Mohammed DiB

 

 

 

 

une écriture

aux confluents de l’histoire, des langues et des cultures

Symposium

 

 

une Œuvre

aux confluents de l’histoire, des langues et des cultures

Débats, expositions et rencontres

 

 

 

 

 

Montpellier / Château de Castries

 

13-14 novembre 2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

FRE CNRS 2425, Discours, textualité et production de sens

Coordonnateurs : Paul Siblot, Université Montpellier III,

Naget Khadda, Université d’Alger, Université Montpellier III

Pilote de l’Hommage à Mohammed Dib de l’Année de l’Algérie en France

 

Soutiens

Commissariats généraux à Alger et à Paris pour la préparation de Djezaïr, une année de l’Algérie en France ; AFAA ;

Services Culturels de l’Ambassade de France à Alger ; Centre Régional des Lettres du Languedoc Roussillon ;

Pôle Universitaire Européen de Montpellier ; Maison des Sciences de l’Homme de Montpellier ; Université Paul Valéry - Montpellier III ; FRE CNRS 2425, Discours, textualité et production de sens ; Centre d’Etudes du XXème siècle.


1. Cadres et orientations des rencontres

 

 

1. 1.     L’hommage à Mohammed Dib dans « l’année de l’Algérie en France » 

 

            Les rencontres organisées à Montpellier participent d’un « hommage » organisé de part et d’autre de la Méditerranée tout au long de l’année 2003. Une série de manifestations qui entend saluer une des consciences algériennes les plus exigeantes de l’époque contemporaine. Cet hommage est piloté par N. Khadda au sein du Commissariat général en Algérie pour la préparation d’« Une année de l’Algérie en France et du Commissariat général à Paris. Les rencontres montpelliéraines se font en coordination avec le colloque organisé à Tlemcen en décembre 2003.

 

-        Exposition de 24 panneaux élaborée à Alger par l’équipe chargée avec N. Khadda de l’hommage. Cette exposition, qui sera accueillie par plusieurs médiathèques au cours de l’année 2003, sera proposée ultérieurement à des Centres Culturels Français à l’étranger.

-        Rencontre Le bon plaisir de M. Dib organisée par N. Khadda et Jean Baptiste Para pour la Direction des affaires culturelles de la Mairie de Paris en février. Réalisée à la bibliothèque Buffon, la manifestation sera ensuite diffusée par France-Culture.

-        Symposium international Mohammed Dib, une écriture aux confluents de l’histoire, des langues et des cultures dans le cadre d’une unité du CNRS ; exposition, tables rondes et débats, soirée musicale Mohammed Dib, une œuvre aux confluents de l’histoire, des langues et des cultures ; Montpellier, 13-15 novembre.

-        Colloque international financé par le Ministère de la Culture algérien Mohammed Dib et l’Algérie, avec la remise du premier Prix de la Fondation Mohammed Dib qui couronnera l’œuvre d’un jeune écrivain algérien de langue française ; Tlemcen, 16-18 décembre.

-        Le numéro de la revue Europe consacré à l’année de l’Algérie comportera un important volet Mohammed Dib où figureront notamment les interventions de la rencontre Mohammed Dib, la voix de l’Algérie ; publication à la fin de l’année.

 

            Le colloque de Tlemcen qui sollicite un large concours intellectuel et universitaire entend situer l’ancrage de l’œuvre de Dib dans l’espace culturel national ; la première remise du prix de la Fondation Dib à Tlemcen se veut dans la continuité de l’entreprise de l’écrivain et orientée en perspective d’avenir, à l’intention des jeunes auteurs algériens de langue française.

Les rencontres de Montpellier visent un double objectif. Il s’agit d’établir un état des savoirs sur l’œuvre et sur son écriture par un bilan aussi complet que possible, à un niveau de scientificité exigeant, dans les champs de la réception critique, des analyses littéraires, stylistiques, linguistiques et socio-historiques. Option qui commande celle d’un symposium rassemblant des personnes qualifiées par leurs travaux plutôt qu’un colloque avec appel à communication. On vise la publication d’un ouvrage de référence qui enregistrera de façon durable l’hommage rendu à l’écrivain.

