Anne-Marie BONN-GUALINO
Dans les grandes villes génératrices d'images, l'homme a une âme de locataire. Invité à séjourner dans ce lieu, il l'inventorie et exprime des impressions parfois inattendues. Il ignore le nom du propriétaire, et la description des objets qui s'offrent à son regard atteint une grande densité. Est-il un voyeur qui s'ignore ?
Nous avons décidé de suivre les personnages dans leur itinéraire. Ils se perdent dans la forêt des hauts immeubles (comparaison classique désormais) et errent dans d'étranges massifs. S'agit-il d'un mystère ou d'une mystification ?
Ils jouent avec les images, s'amusent à établir des rapports bizarres jusqu'au point où le jeu se tarit. Brusquement il y a un décalage entre la perception du réel et ce qu'il est vraiment. Les références logiques ne se rapportent plus a leur véritable contexte. Il y a une transfusion incohérente de la réalité à la perception de celle-ci. Arrive le moment où des rapprochements fantasques montrent la distorsion entre l'apparence mystificatrice et la réalité désirée. Produit de cette contradiction, l'image est un faux mouvement de réconciliation qui part de deux attitudes antithétiques, ce que l'on voit et ce que l'on voudrait voir, le réel et le désir.
Le rêveur imagine voir ce qu'il voudrait contempler réellement, et il donne aux choses d'autres formes, d'autres significations, recréant à la source du regard un autre univers plus conforme à ses désirs ou bien plus adapté à sa colère. C'est un dédoublement permanent. Il accentuera donc l'agressivité des images de la ville à la mesure du refus qu'il opposera à l'espace urbain, comme il s'amusera à travestir les éléments et les choses pour oublier sa peur, pour oublier ses paniques. Insatisfait, il cherche à retrouver, derrière la barrière de choses que la ville représente, le monde des éléments, celui qui ne trahit pas, celui qui ne trompe pas. Une image comme celle de l'arbre de fer, que nous avons analysée dans le chapitre premier, donne avec exactitude les deux pôles de cette mélancolie. D'un côté se trouve l'arbre, matière vivante, de l'autre le fer, matière pétrifiée, stérile. A la source de cette image il existe un désir de l'arbre imprimé dans la terre fertile de la mémoire, espace oublié, espace rivé peut-être.
De la simple attitude descriptive à l'attitude désirante, au-delà de l'apparence et de la mystification des choses, nous essaierons de saisir l'appel de l'être dans son intimité, au seuil de sa mémoire. Si la ville est un grand livre d'images que l'imagination assimile ou rejette, la terre fertile de la mémoire est la référence intime de valeurs fondamentales ; de l'une à l'autre se fait le choc de deux espaces.
La ville est un espace éclaté par les mille facettes qu'elle révèle d'elle-même, mais elle est, surtout, fermeture du regard ; on ne voit plus l'horizon, mais « Tous ces grands immeubles trop blancs, trop beaux, qui ont trop de fenêtres ; tous ces toits trop hauts, couverts d'antennes et de fils. Toutes ces rues trop longues qui vont droit devant elles, sans jamais s'arrêter » [2]. Dans cet espace le regard bute contre les choses, se heurte à l'agression de l'indéfini. Tous ces qualificatifs vagues que l'écrivain emploie à dessein : « beaux », « hauts », « longues », sont de simples indications dont l'imprécision est source d'irréel. Le regard est comme excédé de cette abondance, de ce lyrisme rectiligne des choses ; il y a une insistance têtue dans la répétition de l'adverbe « trop » qui marque un fort degré de saturation. La notation temporelle « jamais » donne à ce paysage une extension illimitée, en même temps qu'elle ajoute par un glissement à peine perceptible une valeur subjective de durée.
Dans cette fermeture du paysage la vision se répète à l'infini, le regard n'a pas de point de chute. Ce n'est que dans l'espace intérieur qu'il retrouve sa dynamique, son expansion. Le héros citadin, s'il s'est perdu, ne se cherche plus ; il est dans tout ce qu'il voit et tout ce qu'il sent. Et cependant il erre au milieu des choses comme un étranger, étranger aux autres, étranger aux choses, étranger à lui-même.
Est-ce que cette vaste fermeture géométrique est vraiment une ville ? Lorsqu'il s'agira de donner à cet ensemble une profondeur panoramique, on pourra se rassasier dans la délectation de l'inaccessible, de l'inconnu, de la couleur neutre par excellence : le gris ; ainsi du moins le fait Jean Cayrol dans Histoire d'une Prairie, lorsque Joé durant une étape contemple le paysage qui se présente à ses yeux :
« Il fit une halte un long moment. Devant son regard, un paysage plat et sablonneux. A l'horizon, se profilaient d'immenses cubes blancs, luisants comme un acier, aux arêtes aiguës, percés de trous (...). Ce nouveau monde le fuyait, l'abandonnait à son inertie, à sa peur d'affronter des obstacles inconnus, devant ces lointains grisâtres qui l'entouraient de petites bandes de terrain parallèles, plates, longues, étroites, dont le gris variait jusqu'au blanc livide, très opaques, comme si toute cette étendue était enveloppée dans des bandelettes. A peine distinguait-il, dans les interstices, un filet vert pâle de la même teinte que des lichens que l'humidité a quittés » [3].
