Par Charles Bonn et Xavier Garnier
Qualité littéraire ou
représentativité ?
L’a priori linguistique et le
comparatisme nécessaire
Les travaux sur les littératures francophones n’ont pas toujours bonne presse dans le milieu universitaire français, alors même que de plus en plus d’universités étrangères privilégient les littératures francophones, plus en phase avec l’actualité politique mondiale. Le soupçon des universités françaises, qui a longtemps porté sur la valeur des textes eux-mêmes, porte à présent sur la validité de ce regroupement particulier d’oeuvres venues d’horizons si différents et dont le seul point commun serait l’usage du français. Les fils qui relient la catégorie « littérature francophone » aux grandes manoeuvres géopolitiques de la « Francophonie institutionnelle » seraient trop visibles pour que la noble tradition universitaire accueille sans scepticisme ce nouveau venu. Les universitaires travaillant dans ce domaine sont ainsi perçus parfois comme les ouvriers d’une politique de la Francophonie se jouant dans les arcanes du pouvoir, dont l’Université cependant est exclue le plus souvent.
Parmi ceux qui étudient ces littératures eux-mêmes, de nombreux chercheurs sont réticents à voir leurs travaux mis au service d’une stratégie visant à accroître le rayonnement de la langue française dans le monde et restent convaincus que la littérature a mieux à faire que de servir les enjeux de pouvoir (y compris de pouvoir linguistique). Il ne s’agit pas de jouer aux « belles âmes », mais d’une part de rejoindre des créateurs depuis longtemps engagés dans un combat contre les pouvoirs et d’autre part de renouer avec l’autonomie de la recherche universitaire, condition nécessaire à sa crédibilité.
Enfin, on sait que l’Université aime classer : réclamée depuis longtemps, la pluridisciplinarité n’y a encore fait qu’une timide apparition dans les études littéraires. De quelle discipline, se demande-t-elle dès lors, dépendent ces littératures ? Est-ce de la littérature française ? Est-ce de la linguistique ? Est-ce du comparatisme ? Est-ce de l’étude des langues, ou encore de l’anthropologie ? Hésitation compréhensible devant tout objet dont les contours ne sont pas encore nettement définis, à supposer qu’ils puissent l’être un jour. Hésitation qui nous mène en tout cas à commencer par nous interroger sur les limites d’une définition de l’objet : littérature, ou littératures francophone(s).
L’un des objectifs de la collection de trois ouvrages que nous inaugurons ici sur les littératures francophones, déjà présentées avant nous par plusieurs manuels ou anthologies (Voir la bibliographie), sera donc une sorte de mise en perspective universitaire d’un domaine littéraire jusqu’ici souvent considéré comme marginal, ou réservé à des jeux politiques dans lesquels l’université française n’a jamais eu ni revendiqué sa place naturelle.
La catégorie « littérature francophone » est-elle viable ? Dans quelle mesure peut-elle servir de sujet à une recherche universitaire autonome ? La question est centrale. Si nous partons d’une définition en extension de cette littérature nous rencontrons deux critères : un critère linguistique (usage de la langue française) et un critère territorial (auteurs non français). Le couplage de ces deux critères en fait une catégorie très particulière. La littérature française par exemple ne retient que le critère territorial et intègre les textes en bas latin, picard, occitan... La double caractérisation de la littérature francophone l’enferme dans une logique d’exclusion qui dresse des cloisons de tous côtés. On traitera des littératures africaines mais en prenant bien soin d’exclure les textes écrits en arabe, en lingala, en wolof..., la littérature belge sera amputée des textes en flamand, la littérature québécoise des textes en anglais voire en joual, la littérature caribéenne ne sera ni créole, ni anglophone, ni hispanophone. Et diviser des pays comme la Suisse ou la Belgique en plusieurs aires linguistiques posées comme absolus culturels n’est-il pas nier cette autre identité, suisse ou belge celle-là, dont se réclament aussi beaucoup d’écrivains romands ou wallons ?
Une des conséquences de cette double logique d’exclusion est que les définitions souvent pratiquées des littératures à partir de ce qu’on appelle commodément des « aires linguistiques » vont se révéler ici plus inopérantes encore qu’elles le sont ailleurs. On peut fort bien lire et étudier la littérature « francophone » d’Afrique du Nord, par exemple, en ignorant l’arabe littéraire, qui est pourtant la langue de référence de cet espace. Mais les « comparatistes » institutionnels s’étonneront qu’on puisse aborder ces textes écrits en français sans partir d’une connaissance de la langue arabe, que bien des écrivains concernés ne pratiquent qu’oralement et refusent même souvent comme cible de traduction de leurs textes : on se souvient des diatribes de Kateb Yacine contre les traductions de ses oeuvres en arabe littéraire, alors même qu’il cherchait à promouvoir un théâtre populaire en langue parlée.