 

1. 2.     Les échanges avec les pays au Sud de la Méditerranée

 

Il n’est pas besoin d’argumenter sur les évidentes raisons géographiques, historiques, économiques et humaines qui font du développement des échanges avec les pays riverains de la Méditerranée un impératif, en Languedoc particulièrement. Comme bien d’autres institutions, les Universités de Montpellier et le Pôle Universitaire Européen de Montpellier entretiennent depuis longtemps des relations avec l’Algérie sous la forme de conventions et de programmes de coopération. Ces échanges ont fait de Montpellier un foyer actif de réflexion sur l’interculturalité.. La logique de ces relations, jointe au potentiel de recherche montpelliérain en sciences humaines, explique la création à Montpellier d’une Maison des Sciences de l’Homme autour de la thématique Europes – Méditerranées, Dynamiques des interactions. Le projet consacré à Mohammed Dib s’inscrit dans ce tableau général et participe de la relance des échanges avec l’Algérie.

 

1. 3.     L’expérience d’une coopération productive

 

Le projet s’insère d’autre part dans la continuité de travaux, de colloques ou de manifestations à l’Université Paul Valéry, sur les littératures, les discours ou les expressions culturelles au Maghreb, en Algérie principalement. Les porteurs du projet y ont apporté leur contribution par des réalisations conduites en partenariat par des chercheurs français et algériens avec le concours d’institutions ou d’associations régionales :

 

-        Visions du Maghreb, novembre 1985, colloque, exposition (Cultures et peuples de la Méditerranée, F. Charras, P. Siblot (éds), Edisud, 1987) ;

-        Vie culturelle à Alger, 1900 – 1950, janvier 1987, colloque, exposition (Cultures et peuples de la Méditerranée,  P. Siblot (éd.) Publications de l’Université Paul Valéry, 1996) ;

-        Regards croisés. D’une rive l’autre, mai 1990, colloque, exposition (Université Euro-arabe itinérante, P. Siblot, Editions Espace 34, 1994) ;

-        Alger, une ville et ses discours, avril 1996, colloque (Programme interuniversitaire de recherche Alger – Montpellier III, Editions Praxiling – Publications de l’Université Paul Valéry, N. Khadda, P. Siblot (éds), 1996) ;

-        Mohammed Khadda, La paix pour alphabet, Exposition, 1996, (Conseil Général de l’Hérault, Institut Français de Barcelone, commissaire N. Khadda) ;

-        Mohammed Dib, cinquante ans d’écriture, 2002, colloque Centre d’étude du XXème siècle, mai 2000, Université Montpellier III, (Publications de l’Université Paul Valéry, N. Khadda,).

 

A la croisée de trois domaines, le projet articule de façon complémentaire leurs logiques propres. Celles de l’hommage de « L’année de l’Algérie en France », d’un champ de recherche, de l’expérience d’une unité de recherche CNRS en matière de coopération scientifique internationale.

 

 

2. Orientations de recherche

 

2. 1.     Les cadres scientifiques et institutionnels

 

La FRE CNRS 2425, Discours, textualité et production de sens a comme dénominateur commun à ses domaines de recherche l’analyse des processus de la production du sens dans le langage. Les analyses du discours qu’elle conduit partent de corpus particuliers et s’appliquent à comprendre les procédures linguistiques et cognitifs qui président à la construction du sens. La parole, les textes, l’écriture sont ses objets d’étude habituels, notamment les écrits littéraires qui présentent des élaborations sémantiques que caractérise un haut niveau de complexité. Les analyses portent sur le procès d’actualisation de la langue en discours, sur la dynamique interactive et dialogique des actes de parole, sur les situations de communication et de réception, sur l’incidence des contextes culturels et socio-historiques. On peut en termes simples caractériser ces analyses comme des « lectures en connaissance de cause ».

Ces recherches accordent une attention particulière aux discours produits en situations de diglossie, et plus largement aux situations de contacts de langues et de cultures. Dans ces contextes, la dialectique du même et de l’autre s’exacerbe et amplifie ses effets ; son emprise s’avère omniprésente, devient souvent l’objet même du discours. Elle met en évidence certains fonctionnements linguistiques qu’elle rend par là mieux saisissables. Depuis une vingtaine d’années de nombreux travaux ont été menés dans cette unité de recherche sur l’écriture et les textes en contexte plurilingue : domaines franco-occitan, franco-algérien, franco-marocain, franco-allemand, franco-japonais, catalano-castillan ou créole… Une centaine de publications (notamment un ouvrage collectif, Figures de l’interculturalité, 1996, J. Bres, P. Siblot, C. Détrie, éds, et nombre d’analyses de textes de Dib) rassemblent un acquis théorique et méthodologique qui ne peut qu’enrichir les problématiques appliquées au texte dibien.

