C'est la parole
problématique mais, ô combien ! créative de la littérature algérienne que
ce livre nous fait entendre : Jean Amrouche, Albert Camus, Kateb Yacine,
Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Assia Djebar, Nabile Farès, Rachid Mimouni, Nina
Bouraoui etc. Complexe et tendue, cette littérature rend compte, nous dit
l’auteur de « la forte histoire » de la société algérienne et de
« ses transmutations accélérées ».
En tant que
« lecteur du dehors », j'ai trouvé très intéressante l'approche
originale de ces textes qui, méthodiquement
se détachent des rapports conflictuels qui imprégnaient les textes des
écrivains fondateurs, Jean Amrouche et Albert Camus. Ces derniers ont surtout
exprimé la blessure qui a affecté l’esprit d'enfance pendant la colonisation.
Beida Chikhi « ausculte » leurs textes et démontre les effets du
déracinement symbolique de l'un comme de l'autre.
Sa lecture de L'Etranger comme roman de la prise de
conscience de la « déliquescence du fait colonial » est
particulièrement éclairante. Elle suit patiemment et judicieusement le
« jeu d’aiguillage » d'un texte qui « tisse la métaphore
historique sur fond de quête ontologique ». Grâce à des relais de type
historique, prenant parallèlement en compte le travail poétique, elle élargit
ses analyses aux oeuvres de Mohamed Dib, de Kateb Yacine, de Nabile Farès,
d’Assia Djebar, de ceux qui ont désigné dans des formes littéraires nouvelles
le lieu algérien de « la discontinuité » historique et de la
« vacillation » identitaire.
Néanmoins, ce
qui retient constamment l'attention, c'est la force de la pensée qui anime les
oeuvres et dépasse le seul cadre social et historique de l'Algérie. En effet, c'est
l'universel qui dans cette pensée est en question. En affichant en exergue un
texte de l'européen Hölderlin et en
épiloguant sur les Tragiques à la manière des Grecs, l'auteur de l'essai
introduit la question de la « relève du sens » et de la pensée historique
dans un pays qui a du mal à entamer l'écriture de sa propre histoire, mais qui
en revanche pourrait profiter de la maturité de ses écrivains, confrontés au
tragique de façon solitaire ou collective.
La nécessité de
pointer les « césures » de l'histoire s'est manifestée, selon Beida
Chikhi, avec plus d'éclat et avec plus de promptitude chez certains écrivains,
ceux-là mêmes qui, à partir de leur propre malaise, ont élaboré des
« esthétiques exceptionnelles entre une archéologie à découvrir et un futur
à concevoir ». C'est cela, de mon point de vue, que nous donnent à lire
les analyses expertes auxquelles Beïda Chikhi nous a accoutumés dans ses
différentes publications, notamment dans Maghreb
en textes. Désir d'histoire et
esthétique montre donc en quoi la littérature algérienne nous concerne
tous.
Maximilien Horn.