Charles BONN
Université Paris-Nord
Si l'on compare
son importance sociale, politique et médiatique à son importance dans la
littérature, il ne fait nul doute que l'émigration (ou l'immigration, selon le
point de vue duquel on se place) est un espace sous-décrit en littérature.
Littérature française et littérature maghrébine se rejoignent sur ce point, et
la littérature de l'émigration/immigration elle-même est trop récente, trop embryonnaire
et trop peu acceptée encore pour avoir véritablement imposé son objet.
La littérature française
récente s'est tournée vers le personnage exotique ou dérangeant de l'immigré
selon des points de vue successifs qui sont tout naturellement ceux de la
Société dite "d'accueil": le fait divers dérangeant et ses
prolongements à la fois militants et poétiques pour Raymond Jean dans La ligne 12 en 1973[1], le vertige d'une histoire d'ailleurs
dans Désert de J.M.G. Le Clézio[2], la séduction de la calligraphie arabe,
métaphore de l'écriture qui sauve des pouvoirs maléfiques de l'image, dans La Goutte d'or de Michel Tournier[3]. L'actualité politique se concentre de
plus en plus sur l'immigration, et produit à son propos des campagnes qui
témoignent surtout d'une méconnaissance profonde de leur objet. L'écriture
littéraire, si elle fait référence à cette campagne, adopte cependant un
langage tout différent, dans lequel parfois marge de l'écrivain et marge de
l'immigré se rejoignent par des fils ténus. Mais les écrivains français restent
peu nombreux encore à parler de l'immigration, comme si cette marge était à la
fois la condition et la limite de leur parole sur cette dernière. Est-ce à dire
que l'espace non-défini de l'immigration trouvera plus facilement sa
description dans ce que certains appellent maladroitement sa "culture
d'origine"? L'interrogation de la littérature maghrébine de langue
française qu'on se propose surtout de mener ici révèle cependant une difficulté
à dire l'émigration qu'on peut fort bien comparer à celle des écrivains
français.
Dans une
littérature maghrébine de langue française occupée prioritairement à décrire
et nommer l'espace du pays, l'émigration en effet n'est devenue que tardivement
un thème porteur. Si certains romans comme La
Terre et le Sang[4] de Mouloud Feraoun comportent dès les
débuts de cette littérature des personnages d'émigrés, le premier roman qui
soit entièrement dédié à ceux-ci, Les
Boucs[5], de Driss Chraïbi, fait singulièrement
figure d'isolé, chronologiquement et littérairement. En effet il s'inscrit
dans la polémique soulevée par la publication du Passé simple[6] et dans laquelle Chraïbi est en quelque sorte mis au ban de la Société
marocaine par nombre de nationalistes de l'époque. Mais surtout, il faudra
attendre après ces deux romans isolés vingt ans pour qu'un autre roman
maghrébin de langue française, Topographie
idéale pour une agression caractérisée[7] de Rachid Boudjedra, rompe un silence
bien étrange de cette littérature, suivi il est vrai par La Réclusion solitaire[8] de Tahar Ben Jelloun en 1976, puis par Habel[9] de Mohammed Dib en 1977, ainsi que par
les romans et la poésie de Nabile Farès[10]. Or, La
Terre et le sang mis à part, aucun des textes que l'on vient de citer ne se
caractérise par une écriture courante, ordinaire, linéaire: non seulement ces
écritures sont rares, mais de plus elles s'installent délibérément dans une
marginalité littéraire affichée.
Cette rareté du
thème, cette marginalité des textes interrogent le critique. Car
l'émigration/immigration n'a pas attendu les années 70 pour être une donnée
essentielle de l'espace culturel et socio-politique, tant maghrébin que français.
Si les européens, à la rigueur, ont pu se permettre de vivre aussi longtemps
avec sur leur sol des immigrés transparents, invisibles, relégués ou assimilés
pour certains, il n'est pas de famille maghrébine qui ne compte au moins un émigré,
et pourtant là aussi le silence semble être la rêgle: comme si parler de
l'émigration autrement qu'en clichés ou que dans un langage refusant la réalité
quotidienne de cette émigration était mystérieusement impossible, ou honteux...
Les écrivains,
français ou maghrébins, qu'on vient de citer pour les romans qu'ils ont
consacré presque simultanément à l'émigration/immigration vers la fin des
années 70 avant de retourner à d'autres préoccupations sont en général connus
du public, mais pour des oeuvres antérieures et bien différentes. Alors
pourquoi semblent-ils soudain découvrir cette dimension jusque là négligée de
l'émigration/immigration, au point d'en faire parfois une sorte de lieu de leur
parole même?
