La visibilité de la littérature maghrébine francophone dans les revues italiennes

 

par Paola Ghinelli (paolabula@tin.it), doctorante en Littératures Francophones de l'Université de Bologne (Italie).

 

 

Pendant l’année académique 2001-2002, les doctorantes en Littératures Francophones de l'Université de Bologne ont effectué une recherche sur les stratégies de légitimation et les modalités de réception des littératures francophones en Italie. Les résultats obtenus ont été présentés à Bologne le 25 juin 2002 lors d’une journée d’études qui donnera lieu à une publication. Ils ont été également synthétisés à un colloque sur la réception des littératures francophones qui a eu lieu à Montréal les 11, 12 et 13 octobre 2002. Nos enquêtes ont été organisées autour du concept d'espace: l'espace géographique de provenance des œuvres, et les canaux de diffusion littéraire en tant qu'espace métaphorique de légitimation. Dans le cadre de cette recherche, je me suis occupée de la visibilité de la littérature maghrébine francophone dans les revues, et de l'image que les périodiques italiens offrent de cette littérature. La communication qui suit vise à présenter les résultats de mes recherches et à décrire le rapport du grand public italien avec le domaine littéraire maghrébin.

Il ne sera pas superflu de rappeler d'entrée de jeu que la langue maternelle des italiens n'est pas le français. Cette considération apparemment banale comporte une série de conséquences qui rendent la situation des littératures maghrébines en Italie tout à fait autre par rapport à la France. D'abord, la langue française ne constitue pas un critère préférentiel de classification des œuvres. En d'autres mots, en tant que doctorantes en Littératures Francophones, nous nous sommes intéressées à la diffusion et à la réception d'ouvrages qui ont été écrits en français à l'origine; mais, dans le contexte italophone, les romans, les recueils de poèmes et les essais qui nous intéressent peuvent être classés sur la base d'autres critères, par exemple leur appartenance culturelle ou géographique. Cela implique une perception assez faible chez le public italien de la richesse culturelle du Maghreb, et un certain aplatissement médiatique de son identité linguistique multiforme.

Les rares occasions de connaissance directe sont aussi parmi les causes de cette perception appauvrie. Les italiens d'origine maghrébine ne sont pas nombreux, l'immigration depuis les pays méditerranéens du continent africain étant un phénomène très récent (elle concerne surtout les vingt dernières années). Dans notre pays la connaissance de la francophonie littéraire passe donc nécessairement à travers une médiation, linguistique d'abord, mais culturelle aussi, comme on le verra. On se trouve face à deux circuits de diffusion des œuvres littéraires qui sont réciproquement indépendants. D'un côté la diffusion en langue originale concerne surtout les milieux académique et scolaire mais touche aussi une partie du public cultivé; de l'autre la diffusion en traduction, partiellement influencée par le monde culturel français métropolitain, s'adresse à un lectorat plus vaste.

C'est ce dernier type de diffusion qui m'a intéressé surtout, ma recherche visant à étudier la diffusion de la littérature maghrébine auprès du grand public italien. J'ai choisi le canal de diffusion des revues car il acquiert une grande importance pour un lectorat non spécialisé, qui ne peut pas accéder aux ressources en langue française. En outre, des articles ou des fiches de lecture parfois très précis et complets peuvent se retrouver dans les périodiques. On ne sera pas étonné de constater que le lectorat italien connaît peu les œuvres francophones, jusqu'à ignorer ce que désigne au juste l'expression 'littératures francophones'. D'autant que dans le système éditorial italien on n'indique que rarement la langue de provenance en exergue des traductions. Ceci dit, si l'on songe aux caractéristiques générales du champ littéraire italien, on se rendra compte que l'absence d'un intérêt spécifique pour les 'produits francophones' n'est aucunement révélatrice d'une indifférence à l'égard de la littérature qui nous intéresse.

 

 

Compte tenu des objectifs de mon groupe de travail, j'ai privilégié dans mes recherches une perspective synchronique, visant à brosser un tableau de la situation actuelle des littératures maghrébines en Italie. Cependant, j'ai voulu vérifier l'incidence numérique des articles concernant la littérature qui nous intéresse dans trois revues représentatives pendant les dix dernières années[1]. L'étude des données ainsi obtenues m'a permis de confirmer mon hypothèse: le pic de l'intérêt italien pour la littérature maghrébine se situe pendant les années '90. Aujourd'hui l'incidence des articles est légèrement moins forte, mais cela n'est pas forcément un signe négatif. En effet, l'intérêt pour cette littérature a été souvent occasionné par des événements politiques ou sociaux, et plus rarement par une curiosité pour les productions littéraires maghrébines en elles-mêmes. En d'autres mots, l'intérêt pour la littérature maghrébine 'ne va pas tout seul'. Par exemple, comme l'a remarqué Anna Maria Mangia, les premières traductions de textes maghrébins "sont deux anthologies de poésie algérienne (...) parues dans notre pays au lendemain même de l'indépendance de l'Algérie"[2]. Or, ce type de mécanisme de diffusion naît d'une curiosité qui n'a rien de littéraire en soi, et qui peut se rapprocher de l'attitude superficielle propre à certains 'médias de consommation' qui, dans les vingt dernières années, ont traité la littérature maghrébine en tant qu'expression de la culture des pays qui offrent à l'Italie la plupart de ses immigrés. Dans le temps cela a stimulé un intérêt plus profond, que traduisent certaines publications dont on parlera, mais parallèlement, cette curiosité superficielle caractérise toujours certains quotidiens ou certaines émissions télévisées et, dans une certaine mesure, elle est parvenue à modifier l'horizon d'attente du public italien. Par conséquent, il serait impossible de nommer toutes les publications italiennes qui ont publié au moins une fois un article sur la littérature maghrébine, et les titres qui paraissent ici n'ont qu'une valeur d'exemple. La presse d'approfondissement que je décrirai, qui traite de manière plus rigoureuse une culture encore méconnue en Italie, parvient mal à intéresser plus profondément un grand public. D'autre part, des revues complètement consacrées à la littérature ou à la culture maghrébine et accessibles au grand public n'existant pas en Italie, la presse dont je parlerai est le seul ressort en mesure de stimuler les lecteurs non spécialistes.

