Négritude et Lusitanité :
Guy
DUGAS
Université
Paul Valéry-Montpellier III
Poète et éditeur, Armand Guibert
(1906-1990)[1], par ailleurs professeur
d’anglais de profession, est bien connu
des africanistes - entre autres
publications - comme l'auteur de deux
importants essais sur Léopold Sédar Senghor, régulièrement réédités depuis les
années soixante : le premier dans la collection "Poètes
d'aujourd'hui" chez Seghers, le second aux éditions Présence africaine. Le
Fonds Roblès-Patrimoine méditerranéen de l’université Paul
Valéry-Montpellier III a accueilli une partie des archives d’Armand Guibert, où
l’on trouve une abondante documentation sur Senghor. Je me contenterai de
décrire ici ce dossier, en profitant de l’occasion qui m’est offerte de faire
ainsi un premier classement dans cet ensemble considérable et encore désordonné
de documents divers. Quant à l’exploiter plus systématiquement, je laisse ce
soin à plus compétent que moi, s’il le souhaite : ce fonds est ouvert à la
consultation, et riche en possibilités de recherche[2].
***
Absolument inédite, la correspondance
Guibert-Senghor conservée dans le "Fonds Roblès" s’ouvre sur une
lettre manuscrite de Senghor d’août 1948, à l'en-tête de l'Assemblée Nationale.
Le "Mon cher ami" dont use l'épistolier et certaines allusions dans
le texte permettent de penser que cette lettre est loin d’être la première
entre les deux poètes. Le Député-Poète, qui se déclare « pas toujours sûr
de la valeur objective de ce qu’[il] écri[t] donne à son correspondant une
adresse à Paris et lui demande de lui envoyer ses poèmes « par retour de
courrier ». Une mention manuscrite d’Armand Guibert sur cette lettre
indique « Répondu et envoyé O.P. le 2 sept. »[3].
Par une lettre manuscrite du 14 septembre, Léopold Sédar Senghor accuse réception du vaste poème de Guibert, qu’il considère « splendide comme une pierre précieuse ou comme le cœur et le corps d’un héros ». Suit un commentaire comparé avec le recueil auquel Senghor travaille :
« En lisant les poèmes du recueil auquel je
travaille actuellement et qui s'intitule Ethiopiques, vous aurez
probablement l'impression de relire parfois Oiseau privé.. Et pourtant
je ne l'avais pas lu. Etranges rencontres ? Mais naturelles. C'est le même
lignage parce que la même terre, le même ciel, la même âme.
C'est curieux.
Dans votre vers libre, vous conservez le rythme du vers classique - 6, 8, 10,
12 syllabes. Moi aussi, j'ai essayé de le faire. Vous employez, bien que vous
me le reprochiez, ces mots rares qui donnent un frisson de lumière au vers.
Oui, votre poème
a été pour moi un émerveillement, sur les cimes de l'âme. Parce que je m'y suis
retrouvé et qu'en même temps vous m'ouvriez un pays nouveau, une sorte de pays
haut, à moi qui tenais des plaines de sable. »
C'est donc leur sensibilité
poétique qui d'abord rapproche les deux hommes. A cette époque-là, l’un est
sédentaire, bien installé à Paris comme représentant de l’Union française à
l’Assemblée nationale ; l’autre, depuis longtemps nomade dans l’âme et
tout heureux d’une liberté retrouvée avec la fin de la guerre, pérégrine
précisément à travers l’Afrique. Ce qui, après qu’il a travaillé avec Seghers à
l’aventure des “poètes casqués”, ne l’empêche nullement de tenir la chronique
poétique de plusieurs revues littéraires importantes, telles que Monde
Nouveau paru, La Voix des Poètes ou France -Asie. Néanmoins,
c’est dans Les Cahiers du Sud, durant les premières semaines de l’année
suivante, que l’on trouve – sauf erreur de ma part – le premier article de
Guibert sur Sédar Senghor : il s’agit d’un compte rendu des Chants pour
Naett [4].
Une année plus tard, dans une lettre
d’invitation sans protocole, qui atteste la grande familiarité désormais
installée entre les deux poètes[5],
Senghor remercie Armand Guibert « du très gentil article qu’[il a]
consacré à Chants pour Naëtt dans le dernier Figaro littéraire » :
J’y ai puisé meilleure connaissance de moi, et aussi
une leçon par-delà votre amitié, car évidemment ces Chants ne sont
pas parfaits !»
Une autre lettre de cette même année 1950,
expédiée de Strasbourg où Senghor siège au Conseil de l’Europe, s’emploie à
rassurer Guibert, éternel inquiet :
« Il n’y a pas de risque de guerre pour l’immédiat. Donc passez de
bonnes vacances. »[6]
Entre 1950 et 1954, Senghor interviendra, par
deux fois au moins, à en croire cette correspondance, en faveur d’amis d’Armand
Guibert, ou de Guibert lui-même. En contrepartie, il lui fait connaître des
amis-poètes sénégalais, comme le docteur vétérinaire Birago Diop ou Lamine
Dhiakhaté ; ou bien il sollicite de lui, pour la revue Climats, un
article sur Rabearivelo, « à l’occasion du cinquantième anniversaire du
grand poète malgache.[...] Ce ne sera d’ailleurs pas la première fois que Climats
aura fait paraître un article sur Rabearivelo. »[7]
Les
années 50 sont pour Armand Guibert en grande partie dévolues à l’introduction
de l’œuvre de Fernando Pessoa en France. Son travail de critique et d’exégèse
sur son ami se poursuit néanmoins. En juin 1953, Senghor le charge même, en
tant qu’angliciste, de la traduction de quelques poèmes extraits
d’Ethiopiques
et des Chants pour Naëtt pour une anthologie jamaïcaine[8]. Un brouillon de lettre de Guibert du 19
juillet suivant témoigne des difficultés qu’il rencontre dans cette tâche :
« A Paris, j’aurais pu, le loisir et la recherche aidant, faire sur
vos textes un indispensable travail d’équipe, pour lequel je me serais de toute
nécessité adjoint un collaborateur, de préférence Noir américain ou antillais,
dont la langue maternelle eût été l’anglais – et il va de soi que l’auteur eût
été consulté pour l’élucidation de certains vocables locaux ou de certaines
finesses tout ésotérique de pensée.