On peut proposer
plusieurs explications, qui n'ont pas cependant prétention à épuiser le
paradoxe. La plus simple est socio-politique: l'immigration a pris dans le
débat politique européen une importance plus grande depuis les années 70 du
fait de son développement dans les dernières années de la "croissance"
économique, puis du rôle de bouc émissaire (Le titre du roman de Chraïbi y fait
allusion dès 1955) qu'elle a joué et joue encore dans la "crise"
économique qui caractérise cette décennie. Cette actualité a été renforcée lors
de la série d'attentats racistes consécutifs à la nationalisation des pétroles
en Algérie (1971), comme elle le sera à nouveau dans les années 80 par des
campagnes électorales bien connues, dans lesquelles l'Islamisme joue le rôle
d'étrangeté non acceptée que jouait la décolonisation dix ans plus tôt. Dans
les deux cas l'actualité crée un public, certes, mais également une situation
non-codée qui presse l'écrivain de lui trouver un langage adéquat. Lorsque
l'actualité fait éclater au grand jour l'absence d'une parole pour dire ce que
l'on côtoyait sans le voir, l'écrivain retrouve soudain sa fonction de nommer cette réalité non
décrite qui nous somme.
C'est en grande
partie ce que fait La ligne 12 de
Raymond Jean, et c'est peut-être aussi pourquoi ce livre, profondément juste en
son temps, nous apparaît aujourd'hui quelque peu daté. Plus caricaturalement,
au lieu de répondre à l'indicible comme Raymond Jean, Rachid Boudjedra dans Topographie idéale pour une agression
caractérisée tente de saturer ce vide de parole par des discours forgés
ailleurs. Là où Raymond Jean prend un recul critique face à l'impuissance des
discours, Boudjedra s'inscrit ainsi dans une double filiation discursive
contradictoire, mais doublement inefficace. La première est celle du discours
officiel algérien, jusque là silencieux ou convenu parce que le maintien de
l'émigration représentait dans une certaine mesure sa faillite, et qui se
saisit soudain de celle-ci à contre-réel en l'interdisant. On sait que cette
interdiction n'a rien résolu, bien au contraire, des difficultés des émigrés.
Mais elle a manifesté en tout cas que l'émigration représente pour un discours
idéologique dont elle contredit le triomphalisme une de ces réalités tétues
que l'on préfère travestir. Plus: un impensable fondamental dans une logique
d'affirmation de la nation qui suppose l'intégrité géographique. La deuxième
filiation discursive de cette écriture romanesque anachronique est celle du
Nouveau Roman, plagié peut-être ici pour répondre à une critique qui
présentait les précédents romans de l'auteur comme peu élaborés sur le plan
strictement littéraire? Ou alors, inconsciemment peut-être, pour signaler par
l'anachronisme de l'écriture celle de son objet, l'émigré perdu dans le dédale
du métro parisien, à la sortie duquel il trouvera la mort? Car même si Claude
Simon a depuis obtenu le Prix Nobel, l'écriture du "Nouveau Roman"
n'en est pas moins attachée pour le public aux années 1950. La répétition d'une
idéologie d'une part, d'une technique romanesque de l'autre, qui sont l'une et
l'autre en situation de décalage par rapport à l'événement qui leur sert de
prétexte, exhibent ici ce décalage. Que ce soit, chez Boudjedra, conscient ou
non, c'est bien la manifestation en tout cas que l'émigration/immigration
longtemps tue est la faillite de discours idéologiques ou littéraires qui se
sont développés en l'ignorant: L'idéologie parce que son but est l'affirmation
de l'unité du pays, que l'existence de la diaspora émigrée contredit, la
littérature parce qu'elle se développe en général sur le mode de la variation,
et n'aborde qu'avec parcimonie des thèmes sur lesquels elle ne peut pas
fournir ce jeu d'intertextualité avec des oeuvres antérieures qui constitue une
part essentielle du plaisir littéraire
On peut avancer
aussi que les écrivains maghrébins reconnus, s'ils habitaient et habitent
encore très souvent en France, ne peuvent pas pour autant être considérés comme
des "émigrés de base". Driss Chraïbi a montré dès 1955 dans Les Boucs la différence incontournable
entre Yalann Waldick, l'intellectuel qui veut se faire l'égal des émigrés, et
ces derniers, avec lesquels ses relations sont surtout de mauvaise conscience.
Car, espace sous-décrit, l'espace des immigrés est longtemps resté un espace
sans parole. Bien plus: un espace qui exclut la parole. Un espace non reconnu
et non assumé comme tel, y-compris par ceux qui le vivent, ne peut être dit.
