rocailleuse que
ces "lieux où la géologie et la métaphysique se mêlent en de multiples
images" [1] dont elle se fait l'écho, à la fois agressive,
généreuse, inquiétante et si humaine, celle de Mohamed Khaïr-Eddine.
"Parole sauvage" [2], elle introduit la discordance dans la littérature
maghrébine, faisant voler en éclats aussi bien les dogmes littéraires que les
valeurs sclérosantes. Enfant terrible de la littérature maghrébine,
Khaïr-Eddine y occupe une place marquante et participe à sa vitalité et à son
renouvellement. Tôt venu à la littérature, il déclenche avec d'autres ce grand
mouvement régénérateur de la production maghrébine, qu'est le mouvement Souffles, en 1966. Avec eux, il apporte
un sang neuf à cette littérature jusque là trop astreinte à certaines règles et
valeurs artistiques et culturelles.
Ainsi, l'itinéraire de ce fils
de commerçants soussi s'inscrit d'emblée dans la marginalité et la
contestation. Né à Tafraout, dans le Sud marocain en 1941, Khaïr-Eddine passe
une enfance commune à nombre d'enfants berbères, originaires du Sud, terre
d'émigration, entre femmes et vieillards et dans l'absence du père, parti
chercher fortune dans le Nord. La scolarisation coïncide avec le départ pour
Casablanca et l'abandon de la mère et du Sud. C'est aussi la découverte de la
littérature. Interrogé sur cette époque de sa vie et sur sa venue à l'écriture,
Khaïr-Eddine raconte:
Disons que j'ai commencé à écrire en classe de 5ème secondaire
(...). Je publiais dans la Vigie marocaine,
il y avait même des professeurs qui m'encourageaient mais la famille était
contre (...). J'étais plutôt fort en sciences et en français, nul en arabe,
sauf en poésie. J'ai même écrit des tragédies que mon père a vendues à des
marchands de cacahuètes qui en ont fait des cornets... [3]
Ceux qui ont connu Khaïr-Eddine
à cette époque se souviennent d'un jeune garçon déclamant des poèmes entiers
quand il n'en inventait pas déjà lui-même. Entré en littérature malgré
l'opposition de son père, Khaïr-Eddine trouve là une nouvelle famille. Ses
découvertes et ses rencontres orientent alors sa vie et ouvrent un parcours
jalonné par des mots-repères, thèmes majeurs aussi, tels que séisme, exil,
retour, errance perpétuelle. Aussi, quatre grandes périodes marquent cet
itinéraire de poète errant, ce trajet en pointillé.
En effet, la période 1961-1965 est dominée par le séisme.
Tout d'abord celui qui frappe, le 29 février 1960, la ville d'Agadir où
Khaïr-Eddine s'installe (1961-1963), abandonnant les études pour l'écriture.
Chargé d'enquêter auprès de la population pour le compte de la Sécurité Sociale
où il travaille, Khaïr-Eddine met en gestation L'Enquête et Agadir qui
paraîtront ultérieurement. Enfin, le jeune poète est à son tour
"travaillé" par le séisme dont il fait à travers son oeuvre le
symbole majeur de toutes les remises en question et de tous les ébranlements
individuels et collectifs. Avec un groupe d'amis dont Nissaboury, il préconise
cette révolution dans le domaine de la poésie et la nomme "guérilla
linguistique" dans un manifeste intitulé "Poésie toute". Suit
une revue, Eaux vives, éphémère mais
point de départ d'une carrière poétique puis romanesque qui s'inscrit dès lors
dans le grand mouvement littéraire et intellectuel marqué par la naissance de Souffles en 1966. De 1963 à 1965,
installé à Casablanca, Khaïr-Eddine produit de façon intense:
"L'Enterrement", nouvelle parue dans Preuves en juin 1966, "Nausée noire" (Siècles à Mains,
Londres, 1964). Il se lie d'amitié avec ceux qui fondent Souffles, notamment B. Jakobiak et A. Laâbi, compagnons de poésie
et de combat. Cette première étape de l'itinéraire de l'écrivain débouche,
comme chez nombre d'écrivains de cette époque, sur le départ pour la France
(1965), à la rercherche "dans la distance, du seul lien possible"[4] avec la famille et le pays, fuis l'un comme l'autre.
