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UFR LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

Département de Lettres Modernes

Centre de Recherche Texte/ Histoire

 

 

Séminaire du CRTH

Année 2004-2005

Coordination : Violaine Houdart-Merot et Daniel Delas

 

 

ECRITURES BABELIENNES

8 JUIN 2005

 

CHÊNES 2, SALLE 217

 

Dans le cadre de son séminaire annuel, le Centre de Recherche Textes / Histoire organise une journée d’étude sur les « Ecritures babéliennes », le 8 juin 2005 de 9h30 à 17h30.

 

Problématique du séminaire

 

     Certaines époques, certaines situations linguistiques, certains écrivains ont été et sont aujourd'hui, plus que d'autres, fascinés par le mythe central du récit biblique (Genèse, 11 versets 1 à 8): l'avènement, conjoint à la dispersion des hommes sur la surface de la terre, d'une confusion des idiomes et d'un éclatement des langues majeures. La Renaissance, époque de transition bilingue et de découvertes d’autres mondes, fut en Occident un premier âge d'or du mythe de Babel. Le XXe siècle, s'ouvrant au monde entier, est à nouveau fasciné par ce mythe, souvent réinterprété dans un sens positif. La diversité des langues n’est plus appréhendée comme un châtiment divin mais comme une chance face à la nostalgie d'une langue unique suspectée d'aller de pair avec la pensée unique et le danger d'un anthropocentrisme occidental. Et les multiples cultures "créoles", vivant au quotidien ici ou là le métissage linguistique et culturel, sont sans doute plus que d'autres babéliennes. Glissant affirmant qu'il "écrit dans toutes les langues du mondes", a-t-il préfiguré l'écrivain de demain?

      Nous partons de l'hypothèse qu'il existe, au delà des genres, des écritures dont la particularité est de s'inscrire dans la conscience et la mise en pratique de la pluralité des langues. On interrogera les avatars d'une « écriture babélienne » mettant en pratique cette pluralité linguistique et culturelle.

Il s’agit donc d'explorer et de problématiser ces écritures: quels écrivains peuvent être considérés comme babéliens? Quels contextes les expliquent, quelles pratiques d'écriture les individualisent? Quels sont enfin les enjeux littéraires de cette conscience de l’éclatement des langues ?

Les premières séances du séminaire ont porté sur les sujets suivants :

- Les enjeux d’une écriture babélienne (par Daniel Delas, C.R.T.H., Université de Cergy-Pontoise), à partir de la pièce de Mohamed Kacimi, jouée en juillet 2004 en Avignon, Babel-Taxi),

- Les enjeux de la vision babélienne du monde dans la poésie contemporaine (par Catherine Mayaux, C.R.T.H.,  Université de Cergy-Pontoise)

- « Enregistrer le cliquetis du monde. Les Dépôts de savoir et de technique de Denis Roche » (par Anne-Marie Lilti (C.R.T.H., Université de Cergy-Pontoise).

 

 

 

 

PROGRAMME DE LA JOURNEE DU 8 JUIN

 

 

9h30 : ouverture : Violaine Houdart-Merot (CRTH., U.C.P.)

 

9h45 : Marie-Madeleine Bertucci (CRTH, U.C.P.), « Variations sur le français: relations du français central et de ses périphéries. »

 

Le français central renvoie à la norme du beau parler, stigmatisant de ce fait toute autre variété, malgré la grande vitalité des français non standard. Quelle place faut-il faire aux  autres variétés ? La question de la légitimité d'une norme endogène se pose d'autant plus que les mêmes mots ont parfois un sens différent dans les périphéries et au centre et que leur coexistence peut perturber la compréhension. On se demandera, dès lors, quelle place il faut réserver au centre aux français des marges, comment l'un et l' (les) autre(s) peuvent cohabiter voire s'enrichir mutuellement. Cette problématique s'inscrit dans celle plus générale de la place du plurilinguisme dans un contexte marqué par un idéal monolingue.