Rien de cela n’étant plus
possible, et réduit à mes seules lumières, du faible éclat desquelles j’ai une
juste conscience, j’ai dû me limiter, afin de vous donner une preuve de bonne
volonté, à traduire les textes qui ne présentaient pas d’embûches majeures. Je
vous les adresse sous ce pli, avec le regret d’avoir bronché devant les
compositions plus riches par l’ampleur et la substance verbale.»
Par ailleurs, le député Senghor, sachant la
grande connaissance que son interlocuteur possède des réalités maghrébines,
n’hésite pas à lui soumettre le rapport qui lui a été demandé par Edgar Faure,
Président du Conseil, sur l’avenir des rapports franco-tunisiens et
franco-marocains[9].
***
En 1960, le Sénégal obtient son
indépendance et Léopold Sédar Senghor en devient le premier Président, après
avoir été celui de l’éphémère Fédération du Mali. Malgré ses hautes fonctions,
il n’oublie pas pour autant la poésie – « mon ambition, écrit-il, est
d’être un bon poète plutôt qu’un homme politique »[10] - et
pas davantage ses amis : l’une de ses toutes premières lettres dans cette
fonction remercie Armand Guibert et le rassure sur le fait qu’il aura
« garde, dans [s]es nouvelles fonctions, de ne pas oublier l’importance
des valeurs culturelles dans le développement d’un jeune Etat.»[11]
Les échanges
suivants concernent la commande par Pierre
Seghers[12] d’un
Léopold Sédar Senghor pour sa collection “Poètes d’aujourd’hui”,
à laquelle Guibert avait déjà donné l’année précédente un Fernando Pessoa,
lu par Senghor « avec un très vif intérêt » :
« Ce qui me
touche – et me plaît – en Pessoa, c’est son accent si particulier, si
lusitanien. Evidemment, ne comprenant pas le Portugal, je peux moins goûter la
magie du style. »[13]
Durant le second semestre 1960 se succèdent
les envois de poèmes inédits[14], de
divers documents et photographies, ainsi
que d’une invitation à venir travailler à Dakar. Dans les premier mois de
l’année suivante, Guibert, alors professeur d’anglais au lycée Louis-le-Grand,
dépose un dossier de demande de détachement[15] pour
aller se documenter au Sénégal. Il y passera le premier semestre 1961 au palais
présidentiel de Dakar, aux côtés de Léopold Sédar Senghor, qu’il accompagne
même dans ses déplacements en pays sérère, région natale du Président[16].
Armand Guibert est de retour à Paris dans la
première quinzaine de mai puisque, le 15 de ce mois, son illustre correspondant
lui adresse, via les services culturels de la Représentation du Sénégal à
Paris, une lettre copieuse, le remerciant, « une fois de plus, de tous les
articles et émissions radiophoniques qu’[il a] consacrés ces temps derniers, à
[s]a poésie ». Lettre accompagnée d’un important dossier présenté par
Senghor :
« 1°- deux
Manuscrits,
2°-
une série de photographies. En général, les explications se trouvent au
dos des photos. Vous n’oublierez pas de me les rendre car je n’en possède
certaines qu’en exemplaire unique.
3°-
poèmes sérères, dont la plupart sont de Marône N’Diaye. Il y a :
-
- une introduction sur Marône N’Diaye et la
poésie sérère.
-
- des poèmes-chants sérères que j’ai
commentés.
4°-
trois poèmes négro-africains que j’ai traduits. »[17]
Parmi les conseils que le Poète-Président
donne à son biographe durant la rédaction de son essai, celui de ne jamais
« séparer le poète du Politique » :
«Je
l’ai souvent dit, la politique n’est qu’un aspect particulier de la
Culture. »
Dans une lettre ultérieure, faisant suite à
l’envoi du manuscrit, il suggère une liste de corrections et de modifications,
parmi lesquelles nous relevons ces deux ou trois :
« Page 13 : Il y a erreur dans l’énumération de mes camarades de Khâgne. Robert Brasillach et Roger Vaillant [sic] m’ont précédé au lycée Louis-le-Grand, et Jules Monnerot était élève au lycée Henri IV et non au lycée Louis-Le-Grand. »
[…]
Page 52 : supprimez
« son pays se couvre d’églises neuves ». En effet, on accuse le
Gouvernement sénégalais de subventionner, à ma demande, la construction
d’église neuves. Vous risquez d’alimenter la campagne de mes adversaires, qui
est une pure calomnie. »[18]
L’essai
paraît en septembre 1961, dans la collection “Poètes d’aujourd’hui”, dont il
constitue le n° 82. L’auteur en fait immédiatement parvenir un exemplaire
dédicacé au Général de Gaulle, qui le remercie d’avoir « voulu rapprocher
le lecteur du très grand poète africain, de langue française qu’est le
Président Léopold Sédar Senghor [...]»[19], et
un autre à Georges Pompidou, qui avait apporté « une modeste contribution
à [son] effort de documentation.»[20]
***
Du fait du succès de cet ouvrage et de la
préparation immédiate d’un autre, pour les éditions Présence africaine, 1962
est également une année d’intense correspondance.
Egocentrique, bougon et de plus en plus
angoissé par le drame algérien[21], Guibert
ne cesse de se plaindre à Senghor des faiblesses de la distribution et de la
réception de son essai.. Plus optimiste et pleinement satisfait de son exégète[22], le
poète-président multiplie les réponses patientes et attentionnées, non sans
laisser parfois percer quelque pointe d’irritation :
« [...] Laissez-moi vous
dire, très simplement, que votre perplexité est celle d’un intellectuel
français et qu’elle ne se justifie pas. En effet, les faits que vous avez notés
– les silences – s’expliquent aisément.
En ce qui concerne Présence
africaine, il s’agit simplement d’une négligence. Notre ami Alioune Diop est
toujours par monts et par vaux et il n’est pas particulièrement méthodique.
En ce qui concerne Aimé Césaire,
il est actuellement dans un état de dépression nerveuse très grave.
D’autre part, L’Argus de la
Presse m’a envoyé de nombreux comptes rendus de votre ouvrage. Il est vrai
que, la plupart du temps, ces comptes rendus n’ont pas été publiés dans les
plus grandes revues littéraires françaises. C’est sans doute le fait de la
saturation et que je suis moins étranger à la France que Pessoa. J’ajouterai
qu’il n’est pas question de comparer son génie à mon modeste talent.[...]
