CORRIGE DE DISSERTATION

 

 

Sujet : “Le divorce entre l’art et la vie est le problème central de la génération fin de siècle.” C. Rancy.

 

Corrigé par Christine Quéffelec

 

 

INTRODUCTION :  1) Possibilité de partir d’une citation , par exemple de l’Oeuvre  (désir de représenter la vie) ou du déclin du Mensonge : vie = solvant qui détruit l’art (Déclin du Mensonge de Wilde) ou Nietzsche “L’art est le grand stimulant de la vie” (Flâneries d’un inactuel) ou de Huysmans  (préface d’A Rebours).

 

            Possible aussi de partir de considérations générales  sur la littérature décadente, son refus de la réalité contemporaine,  la tendance à s’enfermer dans une tour d’ivoire à l’abri de la vulgarité et des vicissitudes de l’existence.

 

                                    2) Présenter et analyser la citation  : “divorce avec la vie” =Art pour l’Art, tendance à l’idéalisation, Symbolisme? Génération fin- de- siècle = décadents ? Peut-on intégrer Zola, pourquoi. “Problème” semble impliquer une condamnation. Art fin de siècle est-il un art dégradé ? Est-il souhaitable qu’une communion parfaite existe entre l’art et la vie ?

 

                                  3) Annonce du plan : Après avoir étudié les objectifs des artistes de nos romans, nous analyserons les causes de leur échec afin de tenter de définir la nature des rapports entre l’art et la vie.

 

I) LES OBJECTIFS DES ARTISTES :

           

a) art puisé dans la vie :

 

            Mettant en scène des artistes dans leurs oeuvres, les trois auteurs affrontent les interrogations que suscite leur création . Inquiets des rapports art/vie. Toutefois, leurs personnages dans un premier temps, du moins, ne semblent pas souffrir d’un divorce entre art et vie.

            Artistes de l’Oeuvre s’assignent pour mission de représenter la vie dans son universalité(p. 1O4) et refusent toute forme d’idéalisation : l’artiste ne doit “pas avoir l’idée bête de l’anoblir en la châtrant”(p.153), Zola dans son roman est en prise directe avec la vie contemporaine, roman à clefs, Paris, Bennecourt, etc...

            Basil et Asch. tirent leur chef-d’oeuvre de l’émotion engendrée par la rencontre avec un jeune homme de grande beauté. Dorian a permis à Basil de renouveler son art et “(il) sai(t) maintenant recréer la vie dans un sens qu’(il) ignorai(t) auparavant.” Art s’enracine dans ses sentiments puisqu’il craint d’avoir mis trop de lui-même dans le tableau. Asch., grâce à T. retrouve la fougue et l’enthousiasme qui manquaient à son oeuvre (p.37). Ecrit une page de “prose inspirée”. Son oeuvre antérieure était d’ores et déjà en contact avec la vie. Vie de Frédéric de Prusse, représentation de destinées humaines dans Maya. Voulait en outre agir sur la vie en enseignant la fermeté morale.

            Rapports avec la vie entretenus par tous nos artistes mais rapports de nature différente.

 

b)Des rapports différents avec la vie :

 

            Intention moralisatrice absente de l’Oeuvre et du Portrait. Pour Zola comme pour Wilde artiste peut et doit tout représenter, n’est jamais morbide (cf. préface Wilde et Zola sur Courbet). Vice et vertu= couleurs sur la palette du peintre. Asch. au contraire se veut moralisateur. Pour Mann, Mort à Venise = “fable morale”. Différence Asc./Mann provient de ce que le héros fonde sa morale sur un aveuglement au mal, tandis que l’auteur le contemple et le sublime par l’art.

            Divergence aussi Mann, Wilde, d’un côté, Zola de l’autre. Pour Zola, vie = fin en soi pour l’art. Wilde, Mann, vie = matériau à transformer, point de départ d’une transfiguration esthétique. Cela apparaît dans le traitement appliqué au modèle. Lantier refuse de le corriger (en théorie du moins). Pour AS. et B. le modèle n’est qu’un intermédiaire qui doit conduire à la contemplation du Beau Absolu. Il représente un moyen, non une fin. Pour B., Dorian est “un rêve d’harmonie en des jours de pensée” tandis que T. est conçu comme “un modèle et un miroir de la beauté” qui permet de saisi(r) “le beau même, la forme en tant qu’idée divine...”Il doit demeurer, comme Socrate le rappelle à Phèdre “le chemin qui mène à l’esprit”.

