Beïda Chikhi, Littérature algérienne : désir d'histoire et esthétique, L'Harmattan 1997

C'est la parole problématique mais, ô combien ! créative de la littérature algérienne que ce livre nous fait entendre : Jean Amrouche, Albert Camus, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Assia Djebar, Nabile Farès, Rachid Mimouni, Nina Bouraoui etc. Complexe et tendue, cette littérature rend compte, nous dit l’auteur de « la forte histoire » de la société algérienne et de « ses transmutations accélérées ».

En tant que « lecteur du dehors », j'ai trouvé très intéressante l'approche originale de ces textes qui, méthodiquement se détachent des rapports conflictuels qui imprégnaient les textes des écrivains fondateurs, Jean Amrouche et Albert Camus. Ces derniers ont surtout exprimé la blessure qui a affecté l’esprit d'enfance pendant la colonisation. Beida Chikhi « ausculte » leurs textes et démontre les effets du déracinement symbolique de l'un comme de l'autre.

Sa lecture de L'Etranger comme roman de la prise de conscience de la « déliquescence du fait colonial » est particulièrement éclairante. Elle suit patiemment et judicieusement le « jeu d’aiguillage » d'un texte qui « tisse la métaphore historique sur fond de quête ontologique ». Grâce à des relais de type historique, prenant parallèlement en compte le travail poétique, elle élargit ses analyses aux oeuvres de Mohamed Dib, de Kateb Yacine, de Nabile Farès, d’Assia Djebar, de ceux qui ont désigné dans des formes littéraires nouvelles le lieu algérien de « la discontinuité » historique et de la « vacillation » identitaire.

Néanmoins, ce qui retient constamment l'attention, c'est la force de la pensée qui anime les oeuvres et dépasse le seul cadre social et historique de l'Algérie. En effet, c'est l'universel qui dans cette pensée est en question. En affichant en exergue un texte de l'européen Hölderlin et en épiloguant sur les Tragiques à la manière des Grecs, l'auteur de l'essai introduit la question de la « relève du sens » et de la pensée historique dans un pays qui a du mal à entamer l'écriture de sa propre histoire, mais qui en revanche pourrait profiter de la maturité de ses écrivains, confrontés au tragique de façon solitaire ou collective.

La nécessité de pointer les « césures » de l'histoire s'est manifestée, selon Beida Chikhi, avec plus d'éclat et avec plus de promptitude chez certains écrivains, ceux-là mêmes qui, à partir de leur propre malaise, ont élaboré des « esthétiques exceptionnelles entre une archéologie à découvrir et un futur à concevoir ». C'est cela, de mon point de vue, que nous donnent à lire les analyses expertes auxquelles Beïda Chikhi nous a accoutumés dans ses différentes publications, notamment dans Maghreb en textes. Désir d'histoire et esthétique montre donc en quoi la littérature algérienne nous concerne tous.

Maximilien Horn.