L'impression désertique que laisse ce long extrait vient de la sensation de désolation morbide qu'il suscite. La description est lourde d'éléments évocateurs ; tout est pesé pour rendre cette atmosphère irrespirable. Prenons simplement la couleur : « gris », « blanc livide », « opaque ». L'idée de momie intervient nécessairement à l'évocation des « bandelettes ». Il s'agit d'un espace mort maintenu dans une apparence de vie. C'est le spectacle de l'absence : « les lointains grisâtres » ; de l'agression : « cubes blancs, luisants comme un acier » ; du dessèchement : « A peine distinguait-il dans les interstices, un filet vert pâle de la même teinte que des lichens que l'humidité a quittés ». L'humidité. c'est l'eau. Ainsi revient de façon détournée la hantise de l'eau, symbole de la vie. L'auteur, par une savante combinaison de couleurs et de formes froides, nous promène dans une lancinante rythmique du néant. Paysage d'absence, la ville qui se profile ainsi à l'horizon semble un site de cauchemar. Elle est irréelle avant tout.
Nous pourrions, en rapprochant les deux extraits cités jusqu'ici, constater que dans le premier la ville (véritable trop-plein d'objets) est décrite en un raccourci extrême de la vision, tandis que dans le second on la devine se profilant, étendue uniforme, quasi inquiétante dans sa fixité. Par ce jeu de perspective, de loin ou de prés, la ville apparaît essentielle-ment agressive dans son uniformité. C'est pourquoi les images qu'elle engendre ne sont pas un baume pour l'âme ; elles sont dépourvues de toute vertu tranquillisante.
Ville-mirage, la cité s'annonce par des lumières qui la font vibrer elle n'en est que plus étrange, que plus irréelle dans ce faste lointain qui découpe le noir de la nuit :
« Corentin se décida à marcher vers cette grande lueur, vers cette ville où quelques mois plus tôt il avait échoué pour la fuir presque immédiatement (... ). Il marchait vers la ville, ses bruits et ses lumières » [4]
Cerclée d'ombre mais se remplissant de sa propre clarté, la ville épuise ses limites ; elle s'étale, rigide et structurée, dans la passivité des choses offertes. La galerie aux miroirs est belle peut-être, mais elle n'en cache que mieux ses piéges.
Trop-plein d'objets, assemblage de formes aiguës et de couleurs indéfinies, source inépuisable de clarté, ainsi apparaît sous des angles différents la ville mythique, irréelle plus que jamais, telle qu'elle est évoquée dans ces trois extraits. D'autres images livreront un aspect plus précis de la ville dans son mystère. Puisées au cours de nos lectures elles• dessineront un paysage transfiguré où chatoient par exemple, comme dans un rêve, pesantes et légères, immenses vaisseaux pétrifiés, les maisons aux mille fenêtres. La ville contient en effet des espaces singulièrement ordonnés ; elle est faite de matériaux luisants ; elle abrite de vastes enclos, domaines privilégiés de la lumière. Nous essaierons de les décrire, en insistant sur le processus poétique révélé par les images, signe d'une saisie du monde tout à fait particulière. De là nous procéderons jusqu'au seuil de cette réalité masquée, point où s'unissent d'une manière étonnante, véritable jeu de cache-cache, la rêverie élémentaire et la rêverie pétrifiante. Au fil d'analogies étranges se superposent la vision de la ville-matière, et celle de la terre fertile, dont l'antinomie ne peut être dépassée que par le verbe imagé, exorcisme du réel.
Le sacrifice des arbres, l'érection des cases de ciment, sont autant d'entreprises dénaturées qui conduisent à un mouvement de fermeture. L'architecture engendre l'angoisse, une angoisse mal définie, un sentiment d'étrangeté :
« Devant l'immeuble, une pelouse, trois parterres ronds, une vasque, en céramique bleue, avec un mince jet d'eau, et un sentier de dalles disposées irrégulièrement. Je crois que les architectes appellent ça opus incertum. L'ensemble est d'une banalité qui en devient angoissante. Aventuré le long du sentier en opus incertum, j'ai l'impression de me promener dans un prospectus, d'aller voir un promoteur » [5].