            Transfiguration nécessaire aux yeux de Wilde, car vie en soi inesthétique, manque de forme et de sens et c’est à l’art de lui en conférer :””la Vie est terriblement dépourvue de forme. Ses catastrophes sont un défi au bon sens, un défi au sens de la justice. Ses comédies sont empreintes d’une horreur grotesque...(pl. p. 865, Critique comme Artiste) .  Pour Mann, accès à une transcendance. L’élévation vers le beau est censée conduire au Bien.

            Problème : quelle que soit la nature des rapports établis avec la vie, les artistes de nos oeuvres aboutissent à un  échec, à la mort. Comment expliquer ces échecs. Proviendraient-ils d’un  trop grand détachement à l’égard de la vie ?

 

II POURQUOI L’ECHEC ?

 

            a) Trahison de la vie :

 

            L’analyse de Zola semble claire : Lantier meurt pour avoir trahi son objectif initial. Pensait que tout était digne d’être peint, or, refuse de représenter sa femme vieillissante, dérangé par le mouvement, le changement, fige êtres et choses dans un instant de perfection (pointe de la cité à une certaine heure, Christine jeune). Enfant mort emblématique de son incapacité à rendre une vie qui ne le satisfait pas.

            En conséquence abandonne un art reflet de la vie au profit de l’imaginaire. Sandoz choqué par le nu de l’île de la Cité car irréaliste. “citer p. 339.

            Claude se suicidera lorsqu’il s’apercevra qu’il ne peint plus des femmes réelles mais “une idole d’une religion inconnue”, lorsqu’il comprendra que la réalité ne lui était plus possible.”p. 47O.

            Choses plus complexes que les interventions de Sandoz pourraient le faire croire. Claude a évolué vers le symbolisme parce qu’ils’est aperçu que l’artiste qui voulait imiter la vie était condamné à produire une oeuvre inférieure à la vie. Ses femmes peintes ne sont jamais assez vivantes à son goût. N’est-ce pas le signe que l’art qui entre en concurrence avec la vie se fourvoie, que sa mission est ailleurs? L’art symboliste vers lequel il évoluait signait la mort du naturalisme mais n’annonçait-il pas un renouvellement fécond ? Zola condamne à mort un personnage qui s’éloigne de la vie mais ni Cézanne ni Moreau ne sont morts de la stylisation ou de l’idéalisation qu’ils ont introduites dans leurs oeuvres et ils sont apparus comme des précurseurs.

            L’excès de formalisme qui caractérise Asc. au début de la nouvelle pourrait être assimilé à un divorce avec la vie. L’artiste s’impose une discipline sévère, s’interdit les voyages, l’amour, vit coupé du monde et engendre un art académique moribond. On pourrait penser que Mann condamne cette répression de toutes les forces de vie et surtout ce refus de la connaissance de la part sombre de l’existence qui féconde la création. Wilde n’a-til pas rappelé que le péché était force de progrès ? La rencontre avec T. aurait dû être profitable à la création et elle l’a été mais de façon fort éphémère puisque très vite l’écrivain a interrompu son travail et s’est laissé glisser vers la mort, comme si la rencontre avec la vie avait paradoxalement tué non seulement son pouvoir créateur  mais son désir de vivre. La vie donc pourrait-elle être l’ennemi de l’art ?

 

b)La vie contre l’art  :

 

            Peu à peu, submergé par sa passion, Asc. poursuit l’objet de ses désirs dans les ruelles de Venise, s’abîme dans la contemplation de son idole et ne crée plus. il ressemble en cela à Lantier, incapable de peindre tant qu’il est épris de Christine comme si la plénitude de la vie détournait de l’art. Basil et Claude ne créent que lorsque leur modèle reste à une distance suffisante pour ne pas faire obstacle à la sublimation de leurs désirs. Cela semble confirmer que la vie donne une impulsion à l’art mais que l’art et la vie ne peuvent en rien se onfondre. Toute tentative de les assimiler entraîne échec ou déception. Lantier ne peut supporter que Christine ne soit plus aussi belle que son portrait, il l’avilit  et dénigre une oeuvre qui ne peut donner l’équivalent de la vie, Basil est bouleversé de constater que le vrai Dorian n’a pas la pureté et l’innocence que le tableau exprime, Dorian ne peut admettre que l’actrice qu’il croyait aimer ne soit pas une héroïne shakespearienne  et il peut encore moins admettre que sa propre vie ne soit pas oeuvre d’art. En conséquence, on peut se demander si le tort de tous les artistes n’est pas d’avoir cherché à identifier vie et art, soit en faisant en sorte que l’art double la vie, comme Lantier, soit en espérant que la vie même offre l’équivalent de l’art comme Basil, Dorian, Sibyl ou aschenbach. N’est-il pas nécessaire d’établir sinon un divorce du moins une distance entre l’art et la vie ?

