Par Fayçal BENSADDI
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Paul Bellat est né le 18 août 1905 à Sidi Bel Abbés dans une famille de propriétaires viticulteurs installés en Algérie depuis 1837. Son père, Lucien, né le 22 septembre 1880 à Sidi Bel Abbès fut élu maire de la ville au mois de mai 1929. A la veille de la Seconde guerre mondiale, il fait allégeance au régime de Vichy et milite dans les rangs de l’extrême droite. Il aurait pris sa carte au très réactionnaire Parti du Peuple Français. Selon des sources crédibles, à la fin de la guerre, il fut rayé des listes, déchu de son poste de maire et jugé pour collaboration.
Son fils Paul, lui aussi passionné de politique, emprunte le chemin de ces partis à forte coloration chauvine : selon divers documents, à 24 ans il devient le plus jeune député d’Algérie, président de la Commission des affaires sociales et du paysannat indigène. Il crée alors la première vraie caisse de retraite du personnel agricole vers 1947, qu’il finance de ses propres deniers, ce qui en soi est une première dans le monde très rude de la paysannerie. Dans le même temps, il apporte son soutien actif à la Maison du Légionnaire et organise des centres de repos pour les vaincus du Vietnam à leur retour du front. Mais Bellat est aussi un homme dont les positions politiques sont difficiles à cerner : colon et fils de colon, on sent dans son œuvre le poids castrateur du père… Sitôt arrivé à l’âge de se prendre en main, il s’éloigne de la mouvance dure où il a fait ses premières armes et, si l’on en croit un certain Malki Mourad, qui a préfacé une édition récente de deux de ses romans réunis en un seul (‘’Habib’’ et ‘’Un ange était passé’’ – Editions Roue Libre – Bordeaux 1980), il aurait revendiqué, avec peu de succès cela va de soit, l’institution du Collège unique et l’accès des musulmans dans les hautes sphères administratives.
Dans sa propriété de Sidi Bel Abbès, dite « Le Rocher », Bellat reçoit aussi des hommes de lettres et non des moindres puisque Camus a séjourné chez lui (il aurait été pour lui un mécène…) et les deux hommes se sont liés d’amitié. Il y aura aussi André Gide, Henry de Montherlant, Kessel, Feraoun, Max Marchand.
Apôtre du rapprochement Orient-Occident, Islam-Chrétienté ou encore France-Algérie, Bellat a produit de nombreux textes d’une qualité inégale traitant peu ou prou de la question (voir bibliographie) avec beaucoup de mansuétude, voire de la naïveté (?).
A l’Indépendance, il fut contraint de quitter Bel Abbès. Il perdit tout : statut social, fortune et amis. Il devra tout reconstruire à Bordeaux où il revint sur les traces de ces ancêtres. Il produira encore des textes dans la même veine, le plus important étant « Les yeux bleus et les yeux noirs » ( Nouvelles Editions Debresse – Paris – 1976 ). N’ayant plus beaucoup de ressources, vivant dans une espèce de maison de retraite dont un témoin dit qu’elle était « assez cossue », il se voit contraint d’accepter des petits boulots : petits reportages rédigés à la commande, piges pour la presse locale…
Outre les multiples prix qu’il reçut dans sa vie, Paul BELLAT fut décoré par l’Académie française de la Médaille de bronze et reçut le Prix Paul Verlaine, pour Dires d’amour et de peine, publié en 1998 aux éditions Point plume…
Il mourut le 26 mars 2001 à Bordeaux.
La Croix et le Croissant
(Préface d’Albert Camus), Grand Prix Littéraire d’Algérie.
L’Islam et Nous.
Heures héroïques
(Préface de Max Marchand).
Légionnaires
(Préface de Max Marchand).
Manuela
(Préface de Jules Gasser, maire d’Oran), Prix littéraire de la ville d’Oran.
Herriot, Homme de Lettres.
(Préface de M. le comte d’Harcourt).
François Coppée, poète des Humbles.
La 81° Division
(Préface du Jacques Chevallier, ancien ministre, maire d’Alger).
Un vieux m’a dit (Grand prix de la ville d’Oran)
(Préface du Président Laquière).
Habib
Un ange était passé.
Les Trois Devaize.
Cent ans d’Algérie.