La disposition des éléments de décoration est faite avec un soin gratuit. Le souci de ne pas tomber dans une régularité monotone a fait disposer les dalles « irrégulièrement ». La pelouse et les « trois parterres ronds » sont répartis dans un ordre qui trahit une intention trop claire. On pourra promener à loisir son regard et le reposer sur quelques éléments vivants. La vasque en « céramique bleue » est un luxe de couleur qui ne dépasse pas le bon ton, et le « mince jet d'eau »dans sa sveltesse n'a pas l'abondance ni la force des fontaines puissantes et bruyantes. Entre la fontaine et le charmant bassin il y a toute la différence que nous évoquions dans notre chapitre sur l'arbre et le végétal entre le chêne « pour faire de l'ombre » et les « petits sapins d'agrément ». L'absence de grandiose et l'expression d'une pseudo-variété maniaque frappent celui qui observe. On remarquera pourtant qu'il s'agit d'un immeuble de « haut-standing » selon la qualification des vendeurs d'appartement, qui possède le faste d'un faux jardin, d'une fausse fontaine, d'un faux sentier. Cela explique le rapprochement final entre « prospectus » et « promoteur ». Ce paysage a l'aspect propre, lisse, ordonné d'une photo-couleur qui vanterait les mérites de la maison idéale. L'imagination est asservie à un ordre stérile, cliché décoratif qui n'a même pas le ridicule du mauvais goût.
Cette platitude accentue la séparation entre les choses et celui qui habite. C'est le règne du fonctionnel et de l'indéfini où les choses et les hommes vivent côte à côte sans échange. Ces formes vagues sont un perpétuel relief de l'effroi sous-jacent. Ces ensembles « adaptés » dans lesquels il ne fait pas bon vivre, ont besoin d'être revus et corrigés par l'imagination pour être acceptés. C'est l'agression de l'indéfini. L'intrusion du « pré-fabriqué », d'une vie « pré-disposée » sont autant de modèles du factice.
«On avait abattu les chênes autour du canal pour construire d'immenses bâtisses dont les angles droits et les lignes monotones sont la condamnation de la géométrie et des architectes modernes. Notre maison, maintenant cernée de tours, semblait mesquine » [6]
Il semble que l'architecte ait cessé d'inventer. L'originalité suprême consiste à transformer des terrains libres ou aérés en espaces hérissés de « tours » à c angles droits » aux « lignes monotones ». Et nous avons à nouveau un inventaire de la banalité dans cet enchevêtrement de maisons où pêle-mêle on superpose les gens. Le petit pavillon « cerné de tours » semble témoigner d'un mode de vie maintenant aberrant. L'architecture, l'art des jardins, une certaine forme de décoration ne sont pas seules en cause. Il faut remonter à la source et trouver au niveau de la matière elle-même l'origine de cette fixité, de cette raideur, car c'est elle qui commande l'image.
«Dans le décor plein de cercles et de barres, quelquefois de triangles, les hommes et les femmes glissent, passent (... ). Les complets-vestons métalliques sont boutonnés. Les chaussures vernies craquent. Les mains sont fermées sur des objets durs pareils à des os : parapluies, sacs, cartables, cigarettes blanches. Il passe sur le sol des négresses de bakélite, des Chinois de nylon, des Blancs de celluloïd rose et des Peaux-rouges de simili-cuir. Leurs pensées sortent de leurs bouches tels de petits cris de chauve-souris, ou bien font des nuages de buée dans le ciel, dans le genre de polystyrène expansé » [7].
Il s'agit bien d'un théâtre, celui de la rue tout à coup transformée par le regard moqueur de l'écrivain en représentation ambulante. Des personnages passent, défilent mécaniquement comme dans un spectacle de marionnettes. L'ingéniosité du créateur est grande et ses choix ne sont point fortuits. « Métal », « nylon », « bakélite », « celluloïd », « simili-cuir », « polystyrène » exaltent l'étroite coïncidence de la couleur, de la matière, des races. Microcosme du monde, la rue s'offre aux jeux inversés de l'imagination. Ce sont les êtres qui suscitent la matière, qui parlent l'artifice, qui exultent le factice. Et c'est à ce niveau là qu'il faut saisir la limite de la gratuité dans ce que nous avons nommé un jeu. Assimilés aux lieux qu'ils hantent, jouant un rôle déterminé, foule captive et diverse, les êtres sont matière. Jusqu'aux « chaussures vernies » et aux « cigarettes blanches » la finition du détail est parfaite ; elle nous comble cruelle-ment. On comprendra qu'il ne s'agit pas d'un simple inventaire, d'une énumération délectable dans son artifice, mais d'une vision pétrifiée où la matière chante et où l'âme se tait.
Les choses elles-mêmes renforcent cette impression de placidité figée qui semble ignorer le temps. La blancheur quasi-transparente des murs de béton s'ajoutant aux verrières en trompe-l’œil donne aux bâtiments cet élancement aigu, accentue l'impression d'irréel :
« Les grandes tours se dressaient, ni vivantes ni mortes, avec sur chaque face leurs huit cents fenêtres (...). Partout, la jeune fille ne voyait que cela : le ciment, l'acier, le verre. la tôle » [8].
