« Lyautey et le Maroc à travers les récits des
Voyageuses Françaises (1910 - 1935) »
Introduction :
Depuis le début du XX siècle, le Maroc devient le centre de convoitise de plusieurs nations européennes. A partir de 1902, la France inaugura une politique de « Pénétration pacifique ». Après l'accord anglais du 08 avril 1904 et l'adhésion de l'Espagne à la convention relative au Maroc, l'Allemagne décida de créer des entraves à la pénétration française. Dès lors, de la conférence d'Algésiras (1906) exigée par Guillaume II, à la crise d'Agadir, ouverte par lui en 1911, le Maroc subit une tension diplomatique franco-allemand. Après le compromis intervenu en 1911 entre Berlin et Paris, la France réussit à établir le protectorat en 1912 en imposant le traité à Moulay Hafiz lors de la signature de la convention de Fès (le 30 mars 1912) et en le remplaçant par le sultan Moulay Youssef (1912 - 1927). Grâce à Lyautey, le Maroc connut à partir de 1914 une ère de prospérité.
En 1934, la «pacification » était complètement achevée. Parmi les écrivains qui ont exalté l'œuvre du 1er résident général et l'ont animé par la légende créatrice figurent les voyageuses françaises. Pour vous approcher du cadre de cette légende, notre communication propose de traiter trois volets :
1- Le voyage au Maroc entre le tourisme et la mission,
2- L'histoire du protectorat faite en termes de regard fantastique et mythique,
3- Le cycle épique et mythique.
Comme nous l'avons vu dans le premier volet, le voyage est un genre littéraire consacré au XIX siècle. Il participe de la littérature comparée fondée sur la connaissance de «l'étranger», de l'autre. Et la première littérature exotique est une littérature de voyage indissociable d'une dimension anthropologique. Au XIX siècle, le genre exotique signifie la restitution de la couleur locale. Déjà, une vision à la fois pittoresque et sentimentale littéraire et politique est véhiculée par les relations des voyageurs et écrivains. Le voyage en Orient, constitue pour les français un rite de passage bourgeois. Il leur permet d'accéder à une vérité multiple : celle de la connaissance, celle du désir et de la conquête. De son côté, le Maroc fait partie intégrante de la vaste représentation de l'Orient qui fascinait, inquiétait et intéressait l'opinion publique française. Le premier Maroc des écrivains est imaginaire chez Scarron, en 1657, qui écrivait un chapitre marocain dans son roman comique , ou chez Daniel de Foe, en 1719 qui met son Robinson en fâcheuse situation, le héros est captif dans la ville de Salé. Mais, à la suite des voyageurs, Mocquet, au début du XVIII siècle, Jean Potocki en 1791, de René Caillé en 1828, les écrivains vont avoir à cœur, un peu plus tard, l'œuvre de Charles de Foucauld et du Marquis de Zegonzac. Ce sont les précurseurs du mouvement d'investigation qui suivit la reconnaissance du protectorat en 1912. Un grand nombres de livres paraissent à l'époque en librairies. Ils tiennent à la fois du guide, du récit de voyage d'aventure et de mission. Parmi ces livres se trouvent les récits des voyageuses françaises :
- Reynolde Ladreit de Lacharrière, Voyage au Maroc ( 1910- 1913 ),
- Mathilde Zeys, Une Française au Maroc ( 1912 ),
- Henriette Célarié, Un Mois au Maroc ( 1923 ),
La vie mystérieuse des Harems ( 1923),
Du Sang et de l'Amour dans le Harem ( 1930),
Amours Marocaines (1927),
L'Epopée Marocaine ( 1928),
- Alice Barthou, Au Moghreb parmi les fleurs ( 1925 ),
- Henriette Willette, Au Maroc ( 1930 ),
- Françoise de Sourdon, le Marocain, son âne et sa ville ( 1935 ),
- Janine Berthel, Impressions Marocaines ( 1930 ),
Pour rendre crédible leur discours, les
voyageuses ont présent un ensemble
variable de moyens de crédibilité du récit de voyage :
le titre, l'incipit, la clausule, l'intertexte et l'image culturelle. Cette
image permet au lecteur de se familiariser avec la réalité marocaine
recueillie par ma photographie du touriste, du voyageur et de l'archive coloniale.
Au plan textuel, ces images apparaissent comme un ensemble de stéréotypes et de mythes choisis pour le public français spécialement. Elles relèvent globalement de trois attitudes : Manie, Phobie et Philie. En plus du stéréotype et du mythe, les voyageuses présentent un parcours exclusivement fantastique commémorant un événement grandiose et fabuleux.