 

2. 2.     Le symposium

 

La réflexion est centrée sur l’écriture, raison de l’audience, des qualités, de la « littérarité » d’une production. Les aléas de sa désignation disent la particularité de son statut : littérature « algérienne de langue française », d’« expression française », de « graphie française » ou encore « francophone ». L’étude de cette poéticité singulière revient à poser une question fondamentale mais délicate à résoudre sur la nature de son originalité. L’œuvre de Mohammed Dib a motivé des commentaires critiques, des études spécialisées, des thèses universitaires… dont l’ensemble au fil des ans est devenu considérable. Ces travaux ‑ mémoires, monographies ou articles spécialisés ‑ sont peu accessibles, dispersés le plus souvent dans des analyses de la production algérienne ou maghrébine. Ils n’autorisent pas de « somme » et moins encore une « synthèse ». Il est pourtant impérieux de porter témoignage de l’importance d’une œuvre certes connue, mais pas encore reconnue dans toute son ampleur et toute sa richesse. C’est à cette fin que sont réunis les analystes qui ont conduit les travaux les plus marquants. En sollicitant une quinzaine d’intervenants que leurs publications imposent comme les « connaisseurs », on entend aboutir à un ouvrage de référence sur la réception critique et universitaire. Ainsi la publication des actes gardera une trace durable de l’hommage, dont on espère qu’elle favorisera la recherche ultérieure.

 

L’essentiel est cependant ailleurs. Au regard de ses conditions de production, l’œuvre de Mohammed Dib constitue une réussite exceptionnelle par la prise en charge des très fortes contraintes auxquelles elle était soumise et surtout par leur dépassement. Les raisons de la prééminence de l’œuvre sont là. Aussi l’objectif premier du colloque est-il la compréhension de l’entreprise intellectuelle et esthétique de l’auteur à travers une analyse précise des procédés d’écriture, des modes d’inscription des textes dans le double contexte algérien et français, par celle de sa réception dans les divers lectorats. On espère rendre compte ainsi du paradoxe d’une écriture qui sans parti pris assume une histoire conflictuelle pour en faire œuvre littéraire et qui parvient à être profondément algérienne dans une expression en langue française et dans des formes littéraires exogènes.

 

Mohammed Dib, une écriture aux confluents de l’histoire, des langues et des culture. Le titre indique d’emblée un projet interdisciplinaire entre littéraires, stylisticiens, linguistes, sociolinguistes et historiens. Un projet qui requiert aussi la collaboration de chercheurs algériens, français et d’autres pays non impliqués dans les relations parfois trop prégnantes que l’histoire franco-algérienne a tissées. L’objet du symposium, l’écriture, porte sur des textes écrits et reçus dans des contextes historiques, culturels, linguistiques, politiques, idéologiques spécifiques qui on conditionné la production et la perception du sens. Ces déterminations sont le thème de deux tables-rondes. L’une à laquelle sont conviés des sociologues de la culture et de la littérature, laquelle rendra compte de la réception en Algérie, en France, en Europe, au delà. On s’interrogera aussi sur l’édition et sur la diffusion de la littérature franco-algérienne. La seconde réunira des écrivains qui feront part de leur expérience et de leurs vues sur la condition singulière de celui qui est conduit à écrire dans la langue de l’autre.

 

2.3.      Communications

 

Mohammed Ismaïl ABDOUN, Université d’Alger

Dissidence de la forme et formes de la dissidence

D'Ombre gardienne à L'aube Ismael

Il s'agit de voir comment la « dissidence » fonctionne à l'épreuve du texte en lisant le parcours scriptural de Dib d'Ombre gardienne à L'aube Ismael. Celui d’une subversion en « sourdine » des normes de l'écriture poétique classique à une écriture plus libre, libérée et dégagée de toutes normes .En écho, sous le masque du poétique le politique s'avance : l'Algérie colonisée / la Palestine occupée. Plus profondément et simultanément l’écriture est creusée par une ascèse de l'exil ; écriture « apatriée », déterritorialisée mais profondément ancrée dans le désir primordial d'une territorialité originelle.