Mais la réception universitaire la plus pratiquée ne considère le plus souvent les « aires culturelles » que sous l’optique de la langue, et valorisera davantage dans ces espaces les textes écrits dans leur langue officielle que ceux dont la langue consacre une sorte de marginalité par rapport à la norme. Marge pourtant plus signifiante, souvent, du point de vue du fonctionnement littéraire en sa complexité, mais aussi parfois de celui de la réalité culturelle qui lui sert de référent. Louis-Jean Calvet n’écrit-il pas avec raison qu’« il n’existe pas de pays monolingue » ?[1] Ceci est particulièrement vrai pour les littératures dites « francophones », qui le plus souvent se développent dans des contextes plurilinguistiques, que la communauté d’origine des écrivains soit ou non francophone. La logique d’«aires linguistiques » pratiquée encore majoritairement par la tradition comparatiste française ne peut-elle pas se réduire à affirmer que ces « aires » sont davantage de la compétence du linguiste que du littéraire, et donc à nier le comparatisme comme discipline ? Dominique Combe résume fort justement cet aspect du problème dans la formule : « Le problème des littératures francophones, c’est d’être écrites en français » [2].
Un autre cloisonnement pervers, que néanmoins nous reproduirons en partie, pour des raisons de commodité qu’on évoquera plus loin, exclut de toute cette littérature en français la littérature française elle-même. La définition la plus courante de la littérature francophone spécifie en effet « littérature de langue française écrite par des écrivains non-français ». Mais cette définition apparemment simple va se révéler peu opérante à l’usage, dans la mesure, par exemple, où beaucoup de ces écrivains, du fait de situations historiques complexes, vivent à Paris, ont souvent adopté la nationalité française, tout en se réclamant d’un pays d’origine avec lequel ils n’ont pas rompu. C’est le cas de nombreux écrivains et intellectuels maghrébins. Inversement, cette exclusion élimine également tous les écrivains francophones que la littérature française a assimilés, comme le belge Henri Michaux, le suisse Blaise Cendrars, ou encore Tzara, Jaccottet et beaucoup d’autres. Ou les non-francophones qui ont choisi le français comme langue d’expression, comme Beckett ou Julien Green.
Surtout, cette définition trop simple va désigner implicitement à la littérature francophone un centre, non pas absent, mais innommable. L’exclusion de la littérature « française » du champ de la littérature « francophone », va donner à cette dernière un centre de gravité absent, ou en tout cas indicible, alors même qu’il en est au moins une référence quasi-constante. On sera donc face à un nouveau paradoxe : c’est en quelque sorte l’absence proclamée de ce centre, qui va le créer comme tel. La référence au modèle de la littérature française, que ce soit pour s’en réclamer, ou le plus souvent pour le récuser ou le violenter, est une dimension essentielle de la dynamique littéraire francophone, mais qui ne se conçoit qu’arc-boutée sur l’exclusion de la catégorie « littérature française » par laquelle la catégorie « littérature francophone » se crée, contrairement à toute logique « positive ». Autour de cette case vide va se redistribuer toute la littérature francophone en une périphérie autour d’un centre de gravité créé par cette absence.
Si à partir de cette définition nous nous penchons sur le contenu de cet espace littéraire nous avons toutes les chances de nous retrouver face à ce que Salman Rushdie a vu dans la littérature du Commonwealth : une chimère à la tête de lion, au corps de bouc et à la queue de serpent [3]. L’existence artificielle de ce monstre composite provoque au moins deux effets pervers qui correspondent à la double caractérisation de cette littérature. D’une part la logique territoriale autorise la pratique des quotas qui risque de promouvoir des textes médiocres sous l’argument littérairement suspect de représentation nationale, d’autre part la logique linguistique tend à détourner l’attention sur ce qui se passe vraiment dans ces régions de création plurilingues, en ramenant tout à la question de la langue française. Dans les deux cas de figure, la nécessaire rigueur d’un travail universitaire autonome risque d’être gauchie par l’objet d’étude.
Plus généralement, la notion même de littérature n’est-elle pas en opposition avec celle de territoire, politique ou linguistique, et en tentant ici de définir ce qu’est l’espace littéraire francophone, n’allons-nous pas à l’encontre de ce que pourrait être l’intérêt majeur de ce concept : celui de déterritorialisation ? On n’est pas loin ici, bien sûr, des réflexions bien connues de Gilles Deleuze sur Kafka et la littérature « mineure ». Dès qu’il y a littérature, il y a quelque part aussi désappartenance, déterritorialisation. Pourquoi élaborerions-nous pour la Francophonie des modèles de description archaïques des littératures en tant qu’ensembles cohérents et localisés, que la non-définition du concept de littérature francophone, ou son irréductibilité à une définition satisfaisante, va précisément nous aider à saper un peu plus qu’ils ne le sont déjà ?
