Michel Beniamino est maître de conférences à l’université de la Réunion, il est aussi membre du laboratoire de recherche sur les espaces créolophones et francophones.
L’ouvrage est une réflexion sur la « francophonie littéraire » comme l’indique le titre, c’est une sorte de tentative de « théoriser » la francophonie, en se plaçant du point de vue littéraire. On trouve une explication du titre dans l’introduction page 18 : « L’expression francophonie littéraire semble être apparue dans un ouvrage de Tougas intitulé Les écrivains d’expression française et la France, [il] met l’accent sur ce qui constitue l’unité et la diversité des littératures en français. »
Michel Beniamino pose les problèmes « fondamentaux » de la francophonie littéraire et tentent d’y répondre ou plutôt de les exposer à partir d’une expression inspirée par la comparaison avec le point de vue d’autres disciplines appartenant aux sciences humaines. Il aborde le thème de la francophonie littéraire sous deux angles, qui constituent chacun une partie. La structure de l’œuvre est donc bipartite :
¯ la 1ère partie s’intitule « La francophonie et la littérature »
¯ et la 2ème « Le texte francophone ».
Chaque partie se compose de 4 chapitres, chacun comporte une introduction, un développement et une conclusion, présentés de manière distincte et apparente.
J’ai choisi de suivre la structure de l’ouvrage, donc je vais vous exposer la francophonie littéraire en deux points :
¯ La première partie présente les différentes possibilités d’aborder les littératures francophones à travers des typologies des situations francophones produites par différentes disciplines des sciences humaines : la linguistique…
¯ La deuxième partie est plutôt une réflexion sur les littératures produites en situation de « contact de langues et de cultures ». Michel Beniamino s’intéresse à une production littéraire en français hors de France.
Michel Beniamino propose tout d’abord une typologie des littératures à partir de la prise en compte des phénomènes linguistiques.
Les typologies linguistiques permettent d’une certaine façon de mieux comprendre le rôle du facteur linguistique. Les études francophones, même si elles sont dans leur principe, fondées sur l’analyse d’une littérature dans une (une seule) langue, elles se préoccupent en fait de littérature écrites en « situation de contacts de langues, de cultures et de littératures, orales ou écrites, en langue autre. »
Présentée dans un article paru en 1977, intitulé « université et diversité de la langue française »propose une typologie des situations francophone qui s’appuie sur une analyse linguistique de la variation de français. Willy Bal fait reposer cette typologie sur la dialectique unité/diversité, c’est à dire que selon lui la diversité interne d’une langue est un fait normal qui est nullement incompatible avec l’unité. Il montre que la langue française, aussi bien en diachronie qu’en synchronie, c’est à dire aussi bien du point de vue de l’histoire que du fait qu’elle est parlée dans différents pays du monde, s’est différenciée en différentes variétés qui sont néanmoins du français employé par des communautés diversifiées.
Toujours selon Willy Bal, la variation du français s’explique par différents paramètres qui relèvent de facteurs sociologiques, sociolinguistiques ou communicationnels. Sa perspective est essentiellement fondée sur une démarche historique qui lui permet de poser une première opposition entre « tradition » et « expansion ». Selon lui, les pays où la francophonie est de « tradition », ce sont ceux dont le français est dès l’origine la langue maternelle : la France d’Oil, la Wallonie, la Suisse Romande.
Le phénomène « d’expansion » concerne le reste de la francophonie. Dans le cadre de l’expansion, 4 types de phénomènes peuvent intervenir successivement ou en même temps :
¯
La superposition
¯ L’importation, du français est liée à un déplacement de population, à l’immigration dans un pays d’un groupe de locuteurs français comme au Maghreb, au Canada…
¯ Le rayonnement culturel : lorsqu’une langue sous sa forme littéraire est étudiée en dehors de son domaine, et qu’en tant que langue étrangère elle est pratiquée par des gens d’un certain niveau socio-culturel. (cf. Les écrivains étrangers qui choisissent le français pour écrire).
¯ L’expansion prend la forme de l’implantation lorsqu’une langue étrangère devient langue maternelle d’un grand nombre d’habitants dans un territoire donné (cf. tableau p 37).
Les facteurs historiques interviennent conjointement ou successivement dans le processus d’expansion du français.