L'émigré de la "première génération" "habite l'ailleurs",
dit Mourad Bourboune dans Le Muezzin[11], et sa parole est absente tant qu'il
n'assume pas pour elle ce lieu où il vit. C'est probablement là une explication
importante, jointe à un relatif analphabétisme, de ce retard de la production
littéraire "immigrée": ceux qu'on appelle "deuxième
génération" assument mieux que leurs ainés l'espace où ils vivent, ou en
tout cas ne se définissent plus par un ailleurs où ils se savent aussi
étrangers qu'"ici". Ils disent donc aussi plus volontiers leur espace
problématique quotidien, au lieu de le mettre entre parenthèses comme leurs
ainés. Mais il leur reste alors à se faire reconnaître comme écrivains. Or, le
statut dans l'institution littéraire européenne que donne aux écrivains
consacrés la reconnaissance de leur écriture, laquelle d'ailleurs n'est guère
lue par les immigrés, leur interdit d'être les porte-parole de ces derniers, ou
les met en porte-à-faux lorsqu'ils tentent de l'être. A leur manière très différente,
Les Boucs comme Topographie idéale pour une agression caractérisée montrent cet
échec: en le disant, pour le premier, en le démontrant par le paradoxe de son
écriture contradictoire pour le second. D'ailleurs l'écriture des Boucs est elle aussi problématique, et
manifeste de cette manière indirectement ce qu'elle dit. De plus, sous sa
limpidité apparemment plus grande, La
ligne 12 souligne également la duplicité et le malaise de tous les
discours de bonne conscience qui entourent l'immigré et en font finalement la
victime idéale. Les premiers textes littéraires consacrés à cet immigré
manifestent donc d'abord la quasi-impossibilité pour les discours reconnus de
remplir le contrat qu'ils se sont fixé à son propos.
L'émigration/immigration
apparaît ainsi comme une sorte d'impensable originel pour les discours
culturels reconnus, que ce soit celui de la littérature ou celui de
l'idéologie. En ce qui concerne cette dernière, on a parlé du discours algérien
à propos de Boudjedra, mais il faudrait souligner ici une impuissance aussi
grande à nommer et décrire de la part de l'institution politique française,
tous partis confondus, comme en témoignent la récente affaire dite des
"foulards" (l'incongru du vocabulaire est l'un des signes les plus patents
de l'impuissance du discours...) et ses suites électorales. Plusieurs rapports
avaient pourtant été établis à la demande du ministère de l'Education nationale
sur la place de ce qu'il appelait, toujours maladroitement, les "cultures
d'origine de l'immigration" à l'école ou à l'Université [12]. Mais ils furent occultés comme l'est
encore toute la recherche fondamentale sur les définitions de l'objet
"Immigration" dans la Société française, précisément parce que les
uns et les autres remettent en question les langages de cette définition.
Pour la
littérature, on a vu que l'immigration est un thème de quelques romans. Mais
elle n'y est pas traitée de la même manière que les autres thèmes. Si les rares
romans qui l'abordent développent une écriture qui signale sa différence, sa
non-évidence, on peut hasarder ici que c'est en partie parce que
l'émigration/immigration y est perçue comme un espace étranger à un
fonctionnement littéraire, et qui met celui-ci en question. Ceci se remarque
déjà dans des textes maghrébins qui ne lui sont pas consacrés, mais l'abordent
incidemment: elle y apparaît alors comme un espace antérieur à l'espace
proprement dit du récit. Espace depuis lequel et grace à l'altérité duquel on
peut dire le pays, comme c'est le cas dans Yahia,
pas de chance ou Mémoire de l'absent
de Nabile Farès[13], ou encore dans Le Muezzin de Mourad Bourboune, ou dans Le Village des asphodèles[14], d'Ali Boumahdi. Espace qui sert souvent
à donner dans le récit une dimension supplémentaire à tel ou tel personnage,
dont le comportement dans l'espace topique du roman sera conditionné par son
passé d'émigré. C'est le cas de plusieurs personnages de Feraoun ou Mammeri. L'émigration passée du personnage y
explique en partie son regard critique (qui est aussi celui de l'auteur) sur
sa Société d'origine, qu'il ne peut plus vraiment rejoindre sans la juger.
Ainsi d'Amer, père, puis fils, dans les deux romans non autobiographiques de
Feraoun[15], de Mokrane, et plus récemment encore de
Mourad chez Mammeri[16]. Mais le personnage n'est pris par le
romancier qu'à partir de ce retour critique au pays. L'émigration peut
intervenir, à travers le passé d'un personnage, dans l'action romanesque:
conformément au modèle de la tragédie antique, l'action sanglante de La terre et le sang est ainsi commandée
par une fatalité qui s'est nouée au fond d'une mine du Nord de la France. De
manière comparable, le séjour en France de Mokrane participe au tragique de La Colline oubliée en introduisant la
rupture dans l'espace clos du village de son enfance. Mais dans les deux cas
c'est dans l'espace condamné de ce village que l'action tragique se déroule.
Le personnage peut, comme Amer, ramener au village une femme française qui
jouera un rôle dans l'action romanesque, ou comme Mourad dans La Traversée retrouver pour un voyage au
désert une amie française. C'est pourtant dans l'espace condamné du pays que
l'action romanesque a lieu. L'essentiel est ce qui se passe au pays. L'origine
de Marie dans La Terre et le sang et
sa rencontre avec Mokrane en France sont présentés explicitement comme une
parenthèse nécessaire, mais qui ne doit en aucun cas perturber le rythme de la
phrase, le phrasé d'un récit qui dit le village, et non la France. C'est pourquoi
aussi Marie dans ce roman finira par devenir plus kabyle que les kabyles, et
compenser par l'espoir que représente sa grossesse sur laquelle se clôt le
livre la rupture tragique de la destinée de son époux mort: c'est par
l'étrangère kabylisée que se reforme la cohésion du village après la résolution
tragique de la rupture qu'introduit Amer par sa liaison interdite avec Chabha.