En résumé, vous avez tort d’être
pessimiste. Je suis sûr que d’autres comptes rendus de votre ouvrage
continueront à paraître.»[23]
Du reste, la meilleure preuve de l’excellente
réception de cette première publication n’est-elle pas la commande, par Alioune
Diop, d’un nouvel essai ? « Je ne saurais trop vous encourager à accepter
devant le succès de votre livre paru chez Seghers », conseille Senghor,
qui ajoute :
« Evidemment, il faudra faire quelque chose de plus simple, axé,
d’une part sur la Négritude, sur la fraternité humaine d’autre part.
Sur le plan du style, bien sûr,
il faudra insister sur le rythme et la musique des versets, mais encore plus
peut-être, sur les images analogiques et symboliques, qui sont un des aspects
de la littérature orale négro-africaine. »
La remise du manuscrit
est prévue pour le 15 juin 1962. Soucieux d’éviter « dans la mesure du
possible le double emploi avec l’édition Seghers » et attentif aux
conseils de son correspndant, Guibert oriente davantage ce deuxième essai vers
l’entretien, augmenté de textes commentés. Un abondant dossier – gloses,
commentaires et un schéma de dialogue... virtuel – accompagne sa lettre du 5 avril. Il recherche
le contact avec des amis ou des spécialistes de Senghor « qui ne se
déroberont pas », tout en refusant de « reprendre ce qui fut un
épuisant calvaire, et humiliant ». Aimé Césaire consent enfin à une
rencontre – ce qui réjouit Senghor :
« Je suis heureux que vous ayez rencontré Césaire. Comme cela, vous
l’aurez mieux compris. Il est vrai qu’il n’a rien gardé. Et puis, depuis un an,
il traverse une grave crise morale [...]. J’ai même craint qu’il se laissât
aller au suicide…»[24]
C’est dans sa propriété du Calvados, où il
passe ses vacances d’été, que le Président sénégalais, accuse réception du nouveau
manuscrit, qu’il trouve « pas très organisé »,
quoique « admirable d’intelligence, de compréhension et
d’intuition ». Il conseille à Guibert de « le corrig[er] avec
soin »[25]. De ce fait, l’ouvrage ne
paraîtra aux éditions Présence africaine qu’avec beaucoup de retard, dans les
ultimes semaines de cette année 1962. En dehors d’une lettre de remerciement de
Georges Pompidou, devenu Premier Ministre[26], et
d’une vive réaction de
Pierre Seghers, « assez proche de la stupéfaction »[27], le
dossier ne contient aucun élément de la réception de ce second essai.
Arrivé en France le 2 août au soir, Léopold Sédar Senghor n’a pu voir à la télévision le film que Simone Cendrars lui a consacré, mais, pressentant les récriminations de Guibert qui regrette que son nom n’ait même pas été mentionné au générique, il ne veut pas attendre plus longtemps pour le remercier « de l’aide si précieuse » qu’il a apportée à cette réalisation :
« Sans vous, ce film, je le devine, n’aurait pas de son [?] sens, qui ne
pouvait être que poétique. Mille mercis, mon cher ami.
Je suis d’autant plus navré
qu’on n’ait pas mentionné votre collaboration, votre contribution. Ce
sont, je le sais, les “manières” de la RTF. C’est dommage pour la France qui,
dans l’ensemble, continue de mériter sa réputation de courtoisie, voire de
“gentillesse”.»[28]
Le poète-professeur songeant alors à prendre
une retraite anticipée, afin de se lancer dans plusieurs « projets francophones
et africains », le poète-président se dit « sensible à [son] intention de la
consacrer en partie à l’Afrique » et l’encourage :
« Je pense, très sincèrement, que votre projet de prendre votre retraite
pour vous occuper de la littérature africaine d’expression française est
excellent et qu’il faut le maintenir [...]. Au fond, vous avez raison de
songer à prendre une retraite anticipée.. Je suis sûr que dans ce domaine, vous
nous rendrez d’éminents services, tout en défendant et illustrant la
francophonie, qui devient une réalité mondiale. »[29]
Le premier de ces projets
concerne Rabearivelo, dont Guibert souhaiterait éditer le journal intime. Une
fois encore, Léopold Sédar Senghor s’entremet pour cela auprès de l’écrivain
Jacques Rabemananjara, qui lui répond le
18 septembre 1963 :
« Je suis vraiment heureux que Monsieur Armand Guibert veuille,
désormais, se consacrer à la littérature africaine d’expression française et
qu’il veuille commencer, en ce qui concerne Madagascar, par mon ami, le
regretté Jean Joseph Rabearivelo. Je suis, malheureusement, au regret de ne
pouvoir lui donner satisfaction pour ce qui est du journal intime du poète,
intitulé Pythagoriques.
Ce journal était entre les
mains du regretté Robert Boudry : j’ignore où se trouve sa veuve qui doit
être en possession du document. »[30]
***
Les années 1964 et 1965 voient
l’organisation par Armand Guibert, désormais à la retraite, de nombreuses
conférences et de deux matinées poétiques sur la littérature
négro-africaine : la première, en Sorbonne, le 24 novembre 1964, est
entièrement dédiée à Léopold Sédar Senghor ; l’autre (15 juin 1965), sous
l’égide de La Voix des Poètes, est également ouverte à l’œuvre d’autres
poètes sénégalais, que celui-ci avait fait connaître à son correspondant :
Birago Diop, Lamine Diakhaté, Malick Fall et David Diop. A ce sujet, le dossier
recèle deux documents importants et, pour autant que je sache, inédits, dont je
me dois de livrer ici quelques extraits.