S'ouvre alors une longue
période d'exil volontaire de 1965 à 1980,
pendant laquelle Khaïr-Eddine mène la vie des "boucs" comme mineur,
ouvrier (1965-1966). En témoigne se correspondance avec Laâbi: "J'ai un
mauvais travail, je n'ai pas de logement, j'écris au prix de mille souffrances
dans les cafés, c'est là que je me terrorise". Khaïr-Eddine publie
"Faune détériorée" dans la revue Encres
Vives en 1966; le texte est récompensé par le prix "Encres
Vives". Il participe aussi à diverses revues dont Dialogues, Les Lettres
Nouvelles, Présence Africaine et
collabore à Paris à la fondation de Souffles
en 1966. En 1967, ses poèmes sont remarqués dans Les Temps Modernes, Le
journal des Poètes. Agadir paraît
au Seuil et reçoit le prix des "Enfants terribles", fondé par
Cocteau. L'Enterrement obtient le
prix de la Nouvelle maghrébine. C'est une période féconde: Corps négatif, suivi de Histoire
d'un Bon Dieu (1968), Soleil
Arachnide (1969), troisième récompense du prix de l'Amitié Franco-Arabe. Moi l'aigre (1970), Le Déterreur (1973), Le Maroc
(1975), Une Odeur de mantèque (1976),
Une Vie, un rêve, un peuple toujours
errants (1978) témoignent de cette fécondité qui donne une oeuvre rivée,
malgré l'exil, à la terre marocaine et "sudique".
Parallèlement, Khaïr-Eddine
anime pour France-Culture des
émissions radiophoniques nocturnes, vit dans le mouvement des idées de Mai 68
et continue à faire des rencontres importantes pour lui: Malraux, Sartre,
Beckett, Senghor, Césaire, Damas...
Sa vie sentimentale, pour le
moins mouvementée, est marquée par un mariage avec "Annigator", ainsi
nommée dans Soleil Arachnide et la
naissance d'un fils, Alexandre. Cet équilibre se rompt lorsque Khaïr-Eddine
quitte le Midi de la France où il s'était installé et se sépare de sa famille
pour la vie tumultueuse de Paris. Là, Khaïr-Eddine reprend son errance,
tenaillé par le mal du pays, le manque de ce Sud, qu'en fait il n'a jamais
quitté. En 1979, Khaïr-Eddine veut rentrer au Maroc. Ce retour, "opéré sur
un coup de tête"[5], sans doute facilité par son ami Senghor, s'effectue
en 1980 et donne lieu à l'écriture d'un recueil de poèmes: Résurrection des fleurs sauvages (1981). Ressourcement après des
"tribulations de toutes sortes"[6], recherche d'équilibre, ce retour que Khaïr-Eddine
explique dans un texte intitulé "Le retour au Maroc" ouvre, selon le
poète, un cycle historique avec un récit, Légende
et vie d'Agoun'chich (1984) qui scelle ses retrouvailles avec le Sud tant
aimé et tant fui.
De 1980 à 1989, à l'exception de ce grand texte, Khaïr-Eddine ne
produit rien de marquant. Heureux et enthousiasmé de retrouver sa terre et sa
culture, à son arrivée, au fil des ans, le poète mène de nouveau une existence
dissolue dans une société où il ne se sent décidément pas à sa place, traînant
avec lui son mal de vivre, étranger partout, toujours propulsé vers un ailleurs
inaccessible. Khaïr-Eddine sillone le Maroc, ne mettant pas de séparation
visible entre voyage réel et voyage intérieur. Ils sont chez lui les deux
modalités d'une même recherche, les deux expressions d'un même désir. Pour
subsister, il écrit des articles dans divers journaux marocains: Le Message, Le Libéral, L'Opinion,
participe à des manifestations culturelles et se prête volontiers à des exhibitions
médiatiques, se laisse enfin fêter comme l'un des rares écrivains maghrébins
vivant dans son pays. Croisé dans une rue de Casablanca, Rabat ou Tiznit,
Khaïr-Eddine n'a alors que le mot partir à la bouche. En 1989, il quitte de
nouveau le Maroc pour la France. Il vivrait actuellement à Paris et préparerait
une pièce intitulée Les Cerbères,
renouant ainsi avec le théâtre, vers lequel l'auteur a toujours été attiré.
