Habiba SEBKHI,
University of Western Ontario, London (Canada)
La littérature "beur", née dans les années 80, est
produite en français par des écrivain (e)s issu (e)s de la seconde génération de
l'immigration maghrébine en France. Elle est l'expression d'écrivains nés ou arrivés
en bas âge dans le pays d'accueil de leurs parents. Or, bien que produite en français,
par des citoyens français, vivant en France, cette littérature semble ne pas
(encore ?) légitimer "l'appellation contrôlée" de "littérature
française" comme si cette dernière était une affaire de famille [1].
Dans ce travail, je me propose donc d'établir le concept de
"Littérature naturelle" qui évoque d'entrée de jeu un parallèle avec les
notions juridiques, aujourd'hui désuètes, d'enfant naturel et d'enfant légitime. Ma
démarche sera la suivante : Dans une première étape, je situerai la question qui a
servi de point de départ à ma réflexion, à savoir "l'illégitimité" de la
littérature beur ; je chercherai ensuite à positionner cette littérature dans son
rapport avec d'autres littératures en dégageant leurs points de (non)-rencontre. A
partir de là je poserai ma définition du concept de "littérature naturelle".
Dans un deuxième mouvement je porterai mon analyse sur deux caractéristiques
fondamentales de cette littérature, à savoir l'autobiographique et le transitoire.
L'illégitimité se situe à deux niveaux. Elle est à repérer
autour et à l'intérieur de la littérature beur. Elle se situe d'abord au sein de
l'institution, de manière externe ; elle se manifeste ensuite de manière interne
dans le tissu narratif.
Dans son article sur la littérature beur, Alec G. Hargreaves
commence ainsi : "La littérature issue de limmigration en France est une
littérature qui gêne. Les documentalistes ne savent pas où la classer, les enseignants
hésitent à lincorporer dans leurs cours et les critiques sont généralement
sceptiques quant à ses mérites esthétiques. Le simple fait de nommer ce corpus est
semé dembûches." [2] Cette littérature, en
effet, est tantôt étiquetée maghrébine, tantôt arabe, tantôt européenne, tantôt
étrangère ; elle se trouve aussi répertoriée chez les libraires dans la section
"immigration/racisme". Ce dernier cas est évidemment une éviction totale du
champ littéraire même. Toutes ces étiquettes peuvent expliquer que cette littérature
ne trouve, à ma connaissance, aucune place dans les anthologies de littérature
française.
La "raison" de cette illégitimité au sein de
l'institution française semble s'expliquer par une illégitimité esthétique qui fait
lunanimité des critiques. Parmi eux, Farida Belghoul, elle-même écrivaine
beur : "La littérature en question, dit-elle, est globalement nulle [...]. Elle
ignore tout du style, méprise la langue, na pas de souci esthétique, et adopte des
constructions banales." [3] Cette illégitimité
semble directement être liée au caractère autobiographique de témoignage, car
"Les écrivains quelle [limmigration] suscite ne peuvent dès lors que
produire des témoignages, lesquels manifestent dabord quils [écrivains
beurs] existent. Ce nest que lorsque ces textes se seront accumulés que
dautres pourront développer des textes dont la dimension autobiographique de
témoignage sera moins évidente, mais qui sauront jouer avec maîtrise littéraire sur
les différents discours qui fleurissent sur leur objet." [4] Pourtant, comme le
signale encore Charles Bonn, "Les textes beurs qui ne répondent pas à cet
archétype du témoignage autobiographique non-distancié existent, mais ils sont
immédiatement marginalisés par la critique ou par l'édition." [5] L'institution veut du
témoignage et les critiques de lesthétisme. Il est clair que cette littérature
nest pas sans failles ; mais si son style est le plus souvent oral et
argotique, cest peut-être que la langue des tripes demande dabord à être
entendue sans devoir au préalable passer devant une police de lesthétique qui
s'arrogerait le droit de sanctionner laffichage dune
"non-littérarité".
Outre son statut illégitime au niveau institutionnel, le roman
"beur" présente par ailleurs, au niveau narratif, une autre forme
dillégitimité. En effet, dans la grande majorité de ces textes le père est
absent ; même physiquement présent, celui-ci ne possède plus d'autorité
paternelle réelle. Ceci permet d'établir demblée un lien étroit avec le
"roman familial" tel que défini par Marthe Robert ; lun et
lautre apparaissent en effet à un moment de crise grave à laquelle l'enfant
trouvé ou le bâtard doit faire face, non pas comme une solution mais comme "le plus
simple, le plus ingénieux, le plus génial des expédients." [6] Je reviendrai plus
tard sur ce parallèle lorsqu'il s'agira de considérer un aspect important du roman beur,
à savoir l'aspect autobiographique. Mais d'ores et déjà disons que l'illégitimité
dans le cadre de l'institution, qui a servi de point de départ à ma réflexion, m'a
amenée à cette autre facette, interne cette fois, se situant à l'intérieur du tissu
narratif. Une des questions sera alors, où et comment ces "deux"
illégitimités se recoupent, se reflètent, quel genre de rapport les unit, si rapport il
y a. Cette question fera l'objet d'un autre travail.
Nous venons de voir que, pour des raisons desthétique et de
littérarité, la littérature beur ne trouve pas de classification définie au sein de
l'institution qui semble ne pas trop savoir ce qu'elle doit en faire. Sur le plan
théorique, et avant d'aboutir à une définition du concept de "littérature
naturelle", je vais d'abord positionner la littérature beur par rapport à d'autres
concepts déjà établis.