Que l’on retrouve dans l’avant propos d’un ouvrage intitulé Français hors de France, publié en 1979, propose de remplacer le critère historique par une opposition fondée en synchronie sur le statut du français. Elle consiste en une distinction entre des situations où le français est langue vernaculaire et celle où il est langue officielle ou véhiculaire. (Cf. tableau p 41)
On nous présente 2 autres typologies qui sont qualifiées de « partielles » cependant elles approfondissent les typologies précédentes en « éclairant » la situation africaine.
è Typologie de Robert Chaudenson.
è Typologie de Bruno Maurer.
Dans Les écrivains d’expression française et la France (1973), Tougas aborde la même question, en proposant de répartir les pays selon « leur degré d’adhésion à la francité. » Il les divise en 4 catégories qu’il appelle des « cercles » :
¯ Le premier cercle regroupe Canada, Belgique, Suisse.
¯ Le deuxième cercle regroupe l’ensemble des pays créolophones.
¯ Le troisième cercle regroupe les pays africains francophones.
¯ Le quatrième Madagascar.
Quant au Maghreb, selon l’auteur, l’avenir du français y est incertain alors il n’apparaît pas dans la classification.
Une vision similaire est développée dans la préface du Dictionnaire général de la francophonie de Luthi, Viatte et Zananiri : «il conviendrait aussi de distinguer dès l’abord les différents niveaux de la francophonie. Citons d’abord les pays de langue française (France, Wallonie, Suisse Romande, Québec…) puis les Etats qui ont choisi le français comme langue nationale à côté des idiomes autochtones, on dit alors que ce sont des contrées d’expression française (Liban, Sénégal, Zaïre…), enfin les nations dont une minorité plus ou moins importante se sert du français comme instrument d’échange et de culture (Maghreb, Egypte…) » (Cf . p. 46)
Ces différentes typologies présentent une schématisation trop importante. Elles ne prennent en compte que le français et ne s’intéresse pas assez aux phénomènes de plurilinguisme c’est à dire que le français peut être dans une situation différenciée à l’intérieur d’un pays, d’une société. Surtout, la diversité des situations indique qu’il faut faire appel à d’autres concepts, le critère linguistique ne suffit pas dans une perspective littéraire, rappelons le titre.
La notion d’aire culturelle joue un rôle essentielle dans les études francophones, mais elle implique une « territorialisation » de la culture, ce qui pose un certain nombre de problèmes. En effet, lorsqu’on territorialise des phénomènes culturels, on suppose une frontière et une représentation graphique, géographique, d’une aire culturelle. Cette notion pose la problématique de la francophonie sous la dialectique unité/diversité, qui souligne le problème de l’emploi du singulier ou du pluriel pour définir la notion de francophonie. De plus l’aire culturelle peut être perçue comme un enjeu politico-idéologique.
Donc la pratique qui fait des littéraires le reflet d’une culture territorialisée ne permet pas de saisir dans leur totalité les littéraires qui prétendent être le reflet ou l’expression de ces cultures, ni la francophonie littéraire.
On trouve différents types d’études : thématique ; de type générique (roman, poésie…) on note l’importance de l’adjectif qui spécifie le lieu de production ; des histoires littéraires mais c’est assez rare car elles portent sur l’analyse de mouvements et d’écoles littéraires, soit sur l’histoire de certaines littératures.
a )
La typologie
D’A. Viatte
Est à la fois d’ordre historique et géopolitique. Elle propose 4 regroupements, en fonction du critère linguistique du statut du français, cette typologie se rapproche de celle de Willy Bal.
¯ Le 1er regroupement est l’Europe : la Wallonie et la Suisse Romande, c’est à dire les pays dont le français est dès l’origine sa langue.
¯ Le 2èmeregroupement est l’Amérique : le Canada et le monde antillais où il existe des locuteurs de français langue maternelle.
¯ Le 3ème regroupement est l’Afrique : Le français est langue d’échange.
¯ Le 4ème regroupement est l’Egypte et le proche orient (cf. citation p. 79).