Homme d'exil, Khaïr-Eddine est
encore une fois reparti vers cet "ailleurs inaccessible", à l'instar
de cet ancêtre fondateur de Légende et
vie d'Agoun'chich, pris à son tour par cet "amour de l'exil et de
l'errance". Ainsi, l'errance perpétuelle domine le parcours inachevé de
cet écrivain à l'image du poète-chantre de la tradition maghrébine.
Travaillée par les thèmes de
l'exil et de l'errance, l'oeuvre montre qu'ils ne sont pas de simples éléments littéraires, caractéristiques de cette littérature, mais qu'ils renvoient à une
pratique culturelle maghrébine pour laquelle l'exil et l'errance sont le fait
du banni, du héros et du poète. Chez nombre de personnages, associant ces trois
figures, l'exil et l'errance deviennent ainsi un principe de vie. De ce point
de vue, la biographie de Khaïr-Eddine lui-même constitue un témoignage
significatif.
Associés à ces deux thèmes
dominants, l'exclusion et la quête participent aussi à la thématique
fondamentale de l'oeuvre qui se fait l'expression de la marginalité sociale,
politique, culturelle et identitaire, génératrice alors de cette errance et de
cette quête que figure chaque livre de l'auteur. L'exclusion est ici, avant
tout, initiative individuelle, auto-exclusion, rébellion et rejet, contestation
socio-politique et désir de libération individuelle.
Les recueils de poèmes, de Nausée Noire (1964) à Résurrection des fleurs sauvages (1981),
en passant par Soleil Arachnide
(1969) et Ce Maroc (1975), formulent
cette révolte à la fois individuelle et sociale, cette revendication du même
ordre, tout en criant sa difficulté d'être, ainsi que le désir de changement et
la recherche d'un mieux être. La production poétique livre une poésie
essentiellement vindicative, imprécative et conjuratoire, une poésie violente
qui s'exile parfois dans le délire et l'onirisme, refuges contre le mal. Elle manifeste
par ailleurs une préoccupation constante pour le collectif, le poète se rêvant
voix du peuple. A l'instar des écrivains marqués par l'esprit de Souffles, Khaïr-Eddine ne conçoit pas
une littérature en dehors de l'engagement. Cette prise en charge du mal
collectif reste très forte dans la production romanesque de l'écrivain.
Cette dernière se construit
autour du même principe de la remise en question: des origines de l'identité
patriarcale et du pouvoir sous toutes ses formes. Agadir (1967) annonce une oeuvre dominée par le symbolisme du
séisme touchant non seulement l'espace mais les individus et surtout les
systèmes identitaires, sociaux et politiques.
Corps négatif suivi de Histoire d'un Bon Dieu (1968) s'en prend à cette trilogie du pouvoir, à ce que
Khaïr-Eddine associe violemment en un même corps négatif: Dieu, le roi, le
père. La subversion du pouvoir et la dénonciation politique se rattachent à la
thématique fondamentale de l'oeuvre ainsi qu'à la pratique scripturale de
l'auteur. Comme la plupart des écrivains de sa génération, Khaïr-Eddine
pratique une littérature iconoclaste, sacrilège, qui tourne en dérision le
sacré et le divin. Dieu lui-même n'est pas épargné par la démystification qui
dénonce, notamment à travers la figure du fqih,
une pratique détournée de la religion. L'oeuvre s'attaque à tous les agents du
povoir patriarcal.