Le premier est une longue lettre de Senghor
à un universitaire américain, participant de la journée en Sorbonne et auteur
d’une thèse sur L’élaboration de la pensée de L.S. Senghor – Esquisse d’un
itinéraire intellectuel. Le Président-poète s’y livre à une critique très
profonde et très détaillée sur cette thèse. Il souligne en premier lieu
l’excellence de l’introduction et de la conclusion :
« En effet, ma personnalité, autant que je puisse y voir clair, est
dominée par certains facteurs biologiques et sociologiques que vous avez
excellemment analysés au début de votre ouvrage. J’ai été d’abord, par ma
famille et dans le contexte sociologique de mon enfance et de mon adolescence,
un être
déchiré : entre la famille de mon père et la famille de
ma mère, l’éducation familiale et les disciplines scolaires importées d’Europe
[...]. Je crois également votre conclusion très juste. En effet, si j’ai
quelque originalité, c’est moins dans les idées que j’ai exprimées que dans la
synthèse, mieux la symbiose, que j’en ai faite. »
Puis il passe aux critiques. Les défauts de ce travail lui semblent être de deux sortes : une trop grande systématisation de la thèse et certaines approximations choquantes dans le portrait moral. La réflexion de Léopold Sédar Senghor sur ce plan constitue un remarquable document auto-analytique et auto-biographique :
« I- Je vous ai indiqué les influences que j’avais subies. En
vérité, lorsque j’y réfléchis, je découvre que j’ai un peu exagéré ces
influences, s’agissant, en particulier, de Barrès, de Price-Mars, de Bergson,
de Saint-Simon. En tout cas, vous avez eu tort d’y ajouter d’autres
influences : Etienne Léro, Alioune Diop, Abdoulaye Ly, sans parler du
groupe M.R.P. et du groupe socialiste.
Tout d’abord, les vivants m’ont
toujours très peu influencé. La plupart du temps, il m’ont servi de réactif,
sinon de repoussoir. Mon mouvement naturel a été de me définir par rapport à
eux. Parmi les vivants, la seule influence réelle que j’aie subie a été celle
d’Emmanuel Mounier.
Pour rester dans le domaine des
vivants, je prendrai l’exemple d’Etienne Léro et de Légitime Défense :
nous étions encore étudiants Césaire, Damas et moi, quand Etienne Léro et René
Ménil ont lancé Légitime Défense. Quelle a été notre réaction –
car il a été plus justement question de réaction que d’acceptation de leur
influence. Légitime Défense a attiré notre attention sur le problème du
Surréalisme et sur celui de la primauté de la Politique. Mais, si nous avons
été amenés à lire, plus attentivement, les surréalistes, l’attitude de Légitime
Défense nous a amenés, en même temps, à les lire d’un œil critique et dans
une position de défense. Et parce que Léro et Ménil affirmaient :
« Politique d’abord », nous avons été poussés par tempérament et pour
nous marquer, à répondre : «Culture d’abord ».
Quant à Abdoulaye Ly, il ne
pouvait m’influencer pour le bonne raison que, étant mon cadet, il m’a toujours
considéré comme l’adversaire plus ou moins secret qu’il fallait abattre.[...]
Quant à son attitude révolutionnaire, il a fallu attendre 1958 pour qu’il
réclamât ouvertement « l’Indépendance immédiate », ce qui, à cette
époque, ne présentait plus aucun danger.
[...] Cela dit, je pense que
nous avons apporté quelque chose de nouveau dans la définition de la Négritude,
c’est-à-dire les valeurs de civilisation qui sont celles du monde Noir.
Ainsi, en linguistique, j’ai découvert dans les langue du groupe
sénégalo-guinéen, un mode d’économie et de remplacement, que j’ai appelé
“l’expéditif”.. Ainsi encore, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire, avant
moi, tous les ethnologues et africanisants que j’avais lus niaient qu’il y eût
une “Poésie négro-africaine”, c’est-à-dire une prosodie et une métrique
proprement africaines. Or j’ai découvert, en 1941, pendant ma captivité, qu’il
y avait une prosodie et une métrique négro-africaines, c’est-à-dire que l’on
pouvait donner une formulation mathématique de chaque poème négro-africain – du
moins dans les langues du groupe sénégalo-guinéen. Vous en trouverez la brève
démonstration dans mon article intitulé “Langage et poésie négro-africains” (Liberté
I : Négritude et Humanisme).
En partant de la prosodie et de
la métrique négro-africaines, j’ai renouvelé mon analyse, mais, cette fois, sur
des arts voisins : sculpture, peinture, musique, danse. J’ai alors
constaté, concrètement, que tous les arts négro-africains présentaient les
mêmes traits caractéristiques. Ceux-ci peuvent se résumer dans la formule
“Unité dans la diversité” ou “Ensemble harmonieux de parallélismes et
d’asymétries qui traduit, en images rythmées, le système des forces vitales”.
Cf., dans Liberté I, l’article
intitulé « L’esthétique négro-africaine.»
Cependant, avant que l’analyse
eût confirmé mon hypothèse, j’en avais déjà eu l’intuition. Il en a presque
toujours été ainsi, mes lectures nourrissent mes intuitions. Et si j’ai recours
aux citations, c’est, le plus souvent, moins pour me donner des idées nouvelles
que par habitude de Professeur et pour confirmer des intuitions ou des
expériences déjà vécues. Après ma découverte de la prosodie et de la métrique
négro-africaines, j’ai engagé toute une correspondance avec le Révérend-Père
Tournay, professeur d’assyro-babylonien à l’Université biblique de Jérusalem,
pour trouver confirmation de mes découvertes dans la comparaison avec les
vieilles langues du Proche-Orient. La Négritude était, dans les années
1932-1933, une chose si scandaleuse qu’il nous fallait la présenter comme un
phénomène non pas “monstrueux”, mais normal.