Cette typologie fait ressortir l’absence de la Belgique en raison de problèmes terminologiques qui se retrouvent dans toute la recherche francophone : difficulté à nommer l’objet de la recherche. Intégrer la littérature belge à la littérature française.
b )
La typologie de
M. Tétu
En quelque sorte comme A. Viatte et W. Bal, Tétu, tout en montrant l’unité du monde francophone affirme, par ailleurs, la diversité des situations. Il examine 6 types de situations littéraires possibles :
¯ Le 1er type regroupe la Suisse, la Belgique et le Luxembourg. Le français est la langue maternelle. C’est une situation caractérisée par un biculturalisme provenant de l’influence d’autres cultures nationales européennes, en particulier allemande. C’est à dire une situation proche des situations régionales, du point de vue littéraire.
¯ Le 2ème type de situation regroupe les DOM et Haïti. Zone de francophonie officielle où l’on trouve l’implantation du français et l’existence du créole.
¯ Le 3ème type : le Maghreb. Le français est la langue officielle de la colonisation.
¯ Le 4ème type : le Liban. Cas particulier du fait de la guerre.
¯ Le 5ème type : Québec.
¯ Le 6ème type : L’Afrique Noire où le français bénéficie d’un statut élevé, qu’il soit langue d’unité nationale ou langue véhiculaire.
c )
La typologie de
R. Jouanny
Le point de départ de sa typologie est la langue, ou plus précisément les usages littéraires du français ; elle est différente des typologies précédentes qui prenaient comme point de départ l’espace francophone.
¯ Le français est langue véhiculaire : le français joue le rôle d’une langue dominante y compris dans les cas où existe une langue locale : Maghreb, Madagascar…
¯ Le français est modèle référentiel : Il s’agit des situations des « minorités »linguistiques : Québec, Belgique.
¯ Le français comme vecteur d’identité, positif ou négatif. Il s’agit de la prise de conscience d’une identité double. (Cf. tableau p. 87).
Viatte et Tétu utilisent des critères à la fois historiques et linguistiques pour définir les typologies littéraires de la francophonie. Elles se limitent en quelque sorte à l’espace géographique de la francophonie, par conséquent elles ne couvrent pas l’ensemble des situations où le français est langue littéraire. Et surtout elles ne manifestent aucune nuance, notamment pour la situation africaine. D’autre part, la typologie de Jouanny pose problème car il n’y a pas d’opposition claire entre les 3 catégories, le français a toujours le même statut de langue véhiculaire, ce qui change c’est son statut sociolinguistique, c’est à dire selon les représentations que s’en font les locuteurs et les écrivains.
Il n’est pas évident de fonder l’histoire littéraire francophone car elle est partagée entre littérature française et littérature générale et comparée. Les littératures francophones sont traitées dans les limites des littératures marginales, des paralittératures. L’examen des histoires des littératures francophones se retrouve dans 3 publications d’Auguste Viatte en 1958, 1969 et 1980. Celui-ci souligne un élément important dans la naissance des littératures francophones : elle est précédée ou accompagnée par l’Histoire. Celle-ci participe à l’autonomisation de la production littéraire.
Cf. p.102 tableau chronologique de la parution des histoires des pays francophone.
L’Histoire pose le problème des périodisations d’une production littéraire, en introduisant une distinction entre périodisation exogène et périodisation endogène.
a )
Les
périodisations exogènes
La périodisation exogène est en général fondée sur un système de valeurs préconstruit et extérieur à la société étudiée (par exemple l’histoire littéraire française). Les littératures francophones sont souvent pensées sous un aspect spatio-temporel : ce sont des littératures écrites ailleurs qu’en France et après la littérature française. Cependant le modèle de la francophonie est centrée autour de Paris (cf. citation 1 p.107) : «[Les écrivains francophones] Doivent-ils viser à s’intégrer purement et simplement dans la littérature française, ou à réaliser leur littérature propre ? Leur langue même se modèlera-t-elle sur un patron commun, ou s’incorporera-t-elle des tournures locales ? » : problématique essentielle de l’autonomie littéraire et de l’originalité.