Ce texte
apparemment simple permet cependant de suggérer quelques éléments de réponse
quant au rôle de l'émigration dans la production du texte romanesque maghrébin
de langue française. Feraoun a en effet longtemps fait figure pour beaucoup de
modèle-type de l'écrivain maghrébin de langue française, et son oeuvre précoce
et trop tôt interrompue[17] marque en quelque sorte le début de la
perception par le public et les écrivains, de cette littérature en tant que
telle, ce qui lui donne une fonction de prototype inaugural. Or, de donner à
Amer un passé d'émigré et de le faire revenir au village avec une femme
française rompt doublement le projet descriptif annoncé et l'équilibre
narratif du roman, où Marie peut apparaître comme un personnage inutile puisque
la différence qu'elle apporte s'estompe presque aussitôt, et qu'il ne lui
arrive presque rien dans l'action, si ce n'est cette grossesse symbolique elle
aussi surprenante, l'essentiel de l'action étant apparemment l'intrigue
amoureuse d'Amer et de Chabha. Pourtant, c'est Marie qui va donner sens à
l'action tragique que la rupture introduite par le passé d'émigré d'Amer aura
rendue possible. Actant négligeable dans la diégèse, elle est indispensable sur
un autre plan: celui de l'autoreprésentation de l'écriture. Issue d'ailleurs,
elle donne sens à une action tragique par laquelle le roman dépasse le seul
projet descriptif pour devenir texte littéraire au sens plein du terme, dimension
qui manque aux écrivains maladroits qui pensent qu'il suffit de décrire la
Société maghrébine pour être écrivain maghrébin. La Terre et le sang dépasse la description naïve à laquelle on a
voulu réduire l'oeuvre de Feraoun, par ce tragique qui se retrouve chez
Mammeri. Et ce tragique à son tour est inséparable de l'émigration d'Amer dont
Marie est le signe en même temps qu'elle devient l'expression la plus accomplie
de l'intégrité de l'espace villageois brisé par le meurtre, précisément parce
qu'elle assure cette intégrité depuis l'ailleurs d'où elle est issue. Elle joue
dès lors un rôle comparable à celui de l'écriture feraounienne elle-même, dont
l'origine est ailleurs (le genre romanesque comme la langue française sont
étrangers au Maghreb), et qui pourtant peut seule donner sens à l'univers
disloqué par la modernité.
Dès lors
l'ailleurs, l'étrangeté, la rupture et en même temps le sens sont des
caractéristiques communes à l'écriture, à la femme française et à l'émigré.
Objet absent de la description romanesque, l'émigration se confond avec ce
point de vue extérieur sans lequel la description serait texte vain. Elle se développe donc comme une sorte de
métaphore, interne et externe à la fois au texte, de l'écriture en langue
extérieure, écriture étrange (plus qu'étrangère) du roman maghrébin naissant
lui-même. D'ailleurs cette étrangeté de
l'écriture romanesque de langue française comme du personnage de Marie,
n'est-elle pas la condition pour qu'il y ait un roman, dont l'intrigue
constitutive, la liaison hors-normes d'Amer et Chabha ne peut servir de
révélateur descriptif du groupe villageois dans lequel elle s'inscrit, que
grace à la rupture qu'elle introduit dans l'intégrité des valeurs de ce groupe?
Le roman étrange est ce scandale qui ne se développe que par la double rupture
qu'il apporte, dans l'intrigue qu'il narre et dans l'origine de son écriture.
Or, cette double rupture, que peuvent représenter l'émigration d'Amer et
l'origine de Marie, est aussi la condition pour que le village, espace de
l'oralité, puisse être dit par l'écriture, dont le tragique devient ainsi une
dimension fondatrice essentielle.
Métaphore
tragique de l'écriture (l'analyse qu'on vient de faire de La Terre et le sang pourrait s'appliquer de manière comparable à
cet autre texte fondateur tragique qu'est La
Colline oubliée de Mammeri), l'émigration n' est donc pas un thème comme
les autres chez ces écrivains qu'on peut considérer comme fondateurs de la
littérature maghrébine de langue française. Elle signale le tragique d'une
écriture qui ne peut se développer que dans et par son étrangeté, et ne peut
dire l'espace clos de l'oralité dans l'ouverture de la lecture romanesque,
qu'en y introduisant la rupture, la perte. Espace extérieur comme cette
écriture qu'elle signale, l'émigration devient ainsi un espace antérieur à
l'espace décrit/narré par le récit romanesque. Espace depuis lequel et grace à
l'altérité duquel on peut dire, ou plutôt écrire un espace diégétique qui sera
essentiellement le pays, mais qui installe cependant aussi le pays dans un
ailleurs, dans une origine irrémédiablement perdue, moins par le narrateur ou
le héros des romans que par leur écriture. L'espace exhumé-désiré du pays est
un espace brisé: "Aucun lieu en ce monde", dit l'Inscription du Champ des Oliviers de Nabile Farès,
"Aucun lieu... Que cette déflagration meurtrière de votre terre... Aucun
lieu en ce monde... Votre pas et votre désir désaccouplés... Notre rêgne parmi
les pierres, les herbes, et vos champs. Aucun lieu. Il n'existe aucun lieu en
ce Monde."[18]. Et cette brisure sera à son tour le
lieu d'exil de l'écriture elle-même qui dit le pays blessé, tout en en récusant
de plus en plus la description: le paysage aussi suppose une relation apaisée
de celui qui le décrit. L'absence souvent remarquée de descriptions de paysages
dans le roman maghrébin à partir de Nedjma[19] est peut-être un des signes de cet exil
de l'écriture, de cette migration des signes. La description du pays par Farès,
Bourboune, Boumahdi dans les textes déjà cités, ou encore par Chraïbi dans
cette suite mélodieuse du Passé simple
qu'est Succession ouverte[20], est celle d'un pays perdu, parce que
l'écriture qui l'appelle est naturellement tragique, délocalisée.
