(Christine QUEFFELEC)
Ne pas commencer directement l'introduction par la
citation. Il faut conduire progressivement au sujet. Partir d'une citation de
l'une de vos œuvres en rapport avec le sujet était une bonne idée. Eviter, en
première partie d'introduction les banalités : « Depuis l'origine, la
poursuite de la beauté est l'objectif des artistes ». Présenter ensuite la
citation, en expliquer les mots ou expressions qui posent problème : « absolu
de la beauté = beauté parfaite et éternelle, essence de la beauté, unité, mais
la beauté n'est- elle pas relative ? « Art voué au gouffre » : affinité de
l'art avec la mort ? avec le péché. Pourquoi l'art serait-il par définition
voué au gouffre ? Cette affirmation n'est- elle pas trop catégorique ?
Dans la troisième partie de l'introduction, annoncer en souplesse votre plan.
Il était impossible de traiter dans des parties différentes
de l'artiste et de l'esthète puisque le sujet confondait leur attitude. Il
était souhaitable de dépasser le sujet et de vous demander dans une dernière
partie si l'art ne permettait pas parfois
à l'artiste d'échapper au «gouffre », l'art triomphant de la mort
ou sublimant le mal.
Ne pas juxtaposer mécaniquement des paragraphes-sur les
trois auteurs. Présenter de façon synthétique les similitudes. Analyser, à
partir de la confrontation d'exemples
précis, les différences.
Synthèse des acquis et ouverture possible sur l'évolution de
la littérature fin- de- siècle.
Aschenbach, le héros de La M. à V. croit saisir en Tad. « le
beau même, la forme en tant qu'idée divine » ce qui laisse entendre que grâce
au jeune homme, il espère atteindre « l'absolu de la beauté », objectif de bien
des artistes, mais objectif dangereux : « citation ».
L'absolu de la beauté en effet pourrait bien être un leurre
dans la mesure où la beauté, comme tout ce qui relève de l'humain est relative.
L'absolu implique perfection donc achèvement, il relève de l'Un et de
l'Eternel, et présente ainsi des affinités avec la mort, « gouffre » qui menace
les artistes. Eriger la Beauté en absolu revient également à considérer
l'éthique comme secondaire et favorise alors l'abandon au mal, au «gouffre
moral ».
Tous les artistes ne poursuivent cependant pas « l'absolu de
la beauté et il conviendra de se demander quel est l'objectif esthétique des
héros de... (citer les oeuvres) avant d'expliquer pourquoi ils peuvent paraître
voués au gouffre et de nous interroger sur la fonction ultime de l'art. Par les
œuvres qu'il engendre ne peut-il constituer une victoire sur le gouffre ?
Asch. Et Basil poursuivent l'absolu de la beauté. Dorian
suggère à B. un nouveau style qui allie « passion de l'âme romantique » et «
perfection de l'esprit grec » = « tout ce que représente l'harmonie du corps et
de l'âme
», donc réconciliation des contraires, unité (p.31), Asch. a manifesté un «
renforcement presque excessif de son sens de la beauté ». A. poursuit une
beauté classique, faite de simplicité et de pureté. Après la rencontre avec Tad.,
se refère à Platon. Beauté = « forme du spirituel » (p 163 A. veut atteindre
l'essence du beau qui doit conduire au Bien et au monde des Idées
Très différent pour Claude L'absolu de la beauté n'est pas
son objectif II prétend simplement représenter la vie dans toute sa réalité,
sans l'idéaliser (p.100-101). Seulement, très vite, loin de représenter toute
la réalité, ne représente qu'une réalité qui lui offre une image de perfection,
une réalité qui confine à l'absolu dans la mesure où elle échappe au mouvement
et au temps. Le corps de Christine le fascine par son immobilité, aucun
mouvement ne le déforme, la jeune fille a pris sans le savoir la « pose ». Il
voudrait que ce corps échappe au temps. Reprochera à C. son vieillissement et
ne pourra la peindre alors. De même, incapable de peindre son fils vivant, car
il bouge trop et cela l'exaspère. Gêné aussi par les variations de la peau de
C. à la lumière. Souhaite en fait immobiliser un instant de perfection, donc
atteindre une forme d'absolu intemporel. En outre voudrait créer la vie même,
ce qui représente une autre façon de dépasser les limites de l'humain= hubris.
Vouloir l'absolu = vouloir quelque chose qui n'est pas de
ce monde. Correspond à une pulsion de mort. Voyage à Venise placé dès le début
sous le signe de la mort. Désir naît aux abords d'un cimetière, connotations
macabres de la gondole, aspiration d'As. à l'infini, à l'éternel, à l'illimité,
perte des repères temporels, relâchement du vouloir = aspiration au néant, à la
mort. Confirmation à la fin. Jouit des odeurs de maladie. Renonce à quitter Venise
malgré l'épidémie. Vœu d'éternité de
Dorian s'apparente à un refus de la vie. A la fin détruit le tableau qui porte
les marques de sa déchéance et donc du temps mais en refusant le temps, se
donne la mort. Il est symbolique aussi que Claude ne puisse peindre son enfant
qu'une fois mort. Perfection de l'art incompatible avec le mouvement de la vie.
