Nabil Boudraa

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La poétique du paysage dans l’oeuvre d’Edouard Glissant,

Kateb Yacine et William Faulkner

 

 

Introduction:

 

 

De nos jours, la littérature, autant dire l’art en général, tend à s’éloigner du temps vers l’espace, et de l’Histoire vers la géographie. Bien entendu, les poètes symbolistes de la fin du 19ème siècle s’inspiraient de la Nature, mais c’était une philosophie de « l’art pour l’art ». (Le  paysage pour le paysage), c’est à dire, qu’on se contentait de décrire la beauté du paysage, et par conséquent ce dernier ne va pas au-delà de sa caractéristique esthétique. La terre dans leur imaginaire littéraire ne comportait pas vraiment de significations sémantiques (symboliques).

Nous tacherons d’expliquer donc comment le paysage devient plus significatif dans la littérature francophone de quelques pays jadis colonisés, notamment l’Afrique du Nord et les Antilles.

Il me parait dès lors intéressant de rapprocher l’Algérie aux Antilles, en comparant Kateb Yacine et Edouard Glissant. William Faulkner viendra à son tour enrichir cette étude comparative qui peut nous faire aboutir à d’autres postulats/idées même si l’Amérique n’est nullement l’objet de notre recherche.

 

Chapter I. Le paysage comme générateur d’(h)istoire dans l’oeuvre d’Edouard Glissant.

 

« Space is the central fact to man born in America » 

Charles Olson

 

 

Pour Glissant, l’espace s’imbrique avec le temps. Autrement dit, la Nature dans son imaginaire ne rejoint pas seulement l’(h)istoire (un petit h puisqu’il s’agit de l’histoire des esclaves en particulier) mais peut guider aussi le peuple antillais vers son avenir.

L’arrachement des esclaves de leur terre d’Afrique leur a causé un traumatisme. L’alternative du retour (en Afrique) n’est plus possible. Il leur  faut donc entrer dans la Nature où l’Homme n’est en fin de compte qu’un simple élément de cette structure cosmique et cependant aucune injustice ou iniquité ne peut être conçue. C’est en s’enracinant donc dans la terre que les esclaves peuvent retrouver leur dignité perdue. C’est pourquoi Glissant encourage son peuple martiniquais (en particulier et tous les esclaves du monde en général) à avoir un rapport exceptionnel à la terre et y forger non seulement leur propre histoire mais surtout leur identité fracturée.

C’est Spengler qui a si bien dit : «  the first comprehension of depth is an act of birth »[1]. L’enracinement profond dans la terre permet au dépossédé de retrouver ou même de recréer son identité et sa force. Dans Mahagony le personnage s’enracine dans sa terre de sorte qu’il devient un arbre. Glissant est donc un enracineur.

            Dans Soleil de la Conscience, Glissant nous explique pourquoi le paysage ne peut être exprimé d’une façon simple et transparente:

                        Quand je possèderai vraiment ma terre, je l’organiserai selon

                        mon ordre de claretés, selon mon temps appris. Cela veut dire

                        que la quête du vent libre (l’apprentissage de la terre) est chaos

                        et demesure, paysage forcené, foret sans clairière amenagée;

                        mais que c’est la mesure (labours, semailles, récoltes) qui est liberté.

           

C'est ainsi que l'opacité du paysage est illustratrice de la dépossession. Nous comprenons ainsi pourquoi le paysage chez Glissant est à la fois spatial et temporel, beau et violent, réél et mythique, concret et abstrait. Cette une terre où jadis l’Européén a fait souffrir en vrac tant de peuples, quelques uns déracinés et d’autres exterminés. Le paysage est donc témoin de l’(H)istoire au point où il devient lui-même ( h)istoire.  Il est, en somme, le seul temoin auquel il faut s’attacher.

            Les images de Glissant sont également paradoxales et ambigues. Tout comme Derek Walcott, son voisin des Antilles (St-Lucie), Glissant pense que la mer est Histoire. Elle est symbole à la fois de la vie et de la mort. Elle est temoin du passé, mais aussi complice de toutes les atrocités de la traite négrière avec tous les corps d'esclaves qu'elle cache dans son fond, jetés vivants lors du "passage" au Nouveau Monde.                       

Ici encore, on voit qu’il n'y a pas de limites entre le paysage, l’histoire, et le personnage. Chacun fait partie de l’autre. A vrai dire, ils ne font qu’un. L’opacité en provient, nécessaire, aux yeux du lecteur.           

Nous nous limiterons cependant aux premières œuvres de Glissant, à savoir la Lézarde, le Quatrième Siècle, La Case du Commandeur, et Mahagony. Quelques uns de ses poèmes et de ses textes théoriques s’ajouteront à ce corpus pour appuyer notre argumentation. 

Dans son œuvre le paysage devient même personnage. Dans la Lézarde,[2] premier roman d’Edouard Glissant, la rivière (du même nom) est d’ailleurs le personnage principal de l’histoire.