Dans Les Littératures de
lexiguïté, François Paré regrette de ne pouvoir disposer dun
classement plus précis [7]. La littérature beur
subit un classement variable dont le critère se réfère soit à lorigine et à la
seule nationalité des parents des écrivains beurs, soit au hors-texte auquel fait
référence le corpus beur. En bref, elle subit ce que Régine Robin appelle la
"ghettoïsation" [8]. Force est de
constater que, si une classification (justifiée ou non) peut être une forme
dexclusion, linverse est également vrai. Pour François Paré en effet,
cest labsence de classification qui noie dans luniversel ce quil
nomme "les littératures de lexiguïté", en un mot qui les exclut de la
même manière que si elle les spécifiait arbitrairement. Toutefois la littérature beur,
bien que née dans la marge, ne peut être considérée à proprement parler comme une
littérature de lexiguïté. Celle-ci, en effet, à caractère régionaliste, est
définie principalement par une autre langue que celle dune majorité :
littérature par exemple franco-ontarienne, slovène, basque
Ceci nest pas le
cas de la littérature beur qui partage toutefois un certain nombre de traits avec les
littératures de lexiguïté, notamment les traits de loralité [9], sa totale ou presque
totale exclusion du domaine de lenseignement [10] et la minorisation de
son discours "jugé circonstanciel et accessoire" [11]. Si les littératures
de lexiguïté sont à la recherche d'une spécificité nominative pour sortir de la
"noyade", cest pour accéder à une légitimité tout comme la
littérature beur, qui en revanche, semble se réclamer de la totalité sans spécificité
éthnicisante [12].
La littérature beur nest pas non plus une littérature
minoritaire, bien quelle soit en apparence conforme à la définition qu'en propose
Dubois : "les littératures minoritaires, écrit Dubois, sont des productions
diverses que linstitution exclut du champ de la légitimité ou quelle isole
dans des positions marginales à lintérieur de ce champ." [13] Dans cette
définition, "diverses" resterait à préciser. Il ressort cependant que
"minoritaire" semble synonyme de "minorisée", puisque Dubois ajoute
que "linstitution nest cependant pas indifférente à leur existence
puisquelle a besoin des productions quelle minorise en les considérant comme
inférieures, pour mieux valoriser la 'bonne littérature'". [14] La définition de
Dubois convient seulement en partie à la littérature beur, car une littérature
minoritaire n'est pas nécessairement l'expression d'une minorité. De plus, elle ne
présente pas nécessairement un aspect autobiographique fondamental et prospectif dont il
sera question dans la deuxième partie de ce travail.
Si on se penche à présent sur le concept deleuzien de
"littérature mineure" [15], il ne couvre pas non
plus la littérature beur dont les auteurs, certes, font du français un usage maternel,
mais qui aussi, dans leur très grande majorité, ne maîtrisent que le français. Leur
langue de départ, larabe, a été désapprise. Par ailleurs, même si la
littérature beur implique aussi une valeur collective, cette valeur prend la forme
dune autobiographie-copie (comme je tenterai de lexposer plus tard), ce qui
nest pas le cas pour le concept de Deleuze et Guattari. En définitive, la
littérature beur nest "mineure" qu'au sens de "jeune".
La littérature beur relèverait-elle alors de la littérature
migrante ? On entend par ce terme que le sujet écrivain a émigré dun lieu
dorigine vers un autre lieu. Or, le sujet beur na ni émigré ni immigré. De
plus la littérature migrante est une écriture du deuil, de la perte, de la dépossession
nostalgique du pays, des origines. C'est cet espace que Régine Robin, écrivaine
migrante, essaie de dépasser en se créant un autre espace, celui de "l'identité de
traverse" qui est celle où les écrivains "assument au niveau conscient [...]
le fait d'être à cheval sur plusieurs cultures, plusieurs pays, plusieurs langues,
plusieurs imaginaires avec des expérimentations formelles pour donner de la cohérence à
cette multiplicité ou à ces clivages." [16] Or, aucune trace de
cela dans la littérature "beur" dont la production révèle une mémoire du
pays dorigine fictive et un solide ancrage dans "lIci".
La littérature beur ne peut être considérée comme postcoloniale.
Bien que ce terme pose problème à cause de ses nombreuses acceptations selon le rapport
au temps, à lespace ou à toute autre appartenance, je pars du principe néanmoins
que pour être postcoloniale, une littérature se positionne dans un rapport
dex-colonisé-colonisateur. Or, "le discours produit (par la littérature
"beur") nest ni une doléance à lancien état colonial ni une
complaisance à la vision exotique du Maghreb : cest une voix active,
interpellative et revendicative de la place du citoyen dans la société
française" [17].
Finalement, il ressort de cela que si la littérature beur partage en effet certaines caractéristiques avec dautres littératures, elle ne peut se superposer entièrement à l'une ou à l'autre dentre elles. D'où la nécessité d'un terme qui puisse rendre compte de sa condition fondamentale. Considérons donc comme "littérature naturelle" toute littérature produite dans une marge par une minorité identifiable [18] dans un contexte culturel dominant qui refuse, rechigne, hésite à la reconnaître. Engendrée dans les faits par une double généalogie culturelle, celle du pays des origines et celle du pays d'accueil, son intégration, cependant, dans le canon littéraire "national" ne va pas sans réticence.
Je me propose dans la suite de ce travail de me pencher sur deux
caractéristiques principales, à savoir l'autobiographique et le transitoire dont le lien
même marque le fondement d'une littérature naturelle.