[...] Vous auriez pu pousser
encore plus loin l’analyse et montrer que, si influence il y a, celle-ci n’est
ni linéaire, ni univoque, mais ambiguë et dialectique. L’influence n’agit pas
par action, mais par réaction. Devant une influence, j’ai toujours assimilé ce
qui me ressemblait et rejeté ce qui était contraire à ma nature. J’ai
l’impression, j’ai le sentiment que ma personnalité était formée à vingt ans
lorsque le Père Lalouse, Directeur du Collège-Séminaire Libermann, m’a dit que
le sacerdoce n’était pas ma vocation. En effet, au séminaire, j’étais devenu
une sorte de Secrétaire général des séminaristes noirs. Je combattais,
obstinément, les insinuations du Père Lalouse qui voulait nous faire croire que
nos parents étaient des sauvages et que nous n’avions pas de civilisation. Par
tradition familiale, je sentais confusément que c’était faux, que nous avions
une civilisation originale. En somme, toutes les influences que j’ai acceptées
par la suite ont été celles qui tendaient à me confirmer dans cette conviction,
et j’ai rejeté, toujours, les influences contraires.[...] »
Suivent un certain nombre de
rectifications ponctuelles, pour la plupart d’ordre biographique, à quelques
jugements pas très favorables que l’auteur de la thèse porte sur le
Poète-Président. En conclusion, celui-ci souligne qu’il ne gardera pas pour
autant rancune à l’étudiant, « un peu victime de [sa] jeunesse et de
l’intoxication des milieux faussement gauchisants de Paris. Le Socialisme
africain ne peut se faire à Paris, dans les salles de rédaction des journaux,
mais en Afrique, au milieu des difficultés que trois cents ans de Traite des
Nègres et de colonisation nous ont léguées. »[31]
***
Le second document est de la
plume d’Armand Guibert ; il s’agit de son discours d’ouverture à la
matinée poétique du 15 juin 1965, véritable introduction à la poésie
sénégalaise où réapparaissent bien des idées énoncées par Léopold Sédar Senghor
:
« Si nous avons choisi, parmi les jeunes nations de l’Afrique
Noire, un pays particulier, ce n’est pas que nous ignorions la vitalité des
autres – comme le Dahomey, dans lequel Emmanuel Mounier saluait « le
Quartier latin de l’Afrique, ou le Congo, qui nous a déjà donné avec Tchicaya
U’Tamsi des œuvres d’un dynamisme explosif – pour ne rien dire de la Guinée, où
l’authentique poète qu’est Camara Laye a eu jusqu’à ce jour la modestie, et
peut-être la coquetterie, de ne s’exprimer qu’en prose...
Non ; c’est que le Sénégal,
puisque nous devons nous limiter, représente à mes yeux ce à quoi nous tenons
tous : une harmonie.[...]
Après ses réflexions de voyageur en Afrique noire, Guibert évoque « une civilisation qui a atteint sa maturité et une société naturellement policée » et célèbre « les moins utilitaires en apparence de ceux qui donnent du prestige à leur pays » :
« Le Sénégal, qui se veut un pays-pilote parmi les jeunes nations
africaines, a reçu, certes, le legs d’une présence française qui remonte au
Chevalier de Boufflers, mais on ne saurait méconnaître la foi et la compétence
d’une élite sénégalaise qui se trouvait, dès le jour de l’indépendance,
parfaitement armée pour prendre le relais. Ai-je besoin de rappeler, sans m’y
appesantir, le nom des romanciers Ousmane Socé Diop, Semba Ousmane, Cheikh
Hamidou Kane ? du philosophe Gaston berger, initiateur de la prospective,
dont la grand-mère était une négresse de Gorée ? de Gabriel d’Arboussier,
économiste et fin politique ? du regretté Daniel Sorano ? – et vingt
autres seraient à ajouter. »
En Afrique cependant, le poète
africain joue un rôle particulier, car « la foule anonyme se reconnaît en
lui, qui a su donner une voix à ses croyances immémoriales, à sa joie de vivre,
à sa révolte et à son espérance. L’un de ceux que nous allons vous présenter,
David Diop n’a pas eu le temps de se réaliser, la mort l’a fauché en plein
épanouissement. Les autres, Birago Diop, Lamine Diakhaté, Malick Fall, occupent
ou ont occupé des charges ministérielles ou diplomatiques : heureux pays, celui
qui sait mettre ses poètes au seul rang qui lui convienne – le premier.
C’est que le plus célèbre
d’entre eux, Léopold Sédar Senghor, n’est pas seulement le chef d’Etat que vous
savez ; il est aussi l’incomparable essayiste de Liberté I, ouvrage
auquel je ne sais d’autre répondant que la série des Variétés de Paul
Valéry – mais avant toute chose le poète universellement connu de Chants
d’ombre, d’Hosties noires, d’Ethiopiques et de Nocturnes.
Le coryphée de cette communion de chanteurs, comme dirait Patrice de la Tour du
Pin, a cette vertu – tout philologue et homme de pensée qu’il est – de garder
un contact direct avec la terre et les éléments, avec les pêcheurs et les
paysans de son village natal, Joal, l’oasis côtière que fondèrent jadis les
Portugais. Il m’a été donné de l’accompagner à travers la brousse du pays
sérère, de l’île de Fadioutt à la maison de Djylor au bord du Sine, à
N’Gasobill où il apprit le français et le latin. Chemin faisant, il
m’entretenait de l’assèchement des lacs salés, de l’extension des rizières, de
l’utilisation du baobab ; après quoi il me confiait son espoir dans le
théâtre sénégalais et dans l’avenir de la jeune peinture.
Platon, dans toute sa sagesse,
avait cru bannir le poète de sa cité idéale par l’exorcisme de l’inscription
qui figurait au seuil de son Académie : « Nul n’entre ici s’il n’est
géomètre. » Il ne pouvait pas prévoir qu’un poète noir du XXème
siècle, qui l’aurait lu dans le texte grec derrière les barbelés de la
captivité, allait un jour se faire géomètre, voire géologue, pour rentrer dans
la Cité, non par la fenêtre, mais par la grande porte.
Tel aura été le destin de
Léopold Sédar Senghor. Après avoir fait de la négritude une arme de combat, il
s’en est servi comme d’un glaive de feu montrant les voies de l’universel. De
son métissage culturel est né un mode nouveau de cet humanisme sans frontière
qui se garde de toute limitation et de tout sectarisme. Au gouvernail de cette
république athénienne qui est son œuvre, il vit en amitié avec tous les peuples,
sans jamais perdre de vue cette Europe à laquelle, ainsi qu’il le fait dire par
les siens, « nous sommes liés par la nombril ». Il a fait la moitié
du chemin vers nous ; c’est pourquoi nous nous devions d’aller à sa
rencontre, sur les lignes de crête de la poésie et de l’âme. »
***
La correspondance se poursuit, toujours
aussi amicale et d’une grande proximité, durant les années qui suivent :
en 1965, le Président de la République du Sénégal intervient personnellement
auprès de Michel Habib-Deloncle, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères,
afin qu’Armand Guibert obtienne une mission au Brésil[32].