Nous d’Afrique
(Préface de Mouloud Feraoun).
Aurores impériales
(Préface de Paul Mourousy).
Chevalier Loys
(Préface de Paul Mourousy).
Un drame à Oran (Prix littéraire des A.A.A.A.) –
Lettre-Préface de Mme Maraval Berthoin).
Les Yeux bleus et les Yeux noirs
(Préface de Jacques Chevallier entre autres)
Causeries et conférences
1997 (Source : Bibliothèque Nationale de France)
Dire d’amour et de peine
1997 (Source : Bibliothèque Nationale de France)
Au long d’une vie de poète
Ed. Point plume – Bordeaux 1998 – (Source : Bibliothèque Nationale de France)
Drame à Hollywood
1998 (Source : Bibliothèque Nationale de France)
Le chemin des mots
1999 (Source : Bibliothèque Nationale de France)
Contes de mon village
1999 (Source : Bibliothèque Nationale de France)
Théâtre – aux éditions Debresse (12 pièces).
L’Obsédée – aux Editions Roidot – Sidi Bel Abbès – (pièce en quatre actes).
Le mauvais fils, pièce en vers.
Les Foggara (Prix littéraire franco-musulman).
Iphigénie en short, opérette.
Mars en folie, opérette à grand spectacle.
Maison de repos, drame en cinq actes.
La nuit a son étoile (pièce en vers).
Poèmes africains (Préface de Mouloud Feraoun).
O ma belle Algérie (30 poèmes),
Prix littéraire de la ville d’Alger, lettre-préface de Jacques Chevallier.
L’Ensorceleuse.
Le voleur.
Le disque souvenir.
Pour distraire Nénette.
Les livres promis à la parution aux Editions Debresse – Paris, mais dont il faut s’assurer qu’ils ont effectivement paru :
Journal d’un rapatrié.
Lord Sinclair.
Le Général de Louis
Ceux du bled – Préface de Jacques Chevalier.
* Cette bibliographie n’est pas exhaustive. Elle est à prendre avec réserve. Elle a été reconstituée à partir des romans et autres ouvrages que nous avons pu retrouver, en allant à la page « Du même auteur : ». Aucune de ces pages ne ressemblant à l’autre, il est difficile de se faire une idée précise sur les titres, la chronologie et encore moins les dates exactes de parution.
« Habib », roman de 154 pages publié en février 1952 chez René Debresse (Paris), est le récit d’une vie, celle de Chérif Habib, un Algérien de « noble souche », « fils de grande tente » selon les termes du narrateur. Une histoire, étriquée sur le plan temporel puisqu’on peut seulement imaginer, d’après les maigres indications qui sont données au lecteur, que ses actes se déroulent entre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et quelque part dans les années cinquante – soixante. Ce qui est tout de même un peu juste pour y mettre une vie. C’est un récit « linéaire » de type classique, une carte postale jaunie par le temps et la langueur, amputée pourtant d’une dimension cardinale propre à toutes les œuvres « épiques » répondant au même standard : le temps… Paul Bellat nous la livre, oublieux des gens, du terreau social, des enjeux de l’époque sur la terre qui a vu naître cette œuvre qui jure singulièrement avec les réalités historiques, sociologiques et spirituelles de l’époque. Il donne en définitive peu d’étoffe à ses personnages.
Nous verrons par la suite que Paul Bellat s’est relu, qu’en fait il n’a jamais vraiment rompu avec la trame de son roman. Au point qu’il le reprendra neuf ans plus tard sous forme d’un journal intime.
Le conte de « Habib » commence par l’arrivée d’un militaire français dans la région d’Aflou dans les Hauts Plateaux. Son père, Sidi Saadi Chérif, est « chérif » de nom comme de statut, singulier de « chorfa » qui veut dire les seigneurs, les nobles, tout ce qui peut être à l’opposé de la plèbe, des parias. Sidi Saadi Chérif règne sur cette région aux portes du désert et vit dans le cadre idyllique d’un ksar autour duquel était établie « la puissante tribu des Ouled Sidi Chabane » dont il est le chef.