Les revues spécialisées nées dans le domaine académique sont les seules qui s'occupent de littérature maghrébine de manière assez continue. En alternant indifféremment la langue française à la langue italienne (où, plus rarement, à d'autres langues) elles excluent les non spécialistes. En outre, leur diffusion touche rarement le milieu extra-universitaire, et non seulement pour les raisons linguistiques dont j'ai parlé. Crées pour une circulation interne au monde académique, nombre de ces revues sont difficiles à repérer en librairie, même sur demande. Il ne sera pas inutile cependant d'en signaler quelques-unes, surtout pour comparer l'approche à la littérature maghrébine qu'offre ce type de publication à l'approche des revues non spécifiquement littéraires. Africa America Asia Australia est l'une des plus connues. Éditée par Bulzoni depuis 1985, elle est cataloguée comme une collection. Elle est réalisée par la Coordination nationale pour l'étude des cultures littéraires des pays anglophones, francophones et hispanophones, qui fait partie du C.N.R. Ses articles paraissent dans les trois langues concernées et en italien. Par conséquent, les articles sur la littérature maghrébine francophone peuvent être publiés en italien ou en français, et ils ne paraissent pas dans chaque numéro. Francofonia parait deux fois par an depuis 1981 sous l'égide de l'Université de Bologne. Plus exactement, c'est le département de Langues et Littératures étrangères modernes qui gère la revue. Les numéros monographiques, qui concernent rarement la francophonie extra- européenne, alternent régulièrement avec des numéros présentant des articles sur de différentes aires de la francophonie, une rubrique de recensions très approfondie, et une section assez riche consacrée aux fiches de lecture. Studi Francesi, éditée à Turin, sort trois fois par an. Sa structure est semblable à celle des numéros non monographiques de Francofonia, mais la place consacrée par Studi Francesi à la littérature maghrébine est inférieure, car cette revue est surtout concentrée sur les lettres françaises. Letterature di frontiera- Littératures frontalières est une revue polyglotte liée à l'Université de Trieste qui s'occupe assez souvent de Maghreb littéraire, grâce aux compétences des spécialistes de la faculté qui anime cette publication. Ponti/Ponts langues littératures civilisations des pays francophones (liana.nissim@unimi.it pour les renseignements scientifiques) est une revue annuelle publiée depuis 2002 par la section d'Études Françaises du département de Sciences du Langage et Littératures étrangères comparées de l'Université de Milan. Malgré son titre bilingue, elle est entièrement en français. Elle présente une organisation thématique et monographique, et elle accorde une grande importance à la bibliographie. Il Tolomeo- www.unive.it/tolomeo - crée par le département d'études linguistiques littéraire européennes et postcoloniales de l'Université Cà Foscari de Venise, propose dans chaque numéro des textes inédits d'auteurs connus, des interviews (souvent en langue originale) et des articles concernant des essais ou des œuvres littéraires organisés par aire géographique. Les articles concernant le Maghreb sont insérés dans la rubrique "Africa".

En dehors des publications universitaires, la diffusion des littératures maghrébines n'a rien de systématique et les recensions ou les articles qui lui sont consacrés paraissent dans des publications dont les orientations peuvent différer énormément. Parmi les revues qui offrent un espace de visibilité à la littérature qui nous intéresse, on peut certainement compter les périodiques littéraires, paralittéraires et bibliographiques. L'Indice dei libri del mese- www.lindice.com - de Turin, est sans doute la publication bibliographique la plus connue en Italie. Elle est organisée en trois sections: recensions, interventions et fiches. Le choix des titres des essais ou des romans à recenser est effectuée par un comité scientifique, et les recensions sont écrites par des spécialistes. Le Maghreb littéraire ne constitue certainement pas un des secteurs privilégiés par cette revue, mais il y est bien représenté. Linea d'ombra- www.lineaombra.it - est une revue semestrielle gratuite qui offre des renseignements bibliographiques sur les nouveautés éditées par les maisons d'éditions appartenant au groupe Il Saggiatore, c'est à dire: Marco Tropea Editore, Pratiche Editrice et Net. Depuis peu elle complète les recensions publicitaires avec des interviews, des extraits et des portraits des auteurs. On y recense tous les auteurs maghrébins et tous les essais concernant le Maghreb publiés par une des maisons d'édition auxquelles la revue fait référence. Parmi les revues bibliographiques, plusieurs sont consacrées à un secteur spécifique de l'édition italienne. Par exemple Pagine (pour tout renseignement: sallustiana@tin.it ) est un entièrement dédié à la poésie internationale. La présentation des poèmes est très soignée, et les poèmes maghrébins qui y paraissent ne sont pas choisis sur la base de leur langue de rédaction. Leggendaria est un mensuel bibliographique qui présente des recensions et des articles sous une perspective féministe. La littérature francophone maghrébine est présentée assez souvent, et par des articles approfondis. Les femmes écrivains y sont traitées de manière privilégiée. L'adresse e-mail de la rédaction est: leggendaria@supereva.it . Andersen- www.andersen.it - et LiBeR- www.liberweb.it - sont des périodiques à caractère bibliographique consacrés à la littérature pour l'enfance et l'adolescence. LiBeR est la première revue italienne qui a proposé un format bibliographique appliqué aux lectures pour la jeunesse. Toutes les nouveautés de ce secteur y sont recensées, donc la littérature maghrébine est relativement présente. Andersen, qui est aussi un mensuel, s'adresse en priorité aux enseignants, et par conséquent l'attention de sa rédaction pour les thématiques interculturelles en fait un point de vue privilégiée sur la littérature pour l'enfance dont les auteurs sont maghrébins. Ces deux dernières revues représentent bien un secteur que je n'ai pas étudié en profondeur, mais qui est néanmoins important pour la diffusion des littératures francophones en Italie: le secteur didactique. En effet, l'immigration constituant un phénomène très récent en Italie, beaucoup d'institutions italiennes ne se sont pas encore ouvertes à l'interculturalité. L'école représente une des rares exceptions positives dans ce contexte, car c'est une institution qui a été concernée par les problèmes de la deuxième génération d'immigrés. Cette situation a favorisé la recherche d'un dialogue interculturel et un renouvellement didactique qui passent souvent par l'utilisation de textes provenant des pays d'origine des migrants. Parmi ces textes de référence la francophonie, maghrébine en particulier, joue un rôle de premier plan.

Comme on va le comprendre, la littérature maghrébine, francophone ou non, rentre encore de manière accidentelle dans le panorama de la presse italienne. Les revues académiques et bibliographiques traitent relativement souvent les auteurs et les œuvres qui nous intéressent, mais elles consacrent rarement des approfondissements à ce domaine littéraire. Cependant, de nombreuses revues spécialisées non littéraires offrent une perspective intéressante et non superficielle sur la production qui nous intéresse, même si son aspect strictement littéraire passe souvent au deuxième plan. Par exemple, les périodiques qui s'occupent d'Afrique d'un point de vue socio-politique ou économique, et principalement deux trimestriels: Africa e Mediterraneo et Afriche e Orienti, offrent aux non spécialistes un excellent point de départ pour s'approcher de cette littérature. La première revue- http://www.africaemediterraneo.it/ - existe depuis 1992. Centrée sur les thématiques contemporaines et interculturelles, elle privilégie le rapport entre l'histoire et la culture des pays africains et les différents aspects de la culture européenne. Chaque numéro contient un dossier monographique. Celui d'Avril 1999, par exemple, était consacré au Maroc. Malgré les variations subies par l'importance structurelle de la rubrique Letteratura au cours du temps, les articles concernant la littérature maghrébine francophone sont relativement fréquents. La revue contient en outre la section "Français/English" qui présente les versions originales des contributions étrangères de tous les articles du dossier. Afriche e Orienti- http://www.comune.bologna.it/iperbole/africheorienti/ - est une revue plus récente (le premier numéro remonte au printemps 1999) et elle a un caractère plus fortement socio-politique, traitant des thèmes tels les droits humains, l'immigration, le développement soutenable, le bénévolat. Elle a été fondée par une association culturelle visant à divulguer des informations sur les pays afro- méditerranéens. La notion de "culture méditerranéenne" justifie le rares manifestations d'un intérêt italien pour la culture maghrébine, et non généralement africaine. Par exemple la revue annuelle Da Qui, (e-mail goffredo.guarini@tiscalinet.it pour renseignements) publiée à Bari, met l'accent sur le rapport entre les différents pays de la Méditerranée et l'Europe. Sa perspective interdisciplinaire privilégie la dimension littéraire, et spécialement la poésie. Chaque numéro développe un thème. Lo straniero- www.contrasto.it - est un mensuel publié à Rome qui se situe à la lisière entre la littérature et la politique. Son caractère éclectique n'en fait pas un observatoire privilégié sur la littérature maghrébine, et pourtant la revue parvient à offrir une image fidèle de cette littérature car tous les articles littéraires sont confiés à des spécialistes.