 

Sabiha BENMANSOUR, Université de Tlemcen

De l’œuvre mise en scène au théâtre de la vie

Dans les ateliers d’écriture et de théâtre de la Fondation Dib, des jeunes gens et jeunes filles revisitant l’œuvre de Dib réactivent les lieux de mémoire de l’auteur qui ont présidé à l’impulsion de son écriture. S’ouvre à eux un champ de questionnement plus large qui les place à la conjonction de leur vécu et de l’expérience d’écriture dibienne.

 

Afifa BERERHI, Université d’Alger

L’imaginaire de l’entre-deux

Pour Foucault « l’imaginaire naît et se forme dans l’entre-deux des textes » (« La bibliothèque fantastique », Travail de Flaubert, coll.). Ce point de vue semble trouver un écho chez Dib qui évoque dans Les terrasses d’Orsol le « Barzakh », référence coranique désignant l’entre-deux des signes, dont la thématisation spécifie l’écriture dibienne. Le « Barzakh » pourrait être le concept à partir duquel se réalise une littérature de la trace dont la désinence esthétique est le mouvement, l’impossibilité faite au texte de se fixer. Ceci traduisant/induisant une visibilité de l’universel.

 

Charles BONN, Université Lyon 2

 « Ce que dit la bouche d'ombre »

La quête des personnages des romans de Dib débouche le plus souvent sur une absence de réponse explicite, fréquemment représentée sous la forme d'un « grand rire strident dans la nuit déserte ». Plusieurs chercheurs ont tenté de voir dans cette ascèse un itinéraire mystique inspiré entre autres pas le soufisme. Or, si la culture soufie de Dib est évidente, cela ne signifie pas pour autant qu'il faille chercher une réponse de ce côté, ni même qu'il faille chercher une réponse quelle qu'elle soit. Car la réponse ultime n'est-elle pas précisément la vanité de l'entreprise même de chercher une réponse, quelle qu'elle soit? Et c'est sans doute là le plus difficile à admettre pour une critique n'acceptant pas le vertige inhérent à toute littérarité.

 

 

François DESPLANQUES, Université de Nice

L’humanisme tragique dans l’œuvre narrative du « second Dib »

Contre une conception de la littérature engagée qui prévalait dans les années 50, Dib a très vite insisté sur la liberté de l’écrivain. Il a clairement dit que le rôle de l’écrivain n’est pas de donner des réponses mais de poser des questions. Il ne faut pas en conclure que Dib se dérobe à la question du sens. On se propose d’éclairer sa vision de l’homme, plongé dans l’univers et dans l’histoire, à partir du concept d’humanisme tragique, en restant au plus près des textes. On essaiera de montrer que cette œuvre ouverte, et par là pleinement moderne, pleinement universelle, échappe à certaines illusions de la modernité.

 

Fritz Peter KIRSH, Université de Vienne

La Société et le mystère

La recherche d’une autre Algérie

Dib a forgé le terme de cryptostase pour initier aux choses maghrébines dont la littérature est la manifestation. L’Algérie véritable, c’est ce qui se cache derrière les apparences, sous la surface. Durant le régime colonial, la vie autochtone s’était retirée, mise en réserve dans une intériorité opposée aux contraintes sociales. Se pose aussi le problème de la religiosité de Dib. Quelque chose dont on ne connaît pas le nom. Immanence. Il s'agit d'une force qui traverse le monde en empêchant celui-ci de s'enliser dans les routines et les schématisme. Force accessible aux fous et aux enfants, qui ne permet pas qu'on la définisse à partir des idées reçues concernant le Mal et le Bien. Cette « force qui va » se manifeste un peu partout dans l’oeuvre de Dib, mais de façon indirecte, implicite. Dans Le Maître de chasse, elle prend le devant de la scène. En même temps, cependant, le diptyque se composant de Dieu en barbarie et Le Maître de chasse pose le problème de la société algérienne d’après les indépendances. Dib est homme d’une gauche non-conformiste, comme notre auteur, croyant à sa façon, n’est pas un « bon musulman » voulant plaire aux ayatollahs. Dans ses romans, des « joueurs sociaux » se réunissent ou convergent pour tenter de se mettre d’accord et pour faire naître un système de valeurs inédit, capable de donner un sens à l’histoire de l’Algérie et d'orienter son avenir. Le mystère, pressenti par quelques personnages tels que Labâne et Lyyli Belle, fonctionne en tant que trait d’union. Il s’oppose au particularisme des éléments sociaux appelés à inventer la modernité maghrébine.