Vint alors le colonel de Vieupont, mandé par l’autorité coloniale dans la région « calme en apparence, mais dont la population est réticente… ». Le poste lui fut proposé :
« après de brillantes campagnes coloniales qui l’avaient longtemps tenu éloigné de son foyer (…), mais il avait fait preuve dans le service de telles qualités, que le Ministre de la Guerre résolut de recourir à lui pour la pacification définitive d’un vaste territoire en Afrique du Nord ».
Le fils de cet officier et le petit Habib, tous deux ayant sensiblement le même âge, vont se lier d’amitié pour le restant de leur vie.
Le roman déroule la vie des personnages, leur prête un discours entendu : la France est en terrain conquis et, il est quasiment impensable de voir surgir une attitude récalcitrante à tout le moins… Aussi lors de leur première rencontre, les deux pères échangent-ils amabilités et autres compliments sur leurs statuts respectifs. Rien ne surprend quand, au fil de la discussion, le Chérif, répondant à une question sur l‘éducation du petit Habib dit :
« Monsieur le curé veut bien lui donner quelques leçons de latin et de français. Pour l’arabe j’ai un excellent taleb ».
Les deux enfants vont vivre une enfance somme toute heureuse :
« Ce que fut notre heureuse enfance ? Un enchaînement de petites joies et de petites contrariétés. Toutes les journées de quatre années consécutives se fondent en une seule, brillante de lumière et bruyante d’éclats de rire ».
Paul Bellat écrit un roman mais ne peut résister à l’envie d’en faire un traité d’économie politique. La propagande pro-française prend vite des allures de prosélytisme, à la limite du grotesque et rend intéressante la lecture car les mésaventures de ce pauvre Habib sont le fait de sa « naïveté », petit agneau algérien constamment menacé par tout ce qui n’est pas français… Les protagonistes (faut-il ne pas les confondre avec l’auteur ?) s’élancent dans des « analyses » au goût douteux, à la qualité approximative.
Le père Chérif n’est pas plus futé, il prend fait et cause, lui le caïd collaborateur, pour la puissance coloniale :
« je suis heureux de te conserver le plus longtemps possible auprès de moi, dit-il un jour au colonel de Vieupont, mais tu devrais tout de même, dans l’intérêt de ta carrière, te rappeler un peu au souvenir de ces Messieurs des grands bureaux. Veux-tu que j’organise un semblant d’agitation ? J’enverrai quelques serviteurs tirer des coups de fusil à blanc au passage de M. le Préfet, qui nous promet une prochaine visite et me demande d’organiser un méchoui monstre. Tu organiseras aussitôt une campagne de répression et poursuivras à travers les dunes du Grand Erg des djouchs imaginaires. Et alors, les étoiles du ciel tomberont pour s’attacher à tes manches ».
Habib est un enfant intelligent, un surdoué qui va vite briller de mille feux dès les premières années de lycée à Oran quand, après un voyage offert par son père à Paris et Séville, il rédige un ouvrage d’histoire ayant pour titre « Charlemagne, allié de l’Islam ». Le petit prodige aura l’occasion de faire valoir ses talents lors « d’un voyage en Algérie d’un Président de la République Française ». L’impétueux jeune homme va se fendre d’un discours que personne n’attendait et donné des sueurs froides au colonel de Vieupont. Cette tirade laudative à l’adresse de la France, franchement ridicule voire caricaturale, sera un alibi pour la poursuite du récit, car les Autorités, remarqueront le Habib et vont de ce fait lui ouvrir grand les portes de la notoriété. A signaler au passage cette réflexion que le colonel de Vieupont fait à Habib après le fameux laïus :
« tu éprouverais à le relire une certaine déception : mais l’accent a tout sauvé ».
Preuve peut-être du détachement, de la clairvoyance peut-être de l’auteur face à la question algérienne. Une ambiguïté qui met mal à l’aise tant le discours en est empreint.