Les littératures francophones (pluriel que nous préférerons donc au singulier qui pose comme évident un concept dont l’intérêt théorique réside en sa non-évidence) sont toutes pour nous des littératures « mineures », au sens certes où elles se servent d’une langue dont l’histoire s’est faite essentiellement ailleurs et qui leur permet une visibilité plus grande que ne l’aurait fait la langue vernaculaire, maternelle ou territoriale. Mais surtout parce que ce sont des littératures, au sens plein du terme. Car il est de la nature du langage littéraire d’être mineur. La littérature quelle qu’elle soit est depuis la fin du XIX° siècle en rupture avec le discours social dominant, avec la norme d’un discours social, dont la nature affirmative dessine les contours d’une langue majeure. « Langue majeure » est entendu ici indépendamment de la définition habituelle de la langue : le concept est valable dans toute société industrielle ou postindustrielle. La littérature s’inscrit face à la norme sociale de la langue « majeure » dans un rapport de questionnement, de doute, de césure qui tantôt dessine une marginalité radicale, tantôt oblige la langue « majeure » à progresser. Une littérature francophone est donc mineure, non pas parce qu’elle peut être considérée comme dépaysée, délocalisée, déterritorialisée dans une langue dont le centre est ailleurs, ou absent, mais parce qu’elle est littérature, ce que précisément des habitudes de lecture bien souvent lui refusent.
Du fait de la création relativement récente, pour certaines, des états dont elles se réclament, et surtout du fait de la reconnaissance tardive, et souvent non encore achevée, de ces nouveaux espaces comme susceptibles de produire une littérature, les littératures francophones sont encore fréquemment considérées comme « émergentes », avec tout ce que ce mot peut comporter de paternalisme.
Pour les littératures francophones européennes, en Suisse ou en Belgique, la dynamique est double et contradictoire. Personne ne pense plus, par exemple, au fait que Jean-Jacques Rousseau ait été citoyen de Genève : est-ce parce que son apport à la littérature « française », ou même universelle, est trop important ? On pourrait dire la même chose pour Émile Verhaeren ou Maurice Maeterlinck en Belgique : nos manuels de littérature nous ont habitués à les considérer comme partie intégrante de la littérature française. Il en est d’ailleurs de même pour des écrivains issus de pays non-francophones et ayant choisi d’écrire en français, comme l’irlandais Samuel Beckett ou l’américain Julien Green, déjà signalés plus haut. Par contre des oeuvres aussi importantes que celles de Ramuz ou de Charles De Coster sont souvent mises à distance au nom d’un régionalisme qui les empêcherait d’accéder à l’Universel. Et par ailleurs le discours belge sur la littérature francophone est souvent un discours auto-dévaluateur, comme le montre Marc Quaghebeur dans ce volume, ou bien au contraire revendicatif ou déçu, se plaignant du monopole parisien de la reconnaissance littéraire. Il en est un peu de même au Québec, même si la dépendance par rapport au « Centre » parisien s’y est nettement atténuée, et parfois même inversée depuis quelques années. Pour bien des lecteurs français cependant, Maria Chapdelaine reste encore souvent la référence littéraire québécoise majeure, et parfois unique.
S’installe de ce fait une sorte de dialogue, conscient ou non, entre le « régional » que ces littératures partagent avec le roman rustique français, et l’« universel » supposé d’une littérarité dont le « centre » serait Paris. On retrouve ici une problématique qu’évoquaient déjà George Sand, et avant elle Rousseau lui-même. L’opposition entre le « régional » ou le « populaire » d’une part, et l’« universel » d’autre part, y recoupe d’ailleurs aussi celle entre l’urbain et le rural. Le « roman rustique » est ainsi devenu une catégorie littéraire qui n’intéresse souvent le lecteur que si une relative maladresse du style en authentifie l’espace d’origine. Et tant pis alors si des écrivains comme Giono et tant d’autres s’avèrent être de « grands » écrivains : ne sont-ils pas l’exception qui confirme cet implicite, en lui conférant une sorte de respectabilité ?
Pour les littératures émergeant dans des pays anciennement colonisés par la France, cet a priori de non-littérarité est aggravé, d’abord, par le fait qu’il s’agit de littératures beaucoup plus récentes que celles qu’on vient d’évoquer. Toute littérature se légitime le plus souvent comme telle à partir de la visibilité de son « histoire littéraire », de sa mémoire littéraire. Et de fait cette mémoire, que partagent les textes et leurs lecteurs, est essentielle pour que s’établisse tout un jeu de références intertextuelles implicites sur quoi repose bien souvent la richesse des oeuvres. Certes, les littératures francophones européennes et américaines ont elles aussi une histoire littéraire relativement courte, ce qui participe à leur caractère « excentré ». Mais cette histoire est bien plus importante que celle de littératures nées ou perçues comme telles en même temps que le processus de décolonisation qui caractérise le dernier demi-siècle seulement.