Les publications liées aux O.N.G., aux missions ou encore, plus généralement, au monde religieux, proposent aussi parfois des recensions intéressantes, malgré leur caractère non littéraire. Nigrizia- www.nigrizia.it - offre un appui très riche à nos recherches. C'est le mensuel du Collège des missions africaines de Vérone. Son sous-titre, il mensile dell'Africa e del mondo nero (le mensuel de l'Afrique et du monde noir) est ambitieux, mais imprécis. En effet, il est vrai que l'intérêt principal de cette revue est l'actualité politique, économique et sociale de l'Afrique centrale, et que sa rédaction possède les droits de reproduction exclusive de cinq revues centrafricaines. Cependant, sa rubrique Popoli e culture (Peuples et cultures) offre de manière non systématique une certaine visibilité à la littérature. En s'intéressant à tout le continent africain sans distinction de langue, Nigrizia présente des articles de bonne qualité sur la littérature maghrébine sans toujours spécifier la langue d'origine des œuvres. D'autres revues, comme par exemple Mani Tese- http://www.manitese.it - ou Popoli - http://www.gesuiti.it/popoli/index.html - présentent essentiellement des approfondissements de nature socio-politique sur les pays en voie de développement et s'intéressent aux projets de solidarité avec le sud du monde. Mani Tese est un mensuel lié à un organisme non gouvernemental pour la coopération au développement qui porte le même nom, et il n'est distribué que sur abonnement; alors que Popoli est un mensuel des missionnaires jésuites. La présence du Maghreb francophone est sporadique dans les deux revues. Cem Mondialità, est un mensuel d'éducation interculturelle crée par le Centro Educazione alla Mondialità (C.E.M.) des missionnaires Savériens de Parma (même si la rédaction est à Brescia). Les rares articles consacrés au Maghreb concernent la didactique interculturelle et l'éducation au développement. Oriente Moderno- www.ipocan.it - est une revue qui rejette toute classification, car elle possède certains caractères des périodiques centrés sur la spiritualité, et d'autres propres aux publications académiques. Elle exemplifie bien la variété du panorama des périodiques italiens, et elle fait ressortir le caractère conventionnel de mon organisation du corpus de revues "par secteurs". Oriente Moderno était un mensuel lors de sa première parution. Il a été édité tous les six mois pendant quelques années, et il sort actuellement trois fois par an. La traduction de son sous-titre est: revue d'information et d'études pour la diffusion de la connaissance de la culture de l'orient surtout musulman. La revue est en effet consacrée surtout au Proche- et Moyen-Orient contemporains mais les pays du Maghreb ne sont pas ignorés, grâce surtout au fil rouge constitué par l'islam. Les articles concernant la vie politique, sociale et artistique orientales sont souvent accompagnés par des contributions scientifiques à caractère littéraire, arabophone ou francophone. La section concernant la recherche italienne dans les domaines des études arabes, islamiques, iraniennes et turques, est très intéressante. La revue publie en langue italienne, anglaise, française, espagnole, allemande, arabe, turque et persienne. Les 'Quaderni di Oriente Moderno' visent à présenter des contributions à caractère monographique, des numéros spéciaux et des suppléments. Les articles en anglais et en français sont de plus en plus nombreux, grâce à la récente ouverture de la revue aux contributions de chercheurs étrangers.

 

 

Ce qui caractérise les périodiques dont l'intérêt principal n'est ni académique ni littéraire, est la complémentarité des lettres maghrébines par rapport à un thème central. On peut songer aussi à la presse féminine italienne, qui présente parfois des écrivains, voire des écrivaines maghrébines francophones, en abordant les textes littéraires d'un point de vue anthropologique et en ignorant complètement leur éventuelle valeur littéraire. Par exemple, ces magazines peuvent accorder aux indications sur la condition des femmes au Maghreb qu'on peut tirer de certains romans une importance disproportionnée. Or, une mise en contexte relativiserait souvent la valeur documentaire attribuée à beaucoup de ces œuvres. Ceci dit, les potentialités de diffusion et de légitimation de la presse- même non spécialisée- ne doivent pas être sous-estimées, et dans ce domaine les sites Internet et les revues on line jouent aussi un rôle de premier plan. Les sites reflètent les caractéristiques de la presse écrite: j'ai ignoré les nombreux sites en langue française même si la nature d'Internet permet de supposer qu'ils atteignent un public non spécialisé, même non francophone, plus facilement que les revues. N'oublions pas que certains moteurs de recherche offrent des traductions rudimentaires en ligne de pages web. Cependant, pour faciliter une comparaison avec la presse, j'ai essayé de m'en tenir aux sites en italien. Ils peuvent être classés de manière semblable à la presse écrite. On trouve d'abord les sites académiques qui, comme les périodiques du même genre utilisent la langue française ou font référence à des ressources en français (un exemple parmi tant d'autres, le site de la bibliothèque de l'Université de Padoue www.maldura.unipd.it/biblio/vrd/vrdfr2.html ), des sites bibliographiques non spécialisés sur le Maghreb (www.alice.it ) ou encore des sites variés où la littérature joue un rôle accessoire. www.arabroma.com est un site qui s'occupe de la culture arabe en Italie et en italien. Francophonie et arabophonie ne sont pas distinguées, mais la section consacrée à la littérature est intéressante et bien développée. www.comen.org est le site officiel de la Conférence méditerranéenne et de la Fondation méditerranéenne. Ces associations ne sont pas nées avec des objectifs littéraires, mais la littérature maghrébine trouve de l'espace dans ce site en tant qu'aspect de la culture du bassin méditerranéen. Le site www.stranieriinitalia.it présente une petite banque des données littéraires. Ce qui la rend intéressante est qu'elle ne contient que des titres italiens ou traduits en italien, donc accessibles au public non francophone. La recherche peut être effectuée par écrivain, par œuvre, par titre ou par auteur de texte critique, et la banque des données contient aussi des références aux mémoires de maîtrise et aux thèses de doctorat. Si on lance une recherche par nom d'auteur, par exemple, on trouvera "continent", "nation", "langue mère" et "langue coloniale" parmi les entrées possibles pour définir la quête. Il est donc très facile dans ce cas d'orienter sa recherche vers la francophonie, le Maghreb, ou l'intersection des deux.  www.Iltamburo.it est une revue on line soutenue par les associations des citoyens étrangers de la ville de Bologne. Elle est publiée sur Internet une fois par semaine et le but de sa rédaction est celui d'offrir une certaine visibilité aux communautés de citoyens étrangers à Bologne, en facilitant les processus d'intégration. Vu le caractère local du site, l'espace consacré à la littérature est petit ou absent, mais ce site contribue à une approche plus mûre aux cultures étrangères, et particulièrement à la culture maghrébine. www.marocconews.it est un site dont le but est celui de diffuser la connaissance du Maroc auprès des Italiens à travers la presse marocaine. Cette perspective est sans doute intéressante, mais les thèmes littéraires ne sont pas très approfondis.

