Marouane, Leïla , Ravisseur, Paris, Julliard, 1998, 190p.

Aziz Zeitoun, parton-pêcheur, gros buveur, gros mangeur, et gros tout court, doit marier sa femme, la belle Nayla, à un autre homme, qui la répudiera, pour qu'il puisse la reprendre après. C'est qu'il ne faut pas trop jouer avec son droit de répudiation. Aziz est tout puissant; il répudie et reprend sa femme comme il l'entend. Mais il a dépassé une limite : au bout de trois fois, il a épuisé son droit. Son fils Omar, qui s'est marié alors que son père avait pour lui d'autres ambitions, le lui dit. L'Imam, pourtant reconnaissant à Aziz pour sa générosité, le lui répète. Il trouve un mari à sa femme : c'est son voisin, Youcef Allouche, célibataire (ou, plutôt marié à une djennia, à une femme-fée) réputé impuissant, qui sera l'époux temporaire. Les six filles, la narratrice et ses cadettes, ne peuvent assister aux noces de leur mère. Le père guette et attend. Le lendemain de la fête, on apprend que les nouveaux mariés ont pris le train très tôt, pour une destination inconnue. Le père sombre dans l'alcool. Il ne travaille plus. L'aînée gère comme elle peut la maisonnée et s'occupe des deux bébés : sa petite soeur Zanouba (ou Manouba), en fait sa petite fille, à elle qui fut violée et qui oublia tout, et son neveu, Moud, dont la mère, Khadija qui parle comme la mère des croyants (la première femme du prophète) est partie à la recherche de son mari... Elle ne va plus à ses cours de dactylographie, elle dont le père rêvait de faire un doocteur. Elle brode des draps et des robes pour les trousseaux des jeunes filles en attente de mariage. Elle signe pour son père un papier qui fait don de ses barques de pêche aux ouvriers. Un matin, le père sort de son ivresse et faillit tuer la narratrice : il lui décole le cuir chevelu. Elle est défigurée, sans dents et sans cheveux. Elle brode sans arrêt. Elle ne veut pas dormir car elle revit en cauchemar son viol. Elle voit un homme qui vient lui rendre visite. La folie la gagne progressivement. Le père, castré après son arrestation, s'enfonce, lui aussi, dans le refus d'un monde trop dur. Il meurt. Khadija revient d'Angleterre. Elle ramène des nouvelles et des cadeaux de Nayla. Elle vient chercher son fils et annonce aux filles que Youcef Allouchi va leur donner la nationalité française (grâce au décret Crémieux, lui dont la mère est peut-être juive) et leur permettre ainsi de partir... La narratrice reste derrière les barreaux.

Le roman de Leïla Marouane, ancienne journaliste, se caractérise par la carnavalisation des personnages et des événements. Leur caractère tragique est comme décalé, ou perverti. Leur force corrosive et transformatrice en est accentuée. Pas de litanie des malheurs. Ni mort, ni malentations. La violence se manifeste à travers l'incompréhension d'une enfant et l'amnésie traumatique de la narratrice. Et dans le bouleversement de cette mini-société. Un certain humour, grinçant, évite l'enfermement dans un discours stéréotypé.

Zineb Ali-Benali