souffles
numéros 10 et 11, 2e et 3e trimestre 1968

bey. laghouati. sebti. touati. : mutilation (1)
pp. 16-17


 
Colloque restreint pour
un trottoir
adressé bénévolement
et impérativement
au Grand Colloque du
luxueux Club des Pins
« statuant l'avertir » de
notre culture populaire...

pour un dialogue ouvert...

succinctement.

     DROIT de naître en ayant conscience d'avoir écrit entre deux eaux, l'expérience d'un homme remettant sans cesse en question la conciliation tenté

     DROIT d'affirmer nos exigences, et, par une prise de position réfléchie à l'égard de celles-ci, préparer nos armes en vue de la controverse certaine

     DROIT de tenter à ciel ouvert une utilisation de la langue provisoirement imposée dans un but authentiquement progressiste, conscients que l'oeuvre, si elle doit être consacrée aujourd'hui, ne restera pour les générations à venir qu'une manifestation concrète des luttes nécessaires en leur temps en vue de préparer des ouvertures plus rationnelles

     DROIT en cette époque de transition de reconnaître sans vergogne que cette langue rassemble autour d'elle une audience que nos différents dialectes n'atteignent pas - étant plus des facteurs de séparatisme linguistique et «régionaliste» qu'un facteur de regroupement effectif

     DROIT de prendre le relai, conscients que notre parole sera submergée demain par ceux-là même a qui nous aurons apporté un langage rénové - moins au niveau de l'écriture, le contenant étant toujours basé sur les exigences esthétiques favorables à la langue étrangère utilisée, qu'au niveau du contenu, les thèmes développés nous appartenant en propre - car notre, aspiration légitime est de soumettre la langue française aux seules exigences, non pas de nos intellectuels éclairés à l'aise dans leurs mots châtiés, mais bien à celles de nos ouvriers et paysans, à leurs enfants qui connaissent la vraie valeur du mot simple et quotidien - celui qui réclame, qui quémande, qui mendie - ce CRI qui se dispense de toute phrase. Pour un poème ouvert dont nous tenterons de plier l'esthétique aux lois rythmiques de notre langue populaire portée et chantée, aux lois sémantiques de nos dialectes dont nous reforgerons la richesse en en recherchant les images originales, en les réinventant tout en acceptant le stade laborieux de la traduction la plus fidèle possible. Pour un poème-suicide véhiculant lui-même ses germes empoisonnés et mortels, diront certains. NON. Plutôt pour un poème contre-poison. Car dans ce périlleux compromis qu'est le bilinguisme, la victoire est à ceux qui viendront dans quelques décades sans avoir vécu notre déchirement - déchirement dont ils prendront connaissance par notre témoignage et par diverses autres sources d'information. Surtout que notre témoignage ne soit pas le reflet de digressions par trop individualistes mais qu'il s'inscrive dans une lutte commune pour une libération et une indépendance culturelles. Peut-être qu'à ce prix il s'inscrira dans un contexte plus universel, celui de la lutte pour la désaliénation de l'homme triomphant de toutes les forces contraignantes.

     DROIT de laisser à ceux qui ont choisi le pourrissement certain en dépensant leur énergie dans une recherche esthétique pure, le soin de se condamner eux-mêmes

     DROIT de prouver le tort et de condamner ceux qui, par opportunisme béat et par démagogie facile, prostituent le mot POESIE dans leurs divagations malsaines

     DROIT de donner vie au poème-tract s'il s'avère nécessaire aujourd'hui et pourvu qu'il suscite la contestation. L'Histoire saura le prendre en charge ou l'ignorer

     DROIT de laisser à ceux qui tentent une adéquation totale entre engagement et esthétique, la possibilité de dévoiler leurs travaux devant une CRITIQUE CONVAINCANTE ET LUCIDE

     DROIT D'EFFECTUER NOTRE RECONVERSION DEVANT TOUS car en nous critiquant ils seront contraints de faire leur propre auto-critique. Nos problèmes sont les leurs et pour nous, écrire n'est qu'un moyen en vue d'apporter notre humble contribution à l'établissement d'une authentique culture populaire et non populiste

     De front nous voulons construire des écoles, alphabétiser, mener à bien notre chant. Le seul véritable, celui qui ne nous appartiendra plus exclusivement, car il sera le lieu de rencontre de tous

     DROIT d'affirmer notre désir de ne plus être notre seul juge et de s'entendre dire «NON» par autrui pourvu que cela soit fondé, de se voir rejeter si cela est salutaire. Nous ne démissionnerons s'il est nécessaire qu'après avoir été confrontés devant tous

     Ces textes témoignent d'une existence encore embryonnaire. On peut naître prématuré et mourir par asphyxie sous les pressions du monde ambiant déjà en place. La naissance peut être tumultueuse; on peut aussi naître mort. Celui qui ASSISTERA «l'écrivant» par la lecture réfléchie de ces textes, des textes à venir, fera Son Diagnostic. Quand sera donnée la possibilité de regrouper tous ces diagnostics, l'heure du constat, de la contestation, du renvoi ou de l'admission sonnera.
 
  

QUE LES INTELLECTUELS S'EXCITENT
QUE LES « CLASSES » JUGENT
MAIS QUE SEUL LE PEUPLE DECIDE

Très humblement
« comme il ne se devrait plus »

NOUS

bey.  laghouati.  sebti.  touati.


1. Le manifeste que nous présentons ici a été rédigé et distribué par quatre jeunes poètes algériens, en marge du Colloque Culturel National qui s'est tenu à Alger en mai dernier.
Nous avons jugé nécessaire de publier ce texte, dans la mesure où il situe les préoccupations d'un groupe, une certaine tendance de la jeune poésie algérienne d'expression française.

SOUFFLES
Retour au texte

Page suivante
souffles: sommaire du deuxième et troisième trimestre 1968 ou sommaire général
Sommaire de ClicNet

souffles juillet 2000
mailto:cnetter1@swarthmore.edu?subject=souffles
mailto:spear@lehman.cuny.edu?subject=souffles