L’année suivante, il invite celui-ci à participer au premier festival mondial
des arts nègres, qu’il organise à Dakar[33]. A
son retour, Guibert, tout en remerciant son hôte, regrette de n’avoir pas été
reçu par d’autres familles sénégalaises ; Sédar Senghor lui répond :
« Je suis, vraiment désolé, que vous n’ayez pu être reçu dans des
familles sénégalaises, en dehors de la mienne. Le fait s’explique par un certain
complexe, qui empêche les Sénégalais d’introduire un étranger, fût-il un ami,
dans leur vie intime. C’est qu’en général l’évolué sénégalais a épousé une
femme qui ne l’est pas du tout. C’est cette distorsion qui provoque, chez
l ‘évolué, le complexe dont j’ai parlé.»[34]
Autre preuve de la
sympathie de Senghor pour Guibert et de l’intérêt qu’il accorde à ses
travaux : sa lettre du 8 mai 1967 dans laquelle il écrit :
« Etiemble, le Professeur de Sorbonne qui prépare une Encyclopédie,
à laquelle il m’a demandé de collaborer par un article sur la négritude, a
voulu savoir quel est le critique qui connaissait le mieux mon œuvre. Vous m’excuserez
d’avoir donné votre nom. »[35]
Peu à peu, la correspondance devient très personnelle, les confidences s’y multiplient. Ainsi, quelques mois plus tard, après les événements de mai 1968 que Guibert a vécus comme un mois de désordre le conduisant à s’inquiéter de l’avenir de la France, son illustre ami lui confesse :
« Vous êtes inquiet pour la France, moi aussi. J’ai eu l’occasion
de le dire, la France est séduisante et irritante. Tant d’intelligence et
d’imagination, tant de travail bien fait et tant de goût gaspillés en grèves
stériles. Il est vrai que le capitalisme français est, du protectionnisme.
Malgré tout cela, si je suis inquiet, je ne suis pas désespéré.. Car les
responsables malheureusement, sauf quelques brillantes exceptions, l’un des
plus routiniers, élevé qu’il a été dans le coton français de tout bord sont
conscients de la situation.»[36]
C’est dans cette même lettre,
au sujet des Poésies d’Alvaro de Campos, un des hétéronymes de Pessoa
sur lequel travaille alors Guibert, que Senghor donne une première
définition de la lusitanité :
« Ici ou là, autant que je
puisse en juger, on retrouve la lusitanité. Cette nostalgie indéfinissable.»
Ailleurs, Sédar Senghor avoue écrire de
moins en moins, non pas « par manque d’inspiration, mais parce que, pour
écrire, il faut une certaine distance : un certain silence extérieur pour
entendre le chant de l’intérieur. » Il n’en continue pourtant pas moins à
lire, particulièrement des romans négro-africains :
« J’ai lu le livre de Yombo Ouologuem. Je l’ai félicité pour
l’imagination dont fait preuve son ouvrage, et aussi pour sa maîtrise de la
langue française – maîtrise dont il n’use pas toujours à bon escient, je le
reconnais. Mais ce que je lui reproche, comme à certains écrivains noirs, c’est
de se croire obligé de vitupérer la Négritude et de traiter les nègres de
racistes, quand ceux-ci ont été, pendant des siècles, victimes du racisme. Ce
manque de dignité et de courage est affligeant. »[37]
En 1969, Léopold Sédar Senghor est appelé à
succéder au chancelier Adenauer comme associé étranger à l’Académie des
Sciences morales et politiques ; Guibert est largement sollicité pour en
rendre compte dans la grande presse[38]. Le
Président-poète prend dès lors l’habitude de lui soumettre régulièrement le
texte de ses discours et conférences relatifs à la francophonie et à l’espace
méditerranéen. C’est ainsi que l’on trouve dans le fonds plusieurs textes
dactylographiés, parfois non référencés, dont certains pourraient bien s’avérer
inédits :
-
L’Afrique
aux vertus terriennes.
Dactylographie signée de 6 pages, non référencé (sans doute des années 50).
-
Discours
d’ouverture au premier colloque de l’Université de Dakar sur la littérature
africaine d’expression française( 26 mars 1963, 10 pages dactylographiées).
-
Pour
un humanisme de la Francophonie.
Texte dactylographié de 22 pages, du discours prononcé par Senghor le 11
décembre 1974, à l’occasion de l’inauguration de la chaire des études
francophones à l’Université Paris-Sorbonne.
-
Le
Dialogue des cultures méditerranéennes, discours de 14 pages, daté 28 novembre 1982, en ouverture de
l’exposition de Marseille sur “L’Orient des Provençaux”.
***
De son côté, Guibert, qui entreprend de
solder ses comptes avec Jean Amrouche, fait lire à Senghor le court texte qu’il
a composé sur cette amitié datant d’un demi-sècle. Le Président semble
intéressé par l’édition de poèmes originaux et du journal inédit d’Amrouche,
qui lui a été soumis par la veuve du poète, enseignant le français à
l’école normale supérieure :
« Je pense qu’un jour, dans l’avenir, ses compatriotes algériens
lui donneront la place qu’il mérite. Car l’Algérie, à cause précisément de ses
succès politiques et économiques, est en train de s’assagir et, malgré les
apparences, de se tourner vers l’Europe occidentale, singulièrement vers la
France, comme me l’a dit, au demeurant, M. Houari Boumediène. »[39]
Mais le texte le plus important à nos yeux et
le plus significatif de cette longue relation épistolaire est celui d’une
conférence faite par Léopold Sédar Senghor devant l’Académie des Sciences de
Lisbonne, le 29 janvier 1975, à l’occasion d’une visite officielle au Portugal[40] –
texte que le Président envoie aussitôt à son ami, accompagné de la lettre
suivante, qui ne dissimule pas sa dette :
« Mon cher Guibert,
Veuillez trouver ci-joint, le texte de ma conférence intitulée Lusitanité
et négritude. Vous verrez, en le parcourant, tout ce que je vous dois. Vous
êtes en effet, l’un de ceux qui ont le plus contribué à me faire connaître la
nature de la Lusitanité et, également, à faire chanter en moi, la goutte de
sang portugais. »
Le compliment n’est pas mince, pour qui sait
l’intérêt que porte dorénavant Senghor aux concepts de “méditerranéité et “lusitanité”, en
comparaison avec celui de “négritude”[41].