 

 

Après cette parenthèse consacrée au rôle de la littérature maghrébine dans la presse d'entretien et dans les sites Internet, revenons aux revues spécialisées auxquelles les grand public peut accéder. Qui écrit les articles et les recensions sur les revues que j'ai brièvement présentées? Sur la base de quelles considérations on présente un certain auteur ou un certain roman plutôt qu'un autre? En d'autres mots, de quelle manière fonctionnent ces revues, que j'ai essayé de situer dans le contexte italien? En me renseignant auprès des rédactions, je me suis rendue compte que la légitimation de la littérature qui fait l'objet de cet article se fonde sur un système d'experts. Des individus, et non un conseil de rédaction, proposent normalement l'œuvre d'un auteur qui les a frappés et finissent en général par s'en occuper sur les pages des périodiques. J'ai donc décidé de poursuivre mon analyse sur la réception et la légitimation  de la littérature maghrébine francophone à travers le canal des revues en interviewant ces 'témoins privilégiés'. J'ai parlé avec plusieurs personnes, mais je ne présenterai ici que trois entretiens qui me semblent significatifs pour l'étude de la visibilité de la littérature maghrébine francophone dans les revues.

Le problème des compétences de ceux qui s'occupent de cette littérature est complexe. En général, quand un critique propose à une rédaction son travail sur un auteur ou sur un roman, sa spécialisation dans le domaine littéraire maghrébin peut jouer un rôle dans le mécanisme de légitimation car elle peut le rendre plus fiable aux yeux des responsables de la revue. Cependant, si l'expert a d'autres compétences intéressantes pour la rédaction, ses connaissances spécifiques en la matière ne sont pas considérées comme essentielles. Par exemple, les revues assignent souvent des approfondissements concernant le Maghreb francophone à des collaborateurs spécialisés en littérature arabe. Il est très significatif que des experts en littérature maghrébine arabophone s'occupent aussi de littérature en langue française. En effet cela souligne, au niveau des rédactions des revues, et non seulement au niveau du lectorat, l'absence d'intérêt pour la langue d'origine des œuvres. D'autre part il est vrai, comme je l'ai déjà annoncé, que la limite intrinsèque à ma recherche est justement sa perspective unilingue. En effet, le panorama culturel maghrébin francophone ne se prête pas forcément à une analyse dont le pivot est la langue française car sa littérature est faite par des auteurs bilingues ou trilingues qui s'adressent parfois à un lectorat avec la même ouverture linguistique ou culturelle. A ce propos, Abdellatif Laâbi a déclaré à l'hebdomadaire londonien Al Wasat: "La barrière érigée entre notre littérature de langue française et notre littérature de langue arabe est illusoire et artificielle"[3].

J'ai choisi d'exprimer le point de vue des experts en culture arabe qui s'occupent de littérature maghrébine francophone par le biais d'une interview à Jolanda Guardi. Enseignante de langue et littérature arabe à l'IsIAO (Institut Italien pour l'Afrique et l'Orient) et au Ministère de l'intérieur, Jolanda Guardi collabore à plusieurs périodiques qui s'occupent d'Afrique en tant qu'experte en littérature maghrébine. Elle a aussi collaboré avec le monde de l'édition, en écrivant par exemple la postface à la traduction italienne de Filles d'Ismaël d'Assia Djebar. L'interview que je reproduis intégralement à la fin de cet article est extrêmement intéressante. En effet Mme Guardi se sent très touchée par le thème de la réception de la littérature maghrébine en Italie, en tant que spécialiste en littérature de langue arabe. Elle remarque que pour des raisons économiques, certaines maisons d'édition italiennes font traduire souvent du français, et par des traducteurs qui ne connaissent même pas la langue arabe, des œuvres dont l'original est en arabe, ce qui donne, comme on peut l'imaginer, des traductions de mauvaise qualité. Cette situation est favorisée, paradoxalement, par les financements accordés par le Ministère français pour la francophonie. En outre, l'impression de l'interviewée est que, en Italie, on associe à la langue française un prestige culturel qu'on n'associe pas à la langue arabe. Pour ce qui concerne spécifiquement la francophonie littéraire, elle croit que les problèmes dans les traductions ne dérivent pas de la compétence linguistique des traducteurs, mais de leurs lacunes à propos de la littérature et du milieu littéraire maghrébins. Quant au manque d'autonomie de cette littérature en Italie, Jolanda Guardi remarque que pendant les événements culturels, par exemple, on pose souvent des questions non littéraires aux écrivains maghrébins, et que les maisons d'éditions choisissent souvent les auteurs à traduire sur la base de la valeur documentaire de leurs œuvres. Les événements que l'opinion publique associe arbitrairement au Maghreb finissent par conditionner jusqu'à la collocation physique des collections qui publient cette littérature dans les librairies. Nous avons discuté, à titre d'exemple, l'évidente retombée des événements du onze septembre, qui a priori n'ont rien à voir avec la littérature maghrébine, sur l'exposition des livres maghrébins. Bien sûr l'autonomie de l'intérêt pour cette littérature n'est pas facilitée par les comparaisons que les critiques ou les préfaciers tendent à établir entre les auteurs maghrébins et les auteurs français ou italiens. Jolanda Guardi a en outre confirmé que c'est la sollicitude des collaborateurs d'une revue qui occasionne en général la diffusion d'un auteur par cette revue, et non les rapports avec les maisons d'éditions ou le monde académique, qui sont absents ou difficiles.