Le développement des lettres francophones se fait selon Viatte en 3 phases : « l’exotisme c’est à dire la littérature des voyageurs ; la littérature coloniale qui traite en général des rapport entre européens, africains et asiatiques, du point de vue européens et sous un angle général ; l’étape où les écrivains s’enracinent, disent les particularités de leurs négations ». Même si ces littératures se sont développées de manières indépendantes les unes des autres, elles sont cependant passées par les mêmes phases.
b )
Les
périodisations endogènes
A l’inverse, une périodisation endogène est déterminée par des acteurs du champs social (écrivains, intellectuels)où ils interviennent, ce sera donc en fait la construction d’un système de valeurs dans le cadre d’une société donnée.
c )
Les écoles
littéraires :de l’imitation à l’authenticité ?
Une autre manière de constituer en série historique la production littéraire peut être de rassembler les écrivains dans les écoles littéraires. Ces écoles littéraires, dans le cadre de la francophonie, sont essentiellement soit des « écoles régionalisantes » ou plus particulièrement particularisante, c’est à dire posant une autonomie sur le lieu (de naissance, d’écriture) ; soit des écoles « universalisantes » c’est à dire les écoles esthétiques exogènes (le naturalisme) ou endogène (la négritude).
La quête de l’originalité se déroule autour de valeurs qui sont des enjeux dans le champs littéraire donc la volonté de sauver contes et traductions. La quête de l’authenticité se place dans la problématique d’opposition centre / périphérie qui pose aussi le problème de l’imitation.
Une histoire des littératures francophones paraît difficile surtout si l’on entend modeler celle-ci sur l’histoire littéraire française. Il faudrait plutôt étudier leur mode de développement à ces littératures, que l’on pourrait peut-être plutôt placer dans une histoire comparatiste des littératures en français selon Y. Chevrel.
Cette seconde partie, comme je l’ai déjà annoncée, est une réflexion sur les littératures produites en situation de contacts de langue et de culture, c’est à dire sur une production littéraire en français hors de France. Réflexion autour de ce que peut-être les littératures « émergentes » ou « mineures » selon le concept de Deleuze et Guattari qui permet de décrire les phénomènes de décentrement et de reterritorialisation de la langue.
Il s’agit de décrire l’émergence d’une norme littéraire en situation multilingue, pouvant éventuellement s’appuyer sur un effort de création d’un champs littéraire tendant vers l’autonomie.
1. Du texte colonial au texte
francophone
La littérature coloniale doit d’abord être comprise comme une « production charnière », non pas du seul point de vue historique mais surtout parce qu’elle informe sur la problématique des littératures francophones. Cf. citation p.157 :«Charnière surtout parce que, située entre la vogue des récits de voyage, le règne de l’exotisme, et l’avènement des littératures de revendication des identités nationales ou régionales, elle révèle bien des aspects problématiques de la représentation et de l’appréhension de l’Ailleurs et de l’Autre, de la confrontation de cultures et d’expressions éloignées sinon conflictuelles. » M.Mathieu, Itinéraires et contacts de cultures.
C’est à l’intérieur du cadre de la littérature coloniale que se place l’activité des premiers textes francophones. Le passage des considérations sur la littérature coloniale à celle qui concernent les littératures francophone a été pensé par J.M. Moura qui montre le rôle de la littérature coloniale dans ce qu’il appelle « la formation du tiers monde dans la vie intellectuelle française ».
La littérature coloniale est écrite par des français éloignés du territoire national mais elle est pensée dans une perspective similaire à celle des littératures régionales (cf. citation p. 156 de G. Hardy). On peut donc établir un parallèle entre littératures coloniales et littératures régionales.
De plus, la question de l’esthétique coloniale est indissociable de la question de l’exotisme. La doctrine littéraire coloniale s’oppose à toute forme d’exotisme. Les écrivains coloniaux ont aussi critiqué le romantisme. Comme l’écrit Roland Lebel « exotisme s’oppose à colonialisme comme romantisme s’oppose à naturisme » (p174). Le souci de réalisme des écrivains coloniaux se conjugue avec une opposition au naturalisme. La littérature coloniale serait alors une tentative de promouvoir une sorte de réalisme ethnographique. La littérature coloniale indique Louis Bertrand, « a pour condition essentielle d’être réaliste, au sens riche et plein du mot. Précisons encore : c’est la réalité morale beaucoup plus que la réalité physique qu’elle se propose de saisir ».(p.176)
Au plan de la réflexion esthétique générale, la littérature coloniale pose des problèmes que nous allons retrouver dans les littératures francophones. Les écrivains coloniaux se posent le problème de la particularisation « formelle » :
¯ 1ère étape : la couleur locale « formelle » qui constitue la 1ère forme de revendication francophone.