 

Naget KHADDA, Universités d’Alger et de Montpellier III

Formes premières et esthétique de la fragmentation

Ou geste de la tradition et invention de la modernité

Lorsque M. Dib s’engage en littérature, il s’exprime d’abord en poésie et dans la nouvelle : deux formes qui ont une longue histoire dans les traditions arabe et berbère qui constituent alors le substrat culturel du Maghreb. En venant au roman, il « transporte » avec lui ces « formes premières » et y adjoint d’autres « formes premières » – au sens ethnologique du terme (devinettes, proverbes, récits allégoriques…). Ce faisant il investit la forme romanesque d’un dire qui en réorganise différemment la structure. En particulier une hétérogéneité et une fragmentation du discours romanesque se met en place que le travail dibien, dans sa traque d’une forme propre, va décliner en versions variées. Cet ancrage dans une mémoire culturelle rencontre, par ailleurs, des recherches qui, dans la modernité littéraire (Virginia Woolf, Faulkner, Borgès …) suscitent l’adhésion de l’auteur. Dès lors le roman dibien, en se nourrissant de ce double lignage rejoint la modernité occidentale …

 

Doris RUHE, Université de Greifswald

L’ailleurs et la mort

Les Terrasses d’Orsol

Mon exposé situera les Terrasses d’Orsol à partir de l’espace géographique où est inscrit un milieu socio-politique bien défini et que croise un tracé autobiographique. La description du paysage urbain et de la campagne nordique, le regard sur la société scandinave et l’expérience personnelle de l’exil s’y superposent, s’enchevêtrent et s’éclairent mutuellement tout en formant un ensemble poétique qui, par son langage métaphorique, est étroitement relié à l’univers littéraire dibien.

 

Fewzia SARI, Université d’Oran

Le texte dibien et ses miroirs

L’œuvre de Mohammed Dib est indubitablement inachevée parce qu’elle se nourrit indéfiniment de ses propres ratures. Dans sa voix, se font entendre d’autres voix convoquées simultanément par la lecture et repérées au titre de citations culturelles et de codes. La lire nous demande donc de reconsidérer toute la problématique de « la lettre », inséparable de la somme de ses traces. Cette lecture relève non seulement de ce que Mallarmé appelait une séance qui «  implique la confrontation d’un fragment du livre avec lui même, mais aussi de la projection du « livre » sur les autres livres qui le tissent et qu’il transforme. C’est une lecture de rets imageants et désirants, de disséminations actives et de mémoires. Dans un certain sens, lire Dib c’est se souvenir et relire ; lier plusieurs textes dont l’un a déjà été lu. Le texte dibien ne se constitue, en définitive, que sur une œuvre éclatée, des livres débrochés. Notre communication interrogera les mécanismes qui rendent possible l’existence du texte dibien et la construction de son sens. Ce n’est qu’au terme de ce parcours que s’inscrira la lecture du spirituel.

 

Paul SIBLOT, Université Montpellier III (FRE CNRS 2425)

« Les tribulations du nom »

Ou les nominations problématiques

L’acte de nommer qui fonde à la fois le sujet et le langage fut le premier geste assigné à notre ancêtre Adam. La langue du paradis étant perdue, question du choix de la langue, à propos de laquelle les auteurs algériens de langue française sont toujours interpellés se trouve rejouée en toute nomination ; les mots ne vont pas de soi et il faut les choisir. Désigner un être, une chose dans une langue, impose de le considérer d’un point de vue qui est nécessairement historicisé, socialisé, culturalisé, fixé dans un lexique qu’une culture et une langue ont structuré à leur façon. Mohammed Dib n’a jamais pertçu sa langue de travail la contrainte d’une « culture de nécessité » (Lacheraf) ni le risque d’une « aliénation ». Il a fait de cette donnée un espace de liberté où son écriture croise et entremêle les codes, les normes, les références, où le texte trouve les ressorts de sa productivité. Par l’examen de ces mises en œuvre de la signifiance des noms propres et des noms communs, ou celui des commentaires que l’auteur lui-même en donne, on dégagera quelques uns des procédés de ce « travail de la langue » en interculturalité.