Le trait constitutif dominant de cette littérature romanesque est
son matériau, sa teneur autobiographique. Il existe deux raisons qui obligent à prendre
fortement en compte l'autobiographique (pour ne pas dire l'autobiographie) dans le corpus
beur. La première, c'est que tous les romans, de près ou de loin (plutôt de près que
de loin), ont pour référence le milieu social d'où sont issus les écrivains
eux-mêmes, sans mentionner le fait que le protagoniste porte parfois, comme dans Le Gone du Chaâba d'Azouz Begag, le prénom de
l'auteur. On ne peut perdre de vue que le roman beur, comme tout roman, "affirme
l'être historique et une appartenance à un moment culturel spécifique qui font qu'il
existe de bonnes raisons pour dire ce que nous disons et pour le dire comme nous le
disons." [19] La deuxième raison
est que tous ces romans racontent la même histoire avec quelques variantes. Ainsi, tous
ces récits individuels deviennent une histoire commune, une seule histoire, celle du
Beur : origines, famille, naissance, école, bidonville, banlieue, désuvre
ment, délinquance, errance, enfermement et, enfin, quête. Ce qui ne veut pas dire que ce
corpus manque de drôleries et de tendresse. Il reste cependant que la structure du
parcours de chaque protagoniste principal résonne d'un roman à l'autre comme une copie
presque conforme. Mais en disant la même chose, tous ces jeunes écrivains en fait,
rendent leur récit plus autobiographique que fictionnel, plus réel, plus substantiel, en
un mot plus persuasif ; car, pris individuellement, chaque roman est un simulacre
fictif, mais pris dans leur ensemble, ils révèlent une vérité de la fiction. C'est ce
qui instaure non pas un "pacte autobiographique" mais bien plutôt une signature
autobiographique collective.
Dans une littérature naturelle, l'autobiographique est une donnée
essentielle parce que faire le récit de sa vie n'est pas un prétexte. C'est un acte
vital. Certains auteurs de cette génération n'ont écrit, à ce jour, qu'un seul livre,
celui de leur vie justement. C'est pourquoi je dirai que l'autobiographique, pour une
littérature naturelle, est une voie d'urgence nécessaire ; en lui s'opèrent une
catharsis et une thérapie [20]. Le récit de sa vie
libère des affects jusque-là contenus et responsables d'un traumatisme dû à une
condition sociale et à une situation historique.
En outre, face à une crise dont il "décline le quotidien"
(Paré) dans l'exclusion, la marginalisation, le rejet, les tensions sociales et
historiques, l'autobiographique de la littérature naturelle a également valeur
compensatrice : ceci rappelle de près la notion du "roman familial"
signalé déjà plus haut. Celui-ci en effet est composé dun "noyau
primitif" reposant sur le motif de l'enfant trouvé ou du bâtard qui, à un moment
de crise, se construit son "roman familial" sous forme d'un "patron"
dont le "récit peut varier sensiblement selon le cas et passer par différents
degrés de développement, mais jamais ne change de décor, ni de personnages, ni de
sujet ; jamais il ne perd sa coloration affective ni les désirs confus qui
l'obligent à se camoufler, de sorte que sa monotonie apparaît liée à une nécessité
première [...]." [21] Le roman beur est un
récit de vie (re)construit par un bâtard ici culturel. Tout comme le "roman
familial", son contenu est constant et il arrive à un moment de crise pour contrer
une illégitimité.
Dans le même temps le Beur instruit son propre dossier ; en
rassemblant toutes les pièces nécessaires dans le récit de sa vie, il fait acte de
mémorialisation ; son histoire, qui est celle d'une collectivité, accède grâce à
l'écriture au rang de cette mémoire collective dont a été privée la génération des
parents. Ces derniers en effet, étant pour la plupart analphabètes, n'avaient pu écrire
leur vécu, ni raconter leur histoire eux-mêmes. C'est d'ailleurs pourquoi la
littérature de l'immigration maghrébine en France est inexistante à proprement parler.
En revanche les enfants issus de cette immigration, en prenant la plume, inscrivent leur
histoire pour ne pas disparaître comme leurs parents sans trace écrite. La littérature
naturelle, fondamentalement autobiographique, cherche à saisir puis à établir un moi
dans son identité culturelle éparse, composée d'un ici français (récit premier) et
d'un ailleurs maghrébin (récit second/secondaire ?). Mais ce récit de
reconstitution de soi, en s'inscrivant surtout dans les paramètres de l'ici et du
maintenant, est en soi un acte d'auto-légitimation, car il fait naître un individu
nouveau, qui s'auto-perçoit et dit ainsi ce qu'il pense être sa vérité propre, ce qui
sest constitué en lui. L'autobiographie, à la différence de l'autobiographique,
est généralement le récit de toute une vie plus ou moins déjà derrière soi. Or, les
écrivains beurs sont tous encore jeunes. Leurs récits d'un passé/présent sont bien
plus une mise en perspective afin de mieux répondre à un futur. Ainsi l'écriture
autobiographique, par définition rétrospective et/ou introspective, prend pour une
littérature naturelle un autre sens. Elle se présente bien plutôt comme un tronc
primaire mais primordial sous lécorce duquel le passé se réconcilie et le futur
se balise. L'autobiographique vaut avant tout comme un point d'ancrage et de repérage
d'une identité beur d'abord à la dérive. Le récit de vie est avant tout une écriture
mémorielle prospective, car sans mémoire, sans histoire il ne peut y avoir de projection
dans l'avenir immédiat.
Dans son essence, cette littérature beur se fonde sur des
affirmations à tournure négative (je ne suis pas votre objet, je ne suis pas aphasique,
je ne suis pas un citoyen de second ordre) qui ne vont pas sans rappeler l'un des aspects
de la négritude qui consistait à renverser les termes d'un système logocentrique. Le
roman beur autobiographique projette le sujet dans une situation concrète de prise de
conscience. C'est pourquoi une littérature naturelle se révèle par là-même aussi un
acte pragmatique qui, en mémorialisant le passé mais surtout le présent dont elle fait
un lieu de mémoire [22], trace les enjeux
pour demain ; le texte [naturel] entretient une relation très étroite,
particulière et fondamentale avec la situation sociale et historique dans laquelle il a
été conçu et enfanté, car le bâtard "est plus engagé dans le temps." [23] A cet égard, son
écriture prospective doit être appréhendée comme mode de réponse aux conditions
particulières qui lui ont donné le jour et face auxquelles il profile la silhouette d'un
individu à venir, en construction, donc se situant encore à un moment de passage, de
transition. Un individu donc à venir et dont la biographie serait paradoxalement à lire
en palimpseste derrière celle qui nous est racontée.