De plus le lien de ces littératures avec le mouvement de la décolonisation va rendre leur perception bien plus dépendante, directement, du politique. La lecture de la littérature québécoise est certes rattachée plus que celle des littératures suisse et belge à certains faits politiques précis, et au Québec comme en Belgique il y a un militantisme francophone. Mais dans les pays anciennement colonisés par la France, la naissance et le développement des littératures qui nous intéressent ici sont directement liés aux principales époques de la décolonisation. Ainsi l’écrivain et critique marocain Abdelkebir Khatibi a-t-il pu montrer que l’intérêt du public international pour la littérature maghrébine de langue française, grâce auquel cette littérature avait pu émerger dans les années cinquante, était en partie celui de militants anticolonialistes européens désireux d’opposer au discours d’hégémonie coloniale la preuve de l’existence d’une culture colonisée. Au Québec et en Belgique, cette attente militante d’une littérature nationale francophone s’est développée à l’intérieur du pays avant de trouver des échos ailleurs. Au Maghreb et principalement en Algérie, à une époque où leurs textes n’étaient guère diffusés sur place, les premiers écrivains francophones reconnus comme maghrébins répondaient à la solidarité politique d’intellectuels français avec les nationalistes, et rencontrent actuellement encore, parfois, un accueil mitigé de la part de certains de leurs compatriotes. La production de textes littéraires maghrébins a donc commencé à baisser deux ans après l’indépendance de l’Algérie (1962), puisqu’en toute logique, l’arabisation étant une des revendications du nationalisme, une littérature de langue arabe aurait dû alors les remplacer. Mais elle a très vite repris, à un rythme beaucoup plus important, à partir de 1969, à la faveur de la désillusion des militants des deux rives de la Méditerranée face aux nouveaux états indépendants, au point de devenir souvent une sorte de symbole de contestation. Et depuis, le nombre et la diversité de ces productions n’ont cessé d’augmenter, dépassant par ailleurs de loin la dynamique de contestation qui leur avait donné une impulsion décisive il y a vingt ans.
Dans les deux cas ce lien avec une actualité politique dont dépendait parfois l’existence même des premiers textes ne pouvait qu’en altérer la lecture, chez ceux-là même, parmi les lecteurs, qui les réclamaient. Car ces lecteurs le plus souvent militants attendaient de ces textes un appui à leur action politique, ou plus simplement une justification de leur sympathie. Or ce regard de sympathie jeté a priori sur ces littératures « émergentes » sera peu exigeant quant à la qualité littéraire des textes, considérant que l’essentiel est qu’ils existent, et que leur contenu thématique soit porté au grand jour. Ce qui fait que les mêmes lecteurs, intellectuels pour la plupart, qui sauront apprécier ou déprécier la qualité littéraire d’un texte français, ne se poseront tout simplement pas cette question pour les littératures « émergentes » que sont le plus souvent les littératures francophones, particulièrement lorsqu’elles sont issues de pays anciennement colonisées par la France. Il y a certes moins de paternalisme littéraire pour ce qui est des textes contestataires surgis au Maghreb et en Afrique dans les années soixante-dix, puisque leurs lecteurs en sont bien plus souvent les anciens colonisés ou leurs enfants, mais la non-reconnaissance du fait littéraire est la même : dans les deux cas le texte est perçu comme un témoignage, et non pas comme une œuvre littéraire.
Il est même une lecture idéologique plus pernicieuse parfois, chez des « littéraires » très familiarisés avec ces domaines, dans certaines universités « tiers-mondistes » : elle consiste à partir d’observations parfaitement littéraires, comme par exemple l’étude des allocutaires implicites de certains textes, pour en déduire le degré d’« assimilation » ou non de ces textes au système colonial dominant à l’époque, et les frapper dès lors d’un anathème plus négateur encore de la littérarité des textes. Le procédé revient bien si l’on n’y prend garde à nier la littérarité au nom de l’idéologie, à refuser de lire les textes comme des textes.
Dans tous les cas il s’agit bien de la difficulté de reconnaître et de concevoir des ensembles littéraires ailleurs que dans des espaces traditionnellement considérés comme producteurs, non seulement de littérature, mais de littérarité. Dimension essentielle du fonctionnement littéraire, la mémoire joue ici un rôle fondamental dans la consécration d’une littérature en tant que telle, puisque la perception d’un texte comme littéraire lui vient bien souvent de la multiplicité des échos d’autres textes qu’y perçoivent ses lecteurs, avec lesquels il établit ainsi une sorte de complicité autour d’une mémoire littéraire commune. Dans le cas des littératures traditionnellement considérées comme « majeures », cette complicité relève alors de l’évidence. Pour les littératures émergentes, les textes préexistants, par définition, manquent. Du moins dans l’acception consacrée de textes de référence issus du même espace culturel, dont l’accumulation séculaire produit habituellement un espace littéraire. Les littératures qui nous occupent ici sont comme les littératures « majeures » en dialogue avec des textes issus de multiples horizons littéraires. Mais elles apportent de plus une mémoire locale non-consacrée littérairement parfois, qui leur permet de développer des modalités inédites de surgissement, ou non, d’une dimension littéraire imprévue. C’est probablement là un des aspects par lesquels ces littératures bousculent souvent nos habitudes de description des textes littéraires, et nous obligent de ce fait à une nouvelle définition de ce qu’est, à proprement parler, la littérature.
L’enjeu pour les universitaires est en partie de montrer que les littératures francophones forment un objet d’étude consistant et non une « chimère ». Divers grands chantiers théoriques ont été ouverts pour donner une consistance interne à cette catégorie. Tous ont en commun de passer par un questionnement sur la langue.