 

Mourad YELLES, Université Paris VIII (Institut Maghreb-Europe)

Mohammed Dib ou le chant des signes

L'analyse portera sur les modes de représentation du chant dans le texte dibien. On s'efforcera de montrer comment son « incorporation » précoce dans le champ de l'écriture romanesque, pose non seulement les conditions d'une remise en cause du pacte esthétique colonial mais aussi les prémices d'une anthropologie poétique de « l'être-au-monde » maghrébin. Tout au long de l'œuvre, cette « traversée » des voix de la tradition algérienne semble ainsi participer de l'exploration, sur le mode critique, de quelques paradigmes fondamentaux relatifs au statut du sujet, à sa mémoire et aux signes qu'il mobilise dans le cadre d'une histoire marquée par la violence et par l'échange.

 

3. Tables rondes et débats

 

3.1.      Les réceptions de l’œuvre

 

Guy DUGAS (Université Montpellier III), Jean-Robert HENRY (CNRS, Aix-en-Provence),

Regina KEIL (Université d’Heidelberg), François POUILLON (EHESS, Paris), Hassan REMAOUN, Université d’Oran (Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle), Nordine SAADI, Université de Douai.

 

Par sa continuité durant une période de l’histoire où les relations franco-algériennes ont connu tout à la fois des moments de rencontre intense, d’extrême tension et les affrontements les plus violents, par la diversité interne de ses lectorats algérien et français, par la variété des domaines concernés ( roman, poésie, théâtre, essai…) et par une diffusion dans le monde entier, les textes de Mohammed Dib ont été très diversement reçus et compris. Cet accueil foisonnant et diversifié de l’œuvre dit sa richesse reconnue. C’est cette dimension qu’aborderont des spécialistes de la sociologie de la littérature, des échanges et des confrontations culturels entre les Sud et les Nord de la Méditerranée, de l’anthropologie culturelle ou de l’anthropologie politique ; cela sous forme d’une table ronde et d’échanges avec l’assistance.

 

3.2.      Ecrire dans la langue de l’autre  :

 

Soumiya AMAR KHODJA, Rachid BOUDJEDRA, Gil JOUANARD, Robert LAFONT, Malika MOKEDDEM, Frédéric Jacques TEMPLE, Habib TENGOUR. (Ecrivains)

 

Dans L’arbre à dires (1989), alors qu’il est en pleine possession de son art, Dib avance quelques réflexions sur son écriture. Il ne s’agissait pas seulement pour lui de trouver à partir d’une syntaxe commune les variations, transgressions, déviations, exceptions, inventions qui font d’une œuvre une œuvre unique ; il importait, plus fondamentalement, de « faire sonner deux idiomes en sympathie ». Car, explique-t-il, « Le français est devenu ma langue adoptive. Mais écrivant ou parlant, je sens mon français manœuvré, manipulé d’une façon indéfinissable par la langue maternelle. »

Cette perception des choses est-elle partagée par tous les écrivains en situation bilingue ? Comment et à quel degré la langue absente informe-t-elle (en sous main ou en toute conscience) le travail de leur écriture ? C’est la question à laquelle les participants de cette table ronde sont invités à répondre. Nous souhaitons poursuivre ainsi le débat de la table ronde du symposium sur la réception en déplaçant l’éclairage de l’autre côté du miroir : du côté de l’émission. A cet effet on a invité des écrivains français et algériens confrontés au même problème afin de recueillir leur témoignage sur une commune interpellation. Le public et les chercheurs du symposium pourront intervenir dans un débat général.

 

3.3.      Par dessus l’épaule de l’écrivain

 

Madame Assia DIB-LEYRIS, fille de l’écrivain, sociologue de profession, a bien voulu apporter la contribution de son témoignage à l’hommage rendu à l’œuvre de son père. Sous forme d’échanges avec l’assistance, elle se propose d’évoquer ce que l’entreprise d’écriture littéraire paternelle fut pour elle et ses proches.

