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Abdellatif LAÂBI
Petit musée portatif
Dessins d’Abdallah Sadouk
Avant-Dire de Françoise Ascal
(Neuilly, Éditions Al Manar,
« Poésie du Maghreb », 2002)
Le Petit musée portatif d’Abdellatif
Laâbi est un livre magnifique, construit comme le
catalogue d’une exposition qui comprendrait à la fois des objets, des tableaux,
des photos et des mots. A chaque page, images et poèmes sont mis en regard.
Les poèmes décrivent et prennent pour prétexte des objets – que les aquarelles
d’Abdallah Sadouk (reproduites en noir et blanc) représentent –, et des
œuvres de peintres contemporains (à l’exception du Jardin des délices
de Bosch).
Trouvant, au centre de ce musée, les portraits
de la mère et du père, le visiteur est invité à accomplir ce parcours comme
une autobiographie poétique, dans laquelle les choses et les signes forment
autant de jalons dans le temps d’une vie et dans l’espace dessiné par l’exil.
Recueil de poèmes donc, mais aussi album de photos de famille, galerie privée,
mémento, florilège. Mais, de l’hétérogénéité du fonds, ce qui ressort c’est
l’unité des thèmes, le jeu des correspondances, des séries, des parallélismes,
des rappels, des motifs : bref, la cohérence d’un univers. A petites touches,
Laâbi énonce un art poétique qui a trait à l’oubli
et à la mémoire et au rapport entre les images et les textes.
Première série : le parti pris des
choses.
La dernière pièce du recueil, à propos des
mille et une lettres enfermées dans un coffre clouté, annonce « l’oubliette / où
finissent / toutes les œuvres humaines ». A cette lumière, les
choses et les mots sont considérés comme autant de réceptacles du souvenir que
le poète ravive. Les objets sont marqués par le temps et l’usage : moucharabieh
patiné, table ronde fêlée, table carrée déchue, chaise bancale, diplôme coranique
jaunissant, « cafetière désaffectée », « bout d’ivoire échoué ».
Mis à l’écart, ce sont des « objets orphelins ». Mais, en même temps,
ce sont aussi des objets que la parole et le dessin ont
sauvé du déluge. Ils retiennent un peu le temps, tels ces bâtons de pluie dans
le bois duquel s’inscrit la mémoire, tel ce coussin qui est le souvenir de la
somme des heures passées à broder, tel ce diplôme coranique qui atteste du « labeur
de mémoire » de l’apprenti. Tous ces objets portent avec eux un peu de
Meknès, de Fès, de Tétouan, de Damas, de la rue des Sept-Tournants. Ce serait cela la « drôle d’éternité »
du portrait de la mère, et l’éphémère de l’instant que fixe la photo du père
« retenant son souffle ».
Seconde série : le musée
imaginaire (avant ou après la visite, on consultera d'Abdelkébir
Khatibi, L'Art contemporain arabe, Neuilly/Paris, Éditions Al
Manar/Institut du Monde arabe, « Approches et rencontres », 2001).
Laâbi commente, prolonge, questionne et s’inspire
des tableaux des peintres marocains Mohammed Kacimi,
Jilali Gharbaoui et Abbas
Saladi, de Laura Rosano, de Mahdaoui,
de Bazaine, de Chebaâ, de Miloudi
et de Farzat.
Cette série picturale n'est pas coupée de la première,
mais est déjà annoncée dans les arabesques du moucharabieh.
Et surtout par ses poèmes, Laâbi souligne la présence de
l'écrit dans la peinture. Il attire l'attention sur « l'écriture
sacrée » dans les toiles de Kacimi, sur les « signes »
hiéroglyphiques de Miloud. Il retrace à partir de la calligraphie
monumentale de Mahdaoui, le mythe de « l'alphabet prolixe » et de
« la lettre de l'homme ». L'écrit se lit jusque dans les « griffures »
de Gharbaoui.
Dans le Petit musée portatif d'Abdellatif Laâbi, « les convives / s'arrêtent parfois / et trouvent que cela est beau / Cela / quoi ? » Les arbres de Laura Rosano et de Saladi, les choses et les mots.
Antoine Hatzenberger