Annie Devergnas-Dieumegaard : Chiens errants et arganiers. Le monde naturel dans l’imaginaire des écrivains marocains de langue française. Paris, L’Harmattan, 2003, 547 p.

Il s’agit de l’édition commerciale d’une thèse soutenue en 2002 à Rennes, sous la direction de Marc Gontard.

Cette thèse est un travail monumental (724 p.) sur un sujet fort peu traité jusqu’ici, alors même qu’il semble maintenant s’imposer quand on a lu les textes traités. Sa première qualité est donc bien son originalité, alliée à un grand approfondissement du sujet.

Mme Devergnas en effet ne s’est pas contentée de faire un relevé thématique dans un corpus littéraire volumineux, mais elle l’a de plus confronté à des références culturelles multiples et fort bien choisies. De plus ce travail est remarquablement écrit, et très agréablement présenté : on apprécie en particulier le dossier iconographique, si agréable qu’on aimerait le voir plus volumineux lui aussi…

Cependant la qualité essentielle du travail reste la manière dont le sujet est traité. Certes, avec un tel sujet il était difficile d’éviter l’approche thématique. Mais qui le reprocherait ici ? Cette approche était en effet un préalable indispensable, qui permettra à d’autres chercheurs de se consacrer davantage à l’utilisation esthétique ou stylistique de ces thèmes et images, utilisation d’ailleurs approchée également par Mme Devergnas. Ou encore de mettre cette description dans une perspective plus théorique. D’ailleurs Mme Devergnas dépasse assez bien la seule étude thématique en s’interrogeant aussi sur les types de discours proposés par les écrivains, et c’est en fonction de ces types de discours qu’elle organise même les trois parties de son travail, ce qui ne l’empêche pas d’établir également entre ces trois parties une progression très pédagogique.

Ce débat pour ou contre l’approche descriptive, qui a animé la soutenance, pose d’ailleurs au critique que je suis une question méthodologique plus fondamentale. Je m'interroge en effet sur ma propre lecture des thèses : on sait que j’ai le plus souvent reproché aux thèses trop descriptives leur ignorance du fait littéraire. Or la lecture du remarquable travail, pourtant descriptif, de Mme Devergnas, me fait me demander si une telle réaction, tout à fait justifiée à une époque où ces analyses descriptives empêchaient effectivement la reconnaissance de la littérarité des textes et entraînaient de ce fait un certain paternalisme, ne commence pas à son tour à être un peu datée. Car le contexte n’est plus le même. La reconnaissance de la littérature maghrébine en tant que littérature ne pose plus problème, et la dynamique de la modernité militante des années 70 a fait place à ce que Marc Gontard lui-même a décrit comme la postmodernité de laquelle nos lectures actuelles ne peuvent plus éviter de tenir compte. Postmodernité dans laquelle le référent reprend une place que nous avions à juste titre minimisée tant qu’elle cachait la littérarité, mais qui peut maintenant jouer pleinement son rôle de mise en perspective des textes, lesquels développent confrontés à elle des significations nouvelles.

Mme Devergnas a également constitué une remarquable bibliographie à la fin de sa thèse, même si on regrette que cette bibliographie, tout comme l’introduction de la thèse, ne fassent pas davantage référence aux travaux universitaires antérieurs. Certes, la seule thèse en rapport avec ce sujet, celle de Bernoussi Saltani, est citée, mais on aurait aimé une mise en situation plus développée de l’originalité de ce travail par rapport à la recherche universitaire sur le roman marocain.

Ce petit reproche n’enlève rien cependant à l’intérêt évident de cet imposant travail, qui ouvre avec une érudition remarquable un champ de recherches original.