Il y aurait donc un récit de vie double, la vie du présent et celle
en devenir. Cela se présente comme un récit "en doublure", pourrait-on dire.
Reste bien sûr à savoir si cet individu, qui est la projection d'un désir réel, n'est
pas finalement l'expression d'un idéalisme et par conséquent une autre regénération
des mythes du "roman familial". Car, dans ce dernier, l'enfant trouvé/le
bâtard "n'échappe, [écrit Marthe Robert,] au déchirement qu'en se réfugiant dans
un monde plus docile à ses voeux, autrement dit en choisissant de rêver. C'est ainsi
qu'il en vient à se raconter des histoires, ou plutôt une histoire qui n'est rien d'autre en fait qu'un
arrangement tendancieux de la sienne, une fable biographique conçue tout exprès pour
expliquer l'inexplicable honte d'être mal né, mal loti, mal aimé" [24]. Cette question fera
l'objet également d'un autre travail. Il reste néanmoins que la littérature beur à ce
stade annonce un individu à venir, donc se situant dans le transitoire.
Avant d'aller plus loin, résumons ce qui a été établi jusqu'à
présent de la littérature beur, considérée comme littérature naturelle : elle
est fondamentalement autobiographique (son aspect autobiographique est
"manifeste") ; elle est aussi mémorielle (surtout en ce qui concerne le
présent, moins le passé) ; elle est enfin prospective (malgré la nature du genre
dans lequel elle s'inscrit, à savoir l'autobiographique par définition rétrospectif).
Son caractère transitoire quant à lui se compose de quatre temps
quil est nécessaire de décomposer. Premièrement, en prenant la plume, le Beur
passe de la situation d'objet du discours à celle de sujet du discours ;
deuxièmement, en devenant sujet qui se raconte, il dépasse sa condition première
d'objet aphasique ; troisièmement, ce dépassement le positionne dans une situation
de ruptures ; quatrièmement, en disant par là le transitoire de sa situation, il
dit, dans le même temps, l'émergence et la mort de sa littérature en tant que
littérature naturelle.
Jusqu'aux années 80, les Beurs, seconde génération issue de
l'immigration maghrébine en France, avaient fait l'objet de reportages journalistiques et
d'études sociologiques. Par ailleurs, des auteurs français se sont intéressés à cette
communauté en l'inscrivant dans leur fiction : Tournier (La Goutte d'Or) ; Le Clézio (Désert) ; Marie Cardinal (L'Amant) ; Guy Hocquenghem (L'Amour en relief). L'uvre de fiction de ces
romanciers intègre "l'autre" comme moyen de se questionner, de questionner le
même, de repenser aussi le colonialisme et son pendant, le post-colonialisme, tout en
ébauchant la question de la francité. Il reste que dans les trois formes de discours
(journalistique, sociologique, romanesque), le Beur était médiatisé, voire réduit dans
son réel et plus encore dans son imaginaire propre. Lorsqu'à partir des années 80, les
Beurs commencent à prendre la parole c'est pour se raconter, pour narrer l'individu et la
collectivité dans leurs diverses petites histoires. Ils marquaient par là un passage
fondamental de leur statut : d'objets de discours ils se font sujets de
discours [25]. Par besoin urgent de
se dire "en direct", le Beur, de médiatisé se faisait médiateur,
contrairement aux parents. Alors que les autres textes (journalistiques, sociologiques,
politiques, romanesques) médiatisaient un vécu impersonnel, anonyme, distancié, le
texte d'expression beur devient médiateur d'un vécu individuel à valeur collective.
Cette valeur collective est à repérer à mon sens et de prime abord dans les titres
mêmes des romans. Nombreux en effet sont les titres de romans qui portent des prénoms
arabes : Zeïda de nulle part (L. Houari,
1985), Béni ou le paradis privé (A. Begag,
1989), Le Sourire de Brahim (N. Kettane, 1985), Le Harki de Mériem (M. Charef, 1989), Le Thé au harem d'Archi Ahmed (M. Charef, 1983).
Ainsi donc, même si la représentation de leur réel reste, elle
aussi, une représentation, elle se fait toutefois du dedans. En ce sens, le texte beur
apporte une valeur ajoutée propre aux autres textes écrits sur les Beurs. Par ailleurs,
"la mise en texte [...] soustrait 'ma vie' au document gibier de l'historien, à la
fiche d'état civil, gibier du policier, pour entrer en littérature." [26] Dans cette mise en
texte, le Beur est le seul à régler la circulation de la parole pour mieux la partager.
Celle-ci n'est pas seulement une médiation du "moi" par moi, mais également
une confrontation indirecte avec tous les pré-textes. A partir du moment où le Beur se
(re)présente dans son vécu au sein d'une société dominante, dans un contexte souvent
conflictuel, il ouvre nécessairement son texte à un extra-textuel déterminé par un
avant mais surtout par un après de l'arrivée des parents en France : colonisation,
guerre, exil des parents, intégrisme, racisme, délinquance... Dans ce cortège de
traumatismes, il semble que le roman beur soit une réponse à l'un d'eux en
particulier : le rejet, la condition d'illégitimité. En effet, les deux côtés de
la Méditerranée contestent ou refusent à la génération "beur" une identité
établie : pour les uns (Français) et pour les autres (Maghrébins) ils sont les
immigrés ou les émigrés tout simplement. Cette illégitimité renvoie l'identité beur
à un hors-lieu comme en témoignent encore de manière évidente certains titres de
romans : Zeïda de nulle part,
Nationalité : Immigr (é)e ; Les A.N.I du "Tassili" [27]. Mais ce hors-lieu
prend chez le Beur la forme d'un non-lieu au sens juridique du terme. C'est-à-dire que,
dans le dossier qu'il instruit et qui est le sien propre, le Beur semble déclarer la
sentence nulle et non avenue. C'est à cet égard que l'ouverture sur l'extra-textuel se
laisse lire moins comme une confrontation agressive que comme un processus de dépassement
au cours duquel le protagoniste enfant ou adolescent comprend qu'il lui faut des moyens
stratégiques lui permettant de défragiliser sa situation, comme par exemple être parmi
les premiers en classe ou changer plus tard de nom [28].