Le premier chantier a été ouvert au XVII° siècle et exploité plus tard par Rivarol dans son Discours sur l’universalité de la langue française (1783). A l’âge classique s’est créé l’imaginaire d’une langue française consacrée à l’expression claire de la raison et vecteur d’universel. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne se conçoit bien qu’en français. Les écrivains étrangers ayant recours au français se verraient plongés dans un bain rationnel et humaniste. Leur écriture se mettrait au service de la propagation d’un message universel de libération de l’humanité. Choix d’une langue-vecteur. Si cet imaginaire de la langue française a pu servir de terreau à une théorisation de la littérature francophone, il est clair qu’il s’agit désormais d’un combat d’arrière-garde même s’il en reste quelques traces dans la rhétorique diplomatique, et dans la perception du phénomène francophone là où le discours sur la francophonie rencontre l’histoire ou la politique. C’est le cas dans les pays anciennement colonisés par la France. C’est le cas aussi de pays comme le Canada ou la Belgique dont une partie des conflits politiques internes se cristallisent parfois, à tort ou à raison, sur des clivages linguistiques.
Plus actuelle est l’approche linguistique qui prend la langue pour objet d’étude et observe les effets de la transplantation du français hors de l’hexagone. Le point commun de toutes les littératures francophones serait d’utiliser un français évidé de ses connotations hexagonales et chargé de connotations nouvelles propres au milieu d’implantation. Double mouvement de déterritorialisation et de reterritorialisation de la langue. Les écrivains francophones seraient tous engagés dans un travail de réécriture du français avec comme socle commun une langue réduite à l’état d’outil dénotatif. On pourra dans cette perspective parler d’appropriation, voire d’« indigénisation » [4], de la langue française. Tout laisse penser que ce chantier s’est ouvert contre l’imaginaire universaliste de la langue française et dans la mouvance multiculturaliste et communautariste née dans les années 60. Dans cette nouvelle optique, le fil qui relierait les littératures africaine, caribéenne, québécoise ou belge francophones aurait la minceur d’une langue-outil purement dénotative, lien dont seuls les linguistes seraient aptes à rendre compte. D’un point de vue strictement linguistique, la littérature francophone apparaît comme une chimère composite et les attaques les plus violentes contre la francophonie viendront de ce camp-là.
On a connu jusqu’à une époque récente les conséquences d’une telle approche linguistique dans la politique de coopération culturelle menée par la France dans ses anciennes colonies, où sévit par ailleurs un discours identitaire monolinguistique dont on n’a pas fini de dénoncer les ravages : la langue de l’ancien colon que cette politique a toujours pour tâche de promouvoir, devenait soudain honteuse de sa mémoire, et la littérature en fut bannie en tant que telle, limitée au rôle de pourvoyeuse d’extraits interchangeables prétextes à une pédagogie purement instrumentale. Une telle attitude suicidaire est heureusement en train de céder le pas depuis quelques années. Quelle qu’en ait été cependant l’erreur politique, ce qui nous intéresse ici est bien l’erreur théorique grave sur laquelle elle repose, de la part de linguistes, dans leur perception de ce qu’est une langue.
Le chantier théorique ouvert le plus récemment prend acte de l’environnement plurilinguistique dans lequel sont plongés tous les écrivains francophones (mais sont-ils les seuls dans cette situation ?) pour en faire le principal critère de différenciation par rapport aux écrivains français, supposés profondément monolingues. Rares sont les tables-rondes d’écrivains où ne se pose pas la question du choix de la langue ou du rapport aux diverses langues disponibles. Les écrivains francophones vivraient tous un drame linguistique intime associant étroitement l’écriture à la question du choix (ou du refus du choix). La pente naturelle serait alors à l’introspection, à l’intimisation d’une écriture obsédée par son rapport à une langue maternelle ou paternelle, mais d’une façon ou d’une autre prise dans une problématique oedipienne.
Une langue-vecteur, une langue-outil, une langue-choix, tels sont les trois grands chantiers théoriques axés sur la langue qui se sont ouverts pour tenter de donner consistance à la notion de littérature francophone. Dans tous les cas le littéraire y est rabattu sur le linguistique : il fallait bien semble-t-il partir de la langue française pour trouver un point commun à cette mosaïque littéraire. L’écueil est que le fait littéraire ne peut être totalement appréhendé par les linguistes, fussent-ils psycholinguistes ou sociolinguistes. Leurs travaux, au demeurant indispensables, s’arrêtent au seuil de la création littéraire qu’ils ne peuvent interpréter autrement qu’en termes d’inventivité verbale. A la dualité linguistique langue/parole il nous faut substituer la dualité littéraire image/voix si l’on veut rendre compte des convergences créatives de l’espace francophone. Non plus une approche qui rabat le fait littéraire francophone sur la francophonie et ses enjeux, mais une approche qui rende compte de la puissance visionnaire de cette littérature dont le combat déborde de tous côtés les seules questions de langue.
