Fatiha BEREZAK
Paris

Un nombril du Sud en Europe

Je suis bougnoule  
ni bouboule ni maboule      
je suis privilégiée  
leur bouc émissaire préféré.          
Même si je n’en ai pas l’air           
je suis leur bouc émissaire :           
Demande à l’amiral Lacase          
S.S. Busch C.I.A. où ils nous casent !       
les « droits du sang » ont nourri la « mort des idéologies »  
qui n’est que l’idéologie de la mort.           
La pub média-voyeuse phagocyte ma vie privée.   
Entre leur « code de la famille »    
et Schengen-Maastricht je balance...         
Mais pas du coeur.           
Les maîtres de la finance sont de toutes les rives ; 
moi, dans mes deux, je suis rivée   
de l’une à l’autre dans les dérives 
de ma sous-humanité.       
Dans les quart-monde, issue du sud,          
voilà pourquoi je perds le nord :     
je viens des nations camps de la mort.       
il y a quarante années que j’y rampe         
dans les silences accusateurs        
pour me livrer à leur curée.           
Mes maîtres, efficaces et performants      
avec ma peau, font du bon vin       
ce vin nouveau du nouvel ordre     
qu’ils dégusteront sur la lune.        
Moi, j’ai pas droit à ma dune.        
Je ne suis pas une paire de fesses 
j’en ai si peu, je le confesse !        
chez moi, on m’a dénationalisée    
me bousculant : « t’es pas d’ici » !
ils étaient rentrés des frontières     
ont mis à nos pères des muselières
ont creusé toutes les différences   
pour forger le puits des horreurs    
puis, ils m’ont épinglée « émigrée ».          
c’est pas une nationalité ! 
c’est le camp de notre marginalité 
une fosse commune... Une survie sous-solage !     
je n’ai pas encore marché dans le ruisseau !          
je l’ai longé, c’est pas très beau.   
Je suis pierre qui a roulé   
sur la lumière des mousses...        
j’amasse toutes les secousses.      
Partir... par l’encre de ma plume,  
déployer le naufrage.        
Déviante ! Je suis force de vie      
Déviante ! Et je m’en vante.         
L’état-nation perd son chapeau     
la finance l’a décoiffé.      
Nous sommes lumpen-prolétarisés,           
lumpen-bourgeoisie mondialisée    
l’armée de réserve sous pression  
pour réchauffer leurs Menguelopoles.       
De ma précarité, je sème des rêves de reine         
qui aiment l’extase des vents.       
j’ai le nombril du sud         
comme les plantes, je m’élève       
pour me détendre ailleurs. 
    