Dès lors, attacher à sa personne un poète, un historiographe, un écrivain, des voyageurs, des voyageuses… Cette classe d'hommes utiles capable d'exalter l'œuvre, le cadre de l'œuvre, la mission de ses ouvriers, de l'animer par une légende créatrice extraordinaire fut primordial pour le général Lyautey (le mécénat fait des instruments de l'action).
Dans le deuxième volet, nous avons vu que les récits des voyageuses évoquent l'histoire du protectorat en terme de regard. Il s'agit certainement d'un regard fantastique et mythique. Le fantastique reste ainsi tout ce qui apparaît comme remarquable, nouveau et extraordinaire. Cette définition du dictionnaire Hachette, citée par Joël Malrieu dans son ouvrage intitulé, le fantastique, peut être appliqué à la fois à l'œuvre française, à l'étrangeté du Moghreb, de ses habitants, de ses mœurs et de sa civilisation, en général un pays mort à tous les niveaux. Le fantastique révèle ainsi tout ce qu'il y a de trouble, de scandaleux et d'inavouable dans la société. Zeys et le reste des voyageuses présentent à leur tour une société marquée par le trouble, l'inquiétude, la peur de l'indigène (le primitif, le Djin) et du Roumi (le diable, le giaour). Chez elles, le véritable monstre n'est pas celui que nous créons ou croyons (un fantôme, le Double, Dracula,…), mais tout simplement, il est question de la société. Les voyageuses ont réussi à détourner l'attention du lecteur de la véritable monstruosité de tout les temps : l'Homme et son œuvre, le colonialisme dans leurs récits.
En général, le voyage au Maroc de Lacharrière, de Zeys, de Célarié, de Willette, de Barthou, de Berthel et de Sourdon prépare, légitime, inscrit et glorifie l'œuvre historique, épique, fantatsique et mythique de la France au Maroc. La mort, le sang, la barbarie, la superstition, les Mille et une nuits, la civilisation d'un autre âge, l'archaïsme, présentent en fait des thèmes fantastiques frappants dont la fonction mythique reste de souligner avec orgueil l'éminence de l'apport du protectorat français au Maroc comme nous allons le voir dans le cycle épique et mythique du troisième volet.
Certes, le voyage au Maroc des écrivains femmes évoque un cycle épique et mythique. Phénomène culturel complexe et toujours à définir, le mythe se présente comme un récit symbolique racontant l'origine du monde, du Maroc, des hommes, des saints, des chorfas, de l'Islam, des traditions, des rites et de certaines formes de l'activité humaine.
De manière générale, les voyageuses françaises du Maroc offrent au lecteur une image stéréotypée de ce pays mythique et mystérieux. De façon paradoxale, elles présentent un Moghreb antique, historique, ruiniforme, moribond et recrée grâce au travail mythique de la France civilisatrice, de son grand chef, le Maréchal Lyautey. La description des pratiques sociales mauresques, le mythe eschatologique, cosmogonique, de fondation du Maure, du Harem, de l'Arabe, du Berbère et en général d'un Orient musulman décadent a permis à la France de légitimer son installation dans le pays. Nous pouvons dire que se référer à Rome chez les voyageuses fait allusion à trois choses : retrouver un monde familier dans un univers exotique, s'identifier à lui et aussi pouvoir traiter des problèmes spécifiques sans s'écarter des traditions culturelles en matière de gouvernement et d'administration. L'évocation du mythe de Lyautey et de son œuvre narcissique évoque une succession de ce système de domination. Quant au mythe d'Œdipe, il rappelle une idée centrale : la Bataille du Maroc reste un devoir patriotique et surtout c'est au Maroc que les intérêts de la France sont engagés.
Ainsi, notre communication sur Lyautey et le Maroc à travers les récits des voyageuses françaises entre 1910 et 1935 nous a permis une réflexion sur le contenu profond de l'écriture féminine dépouillée de l'oubli dans notre thèse de D.E.S et du Doctorat. L'utilisation d'un ensemble de moyens de crédibilité du récit de voyage témoigne du souci majeur des voyageuses de présenter leur voyage comme vrai, authentique et pittoresque. Grâce à leurs écrits, nous avons pu reverdir le regard porté par la France à notre patrimoine culturel, social, économique et politique présenté entre un voyage touristique et de mission selon une optique dualiste : dysphonique et euphorique. Les voyageuses françaises, comme le reste des voyageurs du Maroc, se sont proposées d'exalter ce cycle épique, fantastique et mythique en secondant les sciences humaines dans leurs investigations et leurs recherches sur l'âme et la société indigène. Toutefois, leurs récits, injustement oubliés, demeurent un champs riche d'exploitation et un témoignage fécond et ambivalent fait sur le protectorat français du Maroc. Elles ont ainsi consacré leur écriture à la découverte de soi, par la découverte de l'autre, la reconnaissance de l'autre, mais elles sont fini par choisir sciemment ou inconsciemment de rester fidèle au dogmatisme.