Nous revoilà d'une nouvelle façon confrontés à la matière. Les choses, au contraire des êtres, sont investies d'une personnalité. On peut les imaginer « ni vivantes ni mortes » et on leur donne de ce fait une existence. « Huit cents fenêtres », ce sont huit cents paires d'yeux qui fixent intensément et horizontalement le vide. L'énumération des matériaux tend à suggérer par la répétition qu'elle suppose une vision hallucinante, dans la mesure où ils impressionnent désagréablement l’œil par leur agressivité froide.
Nous avions coutume de vivre dans une certaine continuité de la matière, où la pierre, le bois, les métaux étaient savamment combinés. On nous propose du béton scintillant et sonore, du plastique qui brûle comme une torche, des tissus électriques colorés, et même « des vêtements en papier de couleurs gaies et de formes originales » [9]. L'éphémère devient le propre même de la vie des objets. Ceux-ci ne sont à la limite qu'une imitation habile d'un original perdu.
Dans la description donnée par Félicien Marceau de l'appartement de Creezy nous trouvons un autre recensement de nos compagnons matériels diurnes ou nocturnes. L'intérieur des maisons n'est guère plus chaud, plus avenant que les êtres et les choses de la rue :
« Nous sommes dans le living (...), ce grand cube vide et froid, l'immense verrière, les affiches, l'appareil de télévision (...). Néon, plastique, aluminium, quand avons-nous été vivants ? » [10]
Cette évocation de lignes géométriques, de matériaux souples
et durs, souligne la hantise du vide et du lisse dans l'exaltation morbide
d'une lumière éteinte : le néon. Dans ce rayonnement livide sur la matière
froide il y a une prédestination mortelle. Il est curieux de constater, dans
cet extrait comme dans celui de J.M.G. Le Clézio cité plus haut, cette
interrogation plus ou moins définie sur la mort. « Les grandes tours ni
vivantes ni mortes » et l'exclamation « Quand avons-nous été
vivants ? » peuvent être rapprochées. Cela achève l'inventaire. Si
les choses sont dans cette neutralité qui ne peut expliquer leur présence fixe,
l'homme semble lui aussi gagné par une maladie qui le rend â l'image des choses
matérielles, statue figée. Son âme désormais est emprisonnée dans une
« carapace de métal » [11].
Ces villes, où la mort paraît frôler le visage de tous et de tout, engendrent d'étranges angoisses, celle de l'effondrement par exemple. Rien ne se révèle solide. Chose bizarre, l'inconscient appelle l'apocalypse, le déluge, le feu qui remettra enfin tout en ordre, nettoiera la terre, balaiera les détritus :
« La jeune fille qui s'appelait Béa B.
traversait la ville juste avant qu'elle ne s'effondre. Elle sentait sous ses
pieds l'espèce de vibration sourde, le grondement lointain qui annonçait la
fin » [12].
Au paroxysme de sa force, la ville chante l'illusion dernière. Avant de s'écrouler, elle tremble et s'agite sur ses faibles racines à peine attachées à la terre. Car la ville est négation de la profondeur. avec ses immeubles « posés sur la terre » [13]. Sans racine, elle est sans origine, elle ne défie que le ciel. Ville sans ombre, lumineusement dynamique, uniformément luisante, tout est piége en elle.
« Ville grise » [14]
ou ville blanche, ville-théâtre ou maisons mortes, les matériaux qui font vivre l'espace citadin le
font vibrer d'une façon désagréable. L’œil n'éprouve aucun plaisir,
semble-t-il, à regarder, et le panorama qui s'offre à lui, hérissé, trop
systématiquement rond ou trop systématiquement droit manque de ce baroque qui
mélange les couleurs, les formes, dans une invention qui serait fastueuse. Pour
rompre la mono-tonie, la ville avec ses lumières apporte des scintillements
superflus. Elle n'est espace véritablement créateur que la nuit. Ce sont
désormais des villes sans ombre qui possèdent des enclos de lumière, nouvelles
grottes, nouvelles cavernes, dont nous essaierons de cerner le mystère
lumineux.
Jacques Berque dans L'Orient second compare les couleurs brunes des maisons du vieux monde, culottées par le temps, aux espaces lumineuse-ment impalpables que la lumière fait miroiter dans les villes du nouveau monde. En ce sens sa description de Los Angeles est pleine d'enseignements :
« Rien de ce rugueux, de ces bruns, de cette contingence que le vieux monde associe à l'idée de maison. Les bars recueillaient, il est vrai, un peu de ténèbres (...). Mais ailleurs toute obscurité des intérieurs était conjurée par la multiplication des parois de verre et les acrobaties de l'électricité. Un déferlement de matière optimiste liquidait pareille-nient tous les barrages (... ). Cependant cette géométrie insatiable, ces exercices lustrés qui la sauvaient de la lourdeur, la privaient aussi de sa densité » [15].