A force de déplacements forcés,   
je suis escargot dans ma coquille.  
Un jour, je me suis levée   
pour faire mes papiers-d’identité-sisyphe,  
j’y suis née enchaînée.      
J’étais dans la culture scientifique 
issue de racines promptes aux chants,       
ils m’ont méthodiquement balancée           
dans la culture des papiers.           
Dans son champ je suis brûlée à petits jeux...        
Ils me coincèrent « Fatma futée » 
impossible à manipuler      
surnuméraire au progrès.  
Ils conseillèrent de m’esclavagiser
parmi les boulots non-payés          
histoire de m’intégrer dans le noir,
moi qui viens de la lumière !          
ils insistèrent pour que je pense     
à mettre de l’argent de côté,         
de quoi me faire enterrer  
sinon, je serais brûlée vive 
pour économie d’énergie.  
Hitler a bien proliféré !     
Mondialisé ses rats frustrés.         
Depuis, je suis brûlée vive.
Je suis l’otage du ballotage
entre le continent de la mort          
et la mort lente du chômage.         
Dans notre Eurochomeur  
quand je vois des gens courir        
je me place de côté.         
Dans mon recoin, je chante :         
« qui m’a volé, qui me vole...        
le droit à ma terre, à ma citoyenneté... à ma vie ? »           
Du coca-cola au coke à coolies     
flottent nos plus bas instincts.        
Que voulez-vous que l’on réplique 
à la logique de l’argent charognard
au boulot milice et kapo ?  
L’arbre craint l’eau,         
l’oiseau fuit son chant.      
Je n’ai plus de corde à mon arc     
la course aux papiers me l’a volé :
Schengen-Maastricht        
hiéroglyphe de mes non-droits       
le temps qu’il me faudra, pour les déchiffrer          
je serais peut-être ressuscitée ?    
les isolés des temps frustrés          
meurent sous les balles des temps à vivre. 
quand j’ai montré mon savoir-faire
ils m’on répliqué sans ambage :     
« t’as même pas de sexe appeal » 
je puisais fébrilement dans leurs valeurs (renversées)
 – «Aujourd’hui, le sexe est à pile  
... Et la pile Wonder ne s’use        
que si l’on s’en sert » !     
En outre, je n’ai même pas de quoi offrir une pile.  
L’occident chantait l’entreprise.    
Dans mon pays y’avait une emprise !        
j’ai crié vive le libéralisme !          
c’était du cannibalisme.    
Ils cassèrent les entreprises          
dans la fureur d’un carnaval médiatique    
pour accoucher aux forceps          
du diable pharaon ordonnateur.     
je suis montée à Paris,      
elle a descendu mes illusions.        
En pleine Mitterrandie      
c’était pire qu’en guerre d’Algérie
mon ausweiss limitait le champ de mon entreprise. 
Ils décrétèrent mon appartenance 
au gré de leurs airs changeants.    
Les sous ensembles sont truqués.  
Je ne peux aller au paradis ;          
l’enfer, mon rejet de toute modernité         
puis de toute humanité pour moi est ici-bas.           
de plus, je n’en ai pas les moyens :            
j’ai déjà acheté la mort à crédit.    
Ma liberté n’est pas « clés en mains »       
néanmoins, si nous en avons perdu la clé,  
c’est parce qu' on a été déplacés  
partout sur terre... Comme par le S.T.O. au passé.
Cette fois, nos déplacements avons payés.
Je ne peux m’aligner vers le haut :            
j’ai deux pattes et deux bras trop courts.   
voilée par les médias, mes voisins ont peur de moi.
Je suis le fantôme préfabriqué       
par leurs jeux de magiciens.          
Ils repassent mon image   
et me diabolisent à leur goût          
pour raser, violer nos racines,        
« destructurer », nous esclavagiser
monopoliser toutes nos ressources 
mon seul nom ouvre le « tout à l’égoût ».   
dans les publicités de l’inutile        
où ils n’ont plus rien à vendre        
que leurs valeurs préfabriquées     
télé de la drogue à la morgue        
télé fabrique de paranos    
tueurs armés jusqu’à l’acte           
pour nous entre-dévorer    
pendant qu’ils érigent leur pyramide          
de violeurs dinguots aux couleurs sado-maso         
l’image est un barrage à nos rêves délavés
pour rougir nos pavés.      
J’ai un parcours de combattante,   
je ne crains pas les pluies battantes,          
parce que je ne suis pas branchée 
au sein de maman-télé      
qui mondialise les paumés 
du ghetto au peuple          
qui retourne au ghetto.      
dans cette Europeuple      
nous avons désappris à grandir.     
dans l’Europeople 
nous sommes boat-people 
sans bateau à venir.          
dans les slogans identitaires          
promoteurs du « tout sécuritaire » 
je suis sourde à l’amour :  
inapte au bonheur. Defunctus, j’ai chanté :            
« le travail c’est la santé... ne rien faire c’est s’isoler...
ou devenir mercenaire au rabais... »          
Je n’ai plus la force de tenir des discours   
qui n’ont plus cours que pour les sourds.    
J’ai protégé mon fils,        
ils m’ont envoyée chez les pschy   
Ils ont crié : « au parano » !          
cette femelle réfléchit trop !          
A l’A.N.P.E. j’ai fait queue leu leu           
y’a des prospectus
dont on fait motus.
On te propose un stage     
si tu as trop de bagages    
on te dit : « dégage »        
t’iras chez le pschy faire un gros dodo       
je leur ai crié de ma sérénité amusée :       
j’ai pas besoin de pschy    
pas besoin de gadget, mais de sciences,     
d’amour, de liberté d’entreprise.    
Délogez les prédateurs camouflés dans les slogans
qui nous amputent pour qu’on s’enlise.      
J’ai crié dans la débâcle social-désintégratrice :     
« Non assistance à la république en danger » !      
les extrêmes-Merlin qui nous déchantent ont hurlé :
A mort, les Fatmas futées !          
Malgré toutes les nuisances, j’ai murmuré :           
C’est pas Byzance...        
J’ai fini chez un pschy :     
le premier avait des tics    
le second était anorexique 
le troisième, drogué, m’envoya des pics...  
le quatrième n’était pas chic         
le cinquième me cria eh !Marik... Marik... 
Le sixième était hermétique          
le septième lymphatique    
comme j’avais pas tourné du chapeau       
on m’envoya chez un pschy beur...           
qui m’a hurlé : « nique ta mère » ! 
Je ne peux pas ! j’lui ai hurlé !      
Je ne suis pas mama beurk !         
Avec des rats comme vous,          
je deviens mama-peur,      
moi qui suis une mama poule.        
ils m’ont prise par la peau,            
je me suis prise par la main.          
je n’ai plus rien remis à demain :   
je traçai des projets.         
A les réaliser je me décarcassai    
je me suis mise au boulot,  
travaillé du chapeau.         
J’ai créé un produit.          
Me v’là dans le business parti.      
J’ai rencontré des responsables     
qui seraient mieux à leur place      
dans les cavernes d’Ali Baba,       
mais du côté des voleurs.  
Si j’ai une tête de demeurée,         
je ne suis ni envieuse ni frustrée.   
les jugements de paumés ou de perturbés  
ne peuvent en aucun cas me toucher.        
Je suis mortelle : Je gère ma vie.   
Je suis vivante, pas en sursis.        
Je rappe... Les carottes... 
Même si elles ne sont pas cuites.  
Je rappe... Le fromage     
y’en a plus !         
Je gratte... Dans mon coin... Du papier     
Je suis un rat... D’opéra   
je suis devenu rat ton...     
chez tonton.         
J’ai horreur des cans cans...         
pas du french... Il est heureux       
et... Dansant !      
J’ai dû quitter mon chemin.           
La voie était barrée.         
pourtant, je m’y sentais bien.         
Aujourd’hui je patauge,     
et je pique à l’auge.          
Forcément ! J’ai préféré y prendre
la verticale au pain.          
Moi, au moins, je le sais.   
    