¯ 2ème étape : celle de la « régionalisation » formelle et/ou mimétique de la langue.
¯ 3ème étape : celle de la « recréation poétique » ou de ce que Ricard appelle « l’écriture de fiction ».
Ces caractéristiques valent pour la plupart des situations francophones mais avec des inflexions particulières selon les cas. L’évolution de l’écriture francophone se ferait donc en 3 étapes.
Précisons que la question de la littérature coloniale ne se pose pas de la même manière dans toute la francophonie, c’est différent pour ce qui est des vieilles colonies (Antilles, Réunion) ou des colonies de peuplement (Algérie) et le reste.
La littérature coloniale n’est pas une simple représentation de l’histoire coloniale, elle en fait partie et surtout elle prépare la francophonie.
2. La critique du texte
francophone
Reste non résolue car il y a de nombreux problèmes de terminologie donc M. Beniamino fait en quelque sorte un état des lieux. Comme nous l’avons vu en première partie, il existe de grandes difficultés à définir le corpus francophone. En effet, de manière générale, que ce soit dans des entreprises anthologiques ou dans le cadre d’études universitaires, la vision des « aires » francophones découpant le monde ne suit pas des déterminations très claires mais oscille entre la géographie, la culture et l’histoire littéraire quand ce n’est pas la couleur de peau. Tout ceci compose un corpus hétérogène. Donc globalement l’analyse de la littérature des pays francophones implique des considérations touchant à la situation linguistique de ces pays et d’autres domaines. L’approche des textes francophones présente une caractéristique essentielle : la méthodologie des études francophones pose la question de la relation entre l’analyse de la littérature et les autres sciences sociales. Les études francophones pourraient être définies (p199) comme « enseignement conjoint de littératures et civilisations d’expression française ». Hors de France il s’agit en général, dans le cadre d’un département de France, d’étudier les littératures françaises, on notera le pluriel.
La question posée est donc celle de savoir si nous avons comme objet d’étude la francophonie, c’est à dire un objet protéiforme dont les définitions varient suivant des problématiques diverses ou si nous devons poser le problème de la création d’une discipline dont l’objet pourrait être l’étude de la littérature en français, c’est à dire ce qu’il advient d’une littérature lorsqu’elle se trouve en contact avec des langues et cultures autres.
Ces littératures posent à la fois le problème de la divergence de formes de la littérature écrite en français et celui de la coexistence de littératures écrites dans les langues différentes à l’intérieur d’une même formation sociale, identifiée ou non par le concept de nation. Des questions restent en suspend mais ces littératures peuvent bouleverser la conception de chacun de la littérature française par l’existence d’une littérature française.
3.
Le texte francophone et le choix de la langue. Problématique de la langue comme choix
individuel
a )
La diglossie
littéraire
Le concept de diglossie présente 2 aspects différents. Il s’agit d’abord d’un concept de la sociolinguistique permettant de penser en synchronie les relations inégales entre les langues ou des variations de langues à l’intérieur d’une même formation sociale. Mais par ailleurs, la diglossie peut aussi offrir un système explicatif à des phénomènes micro-sociolinguistiques et en particulier aux pratiques langagières des locuteurs et aux représentations qu’ils s’en font.
La diglossie littéraire est un terme emprunté à la linguistique, cf. citation p.220 : « La diglossie est à l’origine une situation linguistique dans laquelle les fonctions de communication linguistique sont réparties d’une manière binaire entre une langue ancienne culturellement prestigieuse, dotée d’une tradition écrite, nommée variété haute (H), et une autre langue sans tradition écrite, largement diffusée et dénuée de prestige ou variété basse (B) ».
A. Ricard procède ensuite à la distinction devenue classique aujourd’hui entre diglossie et bilinguisme : « La diglossie est une situation sociale, le bilinguisme est une pratique individuelle ».
La diglossie interfère avec l’opposition entre l’oral et l’écrit, particulièrement dans le cas des sociétés africaines.
b )
Langue
littéraire et conscience linguistique
C’est à dire la place de la langue dans la conscience des écrivains . Conscience de la multiplicité des langues. Selon G. Tougas, l’écrivain d’expression française n’aurait guère que 3 choix devant lui :
¯ Le premier serait une perspective régionaliste.
