Habib Ayyoub, Le Gardien
(Editions Barzakh, Alger, 2001)
Quelque part dans un désert, un homme se penche sur son passé. C’est un militaire, nommé pompeusement le chef suprême, qui revit au travers de réminiscences faites de regrets, sa misérable vie de compromissions et de lâchetés. Lâcheté devant les autres, sa femme d’abord « teigne bovaryste », virago insatisfaite qu’il a quittée un jour en allant à un rendez-vous et les gens qui l’ont entouré, tous ceux qui étaient là et ne sont plus. Il est seul, désormais, à l’exception d’un enfant endormi dont le sommeil lourd est peuplé de rêves anxieux. Il est dans un Ksar, sorte de château des sables et il revoit tout son itinéraire.
Au début, il y eut la construction d’un obélisque de béton lancé « comme un défi au Créateur, tel un blasphème injustifié et plein de laideur »(p.8) et qui sans doute survivrait à tous les habitants. Les habitants d’Alger reconnaîtront sans peine le Monument aux martyrs érigé sur une colline. Les habitants avaient demandé un puits « c'est-à-dire un ouvrage qu’on réalisait du haut vers le bas, et on leur avait offert un obélisque à fixer du bas vers le haut. » (p.12)
Ce début donne le ton du récit, dérision et satire
sont les maîtres mots du texte qui rebondit de descriptions amusantes en critiques
amères. On reconnaît les militaires en fonction du calibre de leurs armes. Le
chef suprême est en proie aux tourments du souvenir et surtout aux regrets.
L'eau, éternel problème de l’Algérie, est au centre du récit dans un combat perdu d’avance avec le désert qui s’étend et ronge tout . Un yacht échoué lamentablement dans ce qui fut un bassin, désormais vide et tari, est le symbole des vanités des nantis, singeant malgré tout, les habitudes des riches de l’autre rive.
Fable philosophique, retrouvant comme le dit le narrateur à maintes reprises, l’inanité des quêtes humaines et des récompenses comme les décorations, tout se fond et se corrompt sous l’effet corrosif du sel qui attaque tout. Alors que reste-t-il ? Des médailles conservées précieusement dans une boîte, symbole d’un époque plus faste et de la reconnaissance de ses pairs, il ne subsiste que le ruban en plastique, rouge vert et blanc, « le résumé de sa vie » réduit à néant.. On aura compris qu’il s’agit surtout, sur fond de satire de la vie algéroise comme le prouvent certaines indications de lieux, d’une réflexion triste et amère sur la condition humaine et l’impuissance des hommes qui, parvenus au terme de la vie, contemplent avec un sentiment de vide ce que fut leur parcours sur terre. Le désert favorise la rencontre avec Dieu comme le montrent certaines références au Coran. La ressemblance avec Giovanni Drogo du Désert des tartares est flagrante. Les éditeurs le reconnaissent sur le texte de couverture et le héros de l’histoire dit lui-même qu’il a été influencé par ce livre. En outre, il y a de nombreuses allusions à d’autres œuvres de la littérature arabe et de la littérature occidentale, des fragments de chansons, des bribes de vers tout cela tourbillonne et s’ordonne sur le mode du souvenir qui efface souvent pour s’arrêter parfois.
L’auteur, de son vrai nom Abdelaziz Benmahdjoub, s’est choisi un pseudonyme, qui signifie, ami des pauvres, Habib en arabe voulant dire ami, Ayyoub c’est Job le plus pauvre des prophètes ; c’est dire qu’il a privilégié une voie et un parcours. Mais tout n’est pas si triste car l’enfant qui dormait s’éveille à la vie lorsque le chef suprême périt, noyé sous la pluie qui éclate enfin. Il est alors en bermuda rose à pois bleus , rendu à sa condition d’être misérable et insignifiant, comme une bête à bon dieu, une coccinelle fragile et vulnérable. L’enfant incarne un espoir, un renouveau, malgré la détresse et la souffrance.
Ce court récit de 125 pages se lit avec beaucoup de plaisir et l’on sourit souvent aux descriptions féroces des milieux algérois caricaturés par la plume allègre de Habib Ayyoub. Mais surtout, comme l’oeuvre de Buzzati, c’est une réflexion sur la vanité des passions et des quêtes humaines en laquelle tous peuvent se reconnaître.
Amina Bekkat