Notons que parmi ces trois approches linguistiques de la Francophonie, seule la première, la plus ancienne, table sur une spécificité supposée de la langue française. Si l’on prenait pour argent comptant cette représentation fantasmatique du français, la consistance de la littérature francophone serait assurée. L’obstacle est que cet imaginaire étant rejeté par la grande majorité des écrivains contemporains, force est de se tourner vers les deux autres options. Or celles-ci sont applicables à toutes les littératures en langues exportées. Le portugais a été transplanté au Brésil et l’anglais en Inde. Ainsi les langues transplantées recouvrent ou côtoient beaucoup d’autres langues sur ces nouveaux territoires. La littérature francophone s’inscrirait alors dans un réseau beaucoup plus large qui comprendrait la littérature du Commonwealth, la littérature latino-américaine (hispanophone et lusophone), la littérature lusophone africaine.
On sait que le débat sur la Francophonie qui nous préoccupe ici apparaît souvent comme bien exotique à des non-francophones pour qui le recours à l’anglais est un geste naturel dans un contexte international. La francophonie et l’arabophonie sont probablement les espaces culturels où la question de la langue revêt l’aspect le plus idéologique, et ceux en tout cas où elle est le plus l’objet de programmes politiques d’Etats. Ainsi par exemple à l’époque où la littérature disparaissait des programmes d’enseignement du français subventionnés par la France, la question n’était même pas posée pour l’enseignement de l’anglais dans ces mêmes pays. Perçue d’emblée, et de manière tout aussi erronée, comme idéologiquement neutre, la langue anglaise pouvait en toute impunité rester indissociable de la littérature qui en fait la fierté. La langue n’y étant pas perçue (même si elle l’est) comme un enjeu politique, le faux problème, idéologique, de l’enseignement ou non de la littérature ne s’y posait tout simplement pas. Il est donc temps, nous semble-t-il, de sortir d’un débat idéologique très narcissique sur la langue dans le champ clos de la « Francophonie », pour nous ouvrir à une lecture comparative (et comparatiste) de la problématique de toutes les littératures en langues exportées.
Temps de découvrir que ce décentrement qu’on a mis en évidence dans le concept de Francophonie tel que nous l’entendons, fait de sa lecture une démarche qui ne peut être que comparatiste, dans tous les sens de ce terme en littérature : aussi bien confrontation de littératures de langues différentes, que mise en écho de langages différents comme de pratiques « majeures » ou « mineures » au sein d’une même « langue ». C’est peut-être grâce à cette approche comparatiste au sens large qu’on arrivera à dégager quelques caractéristiques qui sans avoir prétention à l’exhaustivité peuvent peut-être s’appliquer davantage à ces littératures qu’on a qualifiées de « décentrées », quelle que soit leur langue, qu’aux littératures plus traditionnellement reconnues comme telles.
Appréhender la langue française comme un simple outil que l’on transplante d’un milieu à un autre nous interdirait entre autres de penser une littérature qui accepte l’entre-deux, qui en fait le lieu instable d’une écriture en devenir. Il nous semble que la littérature francophone est bien davantage aux prises avec la question du devenir qu’avec celle de l’identité, même si le thème de l’identité y est récurrent. L’immense écho du réalisme merveilleux, par exemple, y est symptomatique de cette rébellion contre les grandes frontières à visées identitaires : il s’agit de renvoyer dos à dos l’imaginaire et le réel pour écrire dans un entre-deux à partir duquel toutes ces catégories s’effondrent.
D’où l’importance de la métamorphose, véritable principe d’écriture, machine de guerre rhétorique conçue en réponse à la question terroriste par excellence : « Qui es-tu ? », si rapidement intériorisée en « Qui suis-je ? ». Déjouer les contrôles d’identité, inscrire les personnages dans des espaces mouvants qui les font douter d’eux-même avant de les faire passer ailleurs. La littérature francophone ouvre des espaces de « passage » où le sujet oublie d’où il vient et où il va, pour mieux épouser un réel concret, qui ignore toute forme de frontière, de classification en genres ou en espèces. Une littérature qui ne connaît ni hommes, ni arbres, mais qui croit plus que toute autre aux « hommes-arbres ».
De l’entre-deux à la marge il n’y a qu’un pas, et l’on peut constater ainsi que, du fait de leur statut « non-canonique », les littératures francophones font également bon ménage avec la plupart des expressions nouvelles que secrète la modernité, et dont le statut, comme le leur, reste problématique. Un des lieux privilégiés de la francophonie, par exemple, est le festival de Limoges, qui présente tous les ans au public européen des formes d’expression théâtrales nouvelles. Formes souvent très nourries par la tradition orale de leurs pays d’origine, qui font résonner en France une sorte d’étrangeté présente, laquelle dépasse très vite le carcan exotique pour devenir une des sources de renouvellement importantes de la recherche théâtrale mondiale. Or, cet impact du théâtre sur la perception européenne de la littérature francophone permet aussi d’y relativiser la position dominante du genre romanesque, ou encore de pervertir ce genre européen ou américain par nature qu’est le roman, grâce à l’écho de formes autres, qu’elles soient traditionnelles ou nouvelles.