Au début des années 80, la correspondance se
ralentit nettement, avec le retrait de Léopold Sédar Senghor des
« affaires politiques », et celui de Guibert du domaine francophone,
pour se consacrer presque exclusivement à l’œuvre de Fernando Pessoa, qui,
grâce à lui, « a enfin émergé des limbes, et [...] prend place parmi les
corps glorieux. ». Assez curieusement dans cette même lettre, c’est
Guibert qui tente de convertir Senghor à l’étude du génial Portugais ![42]
Quelques mois plus tard, la correspondance s’achève,
presque comme elle avait débuté, par l’envoi du recueil Oiseau Privé
dans sa réédition chez Belfond... En réponse, Léopold Sédar Senghor rend hommage
à l’incroyable intuition de découvreur de son correspondant et à ses dons d’empathie :
« Ma femme et moi parlons souvent de vous. N’avez-vous pas été le
premier à découvrir mes poèmes, en tout cas à en parler avec tant de chaleur
humaine ? »
[1] Voir “Une famille de rebelles. Hommage à Armand Guibert (1906-1990)”, n° 9 des Carnets de l’exotisme. Poitiers , janvier-juin 1992.
[2] Fonds Emmanuel Roblès-Patrimoine méditerranéen (responsable, M. Guy Dugas ; conservatrice Mme Elizabeth Pérez), Bibliothèque universitaire, section Lettres, Université Paul Valéry, Route de Mende – 34199 Montpellier cedex 5.
[3] Lettre dactylographiée non datée, à « Monsieur Armand Guibert, Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn) ». O.P. sont les initiales du recueil poétique d’Armand Guibert : Oiseau Privé, publié en 1939 à Tunis aux éditions Monomotapa et qui avait aussitôt reçu des commentaires élogieux de Gide dans L’Arche, Bosco dans Aguedal et Camus dans Alger Républicain. Une réédition en a été faite chez Belfond en 1984.
[4] Les Cahiers du Sud, mai 1949 ; Dans une lettre du 12 janvier 1949, Jean Ballard – dont la revue s’était ouverte à l’œuvre de Senghor dès 1938 et venait de publier dans son n° 279 (1946) un dossier intitulé “Le sang noir”, regroupant une demi douzaine de poètes noirs africains et américains, parmi lesquels celui-ci – accuse réception de l’important article de Guibert et note « avec plaisir que vous [A.G.] ne tombiez pas avec aveuglement dans le panneau à la mode, cette simplification en images d’Epinal du bon noir et du méchant blanc, car vous avez très gentiment suggéré que le noir n’a pas de pire destin que lorsqu’il est livré pieds et poings à ses congénères. On oublie trop que la traite des nègres n’eut pas existé s’il n’y avait pas eu des négriers noirs. Notre temps – Sartre en tête – me rappelle un peu l’époque du Bon Sauvage… » Le même compte-rendu est publié à peu près simultanément dans Monde nouveau-Paru, n° 49, puis l’année suivante dans Le Figaro littéraire.
[5] «Ma femme et moi serions très heureux si vous veniez déjeuner à la maison mercredi prochain 5 avril. Si d’accord, inutile de téléphoner. » Lettre manuscrite à en-tête de l’Assemblée Nationale. Paris, le 30-3-1950.
[6] Lettre manuscrite. Strasbourg, le 8 août 1950, adressée à Monsieur Armand Guibert, en vacances à Saint-Sulpice la Pointe (env. conservée).
[7] Lettre manuscrite à en-tête de l’Assemblée Nationale, Paris, le 12 mai 1950. On sait qu’Armand Guibert a connu ce poète, qui peu de temps avant de se suicider, avait confié son recueil Traduit de la nuit à la série des Cahiers de Barbarie fondés à Tunis par Guibert (voir Guy Dugas, « Armand Guibert, de la revue Mirages aux Cahiers de Barbarie », dans La Revue des revues, Paris, n° 12-13/1992). De son côté, Senghor a publié plusieurs poèmes du « grand Rabearivelo » dans son Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française. Le dossier contient d’ailleurs un échange de correspondances avec divers hommes politiques, concernant l’attribution d’une bourse d’études en France pour le fils du poète malgache.
[8] Lettre dactyl. à en-tête de l’Assemblée Nationale, datée Paris le 2 juin 1953, et accompagnée de huit chants et du poème Congo, tiré d’Ethiopiques. Deux ans plus tard, Sédar Senghor sollicitera à nouveau son ami angliciste en vue d’une traduction de poèmes « négro-américains pour une anthologie de la poésie négro-africaine dans le monde », ajoutant « Naturellement, vous me direz combien je vous dois pour cela. ». Un important échange de lettres figure dans le dossier.
[9] Ce texte dactylographié de 12 pages intitulé L’avenir des rapports franco-tunisiens et franco-marocains, ou La Méditerranée, lac de l’Occident, signé « Léopold Sédar Senghor. Paris, 1955 » et annoté par A. Guibert, figure au dossier.
[10] Lettre dactyl. datée Dakar le 14 juin 1960, à en tête Assemblée Fédérale du Mali, n° 559 AFM/P
[11] Lettre dactyl. n° 20 PR/P, Dakar le 17 septembre 1960. Sur la gauche du feuillet, l’en-tête dactylographié : « République du Sénégal. Un Peuple – un But – une Foi » témoigne de cette jeunesse d’un Etat qui n’a pas encore eu le temps d’imprimer son papier à lettre officiel – ce qui sera le cas dans les courriers suivants.
[12] Armand Guibert et Pierre Seghers se sont connus durant la guerre au sein de la revue Poésie. C’est toutefois Senghor lui-même qui sollicite Guibert, qu’il considère comme « le plus qualifié pour parler du poète Léopold Sédar Senghor » (lettre n° 329 PR/SP, datée Dakar le 2 novembre 1960. En-tête République du Sénégal – Le Président).
[13] Lettre n° 497 PR/SP datée Dakar le 7 décembre 1960. En-tête République du Sénégal – Le Président. Dans une lettre ultérieure, le Président dit que les poèmes de Pessoa « ont enchanté [s]es brèves vacances de Noël. »
[14] Lettre du 9 décembre 1960, accompagnée de « trois autres élégies dont j’avais promis de vous envoyer les textes » : Elégie des eaux, Elégie pour Aynina Fall et Elégie des circoncis.
15 Des correspondances de Michel Debré, alors Premier Ministre, et d’André Guillabert, Haut Représentant du Sénégal à Paris, attestent les interventions nécessaires à cette autorisation, « malgré les quelques difficultés administratives que soulève une telle absence. »
[16] Long séjour que Guibert évoque dans Le Figaro littéraire du 15 avril 1961 : “Jour à jour avec Léopold Sédar Senghor, chef d’Etat africain et poète français”.