Voulant créer l'œuvre parfaite, qui se refuse à rendre compte des imperfections
et des variations de la vie, s'assigne une tâche impossible qui condamne
l'artiste au suicide et signe en même temps la mort de l'art réaliste.
Artiste obsédé de beauté menacé aussi dans sa morale. Si seul compte le Beau, le Bien n'a pas d'importance. Claude sacrifie sa famille à son art, Dorian ou Lord Henry valorisent même le péché qui peut être à l'origine d'une forte personnalité et favoriser ainsi la création (Wilde défend des théories identiques dans Plume, Crayon et Poison) p. 41. Sous le masque de sa beauté Docian s'abandonne à tous les vices. Wilde ne cesse de rappeler l'indépendance de l'art et de la morale (préface). Asch., fidèle aux leçons de Platon selon lesquelles le Beau conduit au Bien, a voulu concilier art et morale et s'est donné pour mission, de combattre en lui « toute sympathie pour le gouffre p. 55 » Très vite, il est confronté à la difficulté de l'entreprise. L'accès au Beau impliquant de le découvrir dans le monde sensible, le risque est grand de s'attacher à l'être qui devait être un simple intermédiaire vers l'idée du Beau. Tout comme Basil ou Claude, il en fait l'expérience et s'éprend de son modèle qui n'est plus seulement « le chemin de l'esprit p. 165» Il prend conscience alors que l'artiste pour qui « le chemin du spirituel passe par les sens » s'égare nécessairement et « tend vers l'abîme " cf. p. 253-255. II a voulu édifier un art apollinien en renonçant à la connaissance, en occultant ses pulsions troubles et a favorisé ainsi le retour du dionysiaque, l'aspiration au chaos, qui se révèlent dans le rêve final. L'artiste se condamne à la déchéance morale s'il ne sait reconnaître d'abord la présence des forces obscures, qui, canalisées irrigueront son art. Le gouffre n'est donc pas une fatalité. L’œuvre peut permettre d'y échapper à condition qu'elle repose sur une acceptation et une maîtrise du dionysiaque. Comment pourrait-on dire que l'art est voué au gouffre quand il donne naissance à des œuvres admirables ?
Basil, grâce à Dorian a crée son chef d’œuvre, Claude avec Plein-
Air a renouvelé la peinture, ce dont témoigne le second salon. La qualité
des romans d'Asch. est officiellement reconnue et il écrit quelques pages de
prose inspirée en contemplant Tadzio. Si les artistes meurent leur œuvre leur
survit. Le portrait de Basil retrouve son inaltérable Beauté. Certes Claude ne
laisse aucune œuvre mais les modèles dont Zola s'est inspiré, Cézanne ou Manet
entre autres, ont laissé une oeuvre immense, peut-être parce que contrairement
au héros, ils ont accepté la part nécessaire d'imperfection, tout comme Sandoz.
Tout cela ne signifie-t-il pas que l'artiste, s'il côtoie le gouffre n'y sombre
pas ? L'art est pour lui un moyen de juguler les forces destructrices, de les
métamorphoser en beauté, afin de ne pas être submergé par elles. Si Asc. est
emporté par l'irruption du dionysiaque, Mann pour sa part reconnaît et sublime
les tentations qu'il a pu éprouver. Le danger est plus grand pour l'esthète, car
la beauté de la vie transformée en œuvre d'art est vouée à l'éphémère (cf.
Brummel, selon Baudelaire « Prince de l'éphémère »)
Aspirer à l'absolu de la beauté, se réfugier dans l'art peut
être le signe d'un refus des limites de l'existence qui s'apparente à une
pulsion, de mort. En outre, l'artiste qui a pour objectif le beau éprouve une
certaine indifférence à la morale et même une certaine sympathie pour le mal ou
laideur dont il fera volontiers la matière première de son art. Cela n'est pas suffisant pour
affirmer que l'art est voué au gouffre. L'art est création, il suppose donc volonté, travail et victoire sur toutes
les forces de décomposition. Le seul gouffre réel pour l'artiste serait la
stérilité, la page ou la toile blanche, grande angoisse de certains décadents .
Seul Claude semble en être menacé, encore que sa dernière toile rayonne au
moment de sa mort. Elle sera détruite par Sandoz, irrité peut-être d'un art
nouveau symboliste qui remet en cause ses propres principes esthétiques.