Dans son contexte, cette littérature naît d'un traumatisme identitaire. Mais à partir du moment où le traumatisme se fait écriture, le moi s'en dégage. C'est dans cette première étape que le sujet sort alors de son ghetto pour entamer une négociation quant à son devenir dans la société dominante dans laquelle il vit et va choisir de vivre. C'est cette négociation aussi qui constitue le dépassement, non pas en termes d'identité à proprement parler, mais en termes d'identification et donc d'auto-construction d'une identité qui se "collectionne" et puis se "bricole" dans le sens où l'on fait du nouveau, du neuf avec de l'ancien. Dans ce processus on ne s'enferme pas dans une identité ou dans une autre qui se prétendrait homogène. Il s'agit de s'ouvrir aux identités en présence et d'échapper avant tout à la tension identitaire et à l'aliénation dont le sentiment de honte, présent dans la presque totalité du corpus, est le premier symptôme. Mais dire qu'il a eu honte, c'est pour le Beur déjà sortir de l'aliénation.
Le retour au pays d'origine participe également au processus de
dépassement. Presque tous les protagonistes principaux font au moins un séjour "au
pays" qu'ils ne connaissaient pas si ce n'est par les médias français ou les bribes
de récits transmis par les parents. Ce voyage, ils le font par curiosité, pour enfin
fouler une terre si proche et si lointaine à la fois, pour rencontrer les autres membres
de la famille, pour des raisons déterminées de l'extérieur (service militaire par
exemple pour les garçons), mais toujours avec le secret espoir de pouvoir s'y adapter.
Beaucoup de passages en témoignent. Cet espoir pourtant sera toujours déçu [29]. Mais ils en
reviennent réconciliés car, même si parfois résonnent des accents de ressentiment, il
ne faut pas oublier, comme l'a rappelé Hélène Cixous, que dans "en vouloir
à", il y a "vouloir". Vouloir récupérer des "racines" dans un
patrimoine plus large, vouloir aussi retrouver des références, une unité de soi
par-delà le naufrage. Le voyage dans le pays des origines devient la révélation d'une
appartenance à l'ici et à l'ailleurs où il ne s'agit pas de choisir une identité, ni
"de mettre au diapason deux cultures différentes à force égale, mais plutôt de
garder du "sens" pour la culture d'origine dans un contexte d'intégration plus
ou moins réussi" [30]. Si tous reviennent
en France, le retour est un nouveau départ "à la recherche de
positivités" [31] et avec une prise en
charge de leur "bâtardise" [32].
Refusant dès lors de se situer dans l'entre-deux, dans la distance,
le Beur situe lui-même la distance [33]. Ainsi, il entame une
procédure de structuration de soi pour sortir de ce qui le figeait dans un lieu ou dans
l'autre, voire dans aucun lieu défini. Ceci constitue une "démarche
volontariste" [34] qui vise, surtout par
le retour aux origines, à se rassembler pour se ressembler, pour coïncider avec
soi-même, selon l'expression d'Albert Memmi, coïncider avec ce qu'on est déjà devenu,
parce qu'il arrive "un moment où l'analyse la plus fine ne peut plus distinguer
entre ce qui m'appartient et ce qui me vient d'ailleurs" [35]. Par là il manifeste
une "oppositionnalité", au sens où l'entend Ross Chambers, c'est-à-dire une
pratique de détournement du discours des deux communautés qui le rejette dans un espace
bâtard, illégitime : "[...]nous avons une identité non reconnue, luttons pour
la réobtenir, ne nous laissons plus faire par les Arabes et par les
Français." [36] Cette pratique de
l'oppositionnalité permet aussi de se re-concevoir, de renouveler des contrats, de
dissiper des mythes, de se relever, car "oppositional practices help us to maintain
some sense of dignity and personhood" [37]. Mais elle ne va pas
non plus sans ruptures ; celles-ci s'effectuent par rapport au pays de naissance
et/ou dadoption mais d'abord et avant tout par rapport aux parents.
La première de ces ruptures est l'aspect autobiographique lui-même.
La société orientale en effet est plus que réticente, hostile à toute exhibition du
privé. Rendre public, par écrit, pour d'autres, la misère, la honte, la perte de
l'autorité paternelle, dénoncer certaines pratiques (à légard des filles par
exemple [38]), relève de
l'insolence, voire de la traîtrise. C'est pourquoi on serait en droit de se poser la
question suivante : si les parents n'avaient pas été analphabètes, aurait-il été
possible au Beur d'écrire son histoire et celle des siens avec "aussi peu de
pudeur" ? Cette pudeur est celle que commande la tradition orientale et dont la
conception s'est éteinte au cours du processus de transculturation auquel les parents
sont restés étrangers. Le Beur aurait-il pu ainsi mettre "en vitrine" le
malaise de ses origines, sa honte (et sa honte d'avoir eu honte), sa misère et surtout
celle de ses parents ? Aurait-il eu le cou-rage de leur laisser lire leur
impuissance, leur silence sur leur échec parental ? L'autobiographique, par
conséquent, place l'individu dans le système de pensée occidentale où le genre est né
et s'est développé ; ainsi, le Beur se libère "impunément" des
contraintes d'une conception orientale de ce qui ne se dit pas, ne se dévoile pas.