Thème dominant dans la
littérature maghrébine, la verbalisation du conflit avec le père prend place
comme élément fondamental dans la thématique Khaïr-Eddinienne. Figure centrale
sur laquelle se focalisent la contestation du pouvir et la parole
transgressive, le père est l'objet d'un discours corrosif, impitoyable et
accusateur. Animalité monstrueuse, avide d'argent, cruel, libidineux, traître,
lâche, le père est honni chez Khaïr-Eddine - notamment parce-qu'il a répudié la
mère et abandonné le fils - jusqu'au fantasme, obsessionnel dans l'oeuvre, du
meurtre toujours manqué du père, qui se dresse comme un spectre persécuteur et
avec lequel les liens sont sans cesse rompus. Cette rupture avec la lignée,
dont l'expression est importante dans l'oeuvre, justifie l'exil et le rejet du
pays et de la société et correspond au refus d'assurer la continuité du pouvoir
patriarcal, celui du commerce et de l'argent, héritage paternel et berbère
auquel s'oppose l'écriture conçue comme espace et arme de la remise en cause de
ce pouvoir. L'oeuvre laisse apparaître un rapport problématique avec le père et
les ancêtres car il est d'ordre identitaire et culturel, à la fois rejeté et
revendiqué comme "ombilic réel qui relie aux Berbères".[7]
La question de l'identité, très
forte dans toute la littérature maghrébine, se pose avec acuité chez
Khaïr-Eddine, et à un double niveau, individuel et collectif. L'identité
s'inscrit dans un rapport avec un espace, nommé "sudique", qui occupe
une place focale dans l'oeuvre, espace géographique du Sud marocain chleuh et
surtout sphère sociale, historique et culturelle. Il est d'ailleurs
significatif que l'oeuvre de Khaïr-Eddine, conçue dans l'exil pour l'essentiel,
soit envahie par cet espace "sudique" avec lequel l'écriture
entretient des rapports ambivalents de refus et de revendications. Le dernier
livre de Khaïr-Eddine, Légende et vie
d'Agoun'chich (1984), exalte la dimension glorieuse et passée de l'histoire
et de la culture berbères et s'inquiète de leur écroulement actuel. De ce point
de vue, l'oeuvre reste toutefois dominée par le thème du lieu inaccessible, Sud
mythique, Sud maternel, Sud de l'enfance: "Le Sud! Le Sud! Ma mère, la
Vraie!" [8], Sud imaginaire et revendiqué par l'écriture qui
permet, seule, le retour à cet espace avec lequel elle fusionne.
Enfin l'oeuvre demeure
fondamentalement le lieu du dire sur soi, exprimant ainsi un autre aspect de la
problématique de l'identité chez Khaïr-Eddine. Omniprésent, le je, un et
multiple, sans cesse en dépossession de lui-même est, notamment dans Moi, l'aigre (1970), Le Déterreur (1973) et Une Odeur de mantèque (1976), atteint à
son tour par le dynamitage, principe moteur chez Khaïr-Eddine. La métamorphose,
le dédoublement ou l'éclatement-démultiplication du "je",
l'expression d'une sexualité exacerbée, l'animalisation à travers un bestiaire
foisonnant, voire la réification et enfin la mort à travers la complaisance
dans le putride et la cadavérisation,sont autant de manifestations de ce qui
apparaît ici comme un rejet et une valorisation de soi et dessine, en tout cas,
l'espace scriptural en lieu d'interrogation sur soi et sur les origines.
Considéré comme un auteur
difficile, hermétique et même incohérent, Khaïr-Eddine pratique, il est vrai,
une écriture qui cherche d'abord à dérouter, par le principe de la
"guérilla linguistique" proclamée par l'écrivain dès sa venue à
l'écriture. Celle-ci s'exerce sur les formes et genres littéraires
traditionnels. S'inscrivant dans la mouvance de Souffles, cette écriture abolit les distinctions classiques entre
le poétique, le narratif et le discursif et tend vers la recherche de l'unicité
du langage.
Ce dernier sera investi d'un
pouvoir multiple et soumis à un travail intense et privilégié. L'écriture
"terroriste" dynamite la notion même d'intrigue, réduite à des bribes
de récit. Seule la parole prédomine dans ces textes où les personnages sont
absents et remplacés par des pronoms qui se livrent une véritable lutte pour la
parole. En cela, la plupart des textes de Khaïr-Eddine se caractérisent par
leur polyphonie, par la multiplication des voix, des discours et des récits
ainsi que par la mise en avant d'une parole multipe.
De ce point de vue, la pratique
du théâtre - petites saynettes fréquentes dans tous ces textes - illustre bien
cette recherche fondamentale de la voix dans l'écriture de Khaïr-Eddine.