Le roman raconte par la suite l’histoire d’un écorché vif, pris au piège des passions, des certitudes et des doutes, frustré d’un amour impossible qui a tourné à l’idolâtrie et gâché en définitive sa vie entière. Après un voyage en Inde où, poussé par une anglaise qui a tout d’une honorable correspondante d’un vague deuxième bureau, il connaîtra l’enfer de l’opium. Il sera tour à tour professeur au Collège de France, consultant, euphémisme destiné à remplacer le peu flatteur attribut de « délateur » ou « d’indicateur », du ministère français de l’intérieur pour les questions liées à l’islam et aux musulmans. Habib finira clochard dans Paris puis docker à Marseille. Il rentre ensuite en Algérie et exerce divers métiers, tous manuels. Il meurt en sauvant la vie d’une fillette sur une plage d’Arzew non loin d’Oran. Elle avait pour nom Lucette et ressemblait à s’y méprendre à l’autre Lucette, dont l’amour désespéré lui fit prendre une trajectoire de vie si chaotique…
Paul Bellat reprend « Habib » 9 ans plus tard. Il appellera son livre « Un ange était passé ». En peu de mots, dans une brève introduction l’auteur avertit qu’il a reçu au lendemain de la parution de « Habib » un paquet contenant des notes intimes rédigées bien sûr par ce dernier. Le paquet lui fut envoyé par un anonyme, parent et ami de Habib qu’il a immédiatement reconnu à la lecture du roman. Il charge l’auteur de les publier s’il le juge « convenable ».
Il y a dans cet ouvrage tout ce que l’auteur n‘a pu dire en son temps. Le texte est structuré en douze parties portant toutes des noms de femmes. Seule Lucette est connue pour avoir été l’un des personnages-clés de « Habib », les onze autres ont surgi on ne sait d’où. « Habib » fait l’impasse sur les embrouilles charnelles des protagonistes. A peine y voit-on une idylle, un désir tout au plus, aussi ardent fut-il. Mais beaucoup plus de passion et déclarations enflammées. Il est utile de souligner que les douze noms de femmes ne représentent pas toutes des liaisons que Habib aurait eu. On y rencontre aussi de toute jeunes filles qu’il a eu à aider dans la vie.
Néanmoins, le ton chaste de « Habib » fait place à autre chose de plus cru, de plus naturel, de plus sincère en somme. Bellat jette un peu de lumière sur les zones d’ombre du premier roman. Le lecteur découvre un peu surpris le pourquoi du comment de la disparition du héros dans les dédales de la vie souterraine parisienne ou marseillaise et en même à quoi il passait son temps. La déchéance n’est plus seulement un tournant pathétique dans l’existence de ce malheureux mais aussi « un choix » qui lui procurera un certain bonheur, du moins ainsi l’entend-il, avec une bonne dose de philosophie.
Habib, le héros du premier roman, n’évolue plus devant une toile où ne sont projetées que des ombres chinoises, mais bel et bien une société avec le volume et l’épaisseur voulus. Il reste que pas un mot n’est dit sur les troubles qui secouent l’Algérie. Déconcertante tout de même que cette « omission »…
Si dans « Habib », le personnage central n’a d’yeux que pour Lucette, dans « un ange était passé », on lui découvre une vie lubrique qui n’a plus rien à voir avec la première œuvre.
Sur le plan social, Habib est entouré de petites gens qui, par touches successives, esquissent les contours de ce que devait être la société jadis dans la région d’Oran comme lors de ses pérégrinations en France.
Comme l’ouvrage est présenté sous forme de journal intime, le narrateur (Habib en l’occurrence) ose des commentaires de toutes natures qui peuvent, à la lumière d’une lecture attentive, livrer quelques secrets sur les motivations profondes qui ont présidé à l’écriture même de ce qu’il serait impropre de qualifier de ‘’suite’’ ou de ‘’réécriture’’ tel que décrit par Jean-Robert Henry dans « Réécritures romanesques dans l’Algérie coloniale », dans lequel, il systématise et généralise quasiment à tous les écrivains algérianistes cette ‘’manie’’ de réécrire leurs œuvres et les republier sous d’autres titres.
« Un ange… » n’est pas une suite. Il peut s’enchasser dans « Habib » à divers moments pour mieux le faire comprendre. A cette différence près qu’entre les deux, la différence de ton est telle que le lecteur n’aura aucune difficulté à reconnaître les passages émanant de l’un et de l’autre.
Dans le premier roman, le narrateur est Louis de Vieupont, dans le second c’est à Habib qu’échoit ce rôle. « Un ange était passé » n’est pas la suite de « Habib » encore une réécriture, mieux encore, il en est le contrechamp : comme au cinéma.