D’autres expressions à la définition problématique, même si elles ne sont pas propres à l’espace littéraire francophone, y trouvent néanmoins une résonance privilégiée. C’est le cas par exemple de ce qu’on a appelé la littérature féminine, et qui nous intéresse ici précisément parce que sa définition ne fait pas l’unanimité. Certains « aires » littéraires francophones comportent un nombre plus important qu’ailleurs de femmes écrivains (on a forgé à ce propos des mots barbares comme « écrivaines »...). C’est le cas pour la Suisse, dont la naissance au roman passe plus que pour d’autres pays européens au XVIII° siècle par cette forme souvent féminine qu’est le roman épistolaire. En Amérique aussi, l’écriture féminine prolifère, servie semble-t-il par une dynamique des « minorités » (mais les femmes sont-elles une minorité ?) plus prégnante qu’ailleurs. Ainsi sur ce continent est-elle encore plus importante chez les franco-américains que chez les québécois. Certes, du fait de différences de civilisation qu’il est inutile de préciser, il y a moins de femmes-écrivains au Maghreb ou en Afrique qu’en Suisse ou qu’au Québec, mais leur multiplication soudaine dans ces espaces depuis moins de dix ans ne laisse pas d’interroger. Des trois pays du Maghreb la Tunisie, majoritairement arabophone en littérature, était traditionnellement le pays comportant le plus de femmes écrivains au Maghreb. Mais il semble qu’en Algérie la situation tragique qu’elles connaissent depuis quelques années et l’extrême violence dans laquelle elles vivent ait poussé depuis deux ou trois ans un nombre grandissant de femmes à écrire.
Autre écriture « minoritaire » et problématique : celle des émigrations-immigrations, à travers lesquelles se pose le mieux le problème de la « territorialisation » ou de la « déterritorialisation ». Cette littérature est par excellence la littérature de l’entre-deux, puisque même si ses lecteurs cherchent le plus souvent à l’appréhender à partir de ce qu’ils appellent un peu vite sa « culture d’origine », elle est devenue souvent un élément essentiel de ce qu’on appelle tout aussi vite sa « culture d’accueil », dont elle focalise le métissage occulté. Dès lors l’« entre-deux » deviendra ici une dynamique, dont certains tenteront de se défendre : il ne s’agit plus d’un espace que des définitions identitaires pressées tentaient d’ignorer, mais d’une expression dont l’existence même corrompt les définitions identitaires trop stables, en soulignant la vérité angoissante de la mobilité essentielle de toutes les identités. Plus qu’une « aire » culturelle, la francophonie est donc, semble-t-il, une question à l’identité.
Dans la même optique on pourra s’interroger sur l’importance du genre autobiographique dès les débuts de cette littérature. Là encore le grand initiateur fut Jean-Jacques Rousseau, même si l’autobiographie dans Les Confessions n’a sans doute pas la même signification que dans les textes autobiographiques comme Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun avec lesquels commencent le plus souvent les expressions littéraires des pays anciennement colonisés. Car il y a par exemple un paradoxe de l’autobiographie en pays musulman, où parler de soi est une entorse aux pesantes bienséances collectives, et où l’autobiographie sera de ce fait davantage à son aise dans la marginalité relative d’une littérature francophone qu’elle ne le serait dans une littérature de langue arabe, d’où elle n’est pas absente cependant. Mais dans ces contextes politiques l’autobiographie, on le verra, sera moins une affirmation de l’individu comme chez Rousseau, qu’une sorte d’écriture-manifeste collective.
La frontière entre l’intérieur et l’extérieur est elle aussi remise en question par des littératures qui souvent ne conçoivent pas l’intimité privée comme déconnectée des grands enjeux politiques. L’intimité personnelle ou familiale y est fréquemment publique. L’autobiographie d’un individu peut ainsi y être lue le plus souvent comme celle d’un groupe. L’individu qui se raconte narre à travers sa propre biographie celle du groupe qu’il représente face aux lecteurs, et le choix de l’autobiographie n’est dans ce cas qu’une manière de rendre plus « authentique », pour le lecteur, son témoignage sur sa communauté. On pourra donc s’interroger sur la dimension proprement autobiographique de certains textes qui se présentent comme tels dans des sociétés où parler de soi est parfois prohibé par la norme sociale, ou du moins beaucoup moins naturel que dans des sociétés connaissant la tradition chrétienne de la confession. Récurrente dans les premiers textes de la plupart de ces littératures, l’autobiographie y semble bien être plutôt un des modes performatifs d’affirmation d’un nouvel espace littéraire et culturel, qu’une véritable écriture personnelle. Elle n’acquerra cette dimension que dans des textes tardifs d’écrivains bien reconnus, comme dans Neiges de marbre (1990) de Mohammed Dib par exemple. C’est-à-dire une fois que par l’autorité qui est devenue la leur les plus grands écrivains seulement dépassent cette dimension de parole collective propre aux littératures émergentes.