La rupture s'évalue également à l'attitude de cette deuxième
génération face au trauma des parents (colonisation, guerre, exil). Si les enfants
souffrent en effet de la situation de leurs parents, ils ne la vivent pas de la même
manière. [39] L'histoire de leurs
origines n'est pas l'unique ancrage de leur présent. Elle est prétexte à la
connaissance de soi pour aujourd'hui et demain dans le lieu de leur existence. Cette
rupture n'est pas un détachement, encore moins une désertion, si ce nest celle de
deux angoisses schizophréniques. Car, prendre position dans l'un ou dans l'autre espace
c'est devoir abandonner une partie de soi, c'est s'auto-mutiler ou se condamner à la
division constante de son être. La rupture s'inscrit dans cette volonté de se définir
avec ses composantes propres pour pouvoir avancer sans entraves, pour s'inventer [40], trouver une
relocalisation hors de tout discours homogénéisant lidentité. Ainsi, après avoir
erré dans un slalom identitaire, le Beur parvient par son écriture à intégrer
"francité" et "arabité" dans un nouvel espace dissident qui dit la
légitimité dun "dedans-dehors".
Enfin, le Beur, en faisant de sa littérature un lieu de passage, dit
par là-même le transitoire de sa condition et par conséquent celui de sa littérature.
Ce qui constitue le passage, c'est le moment où il se fait sujet du discours, entamant
ainsi un processus de dépassement qui va le conduire à engager des ruptures. C'est cette
situation même qui va s'avérer paradoxale en soi, car tout en ayant permis l'émergence
de la littérature beur, elle va dans le même mouvement en consommer la mort. Ceci pour
deux raisons. La première est interne. Le Beur qui continuerait à écrire, aurait
forcément d'autres thématiques parmi lesquelles la composante maghrébine ne sera pas
toujours aussi prégnante car "un texte
existe en effet d'abord comme faisant partie d'une littérature donnée, et surtout d'un
espace culturel donné, à la reconnaissance duquel ce texte participe." [41] La deuxième raison est externe au texte. Les
écrivains beurs que l'édition refuse pour leur non-conformisme au
"témoignage", se tournent vers d'autres moyens d'expression [42]. Par ce geste, qui
traduit à mon sens une autre forme d'oppositionnalité, ils consignent déjà la mort de
la littérature beur en tant que telle, c'est-à-dire en tant que littérature naturelle.
Ce qui fait que la littérature beur a eu une fin de non-recevoir
pour un "passeport littéraire français", cest en définitive son manque
de cette "littérarité" que Charles Bonn définit comme "un recul ludique
par rapport à des discours qui préexistent et qui pourront être retravaillés par le
texte." [43] Mais, tout comme les
écrivains des "littératures de l'exiguïté", les écrivains beurs
"mettent toute leur énergie et toutes leurs ressources dans le travail primaire de
la littérature" [44] pour éclairer une
zone de mutisme. Par ailleurs, comme le souligne Abdallah Mdarhri-Alaoui, si cette
littérature "attend son écrivain", elle attend également "ses critiques
attentionnés" [45], car elle n'est
certes pas dénuée de toute poétique ou de toute considération esthétique, comme en
témoigne déjà par exemple sa "poétique du prospectif" qui, par une reprise
du moi dans sa totalité du passé et du présent, interpelle un destinataire à
venir [46]. Il y aurait encore
à développer et/ou à critiquer son "esthétique de la saturation [qui] favorise
une parole volubile, donnant une impression de 'bavardage' : [...] alternative à la
crise de communication dans une société où la 'marge' n'est plus écoutée par le
'centre'" [47]. Enfin, tout comme
l'écriture féminine autrefois jugée aussi à lonce du témoignage, la
classification aujourdhui, pour certains auteurs beurs, commence déjà à
changer [48].
Contestée dans sa présence et dans lexpression de son existence, cette génération d'écrivains réunit dans son roman autobiographique les raisons de sa légitimité. A lexemple de Fanon qui refusait dêtre lesclave de lesclavage, elle refuse dêtre lesclave dune histoire passée et présente. Son acte est une confrontation, une négociation et un engagement car, si l'autobiographique reprend le passé et récite le présent, ce n'est pas tant en raison du passé et du présent eux-mêmes qu'en raison de ce qui doit en advenir. En réactivant les moments antérieurs significatifs, l'autobiographique, comme discours du sujet collectif, les recueille pour les ouvrir vers leurs possibilités. C'est cela qui fait de cette littérature une écriture prospective et transitoire, donc par voie de conséquence vouée à disparaître à court terme en tant que telle.
Lémergence et la mort presque simultanées sont le fondement d'une littérature naturelle. Cette notion s'applique à la littérature "beur" ; il faudrait naturellement en vérifier les prémisses sur d'autres corpus dont le contexte de production serait similaire afin d'en déterminer l'usage. On pourrait par exemple se demander si les écrivains issus de l'immigration au Québec ou en Allemagne ont produit une littérature naturelle. Toutefois, même si cela n'est pas le cas, cette notion pourrait s'avérer utile chaque fois qu'un espace dominant signifie une illégitimité à lexpression littéraire dune communauté de destin.
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Extrait de la revue Itinéraires et contacts de cultures, Paris, L'Harmattan et Université Paris 13, n° 27, 1° semestre 1999. | |
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[1] J'emprunte l'expression à Ronald Sutherland, No longer a family affair : the Foreignborn-writer
of French Canada, Ottawa, Secrétariat dEtat, 1986.
[2] Alec G. Hargreaves,
"La littérature issue de limmigration maghrébine en France : une
littérature mineure?", in Etudes
littéraires maghrébines : Littératures
des Immigrations : 1) Un espace littéraire émergent, dir. Charles Bonn, No 7, 1996, p. 17.