Eléments de bibliographie :

S. Lafage Le lexique français de Côte d'Ivoire, Le français en Afrique n°17, ILF, Nice 2003.

J. Laurent Le Français en cage, Paris, Grasset, 1988 

F. Taillandier Une autre langue, Paris, Flammarion, 2004

10h15 : Muriel Molinié (CRTH, U.C.P.),  Ecrire : pour renverser la « Babel personnelle » 

 

A la fin de sa Chronique des années égarées (Stock, 1997), Serge Moscovici raconte et analyse longuement un épisode de sa vie errante d’exilé, à la fin de la seconde Guerre Mondiale, en Italie et l’on montrera dans cette contribution,  en quoi ce texte s'inscrit « dans la conscience qu’a l’auteur de la pluralité des langues ».

Il a une conscience aiguë non seulement du plurilinguisme qui règne dans les camps d’exilés dans lesquels il séjourne mais également de son plurilinguisme intérieur dont il découvre en 1947, à Nonantola (Italie) qu’il n’est plus le maître. Et c’est bien ce qui l’inquiète, à l’oral et encore plus à l’écrit quand l’envie « d’étudier, de lire, d’écrire» le « reprend ».

L’épisode analysé relate donc la crise que l’errant nomme la "confusion des langues", en référence explicite au mythe de Babel. Le combat pour lui, à ce moment-là consiste à ne pas se laisser enfermer dans cette « névrose de Babel » où règne un langage « décervelé », voué à la seule « communication » entre exilés, une langue non-personnelle, un « no man’s language », une « babel personnelle »  déconnectée de ce qui a été laissé derrière soi et de ce qui est en projet, devant soi. Il décide alors d’élire domicile (se sédentariser) dans une langue transitoire (l’italien dans un premier temps) tant pour ses échanges que pour ce dialogue intérieur qui recommence à sourdre du côté de l’écriture.

On verra en quoi le « style » plurilingue qui caractérise cet extrait - où affleurent des jeux de langage en différentes langues (vivantes et mortes) – montre combien la pluralité linguistique ou, plutôt ce que Moscovici appelle le langage exilique a été, depuis, intégré au projet d’écriture, qui, à partir de Nonantola a pu se réaliser, certes dans une seule langue mais qui pouvait jouer avec d’autres.

 

11h- 11h15 : pause

 

11h15 : Rosalia Bivona (CRTH, Italie), Une escapade dans la Babel de l’amour et du langage : L’Esquive de Abdellatif Kechiche

 

Dans l’apparente aridité de la périphérie urbaine, Babel avec ses drames, ses déguisements, son théâtre, fait partie de l’ordinaire. Abdellatif Kechiche avec son film L’Esquive, traque le théâtre classique dans des espaces inhabituels, croit aux recoins aussi bien de l’amour que de la langue française.  Mon propos n’est pas celui de me pencher sur les lentes alchimies linguistiques vivant au quotidien dans les bâtiments anonymes qui poussent le long des nationales, ni de voir seulement les jeux de miroirs entre la pièce et le langage séduisant de Marivaux et le chaos d’un monde qui a des codes linguistiques, moraux, comportementaux implicites, mais aussi la Babel que, à leur tour, ils engendrent.

Le rôle du texte classique est indéniablement celui de stigmatiser la distance dans le langage des protagonistes, là se joue tout l’humour et le succès du film, mais ce n’est pas une question de distance, au contraire. La proximité entre le langage de Marivaux et celui de la cité est sans doute complexe : tous les deux enchevêtrés dans une merveilleuse étrangeté, ils sont à la fois plus proches et plus éloignés l’un de l’autre. La banlieue est un espace où les codes du jeu aussi bien social que linguistique sont précis et ont leurs propres conséquences, Kechiche jongle non seulement sur ces jeux mais aussi sur leurs limites qu’il confond. Il assume consciemment Babel et la met en scène.

 

11h45 : Catherine Mazauric (Toulouse), "Transculture et parcours entre les langues"

Vassilis Alexakis et Anna Moï offrent deux versants du bonheur de Babel : l'un, quand le recours à une langue tierce, africaine, ravive les énergies que le dialogue langue maternelle / langue plus jamais étrangère avaient épuisées ; l'autre, parce que l'écriture se joue des langues pour aborder aux langages.

La lecture des textes de ces deux auteurs (Vassilis Alexakis, Les Mots étrangers, Anna Moï, L'Echo des rizières et Parfum de pagode) nous permettra d'envisager la notion de transculture, comme traversée et recomposition, déjouant notamment la question - souvent vécue comme exaspérante par les écrivains - de la langue d'écriture, et offrant, notamment pour penser l'aujourd'hui, une alternative tant au métissage (des langues, des parlers, des cultures) qu'aux constructions identitaires.