Cette
littérature définie généralement à partir de l'espace qu'elle est censée
décrire ne peut donc décrire l'émigration comme espace-objet, car dès ses
origines l'ailleurs en est apparu comme la métaphore même, dans une brisure
tragique comparable, et dans une perte irrémédiable du lieu sans laquelle
écrire sur ce lieu serait impossible, sans laquelle ce lieu ne pourrait être
ouvert au regard lisant du lecteur de romans.
Or, une autre
dimension, essentielle, de cette délocalisation de l'écriture romanesque que
l'émigration parfois médiatise, est bien entendu la lecture extérieure, ne
serait-ce qu'au niveau des circuits d'édition dominants et de leur clientèle,
par rapport à laquelle cette littérature romanesque peut apparaître souvent
comme une sorte de lettre ouverte. L'identité d'une littérature, si tant est
que ces deux termes ne soient pas contradictoires par nature, ne peut être
définie valablement ni par la nationalité de l'auteur, ni par l'espace qu'il
décrit: Une littérature, consciemment ou non, se définit d'abord par rapport à
l'espace dans lequel ses textes prennent sens. Et cet espace est désigné dans
le texte par un ensemble de références et de connotaions à travers le relevé
desquels on peut en dessiner le véritable lieu d'énonciation, c'est-à-dire
l'univers culturel par rapport auquel ces textes s'écrivent. Le lieu
d'énonciation serait ainsi le code culturel dans lequel un texte acquiert sa
plus grande lisibilité.
Ce lieu est
problématique pour tout texte littéraire: La plupart des définitions
théoriques récentes de la littérarité soulignent en effet que celle-ci est à
chercher en partie dans une césure par rapport aux discours socio-culturels
constitués, que ce soient le consensus social de l'évidence et ses clichés,
l'ambition totalitaire des idéologies, ou l'"horizon d'attente" que
constitue pour tout lecteur la familiarité avec des modèles littéraires
consacrés. Il l'est cependant davantage encore pour la littérature dite
"maghrébine" puisque cette césure socio-culturelle s'y double d'une
bipolarité géographique. L'errance du sens qui depuis l'antiquité apparente le
barde au devin comme au fou, et s'y manifeste par exemple dans
l'exterritorialité de Tyrésias chez Sophocle, ou dans la cécité et l'errance
d'Homère selon le mythe, se double ici du saut entre deux mondes, où le lieu
d'où l'on se réclame ne vaut que par rapport à l'ailleurs, à l'autre. L'errance
d'Homère ou de Tyrésias se fait hors de la Cité que leur savoir qui avoisine
le sacré épouvante, mais elle ne parcourt à tout prendre que des espaces grecs.
Celle de l'écrivain maghrébin comme de l'émigré inverse l'ici et l'ailleurs,
et parle l'un quand elle croit dire l'autre. Et en même temps c'est par cette
errance que l'écriture devient véritablement telle.
Force est
cependant de constater que parmi les textes notoires antérieurs à 1970 dans la
littérature maghrébine de langue française, seuls Le Polygone étoilé[21] de Kateb Yacine et Le Muezzin de Mourad Bourboune assument cette errance constitutive
de leur énonciation, jusqu'à l'exhiber dans une écriture carnavalesque
particulièrement stimulante, devant laquelle (surtout chez Kateb) le lecteur
est littéralement, comme le texte, dé-routé. Mais ce ne sont pas les textes que
la critique a coutume de décrire. Car la critique, surtout la critique
journalistique, des romans maghrébins participe à cette entreprise implicite de
toute littérature naissante dans un espace "problématique": celle de
se constituer collectivement en littérature, de se définir et de s'affirmer
par le groupe localisé des écrivains
maghrébins en tant que tels, face à la lecture extérieure nécessairement
première pour les consacrer. Si la parole est errante par nature, le discours
sur cette parole n'en accepte pas cette errance dangereuse, et n'a de cesse de
lui attribuer un lieu. L'identité problématique de mon interlocuteur m'effraie
comme une menace, comme un danger peut-être pour ces fragiles repères qui
m'assurent de la mienne?
