Prix littéraires et promotion du Livre en Tunisie :        
Le Comar D’or ou La Fête du Roman tunisien

Depuis quelques années les entreprises privées tunisiennes ne se contentent pas seulement de sponsoriser colloques et séminaires universitaires, mais elles ont pris aussi l’initiative de pratiquer un mécénat actif en instituant des Prix littéraires et en assurant la promotion du livre : c’est principalement le cas de la Banque de Tunisie qui a institué le prix Aboulkacem Chebbi et de la Compagnie Méditerranéennes d’Assurance et de Réassurance qui a créé en avril 1996 un le prix littéraire, baptisé Le COMAR D’OR. Ce Prix, qui récompense, le 23 avril de chaque année – date de la Journée internationale du livre- les meilleures créations romanesques écrites tant en arabe qu’en français –, est devenu, grâce à la qualité des œuvres primées, au montant du Prix et à la médiatisation efficace dont il bénéficie (conférences de presse, entretiens avec les écrivains, séances de dédicaces, annonces publicitaires, débats publics avec les romanciers, cérémonie officielle de remise des prix au Théâtre Municipal de le ville de Tunis), un événement important dans la vie littéraire en Tunisie.

Justifiant le choix de récompenser le roman plutôt que la poésie, le théâtre ou l’essai, M. Rachid Ben Jemia, Directeur Général de la COMAR et le fondateur de ce Prix, a invoqué deux arguments : d’abord sa prédilection personnelle en tant que lecteur pour le roman, ensuite sa conviction que le roman, de par la liberté formelle et thématique dont il jouit, est un genre ouvert qui peut non seulement se prêter à toutes les expériences littéraires et esthétiques, mais qu’il peut rendre compte des mutations les plus profondes qui s’opèrent dans nos sociétés.

S’il est peut-être trop tôt pour affirmer que ce Prix a joué un rôle catalyseur dans l’essor de la création romanesque auquel nous avons assisté ces dernières années en Tunisie, il est par contre certain que ce Prix ne manquera dans l’avenir, sinon de susciter de nouvelles vocations, du moins d’amener certains écrivains à vaincre leurs velléités et à s’engager dans l’aventure de l’écriture. Ce Prix pourrait également inciter éditeurs tunisiens à publier davantage de romans car ce genre grâce à la médiatisation dont il a bénéficié, semble avoir trouvé de nouveaux lecteurs.

Rappelons que le Comar d’Or pour le roman tunisien de langue française a déjà permis d’attirer l’attention du grand public sur l’œuvre de Ali Bêcheur à qui a été attribué ce prix en 1997, pour son roman Jours d’adieu, et sur l’œuvre romanesque de Souad Guellouz qui a obtenu ce prix en 1998, pour son roman Myriam ou le rendez-vous de Beyrouth.

A l’occasion de la remise du COMAR D’OR 1999, deux décisions importantes concernant l’organisation de ce Prix ont été annoncées :

·        La première a trait à l’organisation des Prix littéraires. Pour plus de transparence et rigueur, il a été décidé de faire coïncider l’année littéraire avec l’année calendaire. Seront donc examinés tous les romans publiés avant le 31 décembre. Les Membres du Jury se réuniront régulièrement pour faire le point sur les dernières publications. Les Editeurs sont à ce sujet priés de faire parvenir deux exemplaires au moins de leurs publications.

·        La seconde concerne la création d’un nouveau prix : Afin d’encourager les jeunes créateurs, la Direction de la COMAR compte attribuer à partir de l’année prochaine le prix du premier roman.

Quant au bilan du roman de langue française de l’année littéraire écoulée, le Jury qui était composé de : Mmes Rachida Triki (Présidente) et Alya Hamza, et de MM.Kamel Ban Ouannès, Hatem Bouriel, Moncef Khémiri et Mansour M’henni, a jugé qu’il était assez positif. Il a enregistré avec satisfaction l’augmentation du nombre des titres et s’est réjoui autant de la qualité de l’écriture que des efforts que fournissent les éditeurs pour présenter un produit valable. Le Jury a examiné 7 romans dont 6 publiés par des éditeurs tunisiens et 1 imprimé en Tunisie. Ce sont :

- Maherzia se souvient, Tunis 1930, de Maherzia Amira Bornaz .

- Monsieur L…, de Azza Filali. .

- La Pharaone de Hédi Bouraoui, .

- et Ainsi parlait San Antonio de Fredj Lahouar, parus tous deux chez l’Or du Temps, en 1998.

- Les Etoiles de la colère, de Abdelaziz Belkhodja, publié par les Editions Apollonia en 1999.

- Naswa de Hédia Baraket, publié par les Editions Noir sur Blanc.

- Puissant par la gloire de Alia Mabrouk, imprimé par la Simpact en 1998.

Ces romans fort différents par l’inspiration et l’écriture, témoignent de la vitalité du roman tunisien et révèlent la volonté de nos écrivains tunisiens d’explorer toutes les formes romanesques : celles du roman historique avec Alia Mabrouk et Abdelaziz Belkhodja, du roman social avec Hédia Baraket, du roman psychologique avec Azza Filali, du récit autobiographique avec Maherzia Amira Bornaz, du polar revisité avec Frej Lahouar et celles du roman poétique avec Hédi Bouraoui. Ce foisonnement de formes augure donc d’une période faste pour le roman tunisien qui semble avoir dépassé la question stérilisante du choix du français comme langue de création -Frej Lahouar comme Hédi Bouraoui écrivent également en arabe – et s’est engagé sur la voie d’une création originale. La diversité des styles et la qualité des romans en compétition n’ont pas rendu aisée la tâche des membres du Jury qui ont dû longuement discuté des œuvres retenues avant de se prononcer.

Après avoir donc délibéré, le Jury a accordé à la majorité des voix, le COMAR D’OR du roman tunisien de langue française à Hédi Bouraoui pour son roman La Pharaone qui a retenu l’attention par sa composition très élaborée, par son écriture poétique et par son message humaniste. Hédi Bouraoui, comme chacun sait, est à la fois poète, essayiste et romancier. Il est l’auteur d’une vingtaine de recueils de poésie, de plusieurs essais et de trois romans : L’Icônaison, Bangkok Blues et Retour à Thyna.Ce prix vient donc consacrer une longue carrière d’un écrivain qui a beaucoup œuvré pour le dialogue des cultures. Son dernier conte, paru en langue arabe, Rose des sables, est un chant d’amour et de paix entre les peuples.

Quant au Prix spécial, il a été attribué, à la majorité des voix à Frej Lahouar, pour son roman Ainsi parlait San Antonio qui s’est imposé par sa verve satirique, sa truculence et son inventivité langagière. .

Enfin, deux romans ont particulièrement été remarqués par le Jury : ce sont M.L…qui a été apprécié pour sa sobriété et son lyrisme contenu et Les Etoiles de la colère qui retenu l’attention par la qualité de sa construction dramatique et par son ancrage dans l’histoire politique violente et cruelle du Moyen- Orient. Azza Filali et Abdelaziz Belkhoja ont été invités par le Jury à poursuivre une œuvre romanesque aussi prometteuse et qui ne manquera pas d’être reconnue et couronnée.

Moncef KHEMIRI.