 

3.4.      Soirée musicale : Les airs andalous

 

Un orchestre de musique arabo-andalouse, dans une formation propre à la tradition de Tlemcen, pourrait se produire en clôture de ces journées d’hommage à Dib. Cette activité festive compléterait le travail de compréhension du climat culturel dans lequel l’œuvre dibienne trouve un ancrage, en fournissant à l’auditoire une référence à la culture musicale de l’auteur. La musique a marqué la sensibilité de Dib, descendant d’une lignée de musiciens ; il a dans un de ses essais confié que la langue française fut d’abord une musique pour le petit écolier propulsé sur les bancs de l’école française. On sait aussi que Dib est resté attaché aux émois culturels premiers de sa ville natale, haut lieu de la musique andalouse depuis l’accueil au XVème siècle de Grenadins, juifs et musulmans, chassés d’Andalousie par la Reconquista. Il est enfin notoire que des échos du fonds lyrique tlemcénien (mélodies, mélopées, chants mystiques, rythmes extatiques, antiennes de personnages souffrants, chants féminins de l’escarpolette…) hantent son univers poétique et romanesque de concert avec des évocations de la musique classique européenne qui propage ses sonorités, notamment, dans les espaces de forêts et de neige de la tétralogie nordique.

L’articulation de ce concert aux travaux du symposium et aux autres actions culturelle sera confié à Mourad Yelles Chaouch, spécialiste de l’œuvre dibienne, connaisseur et praticien de musique andalouse, qui abordera dans la biographie et dans l’écriture de Dib l’influence de cette tradition musicale, tout à la fois populaire et sophistiquée. L’orchestre pressenti, Les airs andalous, a son siège à Paris ; mais il est rattaché à l’Ecole de Tlemcen.

 

4. Expositions

 

4.1.      Mohammed Dib, Les lieux de l’écriture

 

Les rencontres accueilleront à Montpellier une exposition conçue comme une « Visite guidée dans l’œuvre de M. Dib », intitulée Les lieux de l’écriture. Réalisée à Alger par une équipe de chercheurs sous la responsabilité de N. Khadda, cette exposition introduit à l’univers de M. Dib à travers un parcours qui évoque les thèmes privilégiés et les préoccupations esthétiques de l’auteur. Elle consiste en 25 panneaux (2m x 0,80m.) et propose des extraits de texte de 3 à 10 lignes sur supports iconographiques en rapport avec les citations. Une douzaine de ces panneaux utilise en toile de fond des prises de vue relatives aux  lieux premiers de l’écriture (Tlemcen et la campagne environnante), tandis qu’une autre série exploite une iconographie non figurative en dialogue avec le texte dibien et réfère à des lieux plus symboliques, intégrant la calligraphie arabe et des tableaux de peintres proches de l’auteur (Issiakhem, Jean de Maisonseul, Khadda…).

 

Ces deux volets de l’exposition visualisent deux sources d’inspiration :

-        une préoccupation réaliste (fortement amarrée au paysage géographique et sociologique dans lequel évoluent les personnages) qui, sans y être exclusive, domine dans les premiers romans.

-        une écriture des sous entendus qui cherche moins à produire un reflet spéculaire du réel qu’à interroger le monde par des tours elliptiques et énigmatiques (plus ou moins fantastiques, plus ou moins ésotériques). Cette forme, que sollicite une esthétique de l’abstraction et du signe, confère à l’œuvre une des dimensions de sa modernité.

 

Lors du vernissage, un rapide exposé présentera l’exposition et la démarche de l’écrivain ; le texte sera à disposition du public. Accueillie en premier lieu par la Biblothèque universitaire et au Château de Castries l’exposition sera ensuite présentée en d’autres lieux, à l’initiative du milieu associatif, et sera l’occasion d’interventions sur l’œuvre de M. Dib ou sur la prise de parole littéraire en langue française des écrivains algériens.

 

 

4.2.      France et Algérie. Destins et imaginaires croisés.

 

Cette exposition, réalisée dans le cadre d’« Une année de l’Algérie en France » par les Archives d’Outre-mer à Aix-en-Provence, retrace sur un siècle et demi, avec une fidélité historique et une honnêteté intellectuelle remarquables, le parcours tumultueux des relations entre la France et l’Algérie aux plans politique, culturels, humains. La présence de l’exposition Les lieux de l’écriture et le calendrier propre de circulation de cette autre exposition n’en permettait pas l’accueil simultané. Elle sera présentée en janvizer 2004 en même temps que la précédente dans la bibliothèque interuniversitaire à l’Université Paul Valéry. Elle sera l’objet d’une table ronde et d’un débat.

 

 

NB.            Le symposium et les animations culturelles sont accueillis le jeudi 13 novembre à la Délégation Régionale du CNRS en Languedoc-Roussillon, et le vendredi 14 par le Centre Régional des Lettres du Languedoc-Roussillon au Château de Castries ; les expositions seront à nouveau présentées en janvier à l’Université Paul Valéry