L'identité d'une
littérature naissante, ou émergente, n'existe que si elle est prise en charge
par un discours critique, que si elle rencontre une lecture disposée à la
re-connaître, par rapport à un lieu qui lui sert d'étiquette, par rapport à un
groupe qui lui donne corps. Les textes les plus marginaux le sont par rapport à
une norme. Sans norme à laquelle le rattacher ou l'opposer, un texte n'est pas
vu. Or, ceci s'applique particulièrement à la littérature maghrébine naissante
qui dans son dialogue avec la critique au moins (Une lecture systématique des
interviews données par les écrivains maghrébins dans les années 50 serait
intéressante à ce point de vue), surgit en tant que telle grace à une double
affirmation de la nation à venir et de la culture sur laquelle elle appuyera
son identité. Or, cette culture se constitue d'abord par l'accumulation
groupale des textes qui la constituent en un ensemble délimité. Des romans
comme Le Polygone étoilé ou Le Muezzin, outre leur contenu politique
subversif, dérangent d'abord parce qu'ils exhibent leur errance, textuelle et
géographique à la fois. Ils empêchent donc ce jeu spéculaire entre une
littérature et ses lectures, nécessaire à la constitution d'une culture
localisée dont ils savent d'emblée qu'elle est condamnée de ce fait à tomber
très vite dans la répétition, dans "l'éternelle nouveauté de vivre par
milliers confondus" que stigmatise Le
Polygone étoilé. Et cependant leur qualité, même si elle est dûe en partie
à cette position de rupture, contribue au prestige littéraire du groupe des
romans maghrébins, en ce qu'il a de fondateur d'un code de lisibilité, d'un
espace du sens à partir duquel seulement l'écart et la rupture sont possibles.
Il y a donc bien
une sorte de fonction fondatrice de l'accumulation de textes qui se définissent
collectivement par rapport à un espace référentiel d'identité que leur
visibilité de groupe aide à imposer. Car ces textes qui disent vivre d'un
espace référentiel posé comme leur origine commune, sont en fait, par le groupe
qu'ils constituent, le signifiant à partir duquel cet espace est dit. Seuls ces
textes, pourtant vilipendiés par les idéologues de la nation, permettent à
l'espace dont ils se réclament d'exister, culturellement, comme signifié et
non plus comme référent in-sensé. Cette tension des écrivains maghrébins vers
l'affirmation, dans l'accumulation groupale de leurs textes, d'un référent
in-sensé en signifiant emblématique d'unité nationale me semble expliquer en
partie leur longue impossibilité à dire cette rupture d'un lieu d'identité un
que constitue en fait l'ubiquité de l'émigration. L'affirmation de la
littérature maghrébine en tant que telle, inséparable de celle de son espace-prétexte
et signifié à la fois que sont les nations du Maghreb en décolonisation, exige
d'abord de clore le concept fondateur, comme l'espace culturel dont il se
réclame. Cette dimension grégaire, si on l'associe à la fonction d'accumulation
de textes déjà décrite, est essentielle pour la constitution d'un espace littéraire
émergent.
Ce n'est qu'une
fois cet espace littéraire reconnu comme évident que l'affirmation individuelle
de l'errance pourra se développer. Ou, pour reprendre les termes d'une esthétique
de la réception, il n'y a pas d'écart créateur sans horizon d'attente[22]. On ne sera donc pas étonné de découvrir
que les écrivains qui transforment à partir de 1975 l'émigration en thème
porteur sont déjà reconnus en tant qu'écrivains majeurs, constitutifs du groupe
de la littérature maghrébine comme de l'espace de référence et de signification
de celle-ci. Et même que ce sont, pour Boudjedra, Ben Jelloun et Dib, ceux de
ces écrivains connus qui ont déjà le plus publié: on retrouve la fonction
d'accumulation...
Lorsque Ben
Jelloun publie La Réclusion solitaire
en 1976, il est avant tout pour ses lecteurs assidus l'auteur de Cicatrices du soleil, et surtout de Harrouda, et le maître d'oeuvre contesté
au Maroc comme l' était Chraïbi lorsqu'il écrivait Les Boucs après Le Passé
simple[23], de La
Mémoire future, anthologie de la nouvelle poésie marocaine grace à laquelle
il est perçu en France comme le porte-parole de la littérature marocaine[24]. C'est-à-dire déjà une personnalité d'
écrivain à part entière qui n'a plus besoin du groupe "littérature
maghrébine" pour s'affirmer comme tel. Aussi pourra-t-il devenir alors,
non plus l' écrivain maghrébin qu'il était jusque là et dont il avait su
transcender la clôture du rôle par l'écart de son écriture, mais l'écrivain de
l'émigration. Il trouvera de ce fait une nouvelle dimension groupale, certes,
puisqu'il sera ainsi assimilé par l'opinion française comme porte-parole des
immigrés de la même manière qu'il l'avait été jusque là comme témoin privilégié
du Maghreb. Insertion groupale par la réception de ses textes et de sa personne
qu'il assumera dans un premier temps en publiant coup sur coup, après La Réclusion solitaire et son adaptation
théâtrale simultanée au festival d'Avignon, La plus haute des solitudes en 1977, des articles-témoignages dans
Le Monde eux aussi adaptés au théâtre
par Antoine Vitez en 1983, puis en 1984 Hospitalité
française[25] Pourtant le porte-parole autorisé qu'il
devient ainsi est perçu également comme écrivain, ce qui l'autorise à tenir ce
rôle de porte-parole lisible, mais qui exclut de le considérer comme
"immigré de base", quel que soit son travail effectif sur l'écriture
pour faire surgir une parole de l'immigration qui ne soit pas celle de
l'écrivain disant sur cette immigration. Et de plus très vite Tahar Ben
Jelloun tentera de se démarquer de ce piège que lui tend une lecture volontiers
réductrice.