[3] Farida Belghoul,
"Témoigner dune condition", in Actualité
de lEmigration, 11 mars 1987, p. 24.
[4] Charles
Bonn,"L'autobiographie maghrébine et immigrée entre émergence et maturité
littéraire, ou l'énigme de la reconnaissance", in Littératures autobiographiques de la Francophonie,
Actes du colloque de Bordeaux (22-23 mai 1994), sous la direction de Martine Mathieu,
L'Harmattan, 1996, p. 222.
[5] Ibid.,
p. 207.
[6] Ibid.,
p. 54.
[7] "Combien
dheures ai-je passé à errer dans des bibliothèques sans trouver ce que je
cherchais, parce que le "système de classement ne permettait pas de faire
linventaire des marginalités, quelles quelles soient?." Francois Paré, Les Littératures de l'exiguïté, Hearst
(Ontario), éd. Nordir, 1992, p. 34.
[8] Régine Robin, Le roman mémoriel : de lhistoire à
lécriture du hors-lieu, Montréal, Collection lUnivers des discours, le
préambule, 1989, p. 168.
[9] François Paré, Les littératures de lexiguïté,
p. 25 : "Loralité est toujours présente en elles, comme si elles
avaient pour but ultime de faire parler lécriture".
[10] Ibid. p. 9 : "Car la 'Littérature',
telle quon lenseigne dans nos universités et nos collèges, est le produit
dà peine cinq pour cent de lhumanité".
[11] Ibid. p. 28 : "En ce sens,
lontologie sest manifestée comme un processus inavoué dexclusion de
tout un discours, jugé circonstanciel ou accessoire, qui correspondait aux frontières
linguistiques de la pensée issue de la fin du XVIe siècle. Ainsi se
définit précisément lexiguïté : dans le déni daccès à lEtre
et aux discours ontologiques".
[12] Même si dans un
premier temps cette deuxième génération sest attribué la dénomination de
"Beurs", il ressort que celle-ci semble être réfutée par les
écrivains ; après avoir permis de rendre concret, de nommer une réalité
historico-politique, elle est ressentie aujourdhui comme une ghettoïsation,
manifestant ainsi une évolution dattitude et une force de discernement nouveau qui
donne à comprendre que lidentité qui commence à se chercher, à se stabiliser
jamais ne se fige et que même si elle y parvient, dautres paramètres viendront la
bousculer.
[13] Jacques Dubois, Linstitution de la littérature,
Paris/Bruxelles, Ed. Labor/Fernand
Nathan, 1986, p. 34.
[14] Ibid. p. 34
[15] Gilles Deleuze et
Félix Guattari, Kafka : Pour une littérature
mineure, Paris, Minuit, 1975.
[16] Régine
Robin, "Un Québec pluriel", citée par Laurence Joffrin, "La fiction
identitaire dans l'écriture migrante au Québec : présentation liminaire", in Littératures autobiographiques de la Francophonie,
Actes du colloque de Bordeaux (22-23 mai 1994), sous la direction de Martine Mathieu,
L'Harmattan, 1996, p. 226.
[17] Abdallah
Mdarhri-Alaoui, "Place de la littérature "beur" dans la production
franco-maghrébine", in Littératures des
Immigrations : 1) Un espace littéraire émergent, dir. Charles Bonn, Paris,
L'Harmattan, Coll. "Etudes littéraires maghrébines" No.7, 1996, p. 44.
[18] L'expression
"minorité identifiable" a été préférée à celle de "minorité
visible" pour deux raisons : "minorité visible" est spécifique au
Canada "muticulturaliste". Ce qui n'est pas le cas de la France. Par ailleurs,
s'il est permis plus tard d'appliquer ce concept (littérature naturelle), comme par
exemple à la littérature dite "néo-québécoise" (ce qui reste à voir),
comment dans ce cas concevoir le corpus produit par des Québécois de souche italienne,
comme émanant d'une minorité "visible"?
[19] Philippe Dufour, Flaubert et le Pignouf, Presses Universitaires de
Vincennes, 1993, p. 11.
[20] Joseph Mélançon,
"La pratique de l'universel", in Littératures
en milieu minoritaire et universalisme, Actes du colloque de L'APLAQA, dir. Maurice
Lamothe, Université de Ste-Anne, 1996, p. 29 : "Un énoncé peut
facilement devenir une réponse à un besoin, c'est-à-dire acquérir une fonction dans un
autre ordre d'occurrences. On sait toute la valeur thérapeutique que détient un récit
de vie sur le divan d'un psychanalyste. Il se produit une sorte de conjoncture interne où
le sujet épistémique, en quête de réponse, rencontre le sujet linguistique qui répond
au thérapeute. Ses énoncés ont un sens biographique, mais ils ont une fonction
thérapeutique",
[21] Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, Paris,
Grasset, 1972, p. 42.
[22] Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard,
c1984-c1992.
[23] Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, Paris,
Grasset, 1972, p. 74.
[24] Ibid., p. 46.
[25] Dans la grande majorité des romans beurs le
père travaille pour faire (sur)vivre sa famille mais surtout pour que ses enfants
deviennent "quelqu'un". C'est que lui et sa génération d'exilés nont
pas le sentiment d'être des sujets.
[26] Gisèle
Mathieu-Castellani, La scène judiciaire de
lautobiographie, p. 168.
[27] "A.N.I."
pour Arabes Non Identifiés
qui rappelle l'acronyme O.V.N.I, et "Tassili" est le nom du paquebot de
voyageurs qui fait la traversée entre Marseille et Alger.