Ce mode de diffusion laisse la place à une vaste gamme de rapports entre écrivain et critique. Parfois, par exemple, ce dernier est spécialisé sur un seul auteur qu'il connaît personnellement, promeut et apprécie. La connaissance et l'estime qui le lient à l'écrivain lui permettent souvent de suivre les œuvres dans leur évolution et de les promouvoir indépendamment de leur langue d'origine, parce qu'elles ont été écrites par cet auteur. Maria Nadotti exprime très bien cette situation. Madame Nadotti est en effet spécialisée en littérature anglo-américaine, elle collabore à certaines des revues que nous avons citées, comme Linea d'ombra, et Lo straniero, et elle joue un rôle fondamental pour la réception de la littérature maghrébine francophone parce qu'elle s'occupe d'Assia Djebar. Les deux femmes se connaissent bien et elles sont en relation directe et constante. Madame Nadotti a traduit certaines des œuvres d'Assia Djebar et lui a suggéré d'écrire pour le théâtre en stimulant ainsi l'écriture et la direction d'une pièce dont la version originale est en italien. On pourrait penser que le rôle de Madame Nadotti dans le cadre de la diffusion de la littérature maghrébine est atypique et exceptionnel. Au contraire, elle illustre bien une fonction qui n'est pas rare dans le panorama italien: celle de l'expert qui aide à diffuser et à légitimer une certaine littérature sur la base de ses liens personnels avec l'auteur. Maria Nadotti a refusé de répondre à certaines de mes questions car elle ne s'est pas jugée en mesure de parler de la littérature maghrébine francophone en général, et surtout parce qu'elle ne croit pas que la provenance culturelle et géographique d'un auteur soit essentielle. Grâce à son rôle actuel, et à son ancienne expérience de responsable éditorial, elle croit que les seuls canons pour juger une œuvre sont la qualité et le caractère nécessaire de l'écriture. À son avis, évaluer l'œuvre d'Assia Djebar dans le contexte maghrébin serait réducteur car ce serait une tentative inutile de catalogation d'une œuvre trop riche pour correspondre à un seul critère de classification. Madame Nadotti a aussi confirmé le caractère personnel des intérêts qui portent à diffuser un certain auteur.

Outre aux figures d'experts que j'ai décrites jusqu'à présent, il existe bien sûr des experts spécialisés exclusivement en littérature maghrébine francophone. Cette figure est pourtant plus rare que l'on pourrait le supposer, surtout dans les revues non académiques. En effet, les rares spécialistes de francophonie maghrébine sont normalement des universitaires qui collaborent à des revues parallèlement à leurs activités principales. Anna Zoppellari représente bien ce type d'expert car elle est chercheur à l'Université de Trieste et elle est vice-président de la CICLIM. Elle a souligné l'aspect sectoriel de la diffusion de la littérature maghrébine francophone, qu'elle interprète comme une véritable "racisme des bons sentiments". Elle souligne l'absence d'une politique éditoriale qui s'adresse au lecteur non spécialisé, en remarquant que les maisons d'édition ont tendance à promouvoir les auteurs qu'elles peuvent transformer en personnages plus ou moins stéréotypés. Madame Zoppellari confirme l'attention des revues non littéraires pour l'aspect socio-politique de la littérature maghrébine, mais elle souligne qu'au sein des revues scientifiques les experts sont liés à la rédaction par un intérêt réciproque, ce qui rend la diffusion des œuvres moins liée à un seul individu. Malgré la tendance des maisons d'édition à ne maintenir qu'une curiosité superficielle du public pour les littératures maghrébines francophones, madame Zoppellari n'exclut pas la possibilité de sortir des stéréotypes, car elle remarque un intérêt croissant chez les non - spécialistes.

 

 

Les entretiens que j'ai réalisés contribuent à brosser un portrait assez détaillé de la réception, diffusion et légitimation de la littérature maghrébine francophone en Italie. Il sera maintenant plus aisé de comprendre les raisons de la disproportion entre le succès de certains auteurs dans les pays francophones et en Italie. Il faut remarquer que les mécanismes de "personnalisation" dont nous avons parlé opèrent aussi dans le monde de l'édition italienne, et spécialement dans les petites maison d'édition, où le responsable de la collection oriente celle-ci sur la base de ses propres préférences[4]. Ces critères de choix non rigoureux justifient les réserves des critiques italiens sur l'opportunité de faire connaître certains auteurs maghrébins plutôt que d'autres, et leur méfiance à l'égard de la qualité littéraire des œuvres les plus diffuses en Italie. Il est vrai que parmi les traductions en italien d'œuvres maghrébines francophones des absences difficilement justifiables sautent aux yeux.

Le portrait de la diffusion des littératures maghrébines francophones en Italie que ces entretiens arrivent à brosser est fragmentaire, et il reflète assez fidèlement la situation dans le milieu éditorial. Cependant, un certain optimisme des 'experts' est indéniable. Cet optimisme dérive essentiellement de la confiance accordée au public italien. Les occasions pour se confronter à la littérature maghrébine francophone en dehors de tout stéréotype réducteur se multiplient au point - suggèrent les interviewées- que tout lecteur saura les repérer. Cette ouverture potentielle est confirmée par la rigueur professionnelle des personnes que j'ai rencontrées, et aussi par la richesse et la volonté de précision qui caractérisent la presse et les sites Internet dont les intérêts principaux présentent des intersections avec le monde culturel maghrébin.

 

Paola Ghinelli


Bibliographie

 

Pour un aperçu des traductions italiennes des œuvres littéraires maghrébines francophones et des essais critiques les concernant:

 

Francesistica, bibliografia delle opere e degli studi di letteratura francese e francofona in Italia, 1980-1989, Torino, Schena Editore

 

Francesistica, bibliografia delle opere e degli studi di letteratura francese e francofona in Italia, 1990-1994, II, Torino, Schena Editore

 

Francesistica, bibliografia delle opere e degli studi di letteratura francese e francofona in Italia, 1995-1999, III, Torino, L'Harmattan Italia, 2001

 

MANGIA, Anna Maria, "Document de travail: bilan des études littéraires maghrébines en Italie", in Études Littéraires maghrébines, bulletin de liaison du CICLIM n°13-14, 2e semestre 1996/1er semestre 1997, p.19-100

 

NUCCI, Giovanni (cur.), Scritti d'Africa, bibilografia cronologica della letteratura africana edita in Italia dal 1913, Istituto Italiano per l'Africa e l'Oriente, Roma, 2001.

 

Ces publications ne visent pas la catalogation ponctuelle de tout ce qui a paru en Italie concernant le Maghreb francophone, mais elles demeurent une référence précieuse, surtout si elles sont étudiées dans leur rapport réciproque.


Annexes

 

Interviews à Jolanda Guardi, Maria Nadotti et Anna Zoppellari

 

J'ai effectué ces entretiens en italien, et j'ai choisi de les présenter en langue originale. Je les ai résumés dans le corps de l'article.


Intervista a Jolanda Guardi di Paola Ghinelli

 

Jolanda Guardi è docente di lingua e letteratura araba all'IsIAO, Istituto Italiano per l'Africa e l'Oriente, di Milano. Insegna arabo presso il Ministero degli Interni, e collabora a molte riviste che si occupano di Africa in qualità di esperta di letteratura magrebina. Si è occupata anche di letteratura francofona, sia con articoli e recensioni, sia collaborando con il mondo dell'editoria. È sua ad esempio la postfazione a Figlie d'Ismaele di Assia Djebar. Questa intervista a proposito della ricezione e della legittimazione della letteratura maghrebina francofona in Italia si è svolta a Milano il 9 Maggio 2002.