Nous allons découvrir ces enclos privilégiés où la lumière jaillit avec abondance, grands magasins, aéroports, lieux où l'imagination peut se livrer dans une solitude absolue aux plus étranges divagations. Il. est tentant de rapprocher deux extraits qui par hasard présentent dans une coïncidence curieuse de l'image des traits communs. La description de l'aéroport par J.M.G. Le Clézio d'abord, et par Félicien Marceau ensuite, est révélatrice des mêmes obsessions, de cet isolement de l'être au milieu des choses :
«La nuit, les aéroports sont blancs (...). La lumière tranche à grands coups de lame de rasoir, et les étincelles jaillissent de tous les côtés à la fois : des parois de verre, des dalles de matière plastique, du plafond qui n'est qu'une seule plaque transparente (...). La jeune fille marche à l'intérieur de la grotte sans rien dire (... ). On dirait un grand magasin sans personne » [16].
Cette évocation de l'aéroport accentue l'impression d'irréalité d'un monde fantastique où les parois réfléchissent la lumière comme des glaces pivotantes. Ici encore nous avons une énumération de matières qui nous permet peu à peu de donner à cet espace dévoré par la clarté une consistance, une certaine solidité. Mais cette consistance a quelque chose d'immatériel par la transparence que le « verre » suppose, et « le plastique » ajoute à cette impression d'une douceur sans relief quasi aérienne. La référence à la seule couleur blanche, absence de teinte plutôt que véritable coloris, est un condensé du vide. Comme une grotte illuminée de façon intense se découpe l'antre habité de lumière sur le noir de la nuit, lieu que les gens pour l'heure ont déserté. La lumière n'éclaire qu'un espace dénudé. Elle fait vibrer par sa violence une solitude aussi perceptible qu'incompréhensible. Lieux fascinants, ces domaines publics, grands magasins ou aéroports, semblent résumer dans leur éclat et leur inhospitalité le destin de passage de l'homme qui ne peut pas les habiter. On pourrait les imaginer comme les halls des rendez-vous manqués. L'anonymat, l'impersonnalité offrent, dans une délectation morbide, l'image d'un présent pétrifié.
«Nous avançons dans le hall de l'aéroport, un immense couloir, un immense aquarium, courbe comme un arc, les grandes vitres, les parois micacées, les cavernes brillantes, le tonnerre des réacteurs et les voix expirantes » [17].
Ici encore nous retrouvons l'évocation d'une « caverne » dépouillée de son ombre. Indécence et somptuosité des mesures sont mises en exergue dans cette orgie de lumière par trois fois répétée : « grandes vitres, parois micacées, cavernes brillantes ». Espace illimité et fermé en même temps, l'image d’» aquarium » transmet la fluidité d'un lieu vu à travers des glaces déformantes, buée de rêve, imprécision calculée. Ces « grottes » et ces « cavernes » sont les images d'un lieu trahi dans son mystère. Elles ne contiennent plus l'ombre bénéfique mais sont le réceptacle d'une cruelle absence. On les a dépouillées de leur valeur profonde d'abri. Elles sont désormais les lieux-dits d'une nouvelle forme d'initiation, captives de la lumière, miroirs lustrés, réalité masquée par un surcroît d'éclat.
Mais au détour d'une image, sans qu'on y prenne garde, reviennent avec force des archétypes maternels et paternels qui font de la ville ce lieu étrange et cruel où l'enfant pris de panique ne se retrouve plus :
« Il n'y a de refuge pour personne ! Les grottes sont des oesophages. Les pyramides sont des matrices tapissées de dents. Les phares qui luisent dans la nuit sont l’œil des cyclopes goulus » [18]
Cette image est particulièrement étonnante car elle joue sur la personnalité androgyne de la ville. Celle-ci est comme un arbre gigantesque que l'homme aurait créé. En effet, par « refuge », « grottes », « pyramides », sont évoqués les fantasmes de l'abri, doublés de ceux de la macération. La ville est une mère avide qui mange et digère ses enfants. Cette ogresse a des profondeurs menaçantes et terribles. Par contre c'est une évocation virile que celle des « phares ». Elle traduit le regard mâle de l'intellect, aussi vide dans sa logique que l’œil sans pitié « des cyclopes goulus ». La ville aux yeux clignotants, aux cavernes absorbantes et dentelées comme une scie, est un monstre qui nie perpétuellement ce qu'il enfante.
Ayant livré incidemment ses perspectives verticales et souterraines, la ville reprend tout à coup son visage impassible dans une similitude de tous et de tout. Pour ce promeneur exilé de son île, elle n'offre plus qu'un spectacle sans intérêt, sans repére, le regard fuit sans que rien ne l'arrête :
« Ned arpente le bitume luisant que font gicler d'incessantes voitu-res (...). Vers où, vers quoi ? Il n'en sait rien. Quelle importance. Habitué à reconnaître tel buisson, tel rocher, tel détour de sentier, telle anse pourvue d'une certaine échappée sur la mer, repères depuis toujours connus (...), autrement précieux pour évaluer les distances que les bornes, toutes semblables, des routes de Surrey, son regard ne s'accroche à rien » [19].