Un an avant lui,
c' était surtout pour se démarquer par rapport au rôle au sein du groupe
"littérature maghrébine" que lui avaient attribué les lecteurs de La Répudiation et de L'Insolation[26], que Rachid Boudjedra écrivait Topographie idéale pour une agression
caractérisée. On vient de voir cependant comment ce texte manquait son but
en n'assumant pas comme Ben Jelloun ou Farès de créer un dire neuf pour un espace
muet. La visée groupale qui devait permettre à Tahar Ben Jelloun de devenir le
trait d'union médiatique entre le Maghreb et la France en donnant voix à la
maghrébinité de l'immigration en France, aphasique parce que hors-langages
reconnus, manquait son but en saturant cet espace aphasique avec des paroles
déjà entendues et à l'inefficacité patente parce qu'elles furent élaborées pour
d'autres espaces du sens. Réponse d'allégeance à une "commande"
implicite de discours culturels contradictoires mais également aveugles à la
réalité de l'émigration ou de l'immigration, ce texte vit dans l'ignorance par
ces mêmes discours du pré-texte de l'émigration-immigration[27]
De même on a vu
que vingt ans plus tôt Les Boucs de
Chraïbi pouvait être considéré comme la réponse à une polémique suscitée par Le Passé simple du même auteur. Chraïbi
écrit sur l'émigration parce qu'il est déjà une sorte de monstre sacré. Or là
encore, malgré les protestations d'intention de l'auteur Les Boucs n'en devint pas pour autant l'expression de l'émigration,
mais bien plutôt celle des difficultés de l'écrivain à les rejoindre. Certes,
la visée de Chraïbi n'est peut-être pas si naïve et contradictoire que celle de
Boudjedra. Elle n'en aboutit pas moins à l'échec parce que le projet là
non-plus n'est pas assumé. Les Boucs
n'est pas le meilleur roman de cet écrivain marocain majeur. Mais il signe un
malaise de l'écriture, et il est intéressant pour notre propos que la visée de
l'émigration ait servi de catalyseur à l'expression biaisée de ce malaise.
Pour ces
écrivains consacrés de la "littérature maghrébine de langue
française", aborder l'émigration ou l'immigration, selon la Société pour
laquelle ils écrivent majoritairement, correspond donc le plus souvent à un moment
de crise dans le processus d'assimilation à un espace culturel inséparable de
leur promotion littéraire. Ils se sont fait connaître auparavant par un premier
texte (Successivement Le Passé simple, La
Répudiation ou Harrouda) dont le
regard critique sur leur Société
"d'origine" avait marqué. Ce texte les a à la fois inscrits dans le
débat de cette Société par son contenu, et imposés littérairement dans un
espace plus vaste que celui de cette seule Société par la qualité de leur
écriture. Leur localisation culturelle -et c'est précisément ce qui fait la
grandeur de leurs textes-, est donc d'emblée problématique, alors même que
cette localisation a grandement
participé à leur ménager a-priori auprès d'un public international un accueil
favorable. Leur texte sur l'émigration / immigration rejoint donc par
sa non-localisation d'écriture la non-définition (ou la définition erronnée) de
l'espace culturel de l'émigration / immigration. La localisation de
leur dire est aussi problématique que celle de leur objet aphasique. Seul Ben
Jelloun a su trouver, en transformant en poésie une parole qui vivait de sa
non-insertion dans un cadre culturel pré-défini, le moyen de rejoindre le
non-dicible de la Société française sur l'immigration qui l'habite et qu'elle
sait ne pas pouvoir indéfiniment continuer à ne pas voir. Il s'est ainsi ménagé
un nouveau tremplin au sein de cette Société française, tout en sachant le
quitter au moment où guettait le danger d'être réduit à ce "créneau"
limité. Peu après il nous livrera avec La
Prière de l'absent [28] son oeuvre probablement la plus achevée,
dont le dialogue intertextuel avec le roman contemporain de son ami JMG Le
Clézio, Désert: Qu'elle fasse, ou
non, référence à l'espace maghrébin, l'écriture maghrébine comme toute autre,
qu'elle soit de langue française ou de langue arabe, ne devient écriture au
sens plein du terme qu'en s'installant dans l'ubiquité, qu'en assumant la marge
constitutive de la littérarité.