 

L’intervention de Catherine Mazauric sera suivie d’un échange avec Anna Moï,  qui, étant de passage en France, pourra assister à cette journée.

 

12h30-14h : repas

 

14h : Myriam Jeantroux (Lyon), « Le mot et le masque : l'intervalle du bilinguisme dans l'écriture de Samuel Beckett ».


Nous nous proposons de revenir sur les enjeux des choix linguistiques de Beckett, cet Irlandais devenu un écrivain français dès 1945, qui a passé sa vie à écrire dans une langue ou dans l'autre, et à s'auto-traduire d'une langue à l'autre.

Il s'agira d'abord de définir les raisons du choix du français, puis de montrer que l'une des originalités de l'écriture beckettienne réside non seulement dans l'alternance, mais également dans la coexistence des deux espaces linguistiques. Nous analyserons enfin les enjeux de l'auto-traduction, considérée par l'auteur comme un exercice impossible et cependant nécessaire, rejoignant ainsi la problématique beckettienne de l'acte de création.

 

 14h30 : Joëlle Jean (Toulouse), « Ecrire avec et contre Babel, Grabinoulor, épopée en six livres  de Pierre Albert-Birot ».

 

Il s’agira de dégager les différentes composantes babéliennes de Grabinoulor (engendrement verbal infini et inachèvement, volonté "d'imposer tous les temps et tous les univers", espace de l'utopie et espace utopique, création de la langue-en-barre…) puis, plus précisément, de proposer une analyse d'un chapitre où Grabinoulor érige la Tour de Vie, phallus poétique, phare baudelairien, à la fois Babel et anti-Babel.

 

15h : Echanges avec Aziz Chouaki à propos d’Une virée

 

Présentation de Une Virée de Aziz Chouaki (par Violaine Houdart-Merot, CRTH., U.C.P.) et analyse de ses enjeux babéliens. Questions à Aziz Chouaki.

Cette pièce, publiée aux éditions Balland en 2003 et montée par Jean-Louis Martinelli au théâtre des Amandiers en 2004, met en scène trois jeunes gens en dérive dans l’Algérie des années 1990, leur virée nocturne et tragique et leur langage, langage composite, métissé, inventé où s’entremêlent arabe, anglais et français. Nous interrogerons Aziz Chouaki, présent durant cette journée, sur la signification et les enjeux de cette écriture particulièrement hybride et « babélienne ».

 

15h45-16h : pause

 

16h : Gabrielle Saïd, (CRTH, U.C.P.) « Archipels des langues : Poétique babélienne chez Edouard Glissant et Lionel-Edouard Martin »

 

A partir de la poétique du Divers formulée par Edouard Glissant, et notamment son développement portant sur le multilinguisme, on s’attachera au langage poétique d’Edouard Glissant (Poèmes complets, Gallimard, 1994) et Lionel-Edouard Martin (Ulysse au seuil des îles, Ibis Rouge, 2004). Le propos consistera à éclaircir l’imaginaire multilingue qui traverse les poèmes, non pas d’un point de vue strictement linguistique, mais essentiellement métaphorique, esthétique et/ou éthique. Les anciennes et tutélaires visions du monde, monochromes et ataviques, sont renversées au profit d’une pensée archipélique, à même d’appréhender la multiplicité du monde et son mouvement inachevé.

 

16h30 : Christiane Chaulet Achour, (CRTH, U.C.P.), Tenter Babel dans le chaos haïtien : une lecture de Vénénome de Serge Quadruppani.


Un écrivain a une bourse d'écriture à Haïti. Dans son hôtel, il observe une jeune femme venue de Paris, linguiste passionnée par la naissance et la mort des langues. La mission qu'elle s'est fixée est de retrouver une communauté d'enfants qui aurait inventé un nouvel idiome, communauté inaccessible mais dont la découverte la bouleversera. Ce roman, publié en 2004 chezz Métailié, est une exploration de la langue et des langues dans un monde où le chaos est la règle. Il est aussi un regard sur l'altérité et la perception que l'on peut en avoir des centres "légitimes" de la culture.

 

17h : échanges et conclusions.