[28] Azouz Begag, Le Gone du Chaâba, p. 60 : "Depuis
quelques mois, j'ai décidé de changer de peau. Je n'aime pas être avec les pauvres, les
faibles de la classe. Je veux être dans les premières places du classement, comme les
Français." Béni ou le paradis privé,
p. 43-44 : "Mais il [le professeur] m'avait quand même traité
détranger devant toute la classe. C'était toujours à cause de mon nom. [...] J'ai
failli lui dire qu'il était sans doute plus étranger que moi, mais ce n'est jamais bon
de déstabiliser un prof devant sa classe. [...] Qu'Allah me pardonne, mais quand j'aurai
les moyens et quand je serai plus sûr de moi, je changerai de nom. Je prendrai André par
exemple. Parce que franchement, faut avouer que ça sert strictement à rien de s'appeler
Ben Abdallah quand on veut être comme tout le monde."
[29] Ibid., p. 123 : "Je décidai de
partir, de tout laisser pour cette fois-ci, de mettre une croix sur l'Algérie. Trop
d'interdits...".
[30] Diane Pinto,
"Forces et faiblesses de l'interculturel", in Littératures maghrébines : L'Interculturel, Réflexions pluridisciplinaires, No.6,
Paris, L'Harmattan, 1995, p. 17.
[31] Régine Robin, Loc. cit., p. 28.
[32] Akli Tadjer, Les A.N.I du Tassili, p. 58-59 :
"Moi je rêvais de devenir maire d'une métropole peuplée d'ANI ; la qualité
de mes slogans électoraux les avait subjugués. Jugez-en : "Votez Omar l'homme
sans fard" - "Pour nous, peuples de bâtards, votez dare-dare Omar le moins
ringard."
[33] J'emprunte cette
dialectique à Jean-Claude C. Marimoutou de l'université de la Réunion, "La faille
des origines : de l'autobiographie, du métissage et du secret", in Littératures autobiographiques de la francophonie,
dir. Martine Mathieu, Paris, L'Harmattan, 1996, p. 106.
[34] Diane Pinto, Loc.
cit., p. 19.
[35] Mustapha Bencheikh,
"L'interculturel comme nouvelle dissidence", in L'Interculturel : Réflexions pluridisciplinaires,
Paris, L'Harmattan, 1995, Coll. "Etudes littéraires maghrébines", p. 30.
[36] Sakinna Boukhedenna, Journal "Nationalité : Immigré (e)",
p. 126.
[37] Ross Chambers, Room
for manoeuver : Reading (the) Oppostional (in) Narrative, The University of
Chicago Press, 1991, p. 7.
[38] "Si la culture
arabe, c'est de réduire la femme à l'état où elle est, je ne veux pas de cette
arabité" Sakinna Boukhedenna, Journal
"Nationalité : Immigré (e)", p. 100.
[39] Akli Tadjer, Les A.N.I du "Tassili",
p. 20 : "Eh oui! je suis heureux de partir de "chez moi" pour
rentrer "chez moi". Heureux de savoir que, de l'autre côté de la grande bleue,
en banlieue parisienne, dans une cité de HLM comme il en existe des milliers, mes
parents, mes amis m'attendent. Heureux aussi de ne pas faire partie de ceux, ô combien
nombreux, qui ont dû quitter pays, parents, amis et que personne n'attend. Pauvres
bougres! Demain matin ils débarqueront à Marseille, valises en main et angoisse
dissimulée dans le fond de leurs poches."
[40] Akli Tadjer, Les A.N.I du "Tassili",
p. 153 : "[...] Parc'que ma vie à moi, elle en a des choses à dire, à
redire, et à s'inventer..."
[41] Charles Bonn, Op. cit., p. 203.
[42] Ibid., p. 207 : "Les écrivains se
tournent vers d'autres genres que le roman. Ahmed Kalouaz est plutôt poète. Fatima
Gallaire a choisi le théâtre. Signalée par son roman autobiographique dont on vient de
parler, Leïla Houari choisit la nouvelle pour son texte le plus achevé jusqu'ici : Quand tu verras la mer, qui connaît apparemment
un succès moindre alors que sa qualité est meilleure. Quand au seul roman, à ma
connaissance, de grande qualité littéraire dans cette nouvelle production, Georgette! de Farida Belghoul, il a été publié
par un petit éditeur marginal qui a fait faillite depuis, et son auteur n'a fait
paraître aucune autre oeuvre de cette envergure depuis, préférant se consacrer au
cinéma et à l'animation."
[43] Ibid., p. 222 : "L'autobiographie
maghrébine et immigrée entre émergence et maturité littéraire, ou l'enigme de la
reconnaissance."
[44] François Paré, Les Littératures de lexiguité,
p. 60-61
[45] Abdallah
Mdarhri-Alaoui, "Place de la littérature 'beur' dans la production
franco-maghrébine", p. 49.
[46] Il faudra voir si ce
destinataire n'est pas en fait double : le Franco-français et l'Arabo-français.
[47] Abdallah
Mdarhri-Alaoui, "Place de la littérature "beur" dans la production
franco-maghrébine", p. 48-49.
[48] A.G. Hargreaves,
"La littérature issue de limmigration maghrébine en France : une
littérature mineure ?", p. 27. Il est significatif que le premier roman de
Yacine, LEscargot, avait été publié
par LHarmattan dans la collection Ecritures
arabes, alors que son dernier roman, La mauvaise
foi, paru chez le même éditeur, figure dans la collection Voix dEurope. Un lecteur souhaitant acheter
à la FNAC les romans dIsaad les cherchera en vain sur les rayons marqués
"Littératures turque/arabe/Moyen-Orient" (où se trouvent dautres
écrivains issus de limmigration). Ils ne sont pas non plus dans le champ
"Immigration/Racisme" (où l'on trouvera Benaïcha, par exemple), mais dans la
séquence étiquetée "Littérature française".
En témoignent déjà aussi La Force du
berger (Genève : La joie de lire, 1991) et
Jordi ou le rayon perdu (Genève : La joie de lire, 1992) de A. Begag, publiés
dans la collection "Littérature de jeunesse" simplement.