 

Cosa pensa dei meccanismi di ricezione e legittimazione della letteratura maghrebina francofona in Italia?

 

L'argomento è molto interessante. Personalmente sono molto critica sulla questione e sulla selezione degli autori che viene fatta in Italia. Spesso, infatti, probabilmente per motivi economici, o più in generale di convenienza, si traducono dal francese anche autori che scrivono in arabo, e per questo motivo il problema della ricezione dei maghrebini francofoni piuttosto che arabofoni acquisisce un carattere particolare nel contesto del mercato editoriale italiano. A questo si aggiunga che le traduzioni sono spesso di scarsa qualità, non tanto per motivi linguistici, quanto per l'ignoranza dei traduttori riguardo alla cultura maghrebina e all'ambiente letterario. Ad esempio, l'uso strumentale o politico della lingua da parte di molti autori, o la loro interpretazione della lingua francese come "arma" dovrebbero essere tenuti a mente dai loro traduttori, ma è raramente il caso. Questa ignoranza si ritrova spesso anche nelle prefazioni e nelle postfazioni dei romanzi maghrebini. In particolare, so che Assia Djebar si è interessata perché la casa editrice di Notti di Strasburgo ne elimini la postfazione, che ritiene non abbia colto lo spirito del romanzo.

 

Mi pare di capire che i lettori italiani non abbiano modo di percepire la differenza tra arabofoni e francofoni. Crede che la ricezione dei romanzi maghrebini sia influenzata da questa confusione?

 

La mia impressione è che vengano considerati intellettuali, e autenticamente "scrittori", solo gli autori francofoni, o che si esprimono in francese, a discapito di quelli che fanno uso dell'arabo. Solo le case editrici piccole traducono questo tipo di letteratura dalla lingua originale. I principali editori italiani traducono, come dicevo, dal francese, o addirittura dall'inglese, e i traduttori non conoscono l'arabo.

 

Qual è il motivo di queste scelte, oltre all'influenza del mercato dei traduttori?

 

In ogni caso, si tratta di motivi economici. La mera esistenza di un Ministero della Francofonia è un dato interessante. Questo ministero finanzia borse di studio per studiare in Francia e progetti di vario tipo. Inoltre, eroga fondi per sostenere riviste e associazioni che in tutto il mondo promuovono la francofonia. Anche una delle riviste con cui collaboro, Africa e Mediterraneo, ha ricevuto dei finanziamenti. Recentemente questo ministero ha inoltre stilato un accordo in Algeria per la diffusione della lingua francese, il che è stato naturalmente fonte di scandalo da parte di membri dell’Associazione algerina per la difesa della lingua araba, viste le vicende linguistiche algerine degli ultimi anni.

 

La mia tesi è che l'interesse letterario delle riviste per la letteratura magrebina, non solo francofona, sia accidentale e legato a fatti di cronaca o a questioni socio-politiche. È d'accordo?

 

Sono d'accordo, e posso aggiungere che un processo analogo si verifica nelle case editrici. Ad esempio, la casa editrice Astrea, che per inciso traduce tutti i romanzi magrebini dal francese, propone due autrici magrebine di valore decisamente diseguale: Assia Djebar, e Malika Mokeddem. Mentre la prima è una vera scrittrice, la seconda è tradotta essenzialmente per motivi tematici, perché presenta un interesse, per così dire, documentario. Credo che gli autori che scrivono in arabo propongano contenuti diversi, che non vanno sempre in questa direzione, e anche per questo dovrebbero essere più tradotti. Inoltre, specialmente quando si lega a opportunità linguistiche, la politica influenza la scelta dei romanzi da tradurre. Per quanto riguarda appunto Assia Djebar, non sono mai stati pubblicati e tradotti in Italia i suoi primi scritti, risalenti all'epoca della sua militanza in ambienti vicini alla lotta di liberazione.

 

Credo che gli stimoli esterni in grado di agire sul mercato della letteratura magrebina siano essenzialmente due. Da una parte l'interesse per la questione femminile, e dall'altra uno sguardo curioso ma ignorante sull'Islam, che tende ad associare questa religione ai fondamentalismi e al terrorismo. Lei crede che l'undici settembre abbia influito sul panorama letterario magrebino in Italia?

 

Dal punto di vista strettamente letterario non credo, dato che gli scrittori magrebini non si sono in genere pronunciati in proposito. Certamente c'è stata un'impennata nella pubblicazione di saggi o pseudo- saggi sull'argomento. Anche la collocazione fisica nelle librerie delle collane che ospitano opere di questo tipo è diventata più aggressiva. Ad esempio, la collana di Astrea ha riguadagnato la prima fila sugli scaffali insieme a Karim, mio fratello terrorista e a Le confessioni di un terrorista algerino, editi per i tipi degli Editori Riuniti, ben poco attinenti alla situazione politica in Afghanistan. Di riflesso, anche gli autori magrebini sono stati contattati per parlare del problema. Ho notato comunque che in generale, anche durante gli eventi culturali, la presenza di scrittori arabi suscita raramente domande pertinenti alla letteratura. Di solito si pongono loro questioni su problemi politici o antropologici. Assia Djebar, per tornare sempre a un esempio noto, si è rifiuta solitamente di esprimersi in merito a questioni contingenti. Credo sia legittimo da parte di uno scrittore il volersi attenere alla letteratura, specialmente nel contesto di ricezione che caratterizza questo settore. Per quanto riguarda l'interesse specifico delle riviste nei confronti della letteratura magrebina so di un progetto, poi naufragato, di Io donna. La redazione aveva intenzione di intervistare alcuni scrittori, e credo che il progetto fosse legato ai fatti dell'undici settembre.

 

Le riviste che si occupano di Maghreb sono in contatto con il mondo dell'editoria o dell'Università?

 

Africa e Mediterraneo non riesce ad avere rapporti proficui come casa editrice. In particolare, se la rivista propone una traduzione, la proposta viene di solito rifiutata, o rientra, proprio per il problema della diffusione. Pubblicare la traduzione inedita di un romanzo magrebino, magari scritto da un autore sconosciuto in Italia, non permette nemmeno di rientrare nei costi. Afriche e Orienti è in contatto con la casa editrice Aiep di San Marino. Collane come Melting pot di Aiep hanno una diffusione estremamente difficile, tanto più che le piccole case editrici non hanno il codice ISBN e perciò non sono reperibili sul catalogo Alice e di conseguenza nemmeno in libreria. Lo stesso dicasi per alcune riviste di settore, come ad esempio Quaderni Asiatici.

 

Nella sua esperienza, quali sono i criteri per scrivere un articolo, ovvero per promuovere un autore piuttosto che un altro? Venite mai sollecitati da enti esterni?

