Mohammed Mhaïmah. Wenn Dortmund an Casablanca grenzen würde. Herdecke : Scheffler Verlag, 1992

Mohammed Mhaïmah est jusqu'aujourd'hui le premier marocain, qui a osé écrire et publier un livre en langue allemande. Installé en Allemagne depuis 1987, il vit et enseigne à Hagen. Ce premier ouvrage est passé hélas aussi bien en Allemagne qu'au Maroc inaperçu et n'a mérité aucune attention de la part de la presse spécialisée ou même nationale. Il est certain que la réputation de l'auteur et l'importance de la maison d'édition dans le conglomérat éditorial allemand jouent un rôle important dans la 'commercialisation' et du 'succès' de ce livre auprès de son lecteur potentiel. Néanmoins il serait utile de reconnaître, que les germanophones voire germanophiles marocains sont en majorité des universitaires attardés encore à ânonner et à dépouiller les grands classiques de la littérature allemande, pendant que le lectorat allemand s'acharne à parcourir les découvertes littéraires de la saison, en prenant en compte le dossier de presse, la liste des Best-sellers, le chiffre des ventes ou les prix prestigieux qu'a du décrocher tel éditeur ou tel auteur.

Mohammed Mhaïmah propose dans ce premier livre, le récit de vie d'un travailleur immigré marocain à Dortmund. Seul et déraciné depuis trente ans, Miloud ce sexagénaire espère qu'entre Casablanca et Dortmund ne subsiste plus de frontières et que les humains deviennent différents et plus proches qu'ils ne le sont maintenant. Il rêve d'un monde utopique, où personne ne se sentirait étranger. Etranger, il l'est et le restera encore dans ce pays de "Nssara", où sa vie a été ordonnée par des actes et des mouvements répétés et une routine suicidaire (Alles war nur mörderrische Routine 19. ).

Il n'a jamais eu une vraie occasion pour faire la connaissance de quelqu'un. Il se sentait plus comme chiffre, qu'un être humain. Un numéro dans les différents administrations : dans le bureau pour l'emploi, dans le bureau pour le logement, dans le service pour étrangers et dans les différentes assurances.

Aigri, fatigué, usé par la solitude et la nostalgie, il vit dans le souvenir de ce qu'était sa vie avant de venir à Dortmund. Lui, orphelin de père depuis sa naissance, il était obligé de travailler très jeune comme Berger chez Monsieur Leloup, au lieu d'apprendre à lire et à écrire comme les autres enfants. Au "Bled N'ssara" il émigre pour subvenir aux besoins de Fattouma sa femme et ses enfants. Il se rend compte que sa vie à Dortmund depuis plus de trente ans se limite machinalement à des mouvements et des remuements réguliers. De l'usine, à sa chambre, au café fréquenté par quelques compatriotes. A la gare, dans la marrée des voyageurs et des touristes il se simule un départ, ou souhaite simplement se dissoudre dans la foule des étrangers visiteurs de la ville. Il s'aperçoit de l'absurdité de son existence loin des Siens et encore plus loin de ceux qu'il croise quotidiennement Il se contente de meubler un Vide et de ressasser son ennui, s'acharne à maudire l'usine où il travaille comme machiniste et rêve de gagner au Loto pour avoir la chance de vivre comme dans les mille et une nuits. .

Je cracherais sur l'usine, m'achèterais une grande maison [...] Je partagerais l'année en six mois au Maroc et six ici. Là-bas le soleil et la mer et ici le calme et les bons médecins.

Ce petit livre est un témoignage concret de la vie actuelle des travailleurs immigrés arrivés pendant les années 50 pour reconstruire cette Europe meurtrie par la Seconde guerre mondiale. Ceux qui ont dénigré le regroupement familial pour des raisons soi disant d'éthique, de religion ou de culture, qui ont refusé d'imposer indirectement à leur famille l'Etranger, se trouvent trente après seuls, déphasés et désœuvrés à hanter les gares, les coins de rues ou les places de marché de quelques villes européennes. Leur solitude quotidienne s'éternise et c'est la vieillesse et l'usure de l'âge et du Temps, qui les poursuivent et les tourmentent.

Salwa Idrissi-Moujib