Celle-ci cherche à se faire entendre avec force et violence jusqu'au cri de
révolte qui pulvérise la phrase, elle-même complètement disloquée, parfois
jusqu'à l'incohérence.
La description, l'achronie, la
disjonction, l'incongruité fondent cette écriture insolite qui cultive aussi
l'extraordinaire et l'étrange. Tantôt ironique et satirique, le langage chez
Khaïr-Eddine se fait aussi plus mordant, voire scatologique car il se veut
essentiellement provocateur et déroutant. Aussi est-on en présence d'une
écriture paradoxale qui se pose comme une non-écriture et s'oganise autour
d'une dialectique de la construction-déconstruction d'elle-même.
Discontinuité du récit,
lui-même à la limite du réel et du fictif, écriture de l'hallucination et de la
fantasmagorie, éclatement de toute logique et de l'intrigue, pronominalisation
des personnages qui aboutit à leur négation, abolition du temps et de l'espace,
contradiction des discours par le procédé de l'affirmation-infirmation
caractérisent ces nouvelles formes narratives s'inspirant de Joyce, Faulkner,
Kafka, Céline, Beckett et des nouveaux romanciers. Elles inscrivent ainsi
l'écriture de Khaïr-Eddine dans une modernité scripturale qui met l'accent sur
la difficile mise en oeuvre du récit et sur la reflexion d'une écriture sur
elle-même.
Cependant, cette interrogation
vise essentiellement le pouvoir de nomination que donne l'écriture. Aussi
peut-on dire que chez Khaïr-Eddine, le langage, dont le fonctionnement
univoque, stéréotypé est sans cesse remis en question, ne se perçoit que dans
cette "perpétuelle dépossession"[9], caractéristique du corps et de l'identité chez
l'auteur. Ici, et de façon plus marquante, l'écriture traduit dans ses
mécanismes et son fonctionnement erratique, un désir de liberté par rapport aux
contraintes, un refus de l'absolu du langage et de l'univocité du dire, une
recherche enfin de la polysémie, du sens ouvert et du pluriel.
Le principe de "l'écriture
raturée d'avance" devient positif puisque générateur de récits, comme le
séisme est un préalable au renouveau. Cette écriture toujours en perte
d'elle-même vise à se subvertir elle-même, notamment par l'introduction, dans
le champ de l'écrit, de procédés propres à constituer une poétique de
l'oralité, la tradition orale étant ici revisitée par la modernité. Tout
concourt, dans l'interférence de l'écriture et de l'oralité, à une tentative de
subversion de l'une par l'autre. Voilà qui expliquerait le postulat
Khaïr-Eddinien de la non-écriture. Cette poétique est perceptible, notamment, à
travers le rapport ludique et premier instauré par l'écriture avec le langage,
déconstruit, reconstruit, selon un principe où le le propre de la parole dite
est de se dissoudre dans l'acte même qui la produit.
Dire et ne pas dire,
l'auto-destruction reste une pratique courante de l'oralité. "Il était et
il n'était pas" dit le conte traditionnel. Cette poétique de l'oralité est
aussi à l'oeuvre dans le fonctionnement même de la narration, en ce qu'elle
privilégie un langage du corps, une écriture organique centrée sur le corps, la
sexualité, la métamorphose, le masque, où domine la voix préoccupée par l'acte
d'énonciation qui semble primordial car il est fondateur du "je".
Le morcellement textuel, si
caractéristique de l'écriture de Khaïr-Eddine, traduit l'éclatement du
"je" dont l'agitation rejaillit sur la narration en proie à la même
fièvre et à la même errance. Le "je" fait corps avec le texte et
s'incarne dans une parole qui revient toujours à lui.
Zohra MEZGUELDI
[1] Légende et vie d'Agoun'chich, p 12.
[2] Violence du texte, p. 92.
[3]
Entretien enregistré à Rabat en septembre 1988.
[4]
"Littérature marocaine", Europe,
Paris, 1979 (juin-juillet).
[5]
"Le Retour au Maroc", Ruptures,
sept-oct. 1981, n° 2, p. 13.
[6]
Ibid.
[7] Une vie, un rêve, un peuple, toujours
errants, p.80.
[8] Le Déterreur, pp. 119-120.
[9]
Ibid.