 

No, di solito la molla per pubblicizzare un determinato romanzo è l'interesse personale. Al contrario siamo noi a cercare di interessare le case editrici. Mandiamo loro una copia della recensione sperando che siano loro a contattarci per avere delle recensioni in occasione di un altra pubblicazione. Purtroppo le case editrici non hanno interesse in questo tipo di promozione. Addirittura, durante i tour di promozione editoriale, gli autori comprano spesso di tasca propria i loro libri a prezzo scontato e li rivendono a prezzo pieno dopo la conferenza. Le case editrici pubblicano solo gli autori in grado di vendere bene, e solo per loro investono in attività promozionali.

 

Secondo lei quali sono le prospettive future della letteratura magrebina in Italia?

 

Non posso prevedere il futuro, ma posso formulare un auspicio. Spero naturalmente che questa letteratura sia sempre più letta, ma perché si diffonda maggiormente dovrebbe uscire dallo specifico e dalla situazione. Sono le opere universali che fanno la letteratura. Ciò che di concreto si può fare in questa direzione è smettere di paragonare gli scrittori maghrebini ai francesi o agli italiani. Ho sentito parlare di Choukri come del "nuovo Pasolini", e di Chraïbi come del "nuovo Camilleri". Non siamo in grado di fare letteratura comparata. L'unico modo per conoscere fino in fondo questa letteratura è accettare la sua diversità e la distanza dai nostri canoni.


Intervista a Maria Nadotti di Paola Ghinelli

 

Maria Nadotti collabora a diverse riviste letterarie come Linea d'ombra e Lo straniero. In campo magrebino francofono si occupa in particolare di Assia Djebar. La loro conoscenza è iniziata nel 1996, quando Djebar è stata scelta come una delle autrici da coinvolgere per un libro-intervista edito da La Tartaruga. Da quel momento è iniziata una relazione diretta e costante con l'autrice, Maria Nadotti ha tradotto e curato alcuni suoi libri per i tipi di Baldini e Castoldi, e nel 1999 propose alla scrittrice di scrivere per il teatro. In seguito a questo suggerimento Assia Djebar decise di scrivere e dirigere Figlie d'Ismaele nel vento e la tempesta, rappresentato per la prima volta in italiano il 18 settembre 2000 al teatro di Roma. Questa intervista è stata realizzata telefonicamente il 31 Maggio 2002.

 

 

Cosa pensa dei meccanismi di ricezione e legittimazione della letteratura maghrebina francofona in Italia?

 

Chi lavora in una casa editrice trova grandezza in un autore indipendentemente dalla sua zona d'origine. Sono stata consulente editoriale e non ho mai scelto un autore in base alla sua provenienza, ma piuttosto per far entrare in risonanza le grandi opere letterarie. Ciò che fa la qualità di un'opera è il fatto che la scrittura deve essere necessaria, e questo prescinde naturalmente dall'area geografica cui appartengono gli autori. Nel caso particolare di Assia Djebar, credo si tratti di una delle grandi scrittrici contemporanee, non a caso è in lizza per il premio Nobel. Collocherei Assia tra gli scrittori che hanno avuto percorsi particolari, e che vivono in ogni parte del mondo, come ad esempio John Berger, non tra gli scrittori magrebini. Bisogna chiedersi come sia nata la scrittura, e cercare di individuare quale sia la grandezza intrinseca in questa autrice. Valutare la sua opera nel contesto magrebino mi pare riduttivo.

 

Quali sono i criteri per scrivere un articolo su una rivista, ovvero per promuovere un autore piuttosto che un altro?

 

Gli articoli che ho scritto sono sempre stati proposti da me. È molto comune che l'iniziativa personale determini la diffusione di certi autori a discapito di altri. La richiesta editoriale, la commissione, è estremamente rara. Bisogna convincere il direttore di una rivista della qualità di un lavoro, il che è ora molto semplice per il lavoro di Assia, ma è certamente molto arduo per autori di cui si è tradotto poco.

 

Le riviste che si occupano di Maghreb sono in contatto con il mondo dell'università?

 

Assia è ormai molto richiesta in ambito accademico, ma credo che nel suo caso il primo impulso ad occuparsi della sua scrittura provenga dalle case editrici, e non viceversa.

 

Una delle mie tesi è che l'interesse letterario delle riviste per la letteratura maghrebina, non solo francofona, sia accidentale e legato a fatti di cronaca o a questioni socio-politiche. È d'accordo?

 

Il femminile è certo fonte di interesse, e si scrive a proposito di ciò che interessa. Assia si occupa della condizione della donna in un modo molto profondo e molto personale. In particolare, credo che il coraggio di parlare al presente fondandosi sulla storia sia uno dei più evidenti indici di qualità della sua scrittura. Ho sempre avvertito un ritmo teatrale nelle sue opere, e quando le proposi di scrivere per il teatro, lei si entusiasmò. Il peggiore servizio che si può rendere ad autori e autrici di talento è quello di cercare di inserirli in una casella. Data la ricchezza dell'opera di Assia, ogni collocazione le starebbe stretta.


Intervista a Anna Zoppellari di Paola Ghinelli

 

Anna Zoppellari, attuale vicepresidente della CICLIM e referente per l'Italia della raccolta dati bibliografici, è ricercatrice confermata presso il dipartimento di Lingue e Letterature dei Paesi del Mediterraneo dell'Università di Trieste, è docente di “Letterature francofone” e collabora alla rivista universitaria plurilingue Letterature di frontiera/Littératures frontalières, occupandosi soprattutto di Maghreb. Questa intervista a proposito della ricezione e della legittimazione della letteratura magrebina francofona in Italia si è svolta telefonicamente il 14 Giugno 2002.

 

Cosa pensa dei meccanismi di ricezione e legittimazione della letteratura maghrebina francofona in Italia?

 

Credo che questa letteratura sia diffusa secondo modalità analoghe alle altre letterature emergenti: esiste un recupero importante e necessario da parte delle case editrici e delle riviste, ma è estremamente settoriale, come nel caso delle riviste universitarie, o legato al recupero del concetto di alterità. Entrambi i casi possono essere letti come processi di ghettizzazione. L'unico autore tradotto e pubblicizzato massicciamente è Tahar Ben Jelloun. Per quanto riguarda gli altri autori, esistono alcune traduzioni, ma sono poco lette perché percepite esclusivamente come espressione di una letteratura-altra. Si tratta di un vero e proprio razzismo di ritorno, di un razzismo dei buoni sentimenti. Credo esista un settore del pubblico attratto da queste letterature, ma non si può parlare di una politica editoriale rivolta al lettore medio. Questa letteratura trova lettori con alta preparazione critica, provenienti dall'ambiente universitario che leggono in lingua originale, non hanno bisogno di traduzioni, e si situano quindi all'esterno di questo mercato. Esistono lettori potenziali non specializzati, ma nemmeno ingenui, cui l'offerta editoriale non risponde a pieno.

 

Cosa spinge una casa editrice a tradurre un determinato autore?

