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Compte-rendu de lecture :

La Fin tragique de Philomène Tralala de Fouad Laroui
(Éditions Julliard, 2003, 142pp)

par Annie Devergnas

 

Ce personnage extravagant de Philomène concentre toutes les tares sociales à la fois : métisse noire et berbère, fille d’une esclave et d’un concierge de lycée alcoolique, orpheline, émigrée, écrivain en langue française, et par moments androgyne (peut-être schizophrène ?) habitée alors par une voix et une violence viriles, qui la poussent à distribuer injures et horions à qui chatouille son humeur, fût-il le plus en vue des critiques littéraires, capable de briser sa carrière. Ajoutons lesbienne, puisqu’elle déteste les manifestations de la libido masculine pour ne trouver le réconfort qu’auprès des femmes, et nous comprendrons qu’elle ne peut que courir à « une fin tragique », malgré son irrésistible beauté !

Mais Philomène a beaucoup d’excuses ! Au fur et à mesure qu’elle se remémore la suite inexorable d’événements qui la conduit en prison, d’où elle écrit, on comprend combien sa vie fut cruelle et pourquoi elle a développé une haine terrible pour toute forme d’injustice et d’abus de pouvoir. Objet de la convoitise des maîtres blancs dès son enfance, elle est tombée dans la langue française malgré elle, comme dans une potion magique qui lui donne le pouvoir de parler et d’écrire, elle que sa situation sociale condamnait à subir en silence comme sa mère. Elle devient dès lors une paria pour sa société et n’a d’autre choix que l’exil en France. Mais là aussi elle n’est qu’une curiosité malgré son talent, éternellement étrangère, « exotique », soupçonnée de ne devoir ses succès littéraires qu’à ses charmes…

Philomène Tralala, (de son vrai nom marocain, plus prosaïquement, Fatima Aït Bihi) est donc en guerre permanente, et ne peut apparaître en public sans soulever un nouveau scandale accompagné de rixes, qui fait aussitôt la une des journaux : elle a un talent certain pour se mettre à dos le monde entier ! Mais c’est la concupiscence odieuse de ce Gontran de Ville, le critique littéraire, qui la fera finalement accuser de meurtre…

Voilà pour ce qui est du personnage. Quant à l’auteur, il est sans doute au moins aussi proche de ce volcan féminin que Flaubert l’était d’Emma ! C’est sa voix que nous entendons dans le flot verbal de l’héroïne, ce sont ses calembours, sa connaissance du milieu littéraire parisien, dont les célébrités sont à peine voilées par des pseudonymes désopilants, ce sont sans doute ses livres qu’elle a écrits (on aura reconnu dans Les Tropes du dentiste, l’inversion amusante des Dents du topographe, titre du premier roman de Laroui). Et surtout, ce sont ses rages et son humour féroce, qui n’épargnent rien ni personne, que l’on retrouve à chaque page.

Chaque chapitre met à nu une nouvelle faille dans les apparences respectables de la société, dévoile une nouvelle difficulté d’être, d’être écrivain, d’être immigré, d’être Marocain, et au surplus (et saluons ici la faculté d’empathie de Laroui) femme, belle et noire ! Dans un style en crue, qui charrie pêle-mêle le français châtié, l’argot et le dialecte marocain, la culture la plus classique et les allusions à l’actualité la plus proche, le tout assaisonné d’érotisme récurrent.

Certes, La Fin tragique de Philomène Tralala est un roman d’aventures drolatiques au sens rabelaisien du terme, mais on comprend qu’il s’agit de rire pour ne pas pleurer, et d’écrire pour ne pas sombrer dans le néant.

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