La question du choix personnel de la langue n’est ainsi que la variante intimiste d’un problème babélien beaucoup plus large qui met en jeu les foules et leur rumeur polyphonique. Non des auteurs qui choisissent la langue française dans leur for intérieur (pour des raisons oedipiennes ou éditoriales aussi fastidieuses les unes que les autres), mais des auteurs habités par le tumulte plurilingue et dont l’écriture épouse les lignes de front d’un combat linguistique tous azimuts. L’expérience montre que très rares sont les écrivains francophones qui ont eu conscience d’avoir fait le choix du français. La donnée plurilinguistique ne se résout pas en choix mais en une écriture plurielle volontiers tentée par la polyphonie.
Les foules ou les choeurs seront de ce fait des éléments importants de cette littérature ouverte au collectif, aux multiplicités de toutes sortes. La rumeur publique avec son mode de gestion de la parole à la fois pluriel, décentralisé et dynamique pourra servir de principe narratif à une littérature en quête d’un souffle collectif. La formidable puissance de fabulation de la rumeur pourra être captée par des écritures d’autant plus singulières et inventives qu’elles auront fait de l’espace intime une place ouverte aux quatre vents d’une parole collective. De façon comparable on constate que dans les littératures issues de ce qu’on a appelé la « seconde génération » de l’Immigration, espace littéraire plus « inclassable » encore que ceux auxquels on pense le plus souvent sous l’appellation « littératures francophones », le héros, dans une écriture pourtant assez traditionnelle, est fréquemment un groupe de copains d’« origines » différentes, plutôt qu’un individu comparable à Julien Sorel chez Stendhal par exemple. Et parallèlement ces textes s’inscrivent dans une sorte d’hésitation sur la possibilité même d’une littérature comme exercice solitaire, à côté d’autres genres plus propices à l’expression du collectif, comme le cinéma et surtout la musique, aux multiples variantes groupales dont le rock et le rap sont les plus connues.
Le collectif est aussi une dimension essentielle de la lecture le plus souvent pratiquée de ces littératures francophones, et que nous voudrions relativiser ici. La démarche individuelle de l’écrivain, fondamentale dans la conception occidentale de la littérature, est souvent ignorée par les lecteurs occidentaux lorsqu’ils ont affaire à des littératures non-occidentales ou « périphériques ». On vient de voir que même des textes autobiographiques sont ainsi perçus comme des documents sur une société. Cette lecture collective des littératures francophones est selon Dominique Combe une explication possible de l’exclusion habituelle du champ de la francophonie de grands écrivains comme Beckett, Cioran, Julien Green et bien d’autres. Elle est surtout pour nous une explication de l’embarras fréquent des critiques lorsque les oeuvres des plus grands écrivains francophones deviennent trop personnelles et « atypiques », ce qui est nécessairement le cas lorsque ces écrivains acquièrent une envergure dépassant cette dimension collective. Un des meilleurs exemples en est certainement celui de Mohammed Dib précisément, qui produit depuis les années soixante-dix une œuvre capitale de notre modernité littéraire mondiale, mais devant laquelle les critiques baissent les bras car elle ne correspond plus à l’image du militant que ses premières oeuvres avaient donnée à cet écrivain dans le début des années cinquante.
Oublier un instant le débat ressassé sur la langue française pour mieux faire apparaître les liens qui unissent les littératures francophones aux littératures placées dans des situations similaires est un des objectifs de cette collection, même si la question de la langue ne pourra y être éludée. Ce glissement vers des questions littéraires qui se posent aussi à des littératures non-francophones est essentiel. A ce prix peut-être la catégorie « littératures francophones » trouvera une consistance qui permettra de dépasser la notion de « littératures périphériques », laquelle ne survit que par ce cloisonnement de littératures qui ont tant de choses en commun. Mises ensemble, ces littératures n’ont plus rien de périphérique, mais forment un immense corps littéraire mondial décentralisé, dont le dynamisme exceptionnel devrait nous amener à une redéfinition globale des objets de l’analyse littéraire, particulièrement comparatiste.
Ce texte est paru comme introduction générale à la collection Littérature francophone, tome 1, Le Roman, Paris, Hatier/AUPELF-UREF, 1997. (Collection dirigée par Charles Bonn et Xavier Garnier)
[1] Calvet, Louis-Jean, La Guerre des langues. Paris, Payot, 1987, p. 32.
[2] Combe, Dominique, Poétiques francophones. Paris, Hachette, 1995, p. 4.
[3] Salman Rushdie a recours à cet image de la chimère pour caractériser la littérature de Commonwealth dans un article intitulé « La littérature du Commonwealth n’existe pas » in Patries imaginaires, Paris, Bourgois, coll. 10/18, 1993, pp.77-87.
[4] Le terme apparaît dans le titre éclairant de l’ouvrage de Chantal Zabus : The African Palimpsest, Indigenization of Language in the West African Europhone Novel, Amsterdam/Atlanta, 1991.