 

IIIL’UNION DE L’ART ET DE LA VIE : UNE UTOPIE.

 

            Assigner à l’art la mission de recréer la vie relève de l’hubris. L’artiste ne pourra jamais qu’imiter la vie, la copier, or une copie est par essence inférieure au modèle, comme Christine le fera remarquer à Claude. Elle a l’avantage dêtre vivante, alors que les femmes peintes sont mortes. En outre, un art qui doublerait la vie serait inutile puisque justement il ferait “double emploi”. Zola lui-même ne souhaitait pas que l’art soit une réplique exacte de la vie puisqu’il prétendait représenter un coin de la création vu à travers un tempérament, de sorte que l’intérêt de l’art n’était pas de fournir une copie du réel mais d’en donner une interprétation personnelle.

            Espérer créer à l’écart de toute forme de vie,  faire abstraction du milieu, de sa personnalité, de ses désirs et de ses émotions pour aboutir à une forme pure est tout aussi utopique et ne peut conduire qu’à cet “idéal sans force” dénoncé par Basil. L’artiste finira par tendre vers la page blanche mallarméenne et vers la mort. L’artiste a incontestablement besoin de la vie, de ses émotions pour nourrir son oeuvre,  pour ne pas verser dans l’abstraction et lui insuffler le sang nécessaire. Il est cependant vrai que s’il est trop impliqué dans la vie, s’il se soumet à ses pulsions au lieu de les soumettre, il finit par ne plus créer et par se laisser submerger par ses passions.

            Il s’agit donc de trouver un équilibre dont les réflexions de Nietzsche sur l’apollinien et le dionysiaque pourraient rendre compte. L’artiste qui se détourne, comme Asc. le fait dans la première moitié de sa vie, des forces dionysiaques, qui bride à la fois la pulsion de vie et l’attrait du chaos qu’elles représentent,  qui vise à créer une pure forme apollinienne fondée sur l’ignorance du mal, se condamne à court terme à la stérilité, mais l’artiste qui ne sait pas contrôler ces forces, qui ne peut prendre à leur égard le recul nécessaire à leur représentation artistique est condamné à être détruit. L’artiste fécond est celui qui contemple et éprouve la vie dans tous ses aspects mais qui se défend de ses pouvoirs destructeurs en les mimant, en les sublimant par l’intégration à une forme parfaitement  maîtrisée ou en les rédusiant au grotesque pour ne pas en être blessé.

            Asc. a évolué d’un art coupé de la vie vers une vie coupée de l’art qui le conduit vers la mort, car il sait que cette vie ne pourra préserver longtemps cet amour parfait qu’il voudrait éterniser.  Mann, à son encontre, reconnaît, à travers son personnage, les aspects les plus troubles de l’existence, mais s’en défend en les représentant. il dit le triomphe du dionysiaque pour ne pas en mourir.

            N’est-ce pas finalement la position de Wilde qui sait l’horreur ou la vulgarité des tragédies de la vie et n’accepte que leur transposition dans l’art ?  “Dans la vie réelle de l’homme, la douleur, est un passage  à un moindre degré de perfection...la douleur que l’Art nous fait éprouver est tout à la fois initiation et purification”p.871.

 

CONCLUSION :

 

            Dire que le divorce entre l’art et la vie est le problème de l’artiste fin de siècle paraît excessif. il n’a jamais existé et il ne peut exister d’union parfaite entre l’art et la vie quic onstituent deux mondes hétérogènes. La vie appartient au relatif, au temporel, l’ar relève de l’éternel. Une distance entre l’art et la vie est même nécessaire. l’être trop impliqué dans la vie ne peut prendre le recul nécessaire à la création, il risque aussi de se faire emporter par ses joie et ses douleurs.

            Il est vrai toutefois, que des artistes fin-de-siècle, qui ont pris la vie en haine ont prétendu s’enfermer dans leur tour d’ivoire et s’attacher à la création d’une forme pure où à la poursuite d’un idéal éthéré, ils se sont souvent condamnés à l’impuissance. L’artiste ne peut ignorer la vie, il doit en reconnaître tous les aspects, lui donner forme, pour l’arracher  à son chaos  et lui imposer un sens. (cf. Camus :”L’artiste refait le monde à son compte.” (Homme Révolté, chap. Révolte et art.)