 

Ho collaborato con case editrici per la traduzione di testi letterari di lingua francese, ma mai in ambito magrebino. In ogni caso, ho l'impressione che l'essenziale per lanciare un autore sia la creazione di un'immagine, e questo indipendentemente dalle capacità dello scrittore. Si esaltano al massimo le caratteristiche che possono rendere un  autore un "personaggio" per mantenere alte le vendite. Con questo non intendo sminuire il talento degli autori che sono celebri in Italia, che sono certamente dei grandissimi scrittori e il cui merito è, appunto, quello di poter essere letti a vari livelli, ma semplicemente dire che i processi di diffusione di questi autori sembrano spesso legati a questioni extra-letterarie. E’ sintomatico il caso della diffusione delle scrittrici maggiormente conosciute in Italia, Assia Djebar e Malika Mokeddem. Per entrambe si evidenzia lo stereotipo della donna magrebina liberata, più che il valore letterario delle opere. Mettere in risalto questo stereotipo serve, tra l’altro, anche a rappresentare lo stereotipo opposto, e questa dicotomia è funzionale al processo pubblicitario perché garantisce le attese del lettore. Non è un caso inoltre, che i due autori maghrebini più famosi in Italia siano un uomo e una donna, Assia Djebar e Tahar Ben Jelloun, quasi a coprire tutte le potenzialità possibili.

 

Quali sono i criteri per scrivere un articolo su una rivista, ovvero in definitiva per promuovere un autore piuttosto che un altro?

 

Dipende dalla rivista: quelle non specializzate hanno interessi prevalentemente sociali, e di conseguenza è questo il taglio dei loro articoli. Questo frequente abbinamento del Maghreb alla tematica sociale crea aspettative nel pubblico che vanno nella stessa direzione. Ma il valore della letteratura è legato esclusivamente ai problemi sociali? Dal mio punto di vista di accademica, ma anche di semplice lettrice, certamente no.

Per quanto riguarda le riviste universitarie, normalmente c'è un interesse reciproco tra lo studioso e la rivista. La scelta quindi si opera a monte. I lettori di pubblicazioni scientifiche hanno inoltre un orizzonte d'attesa più definito rispetto a quello del pubblico di riviste dal target meno definito.

 

Crede che la ricezione dei romanzi magrebini sia influenzata dalla loro particolare collocazione linguistico-culturale?

 

Da una parte si fanno certamente più traduzioni dal francese che dall'arabo per motivi di mercato, essenzialmente di reperibilità dei traduttori (anche se credo che le traduzioni dall'arabo siano in aumento); d’altra parte, per quanto riguarda i gusti del pubblico, ritengo che ci sia un enorme interesse per la multiculturalità su cui si basa la letteratura magrebina. La multiculturalità suscita curiosità, ad esempio, presso gli studenti dei miei corsi di letteratura magrebina francofona. La componente araba di questa letteratura attrae molto gli studenti (prevalentemente italiani o provenienti da paesi della ex-Jugoslavia). Credo che questo dipenda dal fatto che gli italiani, in generale, cominciano a convivere con la componente culturale araba, o quanto meno a riconoscerla come entità culturale, pur continuando a conoscerla male. Si tratta di una contiguità non cercata e sostanzialmente subita, in quanto determinata dal fenomeno migratorio: dopo essere stata per anni un paese d’emigrazione, l’Italia ha cominciato ad essere un paese d’immigrazione. Il Maghreb è uno dei bacini d’origine di questo fenomeno e gli italiani sono costretti a riconoscere l’esistenza di questo Mediterraneo del sud, altrimenti conosciuto solo come meta turistica. Questo fa si che l’atteggiamento sia sostanzialmente paradossale: c’è curiosità mista a diffidenza, interesse misto a senso di differenza. Il Maghreb può rappresentare ad un tempo un’alterità distante, impossibile da raggiungere o un ponte per l’Oriente contemporaneo. Dipende, evidentemente, dai codici con i quali viene presentato e rappresentato. Inoltre, da quest'anno ho notato che gli studenti vorrebbero sapere com'è visto il mondo occidentale dal punto di vista maghrebino. Sono affascinati dallo sguardo dell'altro.

 

Una delle mie tesi è che l'interesse letterario delle riviste per la letteratura magrebina, non solo francofona, sia in certa misura accidentale e legato a fatti di cronaca o a questioni socio-politiche. È d'accordo?

 

Come ho già accennato, credo che l'interesse per la politica e la società sia una delle leve principali che portano alla curiosità nei confronti della letteratura magrebina. Non so se i testi che affrontano gli eventi dell'undici settembre dal punto di vista maghrebino e che stanno uscendo in Francia in questo periodo avranno la ricezione che meritano. Penso, ad esempio, all’ultimo libro di Meddeb (La maladie de l’Islam, Seuil, 2002) che pur non negando le motivazioni contingenti che lo muovono, cerca di spiegare i motivi dello sviluppo dell’integralismo nei paesi arabi spostandosi attraverso un arco storico e riferimenti culturali così ampi da superare nettamente i limiti dell’attualità. Si tratta di un testo che parla sia alla cultura islamica sia a quella europea, poiché si interroga sui motivi interni ed esterni del fenomeno integralista. Spero che questo  libro, così colto e così profondo, avrà un’ampia diffusione. Si aggiunga che, in genere, questi libri sono usati in modo molto strumentale dalle riviste non letterarie, che trascurano l'interesse letterario e umano a vantaggio di quello politico. Ma un grande autore è tale perché parla al cuore della gente, e il valore poetico di un testo rischia di passare totalmente sotto silenzio se si pone un accento troppo forte sul suo significato politico.

 

Secondo lei quali sono le prospettive future della letteratura magrebina in Italia?

 

Nonostante tutto, credo si sia creata una certa sensibilità nei confronti della letteratura magrebina anche grazie alle questioni socio-politiche cui abbiamo accennato. La sfida che ci presenta il futuro è quella di uscire dallo stereotipo. Noi accademici ci poniamo questo problema, e credo che anche il grande pubblico possieda oramai un bagaglio di conoscenze sufficiente per affrontare un salto di qualità. Spero quindi che anche il mondo dell'editoria accetti la sfida di superare gli stereotipi e agisca in questo senso.

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] J'ai compté les articles concernant la littérature francophone de Francofonia, une revue académique, L'Indice, une revue bibliographique, et Africa e Mediterraneo, une revue à caractère socio-politique. Pour leur descriptions, voir plus bas.

[2] Anna Maria Mangia, "Document de travail: bilan des études littéraires maghrébines en Italie", in Études Littéraires maghrébines, bulletin de liaison du CICLIM n°13-14, 2e semestre 1996/1er semestre 1997, p.19

[3] Al-Wasat numéro 303 du 17 Novembre 1997. Citation tirée de Qantara n°26, hiver 1997-'98, pg.38. Traduction de l'arabe par Gilbert Achkar.

[4] Par contre, les grandes maisons d'édition privilégient plutôt la visibilité d'un roman en France et les prix littéraires qu'il a reçus pour en commissionner la traduction et la diffusion en Italie. Le trait d'union entre ces deux mondes est constitué par l'absence d'une évaluation de la qualité littéraire de l'œuvre et de son rapport au public italien.