Or la réception
ne suit pas toujours cette installation de l'écrivain maghrébin dans un espace
littéraire ayant éclaté les références uniquement maghrébines qui avaient
attiré l'attention sur lui. On sait que les critiques de Driss Chraïbi par
exemple ignorent presque tous ses deux romans Un Ami viendra vous voir (1967) et Mort au Canada (1975), tout simplement parce que leur action n'a
plus rien à voir avec un espace de référence maghrébin. Ou encore, si on répond
que ces romans ne sont effectivement pas les meilleurs de l'écrivain marocain,
il est par contre irréfutable que la partie la plus intéressante de l'oeuvre de
Mohammed Dib à savoir ses dernières oeuvres qui en font véritablement le plus
grand écrivain maghrébin, est fort peu connue et que l'on réduit toujours cet
écrivain gigantesque à sa trilogie "Algérie" qui représente une part
infime de son oeuvre, et certainement
pas la plus originale. L'oeuvre de plus en plus exigeante de Mohammed Dib
s'éloigne de roman en roman, de recueil de poésie en recueil de poésie, de
toute "commande" implicite ou explicite pour approfondir une
recherche toute personnelle et cependant la plus poignante sur l'amour, la
mort, la folie, l'être, liés à l'écriture et à cet extraordinaire pouvoir de
nommer qui fait à la fois la grandeur et le vertige de l'humain. Ainsi dès 1964
Cours sur la rive sauvage tournait
résolument le dos au réalisme des trois romans qui l'ont fait connaître et
annonçait dès son titre cette réflexion sur le non-lieu depuis lequel s'élabore
l'écriture, qui n'a en fait jamais cessé de hanter l'écrivain. Derrière l'allusion à l'Algérie
indépendante, c'est cette préoccupation vertigineuse qui habite La Danse du Roi, Dieu en Barbarie et Le Maître de Chasse. Avec Habel (1977), l'exil de la parole
rejoindra celui, géographique, du lieu (Paris) où réside le héros dans un
face-à-face avec la mort et la folie, mais aussi avec la violence aimante
qu'exerce le monde riche sur tous ceux qu'il exploite pour mieux en jouir et pour
mieux vivre-mourir dans cette culpabilité délicieuse. Les Terrasses d'Orsol (1985) et Le
Désert sans détour (1992) sont jusqu'ici l'aboutissement le plus dépouillé
de cette quête et sont probablement avec Habel
les trois meilleurs livres de cet auteur, cependant que Le Sommeil d'Eve (1989) et Neiges
de marbre (1990) développent un travail poignant sur le rapport avec
l'autobiographie de ces trois romans, tout comme des recueils de poèmes publiés
simultanément, parmi lesquels on recommandera surtout Omneros (1975), Feu, beau feu
(1979) et O Vive (1987). C'est en
assumant mieux que tout autre cette marge constitutive de l'expérience
littéraire en ce qu'elle a de plus affolant que Mohammed Dib est devenu
l'écrivain maghrébin le plus grand, mais aussi le plus mal lu: le lieu depuis
lequel s'énonce la parole littéraire est innommable. Il est cette "rive
sauvage" qu'annonçait dès 1964 le titre de son roman le plus déconcertant
de l'époque. Il est ce "rien" vertigineux qui récuse toute
localisation géographique ou sémantique prédéfinie.
Résumé:
Dans une littérature maghrébine associée par sa lecture à l'affirmation de
l'identité problématique d'un espace "Maghreb" délimité
géographiquement, dire l'émigration n'a été possible qu'à partir de la fin des
années 70, alors que l'émigré devient un thème d'actualité dans la Société
française essentiellement. Et pourtant même alors, le texte littéraire ne décrit
pas l'émigré, mais prend seulement prétexte de sa marge pour développer une
mise en scène de la marginalité de l'écriture. Une écriture émergente ne peut
en effet se libérer du discours d'identité collective auquel elle doit sa
reconnaissance par ses lecteurs qu'une fois cette reconnaissance effective,
comme on le voit pour finir dans les trois exemples de Tahar Ben Jelloun,
Rachid Boudjedra et Mohammed Dib.
Summary:
The unspeakable
Journey and the Place of Wording: Emigration and Tribulations of French Maghreb
Literature.
Within the
literary field linked through its very practice to the affirmation of the
problematical Identity of "Maghreb", a geographically-defined space,
expressing the specificity of emigration became possible in the late Seventies
only, when "the emigrant" grew into
an actual theme of French Society mainly. Even then, literary texts did
not describe the emigrant, but availed themselves of their margins to
stage the scenario of the marginality of writing itself. Any writing, when it
grows more important, can free itself from the discourse on group identity, to
which it owes the reader's recognition, but only when this recognition has been
achieved, as is plainly shown through
the works of Tahar Ben Jelloun, Rachid Boudjedra and Mohammed Dib.
[28]/ BEN JELLOUN, Tahar. La prière de l'absent.Paris, Le Seuil, 1981.