¯ Le
second choix résiderait dans le renoncement, plus rare, à « l’exotisme de
clocher », visant à se hausser à l’universel en rendant sa langue,
pourtant localisée, accessible à tous les francophones.
¯ La dernière solution consisterait, pour l’écrivain qui ne peut s’affirmer que dans l’opposition, à « tourmenter » la langue par l’intérieur.
La question de l’emploi du français pose en effet le problème majeur du véhicule stylistique et de son décentrement. Le texte francophone serait le lieu d’un décentrement en ce sens qu’il serait le lieu d’une tension entre lui même et l’autre langue, inscrivant dans l’écriture elle même une différenciation et la présence d’une altérité. Le décentrement du véhicule stylistique est probablement le lieu où peuvent le mieux s’articuler, dans la problématique de la littérature en français, l’analyse des phénomènes de divergences et de convergences.
Le texte produit en situation de francophonie tend à exhiber un certain nombre de marqueurs d’étrangeté ou d’authenticité (exemple du proverbe). On assiste à une mutation de l’écriture : la littérature s’empare des créations populaires pour les faire servir à leurs objectifs esthétiques ou autres.
La langue d’écriture fait ressortir le problème de la littérature nationale. Donc la relation entre identité (nationale ou autre) et littérature est essentielle.
4. Littérature francophone et
identité nationale
a )
La question des littératures nationales dans une situation de multilinguisme est posée avec insistance depuis quelques temps mais de manière différente dans les situations de francophonie. Le nationalisme est aussi un concept de la littérature et de son histoire. Mais la relation directe entre une langue et la « valeur nationale » d’une littérature est problématique. L’appel aux langues locales peut produire une littérature régionale et non pas une littérature nationale (cf. Congo p.271). Car à un peuple doit correspondre une langue et donc une littérature écrite dans cette langue mais dans quelle langue un peuple doit parler, dire quelle littérature doit illustrer l’identité nationale quand il se trouve en situation de contact de langues et de cultures ? Le nationalisme littéraire prétend réintégrer le « peuple » dans la littérature donc une valorisation de l’oralité dans une perspective nationaliste, comme modèle esthétique (cf. p.273), sans oublier que la langue dans une telle situation est le lieu de la contrainte, car la gestion de la lisibilité du texte en situation francophone implique une sorte de jeu permanent entre la transparence et l’opacité.
De plus c’est dans ce contexte que la question est posée de savoir comment le français pourrait permettre d’exprimer l’identité d’une nation où d’autres langues sont utilisées.
Conclusion
Le manuel soulève les différentes problématiques de la francophonie, à travers une tentative de définition et de théorie de la notion de francophonie. Le manuel expose des facteurs de variations d’une production littéraire qui s’inscrit dans la problématique des phénomènes de contacts de langues et de cultures. Certains facteurs tendent à la convergence (facteur linguistique) tandis que le facteur national tend à la divergence. M. Beniamino insiste sur l’importance qu’il y a à introduire dans l’analyse du fait littéraire un facteur jusqu’alors assez peu pris en compte. Ce facteur relève de l’importance qu’il faut accorder dans la littérature aux sciences sociales.
Ces situations très diverses n’empêchent pas qu’il puisse exister des facteurs d’unité mais donc une des principales particularités des littératures francophones oblige à admettre que l’on a affaire à des histoires, importance du problème.
Le manuel se présente en 2 parties bien découpées et cohérentes dans la première, l’accent est mis sur l’espace géographique et le problème linguistique ; la seconde s’intéresse au texte lui même. Il me semble que dans cette partie il manque la littérarité du texte. On trouve seulement en conclusion « la possibilité d’élaborer une typologie des littératures francophones à partir de considérations sur le rôle de l’esthétique de la production » (cf. p.309) en se plaçant du point de vue du lecteur. S’interroger sur son horizon d’attente. Texte orienté vers un public du centre, parallèle avec la littérature coloniale. Manque les procédés d’écriture utilisés. Il manque aussi les procédés d’écriture utilisés dans ces littératures, donc déception par rapport à l’intitulé de la seconde partie et par rapport à ce qui était annoncé dans l’introduction générale.