Ned est un homme de l'île. En lui vivent des réflexes, des gestes qu'il ne pourra plus faire. Il se heurte désormais dans la ville immense à un univers construit, bâti, dont les schémas sont impérieux.
Captive mais non vaincue, la rêverie élémentaire, sous forme de montagne, de ciel, d'arbres et de fleuves pétrifiés, trouve dans la mémoire de l'être séparé des choses une puissance accrue. L'image exprime un mouvement figé et on dirait que l'écrivain, Le Clézio particulièrement, s'est amusé à opérer un montage de l'univers à sa façon. Il a pris des matériaux et il s'est amusé à faire des soleils et des mers comme plus haut il fabriquait des poupées de celluloïd. Puis il a joué à faire comme si les éléments qu'il percevait à travers les brumes de la ville étaient irréels. Il joue le jeu de la réalité masquée où rien ne semble vrai. Parfois il ne veut plus simuler le jeu de la rupture des choses et des hommes, ni celui de l'ingénieur de marionnettes. Il rêve un monde de cauchemars d'où les éléments sont chassés et il a peur. Enfin il libère sans honte sa nostalgie : le désir d'un ailleurs, d'une perception vraie du monde devient lancinant, désespéré :
«La terre est une plaque de goudron, l'eau est de
la cellophane, l'air est en nylon. Le soleil brûle au centre du plafond
d'Isorel, avec sa grosse ampoule de mille six cents watts. Il doit y avoir
quelque part une vaste usine qui fabrique sans arrêt (...) tous ces produits du
mensonge : les faux ciels peints en bleu, les fausses montagnes de
duralumin, les fausses étoiles en filaments de verre. Les arbres de caoutchouc
oscillent dans le souffle des ventilateurs (...). Tout n'est que corne et
nacre. Partout brillent les rivets d'acier, et le ciel tourne sur lui-même très
lentement, pivotant sur ses immenses gonds » [20].
D'une affirmation à l'autre l'invraisemblable devient une évidence mise en valeur par un présent définitif. Il s'agit d'un véritable montage. Dans cette imitation du vrai, toutes les pièces sont assemblées comme en un jeu de construction avec une grande précision dans le choix des matériaux. Nous participons à la délectation de l'écrivain. Un paysage, un univers prennent forme, où l'illusion est la loi première. Tous les éléments sont évoqués un par un, par ordre d'importance, comme dans un dessin d'enfant : la maison, le soleil, l'arbre et le chemin.
Mais il faut comprendre la source de ces images, de cette
mascarade dans laquelle l'auteur se délecte. Le poète est le « deus ex
machina » qui va au-devant des désirs des hommes et leur construit un
monde tel qu'ils le désirent. Il faut sentir la colère pétrifiante et le désir
de vengeance dans cette volonté de confondre les effets et les principes, dans
cette façon d'ériger en un contre-sens voulu la matière fabriquée en symbole
d'origine. Dans ce petit décor de théâtre il a voulu nous présenter le monde.
Nous comprenons alors qu'en effaçant le rôle
des éléments et en les remplaçant par la main de l'homme habile à fabriquer des
trompe-l’œil, il trahissait une nostalgie qui va à rebours même des images. Et
c'est cela que nous voulons saisir.
Le poète voit ce qui n'est pas ; il crée des analogies
inattendues, visionnaire jusqu'au bout, fidèle à sa mémoire, à cette terre
fertile que le réel lui masque. Cette terre masquée, il la retrouve
singulièrement en arpentant la ville remplie de choses et nous assistons à la
superposition des souvenirs les plus anciens, souvenirs d'eau, de vent, de
pluie et d'espace, quand les choses prennent l'apparence d'éléments figés. Le
monde moderne n'a-t-il pas ses nouveaux troglodytes ? Sinon que voudrait
dire cette image représentant : « deux montagnes blanches percées de
fenêtres » [21].
Plus qu'association gratuite, c'est un moyen de conjurer par la parole une
absence de vie devenue intolérable. Parfois, percevant en dehors de la masse,
de la lourdeur des immeubles, la légèreté acrobatique qui leur fait défier le
ciel, ces maisons arrogantes deviennent de « lourdes nacelles fragiles qui
n'arrivaient pas à s'envoler » [22]. Mais c'est un envol tout à fait illusoire car
« le ciel est un couvercle peint en bleu qui presse sur les parois de la
ville » [23].