[17] Lettre dactylographiée n° 532 PR/P, à en-tête République du Sénégal. Le Président de la République. Dakar, le 15 mai 1961. Le lendemain, par lettre n° 546 PR/P, le Président-poète complète son envoi de « dix poèmes inédits [...] écrits entre les années 1934 et 1936. ». De cet envoi ne figurent dans le fonds que les dactylogrammes : “Je m’imagine”, “Brouillard”, “Le Portrait” et un poème sans titre, les autres ayant été introduits dans l’anthologie faisant suite à l’ouvrage. Voir plus haut l’édition des “Poèmes divers”.
[18] Lettre dactyl. datée Paris, le 7 juillet 1961
[19] Lettre dactyl. à en-tête Le Général de Gaulle. Paris, le 15 novembre 1961. Enveloppe avec tampon “Président de la République” conservée.
[20] Lettre autographe datée 22 octobre [1961]. La « modeste contribution » dont parle Georges Pompidou, envoyée le 29 mai précédent avec une lettre la légendant, consiste en « une photo de Senghor datant de l’époque où nous étions en khâgne. Je suis au premier plan ; à côté Pham Dui Khiem, ancien Ambassadeur du Sud Viet-Nam en France ; derrière Senghor. La photo est prise dans la salle même des cours de khâgne ».
[21] « L’angoisse du drame algérien ne cesse de m’inhiber. » Brouillon dactyl. de lettre, « Paris, le 5 avril 1962 »
[22] « Comme quoi le bon critique fait comprendre le Poète, surtout s’il est lui-même poète ! » Lettre manuscrite à en-tête de la République du Sénégal, Dakar, le 30 mars 1962
[23] Lettre dactyl n° 198 PR/P à en-tête de la Présidence de la République du Sénégal, Dakar le 9 février 1962. L’allusion à l’œuvre de Pessoa s’explique par le fait qu’Armand Guibert avait à cette date-là beaucoup publié sur le poète portugais, dont Senghor a découvert l’œuvre par son intermédiaire.
[24] Lettre manuscrite à en-tête Léopold Sédar Senghor, 1 square Tocqueville - Paris (17e). Gonneville-sur-Merville, par Franceville (Calvados)
[25] Ibid.
[26] Lettre dactyl. à en-tête Le Premier Ministre. Paris, le 8 janvier 1963. Enveloppe conservée.
[27] Lettre du 18 janvier 1963 à en-tête des éditions Seghers : « Qu’il y ait un Léopold Sédar Senghor par Armand Guibert dans la collection “Poètes d’aujourd’hui”, d’accord. Vous admettrez qu’il m’est difficile de donner mon agrément à un autre Léopold Sédar Senghor par ce même Armand Guibert, chez un de mes confrères. Cela fait un double emploi évident. Les deux volumes ne peuvent qu’entretenir une confusion dans l’esprit des lecteurs et des libraires. »
[28] Lettre manuscrite non datée, Gonneville-sur-Merville par Franceville (Calvados).
[29] Lettre dactyl. n° 1129/PR/SP du 12 septembre 1963. En-tête Le Président de la République.
[30] Lettre dactyl. à en-tête Republique Malgache – Ministère d’Etat chargé de l’Economie nationale, n° 257 – ECO/CAB
[31] Double de lettre n° 1620/PR/SP. Dakar, le 5 décembre 1964
[32] A Maurice Lubin, Guibert écrit qu’il « voudrai[t] y recueillir des textes relavant de la Négritude. Mais puisque ce terme est banni du vocabulaire local, disons plutôt des poèmes de source africaine – quelle que soit la pigmentation de leur auteur, car enfin je trouve ce rythme spécifique aussi bien dans certaines parties de Jorge de Lima que chez Cruz e Souza. »
[33] Du 1er au 24 avril 1966. Dans sa lettre du 11 janvier, le Président précise : « Je dis, en effet, participer, car il est bien question de vous nommer membre d’un jury littéraire ».. Armand Guibert, qui rendra compte du Festival dans Preuves (“Un Bandoeng artistique de la Négritude”, n° 184, juin 1966), y retrouve son amie Marguerite-Taos Amrouche venue chanter des chants berbères de Kabylie.
[34] Lettre dactyl. n° 901/PR/SP, Dakar le 21 juin 1966. En-tête Républkique du Sénégal – Le Président de la République.
[35] Lettre dactyl. n° 1033/PR/SP du 8 mai 1967, à en-tête Le Président de la République. Senghor y évoque aussi, sans insister sur cet « accident de parcours » l’attentat dont il a été victime le 22 mars : « un fonctionnaire révoqué, donc aigri, donc facilement maniable entre les mains d’adversaires politiques, en était l’auteur. »
[36] Lettre dactyl. n° 2337PR/SP du 7 octobre 1969, à en-tête Le Président de la République. Dans cette longue lettre Senghor donne aussi son sentiment sur la vieillesse : « C’est si triste de vieillir, encore que l’idée de vieillir ne m’attriste pas. Car vieillir, c’est l’affaire de l’âme plus que du corps. »
[37] Lettre dactyl. n° 173 PR/SP du 25 janvier 1969. En-tête Le Président de la République
[38] Voir, entre autre articles, “Avec Senghor sous les baobabs” dans Le Figaro du 18 décembre, ainsi que “Un poète entre deux mondes” et “Transcendance et négritude” dans Le Monde du 22 décembre 1969. C’est aussi en 1969 qu’est réédité l’essai des “Poètes d’aujourd’hui”, revu et complété par Guibert.
[39] Lettre dactyl. n° 1736/PR/SP du 12er octobre 1973. En-tête le Président de la République
[40] Lusitanité et Négritude.
[41] Une autre correspondance inédite, entretenue à peu près à la même époque avec le romancier et essayiste judéo-tunisien Albert Memmi démontre chez Senghor un intérêt du même ordre pour le concept de “judéité” forgé par celui-ci.
[42] « Il est une plume féconde et magistrale – la vôtre, de toute évidence – qui porte le pouvoir d’une étude en profondeur d’une œuvre dont il existe maintenant en français un corpus suffisant. Votre sens oecuménique du comparatisme peut en tirer une vue cavalière de portée exemplaire. »