             Dans la poésie glissantienne, en particulier, les descriptions de la nature et les sensations qu’elles provoquent chez le lecteur sont à la fois merveilleuses et vertigineuses. Le lieu (setting) change de la montagne à la ville, en passant par la rivière qui coule tout au long de l’histoire. En somme, à travers son génie artistique, Glissant nous fait sentir les vraies valeurs de la Nature.

La morne, dans son oeuvre, représente la résistance du Nègre au colonialiste dominateur, d’où la signification du mot marronage. La plaine, par contre, représente le lieu où se rencontrent tous les éléments (éthniques et culturels) qui constituent la société antillaise. Nous savons également que la mer chez Glissant représente l’Histoire, donc si la Lézarde (la rivière) coule vers la mer tout au long du roman, c’est justement pour faire un retour à l’Histoire et y faire une quête d’identité, en l’occurrence l’identité antillaise. C’est donc ainsi que le paysage fait partie de l’identité d’un peuple.

En somme, pour Glissant c’est le paysage qui transforme l’Homme. Il dit ceci :

…Je pense donc qu’une des grandes conquêtes des poésies modernes dans leur complexité, c’est cette espece de pratique qui fait que nous avons integré les paysages, que nous en vivons, que cela détérmine, non seulement nos manières d’écriture, et que ce n’est pas une espèce de refus, de recul dans un détachement élitiste ou élitaire….[3]

 

Il est cependant très important d’ajouter que la symbolique de la terre n’est pas seulement verticale (comme je viens de l’expliquer), mais aussi horizontale car c’est aussi la terre qui relie les individus. Un arbre pousse verticalement, mais ses racines sont rhizomatiques. (Nous développerons dans cette partie toute sa théorie sur la Relation).

 

Chapter II: Le rapport Paysage/Histoire chez Kateb Yacine.

 

« Les hommes fusillés tirent la terre à eux comme une couverture et bientôt les vivants n’auront plus où dormir !»

     Kateb Yacine

 

 

Pour Kateb, par contre, c’est plûtot l’homme qui fait l’(h)istoire. C’est-à-dire que c’est l’Homme qui transforme le paysage. Le paysage pour lui est menacé (par la colonisation, bien entendu). Donc, il est urgent de le défendre.

Chez Kateb la terre algérienne est à la fois le passé, le présent et surtout l’avenir du peuple. C’est pour cela qu’il remonte à l’antiquité pour rescuciter le mythe de Jugurtha, la Kahina et l’ancetre Keblout. A travers la terre l’ancêtre(donc le passé) peut revenir et surgir dans le présent, doù le titre Les Ancêtres redoublent de férocité, ils s’indignent de l’injustice qui se fait sur leurs descendants (colonisation, dépossession, néocolonialisme et dictature post-indépendence). (Il s’agit en gros des Berbères, qui sont les autochtones de cette terre).

Il est intéressant de noter que le paysage dans Nedjma n’est pas statique. Il change avec les personnages et les différentes étapes de l’histoire pour correspondre aux périodes distinctes de l’histoire algérienne.

            Le personnage chez Kateb est semblable au paysage, il étouffe longtemps sa colère, mais fait toujours exploser son cri. Tout comme l’image du volcan qui fait irruption en raison de colère dans l’imaginaire de Césaire, le mythe de la femme sauvage chez Kateb joue le même rôle. Elle se cache dans le Ravin, en marge de la société, mais symbolise l’esprit de la rebellion.

 

Chapter III : La topographie du “Sud” dans l’oeuvre de William Faulkner.

 

 

« The important determinant of any culture is after all-the spirit of place »

Lawrence Durrell.

 

Faulkner est ici important car il a influencé nos deux autres écrivains (venus après lui). L’un des éléments qui nous concernent chez lui est la façon dont il fusionne la spacialité et le temps. Comme nous l’a fait remarquer Jean Paul Sartre dans son analyse de The Sound and the Fury[4], les personnages faulknériens voient le monde comme si ils sont assis à l’envers dans une voiture décapotable et regardent le paysage.

Cette technique est reprise par Glissant et par Kateb même si c’est fait diffèrement. (Nous verrons en détails dans la thèse des exemples tirés dans La Lézarde et dans Nedjma en particulier). 

Cependant, Faulkner ne s’inscrit nullement dans le même contexte que Glissant ou Kateb. Ces deux derniers partagent un monde qui n’est pas celui de Faulkner : la colonisation, la décolonisation, la déconstruction de la pensée occidentale, l’oralité, etc…

Conclusion :

             

Edouard Glissant essaie d’infliger l’histoire (le temps) à l’espace (paysage) pour aboutir à la conscience/identité collective. Alors que Kateb Yacine essaie d’extraire cette histoire antique (d’Afrique du Nord) du paysage pour retrouver la vraie identité maghrébine.     



[1] Spengler, Oswald, The Decline of the West, New York, the Modern Library, 1965. P. 63 

[2] Glissant, Edouard, La Lézarde, Paris : seuil, 1958.

[3] Jacques Chevrier, Poétiques d’Edouard Glissant, (textes réunis), Paris : Presses de l’Universite de Paris Sorbonne, 1999. P.216). Colloque organisé sur son œuvre à la Sorbonne en 1998

[4] William Faulkner : Three decades of Criticism