Cette permanence fixe du « ciel bleu » n'a rien d'aérien, au contraire. C'est un « ciel bleu » cliché, comble de l'illusion et du vide. Voûte peinte qui ferme l'univers de la ville, ce ciel lourd est le fond indispensable qui retrouve au détour de l'absurde une certaine fonction immatérielle. Enfin tout s'immobilise dans cette image de « fleuve gelé », de ce « glacier immobile », de cet « oued desséché » dont « l'autoroute » [24] rappelle l'existence. Eau hypothétique qui ressurgit de l'humidité de la mémoire, déjà niée et évaporée à la frontière du réel, elle est : le symbole d'un appel qui défie la mort.
C'est un jeu comme un autre de dire que les maisons sont des
montagnes et les routes des fleuves. L'imagination parle le vrai à sa manière.
Mais en renversant encore une fois l'ordre des choses on peut également
affirmer que la réalité perçue par l’œil n'existe pas, qu'elle n'est qu'un mirage. De cette façon rien ne coïncide jamais, et
il y a une perpétuelle rupture ; un écart monstrueux entre la perception
du monde extérieur et le monde lui-même :
«Elle avait des alliés qui se battaient avec elle.
Il y en avait un qui vivait dans le ciel, et qui ressemblait tellement au
soleil qu'on l'avait appelé comme ça : Monsieur Soleil. Il y en avait un
qui avait la forme d'un nuage, une boule blanche et grise qui flottait trés
haut dans l'air. Celui-là, c'était Monsieur Cumulus, ou Monsieur Cumulo-Nimbus
(...). C'était drôle d'avoir tous ces amis, dans l'air, sur l'eau et sous la
terre. Quand la jeune fille sortait de la chambre, elle les retrouvait un peu
partout, elle avait moins peur » [25].
Ainsi les éléments sont pour Béa B., à la fois des étrangers, des compagnons et des contrefaiseurs du vrai, mais peu importe. Médiateurs d'un autre monde un peu lointain, elle ressent leur présence rassurante, réelle ou irréelle... fruit de son imagination peut-être, un brin étrange, comme dans les contes d'enfant. Le soleil a la forme du nuage. Où est le vrai soleil, où est le vrai nuage ? Pour pallier à toute déception et toute illusion, la jeune fille a donné à ces apparences qui sont peut-être des présences des noms qui recoupent dans un jeu de « faisons comme si » ce qui est peut-être la réalité. N'en étant pas très sure elle prend ses distances à l'intérieur des limites que lui impose justement ce divertissement.
Dans cette perpétuelle juxtaposition de l'apparence et de la présence, il y a une impossibilité à saisir le monde sous un angle unique. On en arrive même à une contradiction entre ce qui est et ce que l'on voit, sans qu'on sache à qui attribuer finalement cette valeur d'être. D'un simple jeu d'enfant où les valeurs sont inversées, on aboutit à un jeu cruel, où les masques s'échangent sans jamais livrer leur visage, le dérobant sans cesse, emportant avec eux ce qui n'est peut-être que le mystère de l'illusion.
Ayant épuisé tous les renversements possibles, la vision se simplifie et devient un cauchemar. La ville est ce masque qui déforme la nature. Elle est une maladie qui n'épargne que la mémoire, et celle-ci se souvient de la terre fertile. Elle se souvient d'une enfance, elle sait qu'autrefois il existait par exemple des montagnes, des nuages :
« On était loin. On avait beaucoup oublié. Il n'y avait pas d'espace libre au dehors, plus de plaines ni de montagnes. Il n'y avait plus de ciel bleu avec des nuages, plus de soleil, plus de vent ni de pluie. Tout ça était perdu » [26].
Au travers du cauchemar la terre devient cet espace privilégié qui a la valeur mythique d'un âge d'or, dont la mémoire conserve seule le souvenir. Elle n'est plus du tout tangible. Elle a le prix de ces biens très précieux dilapidés et perdus par une inconséquence impardonnable. Et l'homme se cache sa propre mort en dissimulant derrière la lumière de ses grands magasins les témoins de sa propre finitude :
« On avait rendu la pensée concrète, bloc de
ciment aux larges baies blanches, aux belles lumières. On avait caché tout ce
qui est dur et mortel, le soleil, la pluie, le vent, la mer, les forêts et les
déserts » [27].
La nostalgie tout à coup ne joue plus avec les images, elle s'affirme brutalement, et il semble que l'écrivain libère sa colère d'une façon abrupte. Il s'agit d'une dénonciation et non d'un jeu :
« Qu'elle vienne vite, la couche de goudron ou
de ciment, qui recouvrira tout (...) ! Forêts, rivières, prairies,
grottes, vallées : villes, maintenant, villes ! (...). Chaque jour,
quelque chose est arraché (...). Assez souffrir ! Que la nature change sou
nom. Qu'elle porte (...) un nom de rue, un numéro » [28].