    
Je vends des cuisines intégrées.    
Je suis intégrée dans les cuisines...
Pas dans la grande, bien sûr !       
Puisque je vends des cuisines.       
Un matin, je me suis mouillée :      
Dans les cuisines, tout haut, je chantais :    
« Les cuisines intégrées dans un meublé... 
C’est pas nécessaire...     
Les cuisines intégrées dans un pavillon...   
Faut l’pognon ! »  
Arrête ! cocotte ! Casserole !       
Hurlaient mes collègues à tue-tête.
Le chef de cuisine me convoqua sur le champ :     
 – «Vous êtes trop intègre,            
pour être intégrée dans nos cuisines ».      
Vivement, je lui répondis :
– Apprenez que, titulaire d’un C.D.D.,      
vous ne pouvez, pour si peu, me virer !      
Monsieur l’inspecteur du travail vous sanctionnerait !
En outre, travailler dans la joie,      
ne peut qu’augmenter le quota,     
et l’esprit des chansonniers ne peut,          
en aucun cas... nuire à notre métier !        
- «Bien, pour vous, chère Madame, les carottes sont cuites. »        
D’une révérence, il m’indiqua la porte,      
que je m ’empressai de prendre sur le champ.       
En fait, j’avais commencé à comprendre leur cuisine
Je ne suis pas sortie de Saint Cyr, mais...  
de l’école de la République.          
Le lendemain, on crut surprendre, dans la soupe... 
Un cheveu :         
Miracle... C’en était un !  
Nouvelle rencontre au sommet.     
Et là, je fus sonnée :         
Etant donné que, dans l’entreprise,            
vous seule zozotiez,          
un poil sur la langue possédiez...    
nous l’avons retrouvé, ce matin,    
dans la soupe dans laquelle vous avez craché.       
Le chef avait le vent en poupe.     
Il m’a cuisinée. Quelle entourloupe !         
Je lui ai répondu, derechef :          
vu qu’on m’avait toujours enlevé   
la soupe de la bouche       
et que, parole d’honneur,   
je n’y ai jamais craché...   
Pour dénicher ce boulot... 
Ce fut un scoop... 
L’honneur, m’a-t-il répliqué,          
et ces valeurs auxquelles vous vous référez           
sont de notre temps dépassés !     
Je crois, la belle, que vous rêvez... 
Sans tenir compte de nos harcèlements,    
dont vous faites, pourtant, l’objet ! 
Vous m’étonnez ! 
J’attendais, le coeur battant,          
la décision de mon D.G., qui, l’air content  
ponctua son jugement :     
« Vous êtes mutée aux toilettes ». 
Dans les toilettes, y’avait un monde... !     
Plongé dans une nuit profonde.     
Je m’accrochais à la fenêtre         
pour respirer l’air qui passait en traître      
il y avait de la concurrence !         
il y avait de la turbulence !
pour ne pas se faire écraser          
faut être capable de marcher        
sur la foule et l’écrabouiller.          
J’ai failli y aller avec la chasse.     
Je ne vous parlerai pas de la crasse.         
Y’avait un brouillard... A couper au couteau.        
Y’avait même des longs couteaux.
Je fis un boucan de boucanier ;     
A tue-tête, je hurlais         
la chanson que, déjà, connaissez.   
J’ai reçu de ces coups de pieds !   
Là, encore, ma chanson déplaisait.
On m’envoya sur les toits,
mutée comme girouette.   
Il y faisait un de ces froids !          
J’ai encore trouvé une pirouette :  
J’ai mis des ailes pour m’envoler.  
C’est pourquoi, là haut, quand je passe...   
Je picore des mots ;          
Je chasse...          
Des mots bleus, soleil, azur,          
Et je les porte dans la bouche des enfants  
pour qu’ils goûtent à cette saveur des mots
gonflés de soleil    
et d’un zeste d’humanité.

Fatiha BEREZAK.

Octobre 1994.