Et cette voix d'homme, au hasard d'une page, livre sa déception. Les choses n'ont plus de secret, on le leur a arraché de force et on l'a écrasé. Comment faire maintenant pour « étudier le chant des oiseaux, et apprendre à reconnaître les traces de pattes des lièvres » (28), si la guerre ne s'arrête pas ? Étrange souhait où la valeur d'une empreinte et l'écoute d'un chant d'oiseau. sont devenus luxes et passe-temps de poètes. Ainsi se confondent dans la recherche du signe et de la trace ce souvenir d'un monde enlisé, enchâssé, perdu, et celui que la mémoire cherche à ressusciter par le verbe.
Il. existe peut-être encore, ce paradis perdu, mais il faut longuement implorer la souvenance pour qu'il reprenne la merveilleuse candeur de l'enfance, son intégrité et sa pureté. C'est ainsi que Corentin exilé dans la ville grise rêve son île qui est devenue un songe :
« Il s'appliquait à rester immobile, et son
souffle dans le froid allait se confondre avec celui qu'exhalait la
terre ; il se retrouvait, perdu dans ses souvenirs chaotiques, bercé par
le vacarme lointain d'un océan dont les vagues roulaient jusque dans son
sommeil (...) et il cherchait sans cesse à s'entourer, à s'envelop-per des
replis de l'ancien vent qui tournoyait encore là-bas, dans ce rêve qui avait
été sa vie et où il croyait pouvoir encore se blottir ; dans la lumiére
pâle d'un soleil trop discret pour franchir les barriéres d'écu-me (...) ;
ou bien dans la profondeur des nuits froides quand tous les oiseaux s'étaient
tus, et qu'en scintillant doucement chaque étoile semblait lui faire signe, en
plein milieu d'un ciel qui soudain ne se transformait plus, ne se défaisait
plus » [29].
Le songe de Corentin ressemble à tous les rêves des hommes qui ont perdu avec leur enfance la seule façon, croient-ils, de percevoir les choses dans leur réalité. L'enfance est le rêve du Plein, elle fait partie elle aussi de la terre fertile de la mémoire ; la ville est image de puissance ; elle contribue à masquer par ses prouesses le vide et l'absence qui habitent l'homme devenu adulte.
Ville irréelle aux espaces singulièrement ordonnés, ville-matière dans un foisonnement de matériaux luisants ou agressifs, ville-lumière aux cavernes trompeuses, antre de la solitude et du vide, la ville apparaît peu à peu comme un espace qui masque la réalité élémentaire. Nous avons étudié principalement dans La Guerre de J.M.G. Le Clézio, ce phénomène de superposition de deux espaces au niveau des images elles-mêmes. Partant ainsi d'une vision globale de la ville et la pénétrant peu à peu nous avons essayé de retrouver au sein de cet univers pétrifié que nous avons décrit auparavant, une rêverie d'appel, une nostalgie sous-jacente des éléments. Source de vie, cette nostalgie est une référence silencieuse, qui se superpose aux paysages rectilignes des grandes cités. La terre fertile de la mémoire est l'espace référentiel de valeurs archétypales qui permettent de conjurer la vision mortelle d’un univers figé.
[1] Extrait de : Anna-Marie Bonn-Gualino, La rêverie terrienne et l’espace de la modernité, Paris, Klincksieck, 1976, pp. 107-122.
[2] J.M.G. Le Clézio, La Guerre, Paris, Gallimard, 1970.
[3] Jean Cayrol, Histoire d’une Prairie, Paris, Le Seuil, 1969, p. 156.
[4] Michel Breitman, D’Exil en Exil, Paris, Denoël, 1970, p. 170.
[5] Félicien Marceau, Creezy, Paris, Gallimard, 1970, p. 27.
[6] Marilène Clément, La Mort est rouge, Paris, Gallimard, 1968, pp. 13, 14.
[7] La Guerre, op. cit., p. 32.
[8] Ibid., p. 72.
[9] Alvin Toffler, Le Choc du futur, Paris, Denoël, 1971.
[10] Creezy,
op. cit., p. 196.
[11] La Guerre, op. cit., p. 116.
[12] Ibid., p. 169.
[13] Ibid., p.. 147.
[14] D’Exil en exil, op. cit., p. 119.
[15] Jacques Berque, L’Orient second, Paris, Gallimard, 1970, p. 135.
[16] La Guerre, op. cit., p. 176.
[17] Creezy, p. 21
[18] La Guerre, p. 94.
[19] Hervé Bazin, Les Bienheureux de la Désolation, Paris, Le Seuil, 1970, p. 77.
[20] La Guerre, pp. 31-32.
[21] Ibid., p. 173.
[22] Ibid., p. 169.
[23] Ibid., p. 111.
[24] Ibid., p. 38.
[25] Ibid., p. 70.
[26] Ibid., p. 100.
[27] Ibid., p. 56.
[28] Ibid., p. 62.
